lundi 29 décembre 2008

Perdre la tête

Le 24, chez ma mère, le téléphone a sonné. J'ai décroché.
« Allo, m'a dit ma grand-mère, je ne suis pas chez ma fille ?
- Si Mamie, ai-je répondu, mais tu parles à ta petite fille, Emeline.
- Ah, a-t-elle dit avant de se taire quelques instants.
J'ai repris :
- Maman est sortie faire des courses. Tu voulais lui dire quelque chose ?
- Et bien, a articulé ma grand-mère avec prudence, oui. Je voulais savoir si j'étais bien à V. avec elle. Dis-moi, toi, est-ce que je suis à V. avec toi ?
J'ai hésité.
- Je ne sais pas. Je suis chez Maman mais toi, où es-tu ?
- Et bien, je suis dans ma résidence, tu sais, Athéna. Mais depuis ce matin je ne sais plus où je suis. Tu pourras dire ça à ta mère ? Que je ne sais plus où je suis ?
- D'accord Mamie. Mais, tu vas bien, quand même ?
- Oui, oui. Allez au revoir ! »

Hier, j'ai contemplé le visage de mon oncle aux cheveux devenus gris, ses yeux perdus de sourd au milieu de la cohue de la tablée familiale et je me suis demandée comment aurait été mon père, son frère, assis à ses côtés. Une photo de mon album familial, maintes fois interrogée, s'est rappelée à moi : à Saint-Victor, dans la maison de mon oncle, on fêtait Noël. Tout le monde souriait. Les bras des enfants dont j'étais, avec ma tignasse ébouriffée et mes petites lunettes en métal rouge, se tendaient vers le plafond. Les plus petits étaient coiffés de chapeaux pointus. Autour des bouilles hilares les confettis dégringolaient, poinçonnant de couleurs vives un oeil, un menton, un front. Seul, adossé à un mur, en retrait, mon père paraissait rêver, ailleurs, le regard dans l'ombre. Soudain le présent et le passé se sont mêlés et j'ai eu l'impression que la solitude de mon père sur le cliché c'était la mienne aujourd'hui, et qu'absent tout en étant présent autrefois, il pouvait être, aussi bien, présent tout en étant absent ce jour-là.

Comme à chaque fois en présence de mon oncle, je me suis souvenue de ses larmes au téléphone lorsqu'il m'avait annoncé la mort de mon père et je me suis répétée sa promesse, après l'enterrement "restons proches, restons une famille." Il y a quatre ans que je ne l'ai vu et il ne connaît pas mon fils mais c'est comme si nous n'avions pas perdu contact : mon oncle ne m'a posé aucune question et n'a pas entendu les miennes. Il s'est contenté de me sourire en remplissant ma coupe de champagne, chaque fois qu'elle était vide. J'ai chassé d'un geste le nuage de la déprime qui menaçait au-dessus de moi et j'ai bu. La légèreté s'apprend, songeais-je, et ce n'est pas si difficile quand il y a du champagne.

Peu après j'ai évoqué un souvenir :
« Papa aussi avait besoin de courir tous les jours, ai-je annoncé à mon cousin Christophe, marathonien en herbe.
- Mais non, a rétorqué ma belle-mère, veuve de mon père. Il ne courait pas. Il n'a jamais couru.
- Ah bon ? Tu es sûre ai-je dit, perplexe. Je me souviens qu'il partait, en survêtement, tous les jours, à Parilly.
- Non. Il marchait. Nous marchions. D'un bon rythme, mais Félix n'a jamais fait de footing je t’assure.
Le champagne a grésillé dans ma gorge. J’ai avalé un peu trop vite et j’ai toussé.
- Oh ! Très bien ! Tu dois avoir raison alors, ai-je ri, comme si, aussitôt, je n’avais pas réalisé qu'il me faudrait encore recomposer toute mon histoire familiale d’après ce léger changement. »

Le jour de Noël, ma sœur Anna et moi avons entrepris d’aller sonner aux portes des voisins à la recherche de chocolat noir pour la sauce du poulet aux langoustes. Les Bertrand nous ont accueillies à bras ouverts et leur caniche a haleté à nos pieds, mais, à leur grand regret, ils n’avaient pas de chocolat à nous donner. Là-dessus, une porte s’est ouverte et Mr Blanc est sorti, ventre en avant, pour proposer son aide. Las, il n’avait pas de chocolat non plus.
« Pourtant vous n’êtes pas au régime, a plaisanté Mr Bertrand, ah ah ! Ou alors c’est un secret qui ne se voit pas !
- Ah ah, a répondu Mr Blanc, et bien non ! Pourtant je n’en ai vraiment pas, de chocolat ! Allez donc voir chez les Polis. Ils ont leurs cinq petits enfants à la maison, ils doivent bien avoir du chocolat. »

