lundi 27 avril 2009

C'est fini... Snif !

mercredi 15 avril 2009

Eh !

J'ai oublié de vous dire... Je suis en vacances ! Enfin à moitié, quasiment, bientôt... Mais je ne lis plus vos blogs et je n'écris pas non plus. J'ai encore une tonne de livres à lire pour le Prix de la Révélation de aufeminin.com, je m'occupe de Kéké, je profite du soleil ! Et je vous souhaite de belles journées à vous aussi...

A très vite !

lundi 6 avril 2009

Le combat de Desdémone

Lorsque le lundi arrive, il m'arrive de soupirer car c'est le jour du cours de Desdémone.


Elle s'est un peu adoucie, il n'empêche que lui enseigner le chant s'apparente à un combat sans merci. Je me collette avec son orgueil, son autorité naturelle et ses préjugés. Dès le début du cours, lorsqu'elle joint ses pieds en un claquement que je trouve militaire, je retiens un soupir de découragement. Je feins d'ignorer ses boutades, ma voix devient froide, mes décisions inébranlables ; je dicte, concentrée, les mouvements de détente, les exercices de respiration et si Desdémone me pose une question, je lui donne des explications débarrassées de toute poésie car elle n'y est guère sensible.

Elle est à la fois très consciente de son corps, mince, ferme, paré de seyantes tenues et totalement incapable de le mouvoir avec grâce. Les mains sur ses hanches, elle ondule du bassin, trop cambrée, comme engoncée dans une armure de guingois. Elle est bien dans sa peau, pourtant, elle pose parfois les mains sur sa petite poitrine et une expression de satisfaction traverse alors son visage sévère. Elle secoue sa chevelure noire où frisent des éclairs d'argent. Il me semble que Desdémone sabote toujours mes demandes : d'un geste un peu trop rapide, d'une respiration à contre-temps elle fait des preuves de ma nullité comme professeur de chant. Et lorsque je veux la confronter à sa mauvaise volonté, elle me lance, grande dame :
"Ah, c'est ça que vous vouliez ? Vous ne le disiez pas aussi... Il fallait le dire !"

De temps en temps, elle me regarde, sourcil levé et s'enquiert :
"Vous pensez que j'ai progressé ?
Je balbutie, un peu trop enthousiaste :
- Oui, bien sûr que vous avez progressé, n'en êtes-vous pas consciente ?
- Et bien non, assène-t-elle avant de partir d'un éclat de rire grelottant. Absolument pas ! Enfin j'ai plus de souffle mais là, quand je m'entends avec le micro, je trouve ça très laid !
Redevenant sérieuse, elle me demande des détails :
-Le jeune homme qui était avant moi... hum... vous avez trouvé qu'il chantait comment ? Parce que, comment dire ? Je ne tiens pas à être méchante, n'est-ce pas, mais... Il ne chantait pas bien, hein ? Vous ne trouvez pas qu'il chantait bien ? Je l'espère... Non, parce que si je chante comme ça, dites-le moi tout de suite et j'arrête tout ! Enfin c'était peut-être la chanson, elle était difficile certainement..."

Une fois, Desdémone exécutait une vocalise qui nécessite beaucoup de gymnastique faciale lorsqu'elle s'est écriée :
"Mon dieu, ce que je me sens ridicule !
- Mais non, ai-je rétorqué. Vous ne l'êtes pas. Pas du tout.
- Oui, a-t-elle dit, je comprends votre positionnement. Vous avez l'habitude. Vous n'êtes pas gênée. C'est comme moi, dans mon métier... Une amie à moi m'a demandée si je pouvais l'examiner, parce qu'elle avait besoin d'un second avis. Elle avait moyennement confiance en son gynécologue. Elle était un peu mal à l'aise mais je lui ai expliqué que je m'en moquais de la voir en position gynécologique. C'est mon métier et c'est tout. Je peux tout à fait aller dîner avec elle après lui avoir fait un frottis. C'est comme vous, je en serais pas gênée du tout si vous veniez consulter.
J'éclate de rire : - Oh moi si ! Je n'imagine pas du tout ça !
L'idée m'effleure que cette façon insidieuse de convoquer une scène où j'offrirais mon entrejambe écartelée à son œil noir, vise à me déstabiliser tout à fait, à m'interdire de lui enseigner quelque chose. Desdémone est sans doute inconsciente de la façon dont elle sape mon autorité ; c'est plus fort qu'elle. Régulièrement, pendant l'heure de cours, j'imagine son époux, tantôt petit être échevelé, maladroit, impuissant tantôt tyran à qui elle emprunte une once de cruauté dès qu'elle se trouve hors de sa portée. Le plus souvent, c'est étrange, je l'imagine mort ou alité. M'est avis que Desdémone ne peut avoir d'alter ego...
- Je sais que vous, vous n'aimeriez pas cela. Pourtant, moi ça ne me ferait rien. ..Tandis que faire ces mimiques devant vous, ce que je me sens idiote, c'est phénoménal !"

La semaine passée, alors que je l'imitais entrain de chanter Wonderful World, elle a été prise d'un fou rire tonitruant.
"Regardez, comment vous signifiez le bonheur, Desdémone, venais-je de lui dire. Vous souriez de la bouche mais pas des yeux.
Et je l'avais imitée. Pas par méchanceté mais parce que les cours de chant sont basés, essentiellement, sur le mimétisme. Ainsi, sans arrêt, je deviens le miroir de visages crispés, je répète une flopée de sons aigres ou engorgés. Desdémone, qui je le croyais, allait se défendre, protester a paru ravie au contraire :
- C'est exactement ça ! Je fais semblant... Je fais mal semblant ! Alors que le monde est si merveilleux, n'est-ce pas ? Wonderful world, oui, un de mes meilleurs amis est entrain de mourir à l'hôpital ! Ah ah ! Mais il ne faut pas que je dise ça, il va s'en sortir... Une énième de ses artères vient d'exploser, mais il va s'en sortir ! Allez, on y croit ! Je vais sourire des yeux ET de la bouche. On y va !"

Hier, en fin de séance, Desdémone a chanté pour les deux sœurs qui ont cours après elle, les yeux clos et le micro serré entre ses deux mains jointes... Je l'imaginais en robe fourreau pour le mariage de sa fille, au milieu de l'orchestre. L'événement est toujours secret. Desdémone ne s'entraine que dans sa voiture. Personne dans son entourage ne sait qu'elle prend des cours de chant. Pour télécharger la musique d'accompagnement sur une clef USB, elle a dû demander de l'aide à l'un de ses trois fils. Il lui a dit "Mais pourquoi ne me dis-tu pas simplement ce que tu veux comme musique ? Je te la téléchargerai, moi !" mais Desdémone lui a tenu tête : "Je veux juste savoir comment on fait et le faire toute seule !". "Vous allez vous faire pincer, à la fin ! l'ai-je taquinée" mais elle est sûre que non. Alors dans la salle voutée, j'ai imaginé la surprise de sa fille, de son époux, des invités. Desdémone au maintien d'acier, Desdémone au parler âpre chantait comme une diva. Ses bras dessinaient autour d'elle des arabesques musicales, parfois elle se déhanchait à peine. Sa voix a gagné en souplesse, ses aigus brillent, ses graves sont impressionnants. Et elle a cette façon de regarder le public tendrement au moment où elle prononce "I love you !" qui me stupéfie.
Nul doute que sa prestation sera le clou du mariage...

vendredi 3 avril 2009

Ce qui sort de la bouche des enfants


Concentré, Kéké gravit l'escalier son école. Je me tiens derrière lui, prête à le retenir s'il basculait. De temps en temps je l'encourage d'une petite poussée dans le dos. Aujourd'hui ses jambes sont sûres, vigoureuses, il avance rapidement, agrippée d'une main à la rampe verte.

Soudain, la mère d'un de ses camarades de classe s'arrête à sa hauteur et le salue. Elle a à peine tourné les talons qu'il me demande :
"C'était qui ?
- La maman d'un enfant de ta classe, dis-je plus doucement. Je ne sais plus de qui...

Kéké réfléchit puis il lance :
- C'est une vieille maman ?"

J'espère qu'elle avait déjà quitté l'école...

Philippe Djian, l'homme qui écrivait

Lorsque j'ai évoqué Philippe Djian sur ce blog, chacun y est allé de son appréciation plus ou moins argumentée. Les lecteurs férus de classiques se défendent d'apprécier un auteur qu'ils pensent trop populaire. D'autres admirent depuis longtemps ses histoires, la finesse de son style, son efficacité, la beauté de ses images et de ses personnages. Ceux qui ne l'ont pas lu se demandent s'ils ont envie d'aborder un auteur français qu'il leur semble déjà connaître...

J'ai découvert Philippe Djian au sortir de l'adolescence. En même temps que Miller. Et de même que l'auteur américain, il a été une sorte de révélation, une pierre sur le chemin de mon envie d'écrire, une aide à vivre, aussi, qui m'a donnée à vo
ir autre chose que ce que l'on m'avait enseigné à l'école, qui m'a parlé du monde dans lequel j'allais vivre, adulte, un monde âpre et violent parcouru de sombres espoirs. Pas si différent, finalement, de l'enfance que je quittais.

Malgré tout, en rencontrant Philippe Djian dans un salon des Editions Gallimard, je n'ai guère pensé à ses livres. Il est arrivé et nous nous sommes toutes levées tandis que les conversations résonnaient encore dans la pièce. Son sourire était timide, son expression embarrassée.
"Vous voulez boire quelque chose ? a proposé quelqu'un p
our briser le silence.
-Oui, a-t-il répondu. Mais pas de l'eau gazeuse. Pas non plus de l'eau plate. Ni du jus de fruits.
Il a ri :
- Vous voyez ce qui reste."
Le champagne a coulé. Nous avons pris place autour d'une table et Lily a parlé la première. Mon trac s'était envolé : j'avais en face de moi un hom
me qui écrivait et j'avais mille questions à lui poser...


Tous les matins, il écrit. Pas parce qu'il s'agit du moment idéal pour cela mais parce que c'est le plus pratique, finalement. L'après-midi il sera incapable d'aligner deux mots, ses pensées baguenauderont, il fera deux trois trucs, il tournera en rond - on sent bien, quand il évoque ces heures creuses, que sa vie n'est pas là.

Il se remettra au travail vers dix-huit heures. L'objectif ne varie jamais : il lui faut écrire une page par jour, chaque jour, et cette page ne sera pas retouchée. "Je peux passer des heures sur une virgule à me dire Ça ne va pas, ce n'est pas ça que j'ai envie de rendre. Mais une fois rédigée, la phrase ne bougera plus : j'y ai suffisamment réfléchi au moment où je l'écrivais pour qu'il n'y ait rien à changer"
De même, Philippe Djian passe peu de temps à se relire : "Comme je travaille tous les jours, j'ai mon histoire bien en tête", dit-il. Modeste, il ajoute "C'est juste ma façon de fonctionner. Elle ne conviendrait pas à tout le monde. Il paraît que Carver, par exemple, écrivait très vite. Puis qu'il retouchait chaque phrase, sans arrêt, jusqu'à la fin. John Irving écrit un roman en trois mois puis
passe trois ans à revenir sur le texte... "

Philippe Djian ne cherche pas à raconter des histoires, d'après lui, Shakespeare les a déjà toutes rapportées il y a des siècles. Il n'a pas besoin d'une idée, d'un thème ou d'une anecdote pour commencer à écrire. Parfois, il lui suffit d'un mot, d'une phrase ou d'un titre. De phrase en phrase, l'histoire se tisse toute seule. Elle coule comme l'eau qui trouve toujours une façon de contourner un obstacle, de se glisser, de s'immiscer pour continuer sa course. "Je ne connais pas ce truc de la page blanche. On ne peut pas avoir de problème de page blanche si, simplement, on marche sur la mélodie."
Ainsi, il lui semble insupportable de devoir se documenter en cours d'écriture et après s'être heurté à cette nécessité deux fois, il s'est promis que cela n'arriverait plus ; les plans ne lui sont pas indispensables car quand le roman est commencé il est trop tard pour le planifier, rien ne doit retarder l'écriture, rien ne doit entraver l'imagination. L'histoire existe déjà, la tâche de l'écrivain est de la retrouver. "Comme disait Salinger, j'essaye d'écrire le livre que j'aimerais lire."

Philippe Djian semble loin des clichés de l'artiste égoïste, du Francis d'Impardonnables, entre autres, qui laisse ses proches péricliter pendant qu'il s'occupe du positionnement d'une virgule. Au contraire, il se sent investi d'un rôle de guide dans la cité.
"J'ai toujours cherché des réponses dans les livres et les livres m'ont aidé à comprendre plein de choses. Kerouac, Faulkner, Miller ont rendu ma vie moins floue... Et parfois, ils ont même dicté mon comportement. Après avoir lu Cendrars je n'ai pu faire autrement qu'aller travailler sur un cargo. C'était sans doute stupidement romantique, mais j'en avais besoin à ce moment là...
Et c'est pour cela que j'écris des romans ancrés dans le monde d'aujourd'hui. Pour faire avancer les gens avec la littérature... Tout a changé pourtant. On ne peut plus mettre le monde dans une phrase comme Carver et je ne comprends pas que l'on puisse défendre des règles précises et figées de la langue aujourd'hui. En ce moment, dans ma poche, j'ai dix dictionnaires. Ça ne rime à rien si ça ne ressort pas en littérature..."

L'écrivain est sourd de l'oreille droite. Quand il repère qu'on s'adresse à lui de ce côté, il tourne la tête, dans une attitude un peu penchée et il écoute, en fixant la personne qui s'exprime comme si elle en disait plus que ce que tout le monde perçoit. "J'aurais aimé faire de la musique, confie-t-il mais le jour où j'ai tenu une guitare je me suis rendu compte que le son partait du mauvais côté et que je n'entendais rien. Quand j'écris, j'entends tout..."
Quand il lit c'est pareil : "Rien ne m'étonne en littérature. Pour moi il n'y a pas de génies littéraires. Parce que je comprends comment ça marche, je comprends comment ils font. Pas avec mon intelligence... Non, tout comme la musique, un livre de Carver, par exemple, ne parle pas à mon intelligence. C'est simplement qu'en le lisant, j'ai l'impression de marcher avec lui. A ses côtés."

Sa femme est peintre*. Ils ont travaillé dans la même pièce et Philippe Djian, malicieux, raconte sa jalousie en la voyant, les mains pleines de peinture, tourner autour de ses toiles. Il y avait du bruit, de la matière, du mouvement. En face de lui, seulement une page blanche ; en lui des milliers de mots capables de vibrer...
La représentation de l'écrivain au cinéma l'a toujours amusé : "On voit le type, passionné, écrire toute une nuit. Le tas de papier blanc ressort au fur et à mesure de l'imprimante, barbouillé de mots... Ça ne se passe jamais comme ça. L'écriture est un travail. C'est lent, ça avance doucement et on est seul. J'ai connu le sentiment incroyable d'entendre mes mots, mes phrases scandés par un public de trois mille personnes parce que j'ai eu la chance d'écrire pour Stéphane Eicher... Mais quand j'ai fini un livre, je ne sais pas ce qui va se passer après. Je suis satisfait parce que j'ai fini mon travail, c'est tout. Je ne me suis jamais laissé emporter. Je ne vais pas au delà de ma page d'écriture par jour et même, si cette page a été laborieuse à écrire il m'arrive de laisser le dernier mot coupé en deux à la fin. Parce que je ne peux pas commencer une nouvelle page. J'ai fait mon travail..."

Inutile de dire que la soirée s'est achevée trop tôt. Une question en entrainant une autre Philippe Djian nous a consacré le double du temps prévu. J'avais une question sur le bout des lèvres lorsque la fin de la rencontre a été annoncée... Philippe Djian nous a serré la main, souriant, l'air aussi heureux que nous de ce moment partagé mais sans doute inconscient de ce qu'il avait nous avait apporté, en parlant, en écrivant...

[Lily a ressenti les mêmes choses que moi avant la rencontre. J'aime beaucoup son compte-rendu. Pinklady s'est perdue en chemin pour venir mais elle n'a pas manqué l'essentiel.]

Mille merci à Philippe Djian qui s'est montré d'une patience, d'une simplicité et d'une générosité incroyables. Et toute ma reconnaissance à la maison Gallimard
et à Véronique Laury pour leur accueil chaleureux et l'invitation à cette rencontre à laquelle je ne cesserai de penser...

Photo : Philippe Djian en pleine séance de dédicace... Il a dit qu'il utiliserait mon prénom dans un de ces prochains romans !

*Tiens, comme celle de Georges Flipo !

jeudi 2 avril 2009

Le marchand de sable (4)

IV

Le dimanche matin, quelques heures avant de conduire Mathilde à l’hôpital pour une crise d’appendicite, Louis frappa Elise. Elle s’était réveillée en pleurant :
« J’ai encore fait pipi au lit. Il va se mettre en colère. Mathilde, j’ai peur.
-Souviens-toi de ce que je t’ai dit Elise. Ne t’inquiète pas, fais-moi confiance. »
Elle avait prévu un pyjama de rechange pour sa sœur. Elle la sécha avec une serviette et l’aida à se changer. Elle retira les draps du lit et les cacha sous l’armoire. Puis elle ouvrit les tiroirs de leur nouvelle commode pour en chercher des propres.
Mais Louis entra dans la chambre.
« Tu cherches quelque chose Mathilde ?
-Non répond Mathilde, en pensant ne pas avoir peur, ne pas avoir peur. »
Mais Louis la regarda intensément en abattant sa main levée sur la joue d’Elise, chiffonnée par la nuit :
« Tu mens ! Ta sœur a encore pissé au lit ! »
Il s’agita dans la pièce, trouva les draps humides.
« Mes filles, voilà mes filles ou plutôt les dignes filles de leur mère, une pisseuse, une menteuse ! »

Les deux enfants pleuraient dans les bras l’une de l’autre. Mathilde qui protégeait sa petite sœur chuchotait :
-N’aie pas peur, tu sais ce que je t’ai dit. Pense au marchand de sable. En vrai, c’est un marchand de sable, il endort les gens malades et les gens riches, tu sais, avec ses mains, il verse une petite poudre dorée… Mais c’est un secret, sinon tout le monde voudrait de la poudre de sommeil… Alors il est obligé de faire le méchant, hein ? Tu comprends ?
Louis quitta la pièce en tapant les murs avec les poings.
Elise regardait sa sœur d’un œil différent :
« Tu m’as menti, ce n’était pas vrai qu’il ne fallait pas avoir peur. A cause de toi, il m’a tapée. Si ça se trouve ce n’est même pas vrai que c’est un marchand de sable…
-Oh si, ça s’est vrai, suppliait Mathilde, ça c’est vrai, je le jure sur ma tête.

La crise d’appendicite fut fulgurante. Juste avant midi, Mathilde se mit à vomir, le ventre tordu par la douleur. Elise qui lui faisait la tête depuis le matin s’empara de sa main et la serra de toutes ses forces. Louis la prit dans ses bras, enveloppée dans une couverture et l’emmena à l’hôpital. Mathilde, malgré la douleur était heureuse de se sentir prise en charge. Elle pensait au marchand de sable. En chemin, son père lui avait expliqué qu’il ne pourrait pas s’occuper d’elle parce que ça faisait partie des règlements de l’hôpital, on ne soigne pas les gens de sa famille. Elise, pleine de regrets d’avoir critiqué sa sœur crut comprendre qu’elle ne lui avait pas menti. Les marchands de sable ne peuvent distribuer leur douceur qu’à un petit nombre de personne et surtout pas aux membres de leur famille.
« Mais je te confierai au plus compétent de mes collègues, avait promis Louis. »

Mathilde fut conduite sur un brancard dans une chambre blanche et claire. Louis lui donna des gélules pour l’empêcher de vomir. Une infirmière l’aida à quitter ses vêtements et à enfiler une drôle de chemise qui ne se fermait pas à l’avant. Puis le collègue de Louis entra. Il était grand avec des yeux bleus qui faisaient des clins d’œil sans arrêt.
« Mathilde, voici Pierre le meilleur anesthésiste de cet hôpital. Il va s’occuper de toi. »
Il restait debout, s’appuyant d’une jambe sur l’autre.
« Je vais vous laisser, dit-il. Je serais juste là, dehors. »

Pierre lui demanda de s’allonger à plat ventre.
« Tu te sens mieux, tu n’as plus envie de vomir ?
-Non mais j’ai encore mal au ventre. Vous allez m’endormir ?
-On va discuter un peu, d’abord, répondit-t-il tranquillement ? Quelle est ton histoire préférée ? »
Mathilde, oubliant le lieu où elle se trouvait se mit à réfléchir, en fermant les yeux. Elle pensait à tous les contes qu’elle avait lus mais elle les trouvait souvent tristes ou violents. Candy était une de ses histoires préférées mais il fallait en être sûre. Il lui semblait que l’on ne pouvait s’enthousiasmer pour une histoire triste parce qu’une histoire triste appelait des sentiments tristes. Candy était orpheline mais elle était tellement drôle parfois…
« J’aime beaucoup Candy mais je ne sais pas si c’est mon histoire préférée…
-Ah, fit Pierre. Raconte-moi donc Candy.
-Tu veux que je te raconte toute l’histoire ?
-Oui, vas-y, je t’écoute. »
Mathilde jubilait.
« Candy est orpheline. Elle habite dans un orphelinat avec des tas d’autres enfants…»
Soudain une douleur dans la fesse droite la fit se redresser. Pierre appuya sur ses épaules pour qu’elle s’allonge de nouveau.
« Voilà, c’est fini, dit-il en déposant la seringue dans une tablette. Maintenant tu vas t’endormir tout doucement. »
Il quitta la chambre sans se soucier du reste de l’histoire de Candy.
Louis suivit le brancard de sa fille jusqu’en salle d’opération. Elle réclamait sa sœur. Quand enfin elle l’aperçut elle souffla, luttant contre le sommeil : « Les marchands de sable, ça n’existe pas. »
Elise fondit en larmes.

Des années après, Louis ressassait encore cette phrase. Il ne savait pas ce qu’elle signifiait dans la bouche de Mathilde ni pourquoi Elise avait eu du chagrin en l’entendant. Mais curieusement, elle lui évoquait cette curieuse soirée avec Claire et leurs amis anglais, dix ans auparavant quand il avait poussé sa violente diatribe contre Depardieu. J’étais un gamin, je voulais que rien ne bouge. Et j’ai préféré fuir que d’affronter le changement des gens que j’aimais. Le fleuve, grossi par les pluies incessantes de l’hiver, grignotait en grondant ses berges amollies. Alors, Louis comprit que toutes ces années il avait couru après des illusions. Parce que ce n’est pas ce que fait Gérard Depardieu qui est important, c’est le fait qu’on l’aime quoi qu’il fasse. Mais il était trop tard pour changer. Claire avait un nouveau mari et ses filles qui avaient grandi s’étaient définitivement détournées de lui. Les arbres noirs tendaient leurs bras tronqués dans le ciel où ne volait aucun oiseau. Louis n’avaient pas d’autre choix que de continuer…

FIN

Illustration : Richard Wilkinson

mercredi 1 avril 2009

Le marchand de sable (3)

III

Le jour où Louis apprit à Claire qu’il allait la quitter, il ne parvint pas à le faire correctement. C’était un jeudi. Elle commençait un peu plus tard le jeudi et il avait pris sa matinée pour lui parler.
Assis sur le lit, il l’observait. Elle s’était levée tôt, silencieuse, et avait commencé à ranger l’appartement. Elle lui donnait l’impression d’être une de ces bêtes qu’on va mener à l’abattoir. Ses longs cils se couchaient sur des yeux déjà tristes. Elle n’avait jamais été aussi vive, bougeant ses bras dans la lumière, se courbant pour ramasser au passage les affaires des filles, se relevant d’un geste, souple pourtant et maladroite, rapide et mélancolique, calme, inquiète. Louis attendait pour lui parler qu’elle s’arrête de bouger. Il la suivait dans chaque pièce. Ils ne se disaient rien. Elle ne lui reprochait même pas de rester là sans rien faire, les bras croisés à côté d’elle. Ne la compare pas à une bête, pensait Louis, tu ne vas pas la tuer ! L’espérait-il ? Ne rêvait-il pas, comme un adolescent qu’elle s’effondre devant lui, qu’elle le supplie de rester ? Il paraît que les gens qui se suicident le font parce qu’ils aiment la vie plus qu’aucun de nous. Est-ce par amour qu’on quitte les gens aimés ? Est-ce par amour qu’il faut tout détruire, salir, abîmer ou est-ce seulement pour réveiller l’amour ?

Dans le salon, les jouets des filles formaient sur le sol des petits monticules que Claire calait sous son bras avant de les lâcher dans les malles à jouets aux quatre coins de leur chambre. Au milieu de la table, la cafetière crachait ses dernières gouttes. Les mules à talons de Claire claquaient sur le carrelage. Et Louis la suivait. Elle le regardait parfois, en coin, et semblait savourer sa présence. Louis essayait de se persuader qu’elle savait ce qui allait suivre. Qu’elle le savait et qu’elle l’acceptait. C’était une femme intelligente avec des lunettes épaisses, de belles jambes aux mollets musclés. Sa chevelure noire tombait sur son front, roulait sur ses épaules. Elle alluma la radio. Louis avait l’impression d’être de sa famille. Il la connaissait et elle le connaissait. Le soir, Mathilde et Elise organisaient avec eux des concours de chatouilles. Elles s’endormaient quand ils les avaient embrassées, l’un après l’autre. Louis eut peur, il hésita. Au fond de lui, il aurait voulu lui faire signe, l’appeler pour qu’elle apaise ses pensées. Mais il se sentait si proche d’elle qu’il était persuadé qu’elle ne l’entendrait pas.

Alors, il la fit asseoir près de lui et il déposa sur ses genoux la lettre qu’il avait écrite quelques jours plus tôt. Elle la lut, cachée derrière ses longs cheveux. Louis avait oublié que des amis anglais venaient chez eux ce soir-là, dîner. Claire le lui rappela. Elle rangea la lettre dans un tiroir et partit travailler. Le soir, en rentrant, elle prépara le repas. Quand leurs amis arrivèrent Claire et Louis s’étaient mis d’accord pour ne pas gâcher la soirée en parlant de divorce. Ils décrivirent leur vie provinciale avec légèreté. Louis les faisait rire. Au dessert leurs amis annoncèrent qu’ils allaient avoir leur troisième enfant :
« On commençait à s’habituer à notre vie tranquille, on a décidé de bousculer encore nos habitudes, dirent-ils en riant. »
Claire ne cessait de répéter :
« Je suis tellement contente pour vous… »
« Et vous, demanda son amie anglaise en lui prenant la main ? »
Claire débarrassa la table et coucha les filles. Elle entendait Louis faire le pitre.
« Savez-vous que j’ai failli être ténor d’opéra ? demandait-il. »

Claire connaissait l’histoire par cœur. Louis la racontait chaque fois qu’il était saoul, content d’avoir un public qui ne l’avait pas encore entendue. Un jour, à une fête d’étudiant, il s’était mis à chanter, debout sur la table. Les gens avaient applaudi avec force. Et lorsqu’il était retourné à sa place un homme lui avait remis sa carte, c’était un manager.
« Avec cette voix, je peux vous faire faire le tour du monde. » Mais Louis avait désigné Claire :
« Je peux faire le tour du monde avec ces yeux. »

Après la musique, ils parlèrent de cinéma. Les Anglais venaient de découvrir Depardieu et ils l’adoraient.
« Depardieu n’est plus rien, c’est de la merde en boîte, lança Louis, sans rire. Il ne fait plus rien de bon. Le succès l’a ramolli, il est nul, il est pitoyable. »
Il se resservit un verre de vin qu’il avala d’un coup. Il était soudain furieux et triste comme il ne l’avait jamais été.
« Lui, pour le coup, il fait tout sauf bousculer ses habitudes. Regardez-le, comme il se pavane. Au début, il était différent, parce qu’il venait d’un milieu populo, il était anarchiste, révolté, il braillait comme un porc, il montrait sa bite.
-Louis, murmura Claire, tu as trop bu.
-Et alors, gronda Louis ? Et alors ? Depardieu, lui, il ne lésinait pas sur l’alcool et il avait du génie. Et maintenant, “Non merci… mon pontage !” C’est un pépé, un vieux chnoque, il sort avec un frigidaire, l’autre, là, la Carole Bouquet…
-Moi je la trouve bien, risqua l’Anglais.
-Vous avez vu ce qu’il fait aujourd’hui ? continuait Louis, vous savez pourquoi il fait ces daubes sur TF1 ? Parce que finalement il veut leur montrer à tous qu’il a de la culture, hein maintenant, il n’est plus ce petit gauchiste braillard qui montrait son cul aux bourgeois, il veut rentrer dans le rang, il dit “regardez, j’ai lu Victor Hugo et Alexandre Dumas, je les ai tellement bien lu que je joue à être leur héros.” Et bientôt il jouera Hugo lui même. Ah je l’attends ça, je le vois déjà. Ça me dégoûte… »

Claire s’était levée et le regardait des larmes plein les yeux. Louis scrutait leurs visages un à un, l’air effaré, aux abois, il respirait avec difficulté, les mains prises l’une dans l’autre.
« …Ça me dégoûte tout ça, vos vies là, on bouffe, on boit, on se raconte notre existence de merde en essayant de la rendre drôle, attrayante, on pond des mômes à tire-larigot… »

Claire disait au revoir à leurs amis :
« Oui, ça lui arrive de temps en temps, il travaille trop, il est fatigué.
-Mais non, rugit Louis, je ne suis pas fatigué, je suis en pleine forme. On a passé une super soirée, hein ? Quand je vous ai raconté ma vocation d’un soir, c’était touchant, non ? Et toi Gary, tu n’as pas parlé de ton énième roman en cours ? Tu as enfin arrêté d’écrire ?
-Prends soin de lui. Fais attention à toi aussi.
Mary essuyait les larmes sur les joues de Claire avec tendresse.
-Laissez-la, foutez-lui la paix, elle est forte, elle n’a besoin de personne. C’est un frigidaire, elle aussi. Elle va ranger la maison et elle va se coucher. Et moi, comme un con… »

Les Anglais étaient partis, Louis sanglotait contre Claire.
« Moi comme un con…»

(A suivre...)


Illustration : Richard Wilkinson