mercredi 28 mai 2008

Pouvoir se voir en peinture

L'inénarrable Cochon Dingue organise un jeu-concours pour les deux ans de son blog. Il faut répondre à quelques questions.

Ce qu'on gagne ? Un portrait dessinée par ses soins...
Moi je vais tenter le coup !

Et certaines personnes qui se plaignent d'ennui devraient essayer aussi avant d'être en vacances et de ne plus pouvoir le faire au travail !

Pour vous donner une idée de la récompense, voici, à gauche, l'autoportrait de Cochon...

lundi 26 mai 2008

Changer de sexe - Le texte de Céleste -


C'est au tour de Céleste de participer au jeu du changement de sexe, avec un très beau texte dans la peau d'un homme impotent, que je vous invite à lire :

http://www.celestissima.org/moi-gaetano-c/

Illustration : John Goudie Lynch

dimanche 25 mai 2008

Cicatrices (2) - Panser ses blessures -

J’ai imaginé une incision au milieu de mon front qui scinderait mon corps jusqu’aux pieds et permettrait d’ôter ma peau abîmée. Il y aurait un moment délicat. Je verrais sous le dais blanc et rose parsemé de tâches de son, les chairs mises à nues, sanguinolentes, molles, parcourues de tressaillements minables. Les traversant de part en part, les os paraîtraient menaçants, curieusement rigides et les veines, battant frénétiquement, me rempliraient d’une appréhension vertigineuse.

Peut-être m’apercevrais-je qu’à l’endroit des cicatrices il n’y a rien. Le traumatisme était superficiel et je soupirerais à cause des années passées à tenter de le cerner.

Enfin, je serais prête à investir ma nouvelle peau, une peau indemne, un vêtement pour le bonheur, une enveloppe protectrice dans laquelle je me sentirais invincible.

Je souriais aux promesses de légèreté qui concluaient ma rêverie morbide, lorsque, mardi, le téléphone sonna. C’était Minna la mère de Margot. Elle m’informait que sa fille ne pourrait certainement pas venir à son cours le mercredi soir parce qu’elles allaient se rendre, d’un moment à l’autre, aux Urgences de l’Hôpital Necker. Margot était dans un état très inquiétant. Minna ne put achever ses explications. Après quelques secondes de silence, elle raccrocha et m’envoya un mail.

Quelques jours avant, Minna et Margot étaient venues manger à la maison et j’avais entendu toute l’histoire de ma petite élève.
A la naissance, elle avait eu une hémorragie cérébrale pour laquelle on l’avait opérée avec succès. On avait placé, dans son cerveau une petite valve pour aspirer le trop-plein de liquide céphalo-rachidien. Le tuyau d’évacuation descend au milieu de ses intestins.
Il y a deux ans, Margot avait soudain souffert de vomissements et de maux de tête intenses aussi l’avait-on hospitalisée à Dreux. Pendant deux semaines on lui avait fait une batterie d’examens sans trouver aucune cause à son état. Jusqu’à ce qu’une nuit Margot fasse une véritable crise de démence.
Minna, les larmes aux yeux raconta : « On aurait dit l’Exorciste, tu sais ? C’était horrible, elle ne me reconnaissait plus, il a fallu l’attacher dans son lit… ». Alors on a transféré Margot, en hélicoptère à l’Hôpital du Kremlin-Bicêtre.
Mais là non plus, les médecins n’ont su trouver ce qui n’allaient pas. Les parents de Margot insistaient : « Vous êtes sûrs que ça ne vient pas de la valve ?
- Mais non, leur répondait-on, de ce côté là tout va bien ! »

Un jour, Minna a remarqué que sa fille ne réagissait plus à la lumière. Elle trouvait son regard étrange. On lui a expliqué que c’était à cause des calmants qu’on administrait à Margot. « Ce n’est rien, c’est passager, vous verrez, c’est un des effets secondaires des médicaments ! ».
Après dix jours sans progrès dans cet hôpital, Minna et Santos ont demandé qu’on leur signe une décharge et ont emmené Margot à l’Hôpital Necker. Le professeur en neurologie de garde ce jour-là, après avoir examiné Margot et observé le scanner environ une minute, s’est écrié : « Il faut changer la valve tout de suite ! »
Il avait raison, elle était bouchée.
Mais entre temps, Margot était devenue aveugle parce que ses nerfs optiques avaient subi trop de pression.

Minna est donc venue vivre à Paris avec sa fille près d’une école spécialisée où Margot apprend à se déplacer, à cuisiner, à lire en braille, à jouer du piano. Son mari, Santos, chef d’entreprise à Dreux ne les voit que le week-end.

Margot mène une vie normale avec passion. Cet hiver elle a appris à faire du ski, elle grimpe aux arbres, joue dans les jardins d’enfants comme les autres. Dans la rue, elle court. Du bout des pieds et à travers ses grosses baskets blanches elle sent le bord du trottoir, les dalles de sécurité en haut des escaliers du métro et le long du quai.

Margot chante avec moi et c’est une lumière.
Tous les élèves qu’elle a côtoyé quelques minutes avant son cours ou à la fin de celui-ci ont été charmés, éblouis.
Margot est belle et elle est généreuse. Elle comprend la moindre de mes indications avec finesse. Parfois elle éprouve des difficultés parce qu’elle doit tout apprendre par cœur. Certains mots entendus sur un disque sont mal perçus, elle ne saisit pas toujours le sens des phrases qu’elle entonne.
Alors au milieu de la chanson, il y a un terme incompréhensible, de ceux que l’on invente tout petit avant de maîtriser parfaitement le langage.
Margot se met en colère parce qu’elle ne supporte pas de se tromper. Dans ce cas-là, soit elle se frappe la cuisse en criant « Oh non ! J’ai encore fait une erreur ! », soit elle prétend que c’est de ma faute parce que j’ai fait un bruit, que je n’ai pas joué la bonne note au piano, que j’ai chanté en même temps qu’elle – et ça, elle ne supporte pas !
Mais la plupart du temps Margot est enthousiaste, elle tape des mains quand l’exercice que je lui propose est un de ceux qu’elle connaît le mieux.
Elle hurle : « Oh je l’adore celui-là, merci ! Merci ! »
Elle se jette par terre, elle joue la morte, elle attend que ma voix tremble d’inquiétude pour se relever. Puis elle se voûte, arrondit sa paume sur le pommeau d’une canne imaginaire et descend une quinte sur « Gnain, gnain, gnain, gnain, gnain ».
Toutes les trois minutes j’essaie de la tempérer : « Margot calme toi ! Moins fort Margot ! Ne gigote pas trop Margot ! »
Elle se rapproche de moi et plante ses yeux bleus, brillants dans les miens, elle caresse mes cheveux, elle me pousse de l’épaule avec ses mimiques de sorcière.
Enfin, elle éclate de rire. Je lui demande pourquoi ? Elle me répond que c’est à cause de l’expression que j’avais à l’instant, ma façon de sourire « comme ça » : et elle imite à la perfection mon visage, quelques secondes plus tôt. Dans son regard, je crois lire mes pensées à livre ouvert. Je répète « Bon Margot, maintenant, concentre-toi un peu ! ».
Elle se redresse, bombe son torse gracile, lisse ses cheveux piqués de barrettes roses et mauves et elle chante, appliquée. Sa voix est claire, puissante, vibrante, elle s’élance, elle émeut, même mâchée par des mots ânonnés.
A la fin de l’heure, Margot se jette dans mes bras, me caresse les cheveux et clame « Je t’aime, oh je t’aime ! » Elle caresse mes cheveux une nouvelle fois, me demande pourquoi ils sont frisés et pourquoi si longs et de quelle couleur exactement ? Sa mère lui enjoint d’arrêter et je proteste « C’est bon, ce n’est pas grave ! »
Je la serre dans mes bras et elle répond à mon câlin en m’étouffant. Je fais « Arg ! », sa mère se fâche « Elle ne mesure pas sa force ! » Nous rions encore une fois.

Mardi à minuit un neurochirurgien a glissé son scalpel dans les cicatrices de Margot, celle à la base du crâne et celle au bas du ventre.
Il a retiré la valve qui s’était bouchée une nouvelle fois et il l’a remplacée.

(A suivre...)

Illustration : Art and Ghosts

samedi 24 mai 2008

7 Paroles de blogueurs (1)

[Désormais tous les dimanches (à peu près) je citerai 7 paroles de blogueurs qui m'ont plu, touchée, emballée, inquiétée, interrogée...]

"Mon voisin porte une barbe blanche. C’est Victor Hugo. Ce n’est pas facile, il blogue comme un Dieu. Je l’entends, taper frénétiquement « Waterloo, Waterloo, Waterloo, Morne plaine ! ». Il chantonne, il sifflote, il est content. Moi je regarde mon écran. Rien. Les courbes baissent. Mon taux de très beaux billets s’écroule comme un attaquant italien dans la surface de réparation, c’est dommage, je venais juste d’avoir une prime de série."


"Il fait si chaud que les vitres gondolent... dehors le monde est tout changé. Ou peut-être que c'est moi..."


"(...) il y a des volets que je ne comprends pas. C’est tout ce qui tourne autour des différentes tendances au sein du PS. Mon seul but de blogueur (à la limite de l’influence de PMA !) et de citoyen (à la limite de portée de ma voix dans les bistros !) est de faire en sorte que les socialos reprennent les rênes des affaires de l’état pour une société plus juste et une économie qui marche.

Ainsi quand je vois les Mélanchonistes (par exemple) critiquer les Strauskahnien (par exemple) parce qu’ils portent des caleçons à rayure alors que les caleçons à poids sont beaucoup plus jolis, je trouve toujours qu’ils le disent trop violemment et que ça passe pour une insulte, une grave critique."


"Nue comme un ver, précautionneusement étendue sur moi, pour respecter la fragilité de mon corps, nos deux sexes moites et repus en contact l’un avec l’autre, les jambes enlacées, étendues elles aussi, en travers du lit, elle a chuchoté dans mon oreille : « je m’allongerai à coté de toi et j’attendrai que ça passe. Tout passe, même la mort »."

Eric Chevillard :

"Simulant un malaise, je m’effondrai tout d’une pièce dans les herbes hautes de mon jardin. Mes gémissements ne tardèrent pas à attirer la Mort qui toujours rôde aux alentours. Comme elle se penchait sur moi avec concupiscence, je me relevai d’un bond et pris la fuite en zigzaguant ; elle se lança à ma poursuite, enragée, donnant devant elle de grands coups de faux : mon jardin sauvage fut bientôt net comme un gazon anglais ; puis je congédiai sans façons la moissonneuse lorsqu’elle refusa de mettre l’herbe en bottes."


"Ce qui m'arrête à chaque fois, finalement, c'est de m'être interrompue.

Je me souviens de ces moments dramatiques et pénibles où, assise petite fille au piano pour dérouler une invention de Bach ou bien une Fantaisie de Mozart, mes doigts butaient sur une difficile combinaison mal intégrée dans leur mémoire. J'étais alors incapable de "sauter" et passer à la suite, et devais plutôt reprendre dès le début avec le risque d'avoir surtout mémorisé le blocage au même endroit, invariablement.

Je suis faite pour la course de fond : ne pas s'arrêter surtout et continuer sans relâche."

Lib :


"Les phrases de Julien Gracq s’enroulaient autour de moi, une par une, belles, impénétrables pour la plupart. A la page 42, je me sentis étouffer. J’eus beau me moquer un peu, rebondir à coté du sens comme une charmante idiote, la voix de mon homme semblait ne plus pouvoir s’interrompre. Une litanie exaltée, voilà ce que je subissais, alors que d’autres femmes dans d’autres lits, s’endormaient paisiblement après avoir joui une fois, deux fois, trois fois. Misérable injustice.

A la page 54, je relevai ma nuisette et m’assis sur sa bouche, pour qu’il se taise. Juste pour qu’il se taise.

Et il se tût."

Illustration : Art and Ghosts

Changer de sexe - Le texte de Boby-

[Désormais je vais faire un billet à chaque mise à jour du jeu... Dans le précédent billet, les commentaires débordent un peu et je trouve que cela manque de lisibilité...]

Aujourd'hui, voici un lien vers le texte de Boby. C'est un ancien blogueur que j'ai rencontré et qui a fermé son blog en avril dernier. Nous avions gardé contact par mail et il a décidé de m'envoyer la semaine dernière un texte sur le thème du changement de sexe.
En le lisant, j'ai été confrontée à un dilemme épineux.

En effet, j'ai trouvé le texte de Boby cru mais ce n'est pas ça qui m'a dérangée.
C'était le fait de l'afficher sur mon blog. Je pense que je suis libre de mes lectures mais responsables de ce que je publie ici vis à vis de mes lecteurs connus. Alors, oui, j'avais invité les non-blogueurs à m'envoyer leurs textes afin que je les rende publics mais je n'ai pas trouvé cela évident en ce qui concerne le texte de Boby. Je lui ai donc proposé de publier son texte sur son blog puisqu'il ne l'avait pas détruit.

Boby ne l'a pas très bien pris. Il a donc ajouté à son texte une introduction un peu amère où il évoque la discrimination dont souffre les homos et les bisexuels. Je lui ai écrit pour lui expliquer qu'il disait n'importe quoi. Il s'est excusé...

Je vous invite à lire son texte :

http://homoavecepouse.over-blog.com/pages/Changer_de_sexe_-515893.html

Photo : Spencer Tunick

jeudi 22 mai 2008

Changer de sexe -mise à jour du 22 mai-


Ce concours n'est pas mort, vous pouvez encore ajouter vos contributions ! D'ailleurs si des non-blogueurs sont tentés de participer, envoyez moi vos textes par mail et je les publierai. Merci à tous !

La règle du jeu : écrivez dans la peau de l'autre sexe...
Petit historique

- Mr Poireau avait joué dans la provocation :

http://monsieurpoireau.blogspot.com/2008/02/les-sexes-lun-dans-lautre.html

- J'ai relevé le défi :

http://delasexualitedesaraignees.blogspot.com/2008/02/deux-ans-je-ralisai-quil-tait.html

- Suivie par des hommes :

http://extra-ball.blogspot.com/2008/02/la-chose-des-femmes.html

http://balmeyer.blogspot.com/2008/02/la-chasse-la-biche.html

http://entre2eaux.hautetfort.com/archive/2008/03/05/changement-de-sexe.html

http://manucausse.blogspot.com/2008/03/changer-de-sexe.html

http://jegper.blogspot.com/2008/03/concours-de-tortues-de-mer-le-rsultat.html

http://partageonsmonavis.blog.20minutes.fr/archive/2008/03/03/concours-de-tortues-de-mer-resultat.html

http://victoireaupoing.wordpress.com/2008/03/11/im-every-woman/

http://wajdi.over-blog.com/article-19567678.html

http://baratin.hautetfort.com/archive/2008/05/18/j-ai-faim.html

http://mtislav.blogspot.com/2008/05/service-la-personne-le-changement-de.html

http://homoavecepouse.over-blog.com/pages/Changer_de_sexe_-515893.html


http://desanquis.canalblog.com/archives/2008/07/24/10023341.html

-Et des femmes :

http://nefisa.blogspot.com/2008/02/si-jtais-un-homme-je-vous-parlerais-de.html

http://sauvonslaterre.hautetfort.com/tag/homme

http://lantiforum.hautetfort.com/archive/2008/03/01/sortie-de-route.html

http://laviequonaime.blogspot.com/2008/03/le-poil.html

http://www.menageredemoinsde50ans.com/article-17255747.html

http://yelka.free.fr/index.php?2008/03/10/150-celle-qui-changeait-de-sexe

http://yelka.free.fr/index.php?2008/03/12/151-celle-qui-changeait-de-sexe-2#co

http://perdreuneplume.breizhzion.com/

http://lesondunenuit.hautetfort.com/archive/2008/04/03/petite-question-de-nuit-femme-ou-homme.html#comments

http://delasexualitedesaraignees.blogspot.com/2008/04/contemplation.html

http://alluvions-mc.blogspot.com/2008/05/changer-de-sexe.html

http://bouchedela.blogspot.com/2008/05/le-premier-sexe.html

http://loisdemurphy.canalblog.com/archives/2008/01/12/7530928.html

http://sihaya.net/?2008/02/03/28-clitoris-ce-heros

http://2yeux2oreilles.hautetfort.com/archive/2008/05/16/dans-la-peau-d-un-homme.html

http://www.celestissima.org/moi-gaetano-c/

http://nefisa.blogspot.com/2008/06/changer-de-sexere-mixed-and-re-loaded.html

http://delasexualitedesaraignees.blogspot.com/2008/08/changement-de-sexe-le-texte-de-m.html

Didier Goux, lui, a refusé de le faire :

http://didiergouxbis.blogspot.com/2008/03/je-garde-le-mien.html


Avant de changer d'avis, le 21 avril :

http://brigadiermondain.blogspot.com/2008/04/puisquon-voulait-que-je-change-de-sexe.html



Merci à Etolane et Marc pour leur coup de projecteur sur le concours dans leur blog commun, mediaTIC !

Photo : Spencer Tunick

mardi 20 mai 2008

Cicatrices (1) - Finir son assiette -

Ma mère m'a envoyé un mail parce qu'elle croit que je boude. Il s'intitule nous. Entre autres choses, ma mère m'informe qu'elle a rattrapé le retard sur mon blog et elle avoue : "je le trouve triste, trop triste par rapport à ta vie, qui est riche..."

Elle me conseille de récapituler mes bonheurs. Ce qu'elle accomplit pour moi, en quelques lignes.

Je soupire et je tourne la tête vers la fenêtre... Dans la vitre, mon reflet me dévisage, sans sourire.
Je contemple mon front strié d'angoisse, mes yeux maussades, mon grand corps avachi devant le bureau en pensant à ce que ma mère me suggère et en me demandant pourquoi je suis si sombre, si tourmentée en ce moment... Mon sourcil droit est coupé en deux par la blanche cicatrice, cousue savamment par mon père. Ma paupière gauche est boursoufflée juste au coin de l'œil. C'est une des cicatrices de l'accident. J'en ai une autre, quasiment invisible à la base du nez, entre les narines et la lèvre, et une au coude droit.

Curieusement, pendant des années, celle que j'ai tenté de dissimuler, celle dont j'avais honte, c'était la cicatrice au coude. Violacée, elle grumelait, exhibant des pans de chair nue, lisses et obscènes lorsque je dépliais le bras. J'avais l'impression qu'en la voyant n'importe qui pourrait connaître le fond de mon âme ou apercevoir les béances de mon cœur pathétique. Ce que j'imaginais, c'est que me connaissant, les gens se détourneraient de moi. Se moqueraient de moi. Cesseraient de m'aimer. Cette plaie abritait en elle toute ma laideur. Elle était un concentré de ce nez que je haïssais, de ce corps qui m'effrayait, de ces doutes que je dissimulais. Alors en cours de sport, je gardais le bras plié et le reste du temps je portais des vestes, des chemises, des pulls. Seule, je caressais rêveusement la peau à vif, ses bosses, ses coutures, je tirais sur les morceaux de trop, les roulaient entre mes doigts.

Ça me plairait bien d'être seulement celle que je suis aujourd'hui, Maman tu vois. C'est pas mal, la musique, un peu d'écriture, de beaux amis, un amoureux, un enfant, ça tient en quelques lignes ; le bonheur, ça ne se raconte pas mais c'est toujours ça de pris. J'aimerais bien, dans la glace, admirer un visage serein. Pourtant ce que je distingue ce sont les cicatrices. Je me demande si celle de ma paupière serait aussi voyante si mon père ne m'avait pas giflée, juste dessus, quelques temps après ma sortie d'hôpital.

Ce jour là pourtant, j'étais sûre de moi. J'avais analysé la situation et, au réveil, j'avais expliqué à Anna :
"Ce qui l'énerve c'est quand on montre qu'on a peur de lui. Je l'ai remarqué... Je suis sûre que si on ne haussait pas les épaules quand il est derrière nous ou si on ne levait pas le bras devant notre visage, il ne nous taperait pas. Fais-moi confiance Anna. Essaie de faire attention, juste aujourd'hui. Je sais que j'ai raison. Si on a l'air confiantes, tranquilles avec lui, il ne se fâchera pas."
Anna faisait la moue. Je m'impatientais :
"Ecoute Anna, ça sert à quoi de te protéger, hein ? A rien ! Il te frappera quand même ! Alors reste immobile et si possible souriante, et tu verras qu'il n'arrivera rien..."

Puis nous nous étions retrouvées à table. C'était l'époque où mon père ne s'était pas encore remarié. Il ne savait pas cuisiner et les repas étaient un calvaire. J'avais depuis longtemps compris qu'il valait mieux finir son assiette que minauder à chaque bouchée. Mais ma sœur s'obstinait, elle renâclait, recrachait. Elle ne m'écoutait pas alors que j'avais compris et que je lui avais expliqué de quelle façon il convenait de se comporter. A la fin, elle pleurait, une main sur sa joue cuisante, et devait, quand même, enfourner la nourriture jusqu'à la dernière bouchée.

Il avait concocté des calamars, à la poêle. Nous aimions tellement les calamars à l'encre de ma grand-mère, peut-être qu'il avait voulu nous préparer quelque chose susceptible de nous réjouir. Tiens, je n'y avais jamais pensé. Tu vois, Maman, finalement, je ne relève pas que le négatif, je suis capable de distinguer une lueur dans l'obscurité. J'étais fière, penchée au-dessus de mon assiette pleine parce que je devinais qu'Anna suivait mes instructions. Elle babillait et mâchait soigneusement les mollusques.
A la première bouchée, je me rendis compte que mes repères allaient s'effondrer. Ma théorie ne me permettrait pas de triompher de cette épreuve : j'avais senti un œil craquer sous ma dent, les tentacules agrippaient mes gencives de leur myriade de ventouses, une nausée palpitait dans ma gorge. Mon père ne tarda pas à s'en apercevoir. Derrière moi, sa voix tonna :
"Finis ton assiette !"

Tentant d'obéir, je glissai un calamar entre mes lèvres et manquai vomir aussitôt. Mes épaules se soulevèrent, je rotai, et laissai tomber devant moi la chose répugnante, dégoulinant de salive. La main de mon père s'abattit aussitôt sur moi, qui lui tournais le dos. Je sursautai et touchai du bout des doigts ma paupière brulante. Le sang dévala ma main, s'enroula autour de mon poignet. Les calamars rougeoyèrent sur la table. Je me mis à pleurer, en silence. Je ne parlais pas, je ne disais rien, j'essayais de comprendre, d'analyser la situation mais une petite voix dans ma tête criait : "Comment a-t-il pu rouvrir une blessure qui m'a tant fait souffrir ? Comment peut-il m'empêcher d'oublier ?"

Plus tard dans l'après-midi, il fit tant d'effort que j'eus pitié de lui. Alors que ma sœur savourait un esquimau et que je ruminais le refus silencieux que j'avais opposé à cette tentative minable de réconciliation, je lui adressai de nouveau la parole :
"Il est à quelle heure, déjà, notre car pour V. ?"

(A suivre...)

Illustration : Art and Ghosts

dimanche 18 mai 2008

Le saisissant voyage de Claudine Tissier

D'emblée, Sujitha, la fille à la tache en forme d'étoile, est captivant. Le balancement des mots qu'une virgule finement placée fait chalouper, la mélodie délicate des adjectifs, le style ciselé font de cette nouvelle un joyau à la puissance évocatrice imparable.

Lorsque j'ai découvert la première phrase de la nouvelle de Claudine Tissier, je me suis arrêtée. J'ai posé le livre sur mes genoux et j'ai respiré. J'imaginais déjà que j'allais voyager et que ce voyage serait beau et fulgurant. Alors, j'ai relu la première phrase. Je l'ai savourée, susurrée, scandée. J'ai laissé le personnage de Sujitha se dessiner à partir d'un sourcil, d'une tache, d'un visage clair.

De la première majuscule au point final, j'ai aimé ce petit livre, passionnément. J'ai vibré d'émotion, j'ai versé des larmes, j'ai été troublée par la sensualité de l'amour interdit éprouvé par la jeune femme indienne. J'ai ri aussi, souri et je me suis étonnée.

Régulièrement, je recommence ce voyage. Il est posé sur ma table de nuit, comme un gage de beauté. Je ne m'en lasse pas...

Claudine, d'Italie, a pris le temps de répondre à mes questions, à ma grande joie.

Comment écris-tu ?

J’écris lorsque je suis prête. L’écriture est la mise en forme de mes pensées.

Mais mes pensées sont souvent accaparées par des événements mineurs : travail, gestion du quotidien.

Ce qui fait que durant les mois sédentaires j’écris beaucoup moins que ce que je souhaiterais.

Par contre si je suis délivrée des contingences professionnelles et logistiques, mon esprit vagabonde, imagine, crée des histoires. Toutes n’arrivent pas à terme mais beaucoup ne demandent qu’à être transcrites.

Quand les conditions idéales sont réunies j’écris n’importe où, chez moi, en vacances, en train et n’importe quand.

L’écriture n’est pas pour moi un plaisir solitaire. J’écris pour partager, pour communiquer, pour raconter.

C’est pourquoi j’aime avoir un blog.

Si personne ne me lit, je n’écris pas.


Tu voyages beaucoup... Pourrais-tu écrire sans cela ?


J’aime écrire et j’aime voyager. Mon écriture se nourrit de mes voyages, mais pas seulement.

Ecrire est aussi un voyage immobile. Je n’aimerais pas avoir à choisir entre les deux.


Comment est née Sujitha ?


Sujitha est un personnage fictif.

Je n’ai pas beaucoup d’imagination mais je suis observatrice et très réceptive aux autres.

Sujitha n’existe pas mais elle m’a été inspiré par mes amies indiennes du Kerala.

Il y a deux ans Fabio et moi avons réalisé un documentaire sur un couple d’amis, Sini et Roy. Ils vivent et travaillent à Bologne et nous les avons suivis lors de leurs vacances kéralaises. Nous avons vécu chez Sini, dans sa famille et rencontré beaucoup de leurs amis et connaissances.

Sujitha est née de toutes mes discussions avec des jeunes femmes. Je les ai regardées vivre et j’ai écouté leurs histoires.

Puis j’en ai imaginé une qui soit proche de la réalité, de leur réalité.

J’aimais l’idée de montrer à quel point les émotions sont universelles.

D’ailleurs j’ai été touchée quand des lectrices m’ont confié avoir retrouvé quelque chose d’elles-mêmes, d’intime, en Sujitha.

Comme je l’ai été quand d’autres m’ont dit avoir retrouvé l’Inde en lisant la nouvelle.

Quant-à son histoire je l’ai imaginée lors d’un trajet en bus, celui-là même dont je parle. La destination est réelle, le reste est inventé.

J’ai peaufiné les détails, les phrases.

Et j’ai écrit.


Comment as-tu découvert les Editions Filaplomb ?


C’est Fil qui m’a contactée car il connaissait mon blog.

J’en ai été ravie.

J’avais écrit Sujitha l’été dernier lors d’un voyage en Inde avec l’intention de le publier, ainsi que d’autres récits indiens, sur un blog.

Et alors… et alors… Filaplomb est arrivé !


As-tu lu d'autres auteurs chez lui ?


Oui, j’ai lu les autres auteurs.

J’ai aimé tous les récits, le choix est varié et tous sont de qualité.

J’ai une tendresse particulière pour Des hamsters et des hommes car j’apprécie beaucoup l’humour de Joan Aractingi.


Ecris-tu en ce moment ?


J’espère pouvoir me délivrer de beaucoup de contraintes dans les années qui viennent afin de pouvoir écrire plus.

En ce moment, vie bolognaise oblige, j’écris peu. Autrement dit rien d’autre que le blog.

Mais à partir de la semaine prochaine mon emploi du temps sera considérablement allégé, et ceci pour plusieurs mois.

Mes projets les plus concrets sont d’une part de continuer à écrire d’autres récits autour de Sujitha, de façon à ce que les histoires soient reliées les unes aux autres, d’autre part je voudrais reprendre mes extraits préférés des journaux de voyage que j’ai tenus en Inde pour en former un recueil autour d’un fil directeur, peut-être en y introduisant un peu de fiction.

Et puis, ensuite, quand je serai disponible, quand le temps sera devenu un allié, j’écrirais toutes ces histoires qui emplissent mes pensées depuis des années et qui attendent de voir le jour, d’être partagées.

Merci de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer. J’ai répondu à ces questions avec un grand plaisir.



Un extrait :


"Assise, je ne vois que lui, ses mains qui glissent sur le volant, ses cuisses dont je devine, sous l'étoffe du pantalon, la musculature puissante, ses pieds nus qui jouent avec les pédales, son profil dont je suis du regard les courbes nettes et voluptueuses? J'effleure par la pensée sa bouche aux lèvres pleines, son nez aquilin, son front haut et fier que domine la masse noir de ses cheveux, coupés courts. Le matin, il est rasé de frais et l'envie de baiser sa peau lisse, qui semble si douce, m'accompagne durant les deux heures que dure le trajet.

Pendant la journée, alors que j'enseigne l'anglais à mes élèves de la Medium school, mes pensées, telles des papillons qu'un ibiscus soyeux attire, volent vers lui qui conduit son bus jusqu'en haut de la montagne."

Et, pour finir, le mot de Filaplomb :

Quand on me demande pourquoi j'ai publié Sujitha, la fille à la tache en forme d'étoile de Claudine Tissier, je comprend tout de suite que la personne qui m'interroge est forcément quelqu'un qui ne l'a pas lue !
En quelques lignes à peine, elle parvient à nous transporter en Inde, mais de manière à ce que tout nous soit naturel. L'histoire de Sujitha elle-même, bien que particulière, me semble rejoindre quelque chose d'universel du destin des femmes. C'est en tout cas ce que me rapportent les nombreux lecteurs qui m'en ont parlé, tout à fait ravis !
Pour la couverture, les photos du montage ont été choisies parmi celles gracieusement offertes par Fabio Campo. Pour cette raison, je peux, pour une fois, montrer les autres couvertures prévues et auxquelles vous avez échappé !


http://filaplombleconcours.blogspot.com/

A l'ombre du vent (3)

Dans notre appartement, je sors sur la terrasse ; la mer frissonne contre un ciel livide, tendu comme un linceul ; des papillons feuillettent du bout de leurs ailes les rayons de lunes coulant sur mes épaules ; un chien hurle de solitude dans le lointain. Je pleure lorsque j'aperçois, sur la balustrade, un corbeau immobile, de longues plumes brillantes, l'œil au creux de mon cou, tel un diadème. Je m'approche de lui ; il ne bouge pas. Il me regarde et je me souviens des symboles attachés à ce sombre volatile ; présage de mort, messager. Pourtant, à ma connaissance, les corbeaux ne mangent pas les cadavres, comme les vautours par exemple ; ils ne sont pas sales et puants comme les pigeons, indécents au point de mourir sous les roues des voitures. J'avance doucement vers l'oiseau magnifique. Il est de profil et ne me quitte pas de l'un de ses yeux ; celui qui est du côté que je regarde.
Quand j'étais petite, mon père m'avait raconté que les corbeaux vivaient des centaines d'années, peut-être quatre cent ou cinq cent. J'avais ri, bien fort ; on le saurait si des oiseaux vivaient plus vieux que les hommes ; on se le dirait, non, si les corbeaux en particulier, vivaient plus longtemps que des générations et des générations d'hommes ? On nous l'apprendrait à l'école, on en parlerait le dimanche à table. Puis j'ai eu peur. Alors ces oiseaux noirs, que l'on voyait toujours de loin, éparpillés dans les champs de maïs et de luzerne, ces oiseaux qui ne m'avaient jamais intéressée, les corbeaux, eux, avaient vu des choses que je ne verrai jamais, la Révolution Française par exemple (assez bizarrement je me mis à penser à des faits historiques) et ils verraient encore de nombreuses choses après moi, ils partageraient un bout de terre avec les enfants des enfants de mes enfants, qui sait ? Et je serai morte depuis bien longtemps.
Ces oiseaux noirs.
J'avais eu très peur quand mon père m'avait raconté cela mais il m'avait entrainée sans le deviner et nous avions descendu le chemin du retour, parmi les vignes, courant, criant.
Les corbeaux s'étaient envolés.
Je n'ai jamais cherché à en savoir plus à propos de leur longévité. Mon père était médecin et quand il m'avait parlé des corbeaux, j'avais senti son admiration, son respect pour ses êtres presque immortels. Il ne pouvait guère me mentir. Peut-être avait-il simplement envie de me faire rêver.
Aujourd'hui, mon père est mort et je rejoins ce corbeau sur le balcon. Il continue de me regarder. Je m'accoude à la rambarde, à côté de lui, les mains posées à plat sur le rebord où s'agrippent ses petites pattes ; ses plumes effleurent presque mon bras nu ; son œil se penche sur mon visage ; le ciel devient plus blanc, un ciel d'enterrement ; il va pleuvoir. Je tends la main pour le toucher, l'oiseau s'envole.

Soudain, de la chambre, tu m'appelles !

J'arrive mon amour... De notre fenêtre, à l'ombre du vent, cachés, heureux, nous regarderons les étoiles... Jusqu'à nous sentir comme l'une d'elles, petits et brillants dans le noir.... Sans doute, simples reflets, depuis des lustres, d'une vraie vie qui serait autre...

FIN

Illustration : Nicoletta Ceccoli

A l'ombre du vent (2)

Un jour, dans le métro, une vieille femme, la tête couverte d'un foulard blanc, le menton et le front tatoués, s'est assise à côté de moi. Elle avait un nez crochu ; mais ses yeux noirs, petits, enfoncés, aux sombres cils penchés, étaient en tous points identiques à ceux de ma grand-mère. Elle m'a parlé et les "r" roulaient dans sa gorge comme un rire profond et sourd. Ses yeux attendaient, plus mystérieux que l'oubli. Puis elle a fait un geste drôle en désignant les bras musclés d'une fille ; elle souriait ; avec sa voix chantante, c'était elle.
Assise tout près, je la touchais ; sa jambe longeait la mienne ; son bras scandait ses réflexions, glissant contre le mien ; ses habits sentaient un peu le renfermé (elle venait de si loin pour me voir) ; je souhaitais que le métro ne s'arrête jamais ; pourquoi ne pas s'être rencontrées, plutôt, dans un avion pour huit ou dix heures de voyage ?
Je me tournais vers elle pour la contempler. Elle ne cessait de rire. Oh combien j'ai souffert ! Mon cœur se serrait de devoir la quitter. Je me suis levée, pourtant, une station avant la sienne. Elle a murmuré simplement au revoir.
Doucement.
Quand je me suis retournée sur le quai pour la voir partir, elle ne me regardait pas.

Le soir dont je te parle, en vacances, nous avons parlé de mon père.
Te souviens-tu ?
A cause de l'alcool, ma voix a tremblé : je pense que c'était une mise en scène, ai-je dit. Il y a des années que je le pense. Ce n'était pas un simple accident de voiture. Il était malade encore ; de désespoir ; il voyait un psychiatre ; il prenait des médicaments. La veille de sa mort, je ne suis pas allée avec ma sœur lui rendre visite. Je chantais. La veille de sa mort, il a donné à ma sœur, pour moi, un bracelet rouge en plastique et un bonbon à la violette. Mon père ne m'avait jamais offert de cadeau, comme ça, pour rien ; il mettait du chocolat sur la table de notre petit-déjeuner ; il nous permettait, dans les champs, de ramasser des pleins sacs de noix, des fleurs et des pommes ; les vrais cadeaux attendaient les fêtes.
Tu as dit : tu crois, qu'avant de mourir un homme donnerait à sa fille un bracelet en plastique ? Oui ! Il ne veut pas qu'on devine. Il ne veut pas faire de peine. Pas plus qu'il n'en faut. Pourtant les adieux sont difficiles à taire. Il les retient au bord des lèvres. Il tente de laisser un souvenir qui reste innocent. Un bijoux de valeur aurait avoué, à sa place, sa violente mélancolie. Le bracelet en plastique est une omission, un demi-mot. Se doute-t-il qu'il aura plus de prix que l'or et l'argent, plus tard ? Peut-être, oui, croit-il que sa vie aura plus de sens s'il ne reste pas parmi les vivants ?
En disant cela, je sais que je tente de repousser l'absurde, le hasard, loin de moi. Tout semble vrai. Ou faux. Nous ne le saurons jamais. Je veux construire, avec mes mots, quelque chose en quoi croire ; quelque chose de solide.
Et je préfère l'horreur d'une histoire sinistre à l'ignorance limpide.
Mais tout s'effondre ; tout s'est déjà effondré ; et mes mains regardent couler le sable sans pouvoir le rassembler.
Tu ne dis plus rien. les coquillages coulent dans nos gorges, salés comme le chagrin, épais sous nos langues comme les sanglots que nous retenons. Je baisse la tête, honteuse de m'être un peu déchargée, sur toi, du fardeau de mes pensées. Nous quittons le restaurant et longeons les quais où se perdent, dans l'air plus frais, des chansons de variété. Soudain, tu me regardes, véritablement. Tu allumes une cigarette et, soufflant la fumée vers moi, tu demandes : pose-moi trois questions ! J'observe les bateaux penchés sur l'eau ; ils poussent fièrement leurs mats dans le ciel ; leurs drapeaux remuent faiblement, alanguis, dans un monde étranger ; les noms peints sur les coques, s'effritent peu à peu dans l'eau sombre.
As-tu pensé, une seule fois, que tu pourrais ne pas m'aimer toujours ?
Tu ne réfléchis pas ; tu réponds : non, pas une seule fois ; tu souris gravement.
Qu'est-ce que tu voudrais faire dans la vie ?
Attendre nos enfants à la porte de l'école maternelle.
Qu'est-ce que tu ressens, en ce moment présent ?
Tu ne réponds pas, tu fumes en penchant la tête ; tu me prends la main ; tu la serres contre ton cœur qui tremble.

(A suivre...)

Illustration : Nicoletta Ceccoli

samedi 17 mai 2008

Adopter Cochon

Au dîner je disais à mon époux :
"Allez ! Tu ne le regretteras pas, toi qui envies Georges Clooney, tu auras un point commun avec lui, le cochon !"
Mais il refusait, pas de cochon à la maison.

Quand il a vu ce qu'elle savait faire il a changé d'avis....


Merci Cochon !

vendredi 16 mai 2008

Une nouvelle bannière

La première c'était ça :


La deuxième concoctée par Dom un jour de migraine, vous devez vous en souvenir :


Voici la nouvelle édition, sans araignée et bricolée à partir d'un dessin d'Art and Ghosts.



Qu'en pensez-vous ?

jeudi 15 mai 2008

A l'ombre du vent (1)

[Je vais me bricoler une nouvelle bannière. Je ne sais pas combien de temps cela va nécessiter aussi, inquiète de laisser mon blog sans vie pendant ce temps, j'ai fouillé dans mes cartons et j'ai trouvé une nouvelle qui date de plusieurs années. Lorsque je l'avais écrite, je venais de lire Les oiseaux de Fra Angelico d'Antonio Tabucchi et, sans avoir tout compris, je me sentais imprégnée de son style, entre mysticisme, poésie, et lyrisme. J'avais décidé, pour m'amuser de rédiger une nouvelle mêlant son style (du moins son imitation) et mon histoire. Le résultat s'intitule L'ombre du vent.]


Le soleil pianote dans tes cheveux ; ses longs doigts d'or glissent entre les tresses de la jalousie qui clôt notre fenêtre ; caressent ton visage. J'entends ; j'entends ceci dans tes cheveux ; sur ton front ; tu as vieilli depuis que je te connais ; c'est un fil dont l'argent brille dans l'or du jour ; un sillon au coin de tes yeux, émouvant comme une appogiature ; le soleil prend son souffle ; la jalousie bat contre la fenêtre. Maintenant c'est ta joue qui chante, dorée, et je la mordrais bien. Je me souviens. Cette nuit j'ai rêvé de toi. Je te disais : je t'aime plus que je ne m'aime, je t'accepte mieux que je ne m'accepte. Je te disais : tu es le soleil et l'ombre. Je me mets à chanter ces mots là dans tes cheveux comme des touches de couleur. Une mèche sous mes doigts, ta peau contre ma peau, je pianote et le soleil avec moi. Je pense : la mort n'existe pas, la séparation n'existe pas.

A ton réveil, tes yeux sont vagues, tu les froisses avec tes mains et lorsque tu les ouvres encore, leur douceur me saisit. Je dis : sortons sur la terrasse. Tu déplies ton grand corps. Tu me suis. Tes pas effleurent le sol en chuchotant. Dehors, l'air tremble au dessus des flots ; un moucheron frôle nos ombres étendues sur le toit que nous dominons ; un enfant lâche des cailloux de toutes les couleurs dans une bouteille en plastique. Soudain tu me demandes : nous irons sur le rocher tout à l'heure ? Oui, nous irons. Nous nous installerons à notre place habituelle, cachés, heureux. A l'ombre du vent. nous crierons pour nous comprendre, les voix accablées par le crépitement des vagues embrassant la terre et les appels des mouettes qui ressemblent à des rires de fous.

C'est ainsi que passent nos journées de vacances.

Le soir nous rentrons de promenade, les bras pris l'un dans l'autre. Nous avons mangé des huîtres et bu du vin blanc. Le mistral a imprimé sa colère dans le ciel en cuisant sillages roses. Nous avançons en admirant tout autour de nous.

Mais ! Souviens-toi !

Ce soir-là nous sommes rentrés plus tard. Nous avions dîné au restaurant d'un plateau de fruits de mer. Nous nous regardions de côté, tristes et pâles dans la nuit. Soudain je me suis écriée : pourquoi avoir parlé de tout ça ? C'est inutile. Nous ne saurons pas. Tu as répété : nous ne saurons jamais.

Qui de nous l'a évoqué en premier, cela je l'ai oublié. Je te raconte souvent des histoires que tu trouves tristes ou macabres ; les derniers mots exprimés par mon grand-père sans que je les comprenne ; sa main dans la mienne, sèche, aux ongles coupants ; mes yeux brillent alors et je te raconte l'Espagne que ma grand-mère a fui en 1939, ce que je sais de l'exil. Parfois je suis pitoyable et les mots qui jaillissent de ma bouche me portent au désespoir. D'où vient ce besoin de souffrir ? Car c'est un besoin, le besoin d'eux, de les sentir encore, physiquement, d'éprouver des sentiments vivants pour eux ; ceux qui sont morts et qui me manquent.

Peut-on dire, de façon anodine, j'aime ma grand-mère alors qu'elle est morte depuis longtemps ? Non !

Comme c'est étrange... Le plus souvent on destine des mots d'amour à une personne concernée. Sinon le silence doit sceller l'absence comme la pierre tombale qui pèse sur le cercueil.

Du reste, qu'éprouver d'autres pour des disparus ? De la colère ? De la jalousie ? Ces sentiments sont liés au quotidien, à une présence.

L'amour et la peine ne cesseront jamais.

Jamais !

(A suivre...)

Illustration : Nicoletta Ceccoli

lundi 12 mai 2008

Un parapluie pour parasol

Dans l'appartement, les fenêtres sont grandes ouvertes. Parfois une porte claque. Des mouches frôlent nos visages en vrombissant, les rideaux rouges ondoient le long des portes-fenêtres. Le soir, Zacharie porte à deux mains son minuscule arrosoir de bac à sable jusqu'au balcon et nous arrosons l'acacia, le fuschia, les géraniums, les œillets d'Inde, les plantes grasses de Cassis. Il craint de se salir aussi se tient-il le plus loin possible de la plante qu'il arrose. Finalement, ce sont ses pieds qu'il mouille.

La femme-qui-dort-dans-la-rue, sur le trottoir en face, va mieux. Elle se lève plus souvent, fait quelques pas, s'étire. Ses cheveux ont été tressés avec des mèches d'un blond roux. Le résultat me paraît étrange, inachevé mais elle secoue ses petites couettes avec fierté. Le matin, nos regards se croisent lorsque je remonte les jalousies. Une fois, il m'a même semblé qu'elle me disait bonjour, tout bas. Mais à dix heures elle souffre de la chaleur. Les premiers jours, elle se protégeait d'un foulard sur le visage, allongée, puis quelqu'un lui a donné un immense parapluie noir. Elle s'assied donc, dorénavant devant son couchage, sur le trottoir, à moitié dissimulée par le pépin.

Son nouveau compagnon l'enquiquine lorsqu'elle tente de se rouler une cigarette. Elle crie, peste en l'agitant dans le ciel éperdument bleu. Elle se tord le cou pour lui parler tandis que l'objet vacille, refuse d'être tenu du bout des doigts, posé sur une jambe, menace de s'envoler. Les baleines ploient et s'échappent, dardant des doigts menaçants en guise de réponse. Enfin elle coince le manche sous son bras et approche la flamme du briquet de son visage.Elle s'amuse avec un petit livre de mots mêlés. Un sourire rêveur s'attarde sur son visage.

Elle a l'air heureux ...

samedi 10 mai 2008

Joan Aractingi, une femme et des hamsters

Cette semaine j'ai emporté, pour l'un de mes trajets en métro, un petit livre des Editions Filaplomb. Il était seize heures, je partais donner quelques heures de cours au cœur de Paris, je me sentais un peu lasse, vaseuse encore, je n'étais pas très enthousiaste à l'idée de travailler jusqu'au soir, tard.

Je ne m'attendais pas à pouffer dès la deuxième page de la nouvelle de Joan Aractingi Des hamsters et des hommes. En quelques mots je suis sorti
e du contexte métro-boulot-dodo pour atterrir dans une histoire saugrenue, au rythme trépidant, toujours surprenante et de plus en plus drôle. A la station Les Halles j'étais collée contre la vitre, repliée autour de 22 pages de bonheur et je riais à gorge déployée. Mes voisins me dévisageaient cependant que j'étais partagée entre l'envie de lire plus vite, pour connaître la fin, le déroulement, les tenants et les aboutissants et le besoin de savourer les mots avant qu'ils ne se soient écoulés jusqu'au dernier.

Il me semble, qu'en littérature, le talent comique est plutôt rare. Je n'ai pratiquement aucun souvenir de lecture hilarante, que ce soit en nouvelle ou en roman. Ce talent, Joan le possède, indubitablement.


J'en ai été tellement bouleversée que j'ai eu envie de discuter avec elle. Grâce à son éditeur, je l'ai contactée et j'ai appris qu'elle sévissait également dans un blog sous le doux pseudonyme de Cochon Dingue. Nous avons échangé quelques mails, Joan a gentiment répondu à mes questions :

Comment es-tu venue à l'écriture ?


A l'âge de 6 ans, j'établissais déjà des contrats écrits entre mon petit frère et moi. Chaque soir avant de nous endormir, je lui racontais une histoire et mon frère me donnait en échange une BD.

"Je sous-signé Karl certifie avoir légué définitivement "Astérix aux jeux Olympiques" à sa soeur si merveilleuse et resplendissante".

Il scellait ce pacte en paraphant chaque contrat de son sang (enfin, au bout de 3 jours nous sommes passés au stylo, c'était quand même plus pratique et moins salissant). En l'espace de quelques mois, j'avais acquis toute sa collection de bandes dessinées et mon imagination était de plus en plus fertile. J'étais le Boris Vian junior de la
poésie, le Tolstoï en herbe des personnages. Je maniais les mots avec une facilité absolue et déconcertante pour un enfant de mon âge. Mon univers était riche, je déclinais les histoires de Toto à l'infini : Toto chez le charcutier, Toto chez le boucher, Toto à la boulangerie...

Seulement un soir, plus rien. Le vide. Pas l'ombre de l'esquisse d'une prémice de commencement d'histoire. Mon frère manifestait son impatience en labourant de ses pieds le lit superposé où j'étais perchée : "Remboursez !!! Remboursez !!! Le contrat est caduc. Je reprends toutes mes BD !"

- Ah non, ça ne se passe pas comme ça. Tu le saurais si tu avais lu la clause 26B paragraphe 112 alinéa 35.

- Mais j'ai pas encore appris à lire !

- C'est bien dommage pour toi !

Mais comme il me faisait de la peine, j'ai cherch
é d'autres idées, d'autres histoires et j'ai commencé ainsi à écrire.

Qu'écris-tu en ce moment ?

Je m'inspire en général de ce que je vois autour de moi. Alors j'observe les situations cocasses, les dialogues de sourds, les personnages intéressants ou
tendres. J'écris beaucoup sur mon blog mes aventures en agences de pub. Malheureusement il n'y a pas si longtemps, certains collègues (légèrement susceptibles) sont tombés malencontreusement sur mes articles qui parlaient d'eux et n'ont pas vraiment apprécié. J'ai échappé de peu à un lynchage en place publique (c'est à dire devant la machine à café).

Depuis je n'écris plus sur mes collègues, vu que je n'en ai plus...

Mais le chômage a du bon. Maintenant j'ai du temps, beaucoup de temps. J'ai même envisagé d'écrire un remake de "Guerre et Paix" version 21eme siècle. Ça va m'occuper un certain moment.

Qu'as-tu contre les hamsters et les cochons d'Inde ?

Moi je n'ai rien contre eux, c'est eux qui ont une dent contre moi. J'avais acheté 2 mâles tout mignons. Ils s'amusaient bien ensemble, ils se montaient dessus. Je trouvais cela étrange mais je supposais que c'était une question de hiérarchie soci
ale, le dominant se mettait au-dessus du dominé. Mais en fait pas du tout. Au bout de 3 semaines, il y avait 8 hamsters dans la cage et au bout de 2 mois, ils étaient 16. C'est très vite exponentiel, on n'en finit pas.

J'aurais pu ouvrir une animalerie à ce rythme. Ma nouvelle Des Hamsters et des hommes est donc très inspirée de la réalité.

Es-tu aussi drôle en vrai ?

Non et c'est bien le drame. J'ai la réplique lente, très lente, genre 3 jours après. Je fais des exercices parfois devant la glace pour m'entraîner à trouver le bon mot, la phrase si bien tournée qu'elle déclenchera l'hilarité générale. Je me regarde dans le miroir, je me concentre, et là je sors :

"Oh putain, j'ai quand même vachement de points noir
s ! Et c'est quoi ce petit bouton sur le nez ? Bon je vais me faire un masque de beauté aux épinards."


Comment as-tu découvert les Editions Filaplomb ?

C'est Filaplomb qui m'a découverte par mon blog. Il m'a demandé si ça m'intéressait d'écrire une nouvelle qu'il pourrait publier si elle lui convenait. Et donc 126 versions après, je lui ai envoyé mon texte définitif (je lui aussi envoyé mes 125 premières versions pour qu'il choisisse mais je ne suis pas persuadée qu'il les ait toutes lues).

As-tu lu d'autres nouvelles chez lui ?


Je les ai toutes lues et toutes aimées ! J'ai un petit faible pour "Sujitha" de Claudine Tissier et "Le Chasseur de légendes" de Madame de K qui m'ont vraiment transportée ailleurs.

Quels sont tes projets d'écrivain ?

Les envies ne manquent pas. Nouvelles, romans...

Mais j'ai aussi plein d'autres projets en suspens (arriver à faire le grand écart, me remettre à dessiner et à peindre, illustrer des livres pour enfants) alors je vais essayer de ne pas me disperser et mener mes projets jusqu'au bout.



Un extrait :

"Chaque nuit, alors que je me réveillais en sursaut, je pouvais les sentir trépigner d'impatience et je me levais pour vérifier la solidité de leurs cages. Ils avaient bouffé le plastique des mangeoires, ils avaient entamé les roues, les tunnels, les petits jouets et il s'attaquaient maintenant à l'acier des barreaux. Un matin, on allait retrouver mon squelette rongé par leurs dents acérées. "Incroyable : un homme dévoré par ses hamsters nains, page 3".
Finir en fait divers avait quelque chose de franchement glauque."


Pour conclure un petit mot de Filaplomb :

"Comme je le disais et comme le raconte Joan, dans la préparation de la maison d'édition, je cherchais des auteurs.
J'avais passé une annonce sur zazieweb où j'ai eu quelques réponses et j'ai aussi sollicité quelques auteurs de blog qui me paraissaient plutôt très-très doués pour l'écriture !

Pour Joan, le choix est évident tant elle excelle dans l'humour décalé, la petite phrase qui tombe à côté, pas là où le lecteur l'aurait prévue.

Pour les différentes versions de Des hamsters et des hommes, je n'ai pas eu le temps de tout lire !
Je recevais parfois deux versions dans la même matinée, il était matériellement impossible de la suivre.
J'ai simplement attendu qu'elle décide elle-même de la version définitive avant d'intervenir !
:-))

[La couverture de la nouvelle de joan Aractingi a été réalisée par Didier Ray]

vendredi 9 mai 2008

Elever un adolescent.

Quand enceinte, je rayonnais, heureuse de mon bonheur à venir, fière dans ma folie d'enfanter, pour rire, des gens me disaient : "tu verras, quand il sera adolescent, tu feras moins la maligne !"

Quand, penchée sur le berceau de plastique, à la maternité, je contemplais le visage parfait de mon bébé, certains visiteurs s'esclaffaient : "à l'adolescence, tu le trouveras moins mignon, tu verras !"

Ce soir, au repas, mon fils de deux ans et demi a ajouté une nouvelle injure à son chapelet : "t'es nul, va dehors a-t-il rigolé au nez de son père."
Nous avons ri aussi.

Puis il a égrené méthodiquement la liste qui commence à devenir importante :
"Papa t'es méchant comme un requin, Maman et Papa t'es moche, t'es une patate crue, t'es une la praline Maman."

Après, les gens nous demandent quand nous allons concocter un petit frère...

mercredi 7 mai 2008

... in sanis mentis (2)

Lorsque dehors, il y a du soleil, il m'arrive de quitter ma chambre un peu tard. Nul rayon ne s'aventure directement dans la pièce. Pourtant, les platanes, de leurs bras tendus dans le ciel, les voitures, scintillantes, qui dévalent le boulevard en grondant, une fenêtre qui s'ouvre dans l'immeuble d'en face, me renvoient des bribes de lumière que j'essaie d'effleurer, du bout des doigts. Si je le peux, je plante mon regard dans un faisceau doré. Il me semble que ma pupille se gorge de lumière. Je me laisse aveugler, immobile. Je ne respire presque pas. Les larmes qui ondoient sur mes joues, pour une fois, sont de joie.

Mes phalanges tambourinent mollement contre le bois de la porte de Hadiya. Souvent, je m'affaisse, en l'attendant, contre la cloison qui sépare les chambres du couloir. Je fais crisser mes cheveux en hochant la tête, puis singe un NON de damnée : mon oreille droite se colle au mur à droite, mon oreille gauche s'écrase à gauche, de plus en plus vite, gauche droite, droite gauche. Il m'arrive de perdre l'équilibre et je me retrouve par terre. Le lino semble aspirer mes mains lorsque je tente de me relever, une envie de me coucher et de ne plus bouger m'épuise. Le menton pointé, la nuque étirée, je baille. Ma vision se trouble de nouveau mais je ne laisserai couler aucune larme car mes yeux sont cernés de Khôl. Au plafond, un néon grésille. Autour se gargarisent des mouches hagardes, un papillon de nuit au vol saccadé, quelques moucherons nés des moisissures qui décorent la salle de bains commune. J'ôte de mes cheveux des débris de peinture, en me redressant, je tapote mes fesses. Hadiya est suspendue en haut des escaliers. Son front est ceint d'un diadème, de son jean blanc dépasse un string perclus de brillants, elle regarde droit devant elle et ne commentera pas ma position, ni le vacarme qu'elle a perçu de sa chambre lorsque je me suis effondrée. Nous descendons à distance prudente l'une de l'autre, cramponnées à la rampe, surtout dans les virages où les marches rapetissent. Nous ne respirons presque pas.

Je ne suis jamais sortie sans Hadiya. J'ai besoin, avant de surgir sur le trottoir bruyant du boulevard, de contempler, dans son regard, le bref éclat qui me rassure : je suis toujours la même, quelqu'un que j'ai rencontré avant me reconnait.

Ce soir, je porte une robe de satin dorée. Courte, elle dévoile mes cuisses larges à la peau ambrée, caressante, elle zigzague sur mes hanches lorsque je fiche une cigarette entre mes lèvres fardées. C'est une robe de princesse, en son genre. Elle paraîtrait sans doute luxueuse sur une fille liane aux cheveux raides, une poupée de magazine... Cette robe, en vérité, je n'oserais pas la porter devant ma mère. Je sais qu'elle arrangerait son voile autour de son visage émacié, ses yeux noirs balaierait mon visage comme un mauvais souvenir, elle rugirait : "je t'avais bien dit de ne pas partir. Ta sœur m'a écoutée, elle s'est mariée avec celui que nous lui avions choisi et regarde comme elle est heureuse !"

Graves, Hadiya et moi déambulons sans nous parler, lentement, vacillantes sur nos talons de quinze centimètres, le visage noyé dans le halo de la fumée de nos cigarettes. J'ai l'impression d'être invisible et je me rappelle les conseils d'un metteur en scène à un comédien, dans un documentaire à la télé : "Si, des coulisses, tu arrives à voir des spectateurs, c'est qu'ils peuvent te voir aussi. Alors recule d'un pas."
Il me plaît d'être ignorée. Je me souviens qu'au tout début, je me racontais des histoires dans lesquelles je n'étais pas celle que je suis. J'imaginais que je me rendais à une soirée où j'allais rencontrer des personnes à la conversation brillante, des gens qui ne s'adresseraient pas à moi comme si je n'étais qu'un corps à vendre. La réalité a assez d'aspérités pour que je me raccroche à elle ; j'ai cessé d'inventer.

Juste avant que nous passions sous le métro aérien, Hadiya se débarrasse de son mégot et j'imite son geste, le visage tourné vers elle, presque angoissée. J'attends ses paroles car c'est toujours elle qui prononce les premières depuis le soir où je l'ai guidée, il y a quelques semaines, de notre hôtel boulevard Barbès au boulevard Ney... Au milieu du brouhaha, 'avais à peine perçu les mots grommelés. Après un temps, le sens m'était apparu, évident : "Tu crois que nous avons une âme ? m'avait demandé Hadiya".

Je n'avais pas su lui répondre mais je n'avais pensé qu'à cela toute la nuit ; tandis que des mains pétrissaient ma chair, que des sexes s'engouffraient en moi, que des bouches bavaient dans mon cou, que des voix cinglaient l'air putride du boulevard, je me persuadai que non. Mon âme était morte dans la maison où j'avais été violée. Dans la pièce adjacente, Hadiya qui avait fait avec moi le voyage, poussait des cris que je prenais pour l'écho des miens. Le jour où ma volonté est devenue aussi fine qu'un torchon, j'ai pu sortir. Je suis passée devant une porte ouverte et j'ai vue Hadiya. Elle a été libérée plusieurs semaines après...

J'ai tout de suite pensé qu'elle aurait pu être ma sœur.

Hier, à l'aube, Hadiya m'a souri, m'a serrée contre son cœur et j'ai deviné, dans les sombres battements qui ébranlaient sa fine cage thoracique, un courage affolant. A la porte de l'hôtel, elle m'a décrit le jour où un homme était sur elle, contre sa voiture. Il n'avait pas voulu s'abriter dans l'habitacle étroit, il préférait la posséder sur le capot, sans doute pour ne pas salir ses sièges en simili cuir. Hadiya, plaquée sur le métal glacé a vu des volutes de fumée s'échapper de ses lèvres entrouvertes, d'ondoyant panaches qui se perdaient dans le ciel, comme dissous par l'obscurité.

"J'ai compris que même les putes avaient une âme, m'a-t-elle lancé, fière. Quand je souffre, la mienne s'éloigne. Je pourrais regarder la scène de haut, comme les gens qui frôlent la mort et qui racontent après qu'ils ont tout vu. Mais je préfère regarder ailleurs... Il y a tant de choses à admirer sur terre, m'a expliqué Hadiya, le bruissement des feuilles dans les arbres, au printemps, une étoile à la lumière faiblissante. Quand je dors, lavée de leur odeur, mon âme revient. Je fais toujours des rêves magnifiques..."


Illustration
: BOBI - D'autres voulurent juste qu'on les oublie.

mardi 6 mai 2008

Comme Didier Goux...

"Comme il est changeant, le passé. On dirait quelqu'un que l'on croise sans cesse dans la rue, un jour il vous ignore et le lendemain il vous sourit chaleureusement, un jour il est beau et élégant, le lendemain sale et repoussant, mais moi, plus il m'ignore plus je suis contente, plus je réussis à le salir de boue plus je m'apaise, et j'en viens à penser que ce n'est qu'en l'écartant totalement de mon chemin que je pourrai trouver le repos mais comment l'écarter."

Zeruya Shalev, Thèra

dimanche 4 mai 2008

Au printemps

Nous avons gravi l'avenue Caulaincourt et j'ai peiné.

Essoufflée, je rouspétais contre le Montmartrobus qui n'était pas venu et B. qui n'avait pas voulu l'attendre plus longtemps. Parvenus au feu, au croisement de la rue Lamarck, nous nous sommes arrêtés pour traverser et nous l'avons vu arriver, nous dépasser, cahotant sur ses suspensions usées, triomphant de mon dépit avec ses vitres qui nous renvoyaient les rayons du soleil. Le flot de voitures nous empêchait de courir pour rejoindre le prochain arrêt, alors nous avons continué de grimper, à pieds. De ma bouche s'égrenaient les reproches, je toussais, soufflais, mouchais. Pourtant c'est moi qui avais décidé de la destination de notre sortie. Au bas du jardin, j'ai convaincu Zacharie de descendre de sa poussette, je lui ai tenu la main. J'ai compté les marches sous nos pieds puis il a poussé la porte du square, s'est retourné pour la fermer. Sans y penser, j'avais appuyé une seconde ma main sur l'acier vert foncé : "Non, maman, s'était-il rengorgé, c'est moi, tout seul !".

Il restait encore deux volées de marches.

Autour du toboggan, des véhicules à bascule et du bac à sable, plus aucun banc n'était vacant. Je me suis laissé tomber dans un coin, quelques regards se sont attardés sur ma silhouette fatiguée : "Et alors ? avais-je envie de balancer, je suis fatiguée, ça ne vous arrive jamais ?"

Tout me paraissait usant, contrariant, à commencer par les pensées qui se bousculaient au portillon de ma conscience nuageuse, toujours semblables à cet endroit. B. en a exprimé une qui venait de traverser mon esprit :
"C'est drôle, s'est-il exclamé, la différence de population entre ce square et celui de Clignancourt !". Il détaillait les enfants de bobos, dans leur vêtements à la mode, avec de jolis minois capricieux, des bouilles à croquer. Leurs parents, amassés sur les bancs les surveillaient en fumant des cigarettes. Ils parlaient, fort, des livres qu'ils écrivaient, des films qu'ils avaient fait, des rêves dont ils se souvenaient. De temps en temps, l'un d'eux se levait, la démarche élastique, un port de tête altier. Il allait écouter une revendication enfantine avec application, le front plissé, d'une voix ardente, il lui répondait. Le discours était réfléchi, la sentence équitable, le jouet revenait à qui de droit, la bosse surmontée d'un baiser, l'exploit admiré théâtralement. Conscients de l'attention portée à ses exploits, le parent méritant reprenait sa place, le fil de sa pensée et demandait à l'autre "tu as du feu ?"
"Je ne vois pas de différences, moi, ai-je prétendu."
Je n'ai pas entendu la réponse de B. car je me tenais la tête à deux mains. La migraine, d'un coup, me pressait les tempes, étalait sur mon front une douleur cuisante.

Zacharie n'est pas resté longtemps. Doucement, il s'est dirigé vers l'autre partie du jardin, celle où des touristes pérégrinent sous les entrelacs de glycines, le visage tourné vers la masse ronde et blanche du Sacré-Cœur, ce monument aux allures de somptueuse meringue. Nous le suivions à quelques pas, admirant son esprit aventureux, sa curiosité déterminée. "Il ne se retourne même pas pour voir si nous le suivons !". Sur les bancs et sur l'herbe, quelques groupes riaient, lisaient, profitant du beau temps. Mon fils, s'adonnait à son sport favori : monter et descendre le rebord d'un trottoir en poussant sa poussette. Concentré, presque soucieux il recommençait sans cesse, analysant, décomposant le mouvement, essayant d'autres tactiques dont l'inefficacité vérifiée, lui arrachait des cris de rage. B. se proposait alors de l'aider mais Zozo répondait "non papa, c'est moi, tout seul !" et il hurlait de plus belle, perclus de frustration.

Je me suis allongée sur la pierre, à l'abri d'une tonnelle. J'ai fermé les yeux. La caresse du soleil sur mon visage et le bien-être que cela m'a procuré m'ont donné envie de pleurer :
"Pourtant, d'habitude, le printemps te rend joyeuse, dynamique, ai-je songé." Alors, un inventaire s'est dressé, sans que je le souhaite. J'ai tenté, par exemple, de sonder l'importance de l'absence de chant, dans ma vie, depuis plusieurs mois :
"Est-ce que réellement je n'en ai plus besoin ? Est-ce qu'après dix-huit ans de pratiques, de sacrifices, de passion, je peux me taire, comme cela, sans être torturé jour et nuit par la culpabilité de la reddition ? Est-il normal de ne rien ressentir à ce sujet ?" Je me suis promis de m'entrainer un peu chaque jour, de nouveau, pour essayer. "De toutes façons, tu le dois à tes élèves, au minimum !"

Au retour, nous avons assis Zacharie de force dans sa poussette en constatant qu'il était plus de dix-neuf heures. Je me cramponnais aux poignées dans la descente, nauséeuse, Zacharie se plaignait, il voulait courir. J'avais revêtu le manteau qui me tenait trop chaud une heure auparavant, relevé le col. Je frissonnais : "Il fait froid tout d'un coup, non ? ai-je demandé à B.
- Non, a-t-il répondu, pas tellement."

Dans l'allée, Zacharie a réclamé l'autorisation d'ouvrir les portes, d'aller ranger tout seul son siège à roulette dans le local. J'ai soufflé à B. : "je monte, je n'en peux plus !" Les deux étages m'ont paru insurmontables. J'ai glissé la clef dans la porte en tremblant. Dans l'appartement, j'ai imaginé une seconde m'asseoir devant l'ordinateur pour poursuivre la série en cours sur mon blog mais, sans même en débattre, je me suis dirigée vers la chambre et me suis effondrée sur le lit. J'ai niché un oreiller contre mon ventre et me suis enroulée autour, j'ai tiré la couette jusqu'à mes yeux et j'ai senti la fièvre me gagner. Des vagues de froid couraient sur mon corps. J'ai dormi, de sombres rêves qui ressemblaient à la réalité ont noyé les voix de Zacharie et B. revenus dans l'appartement. Soudain, une main glacée s'est posée sur mon front :
"Ça ne va pas, tu es malade ? a murmuré B.
- Je ne sais pas. Je ne me sens pas bien, je suis fatiguée."
Il est allé chercher le thermomètre, qui a indiqué 38,5 en quelques secondes.
"Chut, Maman est malade, a-t-il dit à Zacharie qui arrivait en pépiant, va jouer à côté !
- Maman est malade, a demandé mon fils ? Je veux lui faire un bisou !
- D'accord, ai-je concédé. Mais après, je veux dormir."

Lorsque je me suis réveillée, la nuit était tombé et B. dormait à mes côtés. Je me sentais assez alerte. Je me suis levé, ai bu, uriné. Enfin le silence régnait dans ma tête, la douleur s'était estompée. Je suis retournée me coucher, la veilleuse allumée au minimum et j'ai poursuivi la lecture de mon roman du moment : Thèra de Zeruya Shalev... "Le soir, je vais me coucher tôt mais une créature exigeante et muette vient s'allonger à côté de moi et bombe sur les murs de mon coeur des slogans insultants, la fine corde du sommeil se rompt encore et encore, ses extrémités se repoussent, je reste allongée éveillée, le lit devient le champ de bataille de mes souvenirs, les bons affrontent les mauvais tels deux gladiateurs musclés, je me retrouve à souhaiter la défaite des bons, mais j'ai beau encourager les mauvais, ils s'en vont et s'évanouissent malgré moi, à tel point que je me mets à croire que nos jours ensemble n'étaient que calme et bénédiction."

A deux heures j'ai éteint mais la musique sinueuse des phrases de Shalev, le lancinante mélopée de l'amour qui meurt avait redonné du feu à ma fièvre. J'imaginais vomir des cohortes de mots, ceux du roman que j'avais lu, ceux que je gardais en moi, pour les écrire bientôt... Je me voyais, penchée au-dessus de la cuvette des W.C. et le bruit des vomissements ressemblait à des voix furieuses et dévorantes qui tournoyaient au-dessus de moi, menaçantes.

Enfin, j'ai sombré. Dans mon rêve, une grosse araignée grise s'échappait de mon carnet de notes, qui était, je ne sais pourquoi, suspendu à un clou, au-dessus de ma table de chevet. Le temps que je cherche un objet susceptible de l'aplatir, elle avait disparu. Je scrutais le meuble, la tête de mon lit puis je m'attardais sur les bords de mon carnet. Soudain, je distinguais une minuscule araignée sur la couverture noire, suivie bientôt d'une autre, un peu plus grande, et de deux autres, cheminant côte à côte. Tout autour, le long des spirales, au bord de l'élastique qui le maintient fermé, sur la frange d'une page blanche qui dépassait un peu, des dizaines de pattes apparaissaient. Effarée, je fis ce que me dictait l'horreur de la situation : de mes deux poing, j'écrasai la couverture. Je sentis des craquements sous le papier cartonné, les corps des insectes produisaient une substance jaune, glaireuse qui glissait sur les côtés de mon carnet. La couverture était devenue marron et suintait...

Illustration : Art and Ghosts