Et Anna et moi avons gravi deux étages de plus pour interroger les Polis. Il y a bien une dizaine d’années que je n’avais vu Paul, leur fils, qui fut, quelques mois durant mon petit ami tandis que je finissais le lycée, et un curieux trac m’a rendue flageolante. C’est lui qui a ouvert, inchangé. Sa mère a suivi et ma sœur lui a demandé du chocolat. Madame Polis est partie en chercher en cuisine.
« Alors, m’a dit Paul, tu écris, il paraît ? J’ai feuilleté tes nouvelles et j’ai cru reconnaître certains éléments autobiographiques… Même très autobiographiques.
J’ai froncé les sourcils.
- Oui. Si on veut. Pour L’ombre de ton chat je me suis inspirée, de très loin, de ma mère. C’est tout. Dans l’autre tout est imaginaire. Enfin presque.
Je bredouillais, bégayais et aplatissais ma frange rebelle du bout des doigts. Paul me scrutait intensément de ses yeux myopes.
- Tu as quatre enfants alors ? ai-je demandé à mon tour. C’est incroyable ! Quel boulot !
- Oui, a-t-il dit, très fier. Ici on se repose, les grands-parents nous relaient. Et tu vois, j’ai mis mon pull vintage pour faire plaisir à ma mère.
Il a saisi entre deux doigts un lainage bariolé, typique des années 90. J’ai souri.
- Tu dois le reconnaître toi aussi ?
Nos regards se sont croisés et j’ai sursauté, assaillie par le souvenir de nos étreintes maladroites et furtives dans ma chambre qui ne fermait pas à clefs. Il me semblait que le pull exhalait l’odeur de nos amours adolescentes.
- Oh ! ai-je soufflé en désignant un gamin qui nous regardait du couloir de l’appartement, c’est ton petit dernier ?
- Non, lui c’est le troisième ! Viens dire bonjour André !
L’enfant n’est pas venu, ma sœur est descendue porter le chocolat en cuisine et je me suis adossée au mur de l’allée.
- Tu vas bientôt avoir l’âge qu’avait ton père à sa mort, non ? a dit Paul.
- Mais non, ai-je protesté. Que vas-tu chercher ? Il reste encore huit ans. Enfin sept. Et puis ça va beaucoup mieux tu sais. Ca ira, j’en suis certaine. Enfin je pense… On ne sait jamais mais…

- Emeline, a crié ma mère, viens finir la sauce !
- Oui, j’arrive ai-je répondu en me redressant. Allez, joyeux Noël, ai-je dit à Paul. A bientôt…
- Joyeux Noël, a dit Paul. Restons en contact…»

Illustration :
Ray Caesar

mercredi 24 décembre 2008

Joyeux Noël !

Et de belles fêtes à tous !
Merci pour tous les échanges qui ont eu lieu ici. Merci pour les belles rencontres jamais décevantes qui ont suivi.
A très vite...

mardi 23 décembre 2008

Pour la nouvelle année

Une idée saugrenue vient de jaillir de mon esprit plus qu'ensuqué* : et si pour la nouvelle année mes lecteurs me proposaient des thèmes de billets ?
On va dire que vous pourriez laisser vos sujets dans les commentaires et que je tirerai au sort les 5 que je traiterais. Par exemple...
Ne bridez pas votre imagination, parfois il suffit d'un mot pour déclencher la mienne...

*Billet à venir

dimanche 21 décembre 2008

Elle venait d'avoir dix-huit ans

Sa frange arrondie pèse sur ses paupières et elle ferme les yeux à demi. Son visage s'anime brusquement : son petit nez se fronce, elle mord sa bouche rouge et bat des cils. Elle semble avoir à peine dix-huit ans. Elle danse sur place et rit, en jouant de ses prunelles.

A son épaule, une besace où sont accrochées de minuscules peluches roses et vertes, à son bras un homme qui la contemple et tout autour une foule qu'elle ne remarque pas. Elle appuie sa joue sur la veste de velours de l'homme. Se recule, vacille et rit encore.

Juste avant que leurs lèvres se frôlent je me disais "qu'ils ont l'air proches ce père et sa fille, que c'est beau !"

vendredi 19 décembre 2008

Mon petit lutin

Petit bonhomme en bleu, le front ceint de boucles blondes, il ne nous cherche pas du regard.

Tandis qu'à quelques pas devant lui, Marc-Antoine pleure, essuyant sa morve dans son pull, que Lucien se retourne les oreilles pour ne pas entendre le brouhaha des enfants excités et des parents impatients, Kéké regarde ses mains sagement posées sur ses genoux, et il sourit d'un air malicieux. Je me suis glissée au premier rang, entre deux photographes ; lorsque je me retourne, je n'aperçois plus B. que j'ai laissé, adossé contre un mur, derrière moi. Les classes entrent les unes après les autres et le directeur conduit les enfants jusqu'aux bancs où ils s'assoient, en désordre. Les moyens et les grands saluent de loin leurs parents. Les plus petits, intimidées par la foule venue les admirer, hésitent entre rage, désespoir et hébétude.

Par moment, c'est la bousculade. Une mère escalade les premiers rangs pour aider son enfant à ôter son gilet, un père hausse la voix pour exiger que le sien se calme, deux gamins s'empoignent sauvagement et roulent sur le sol, les photographes ordonnent "lève la tête, baisse la tête, souris, arrête de bouger !" Des vagues naissent au fond de la salle et finissent par ébranler le chapelet d'enfants assis qui se mettent à escalader leurs sièges, leurs voisins et à courir dans la pièce exigüe. Pourtant, il me suffit de contempler Kéké pour me sentir en paix. Il semble insensible à l'agitation. Il rit, fait danser ses pieds, de temps en temps lève la tête et sourit aux adultes dont il croise le regard. De loin, il me semble que je le découvre, ce petit être que je connais depuis toujours et il m'étonne. Qu'il est espiègle et libre ! Serein, heureux, fort !

Je pense à sa question au petit-déjeuner : "C'est qui le Père-Noël ? m'a-t-il demandé" et j'ai bredouillé, maladroitement, une réponse vaseuse. Le doute me tenaille en réalisant que je ne me sens pas capable de l'aider à croire à cette histoire que je trouve belle. Comment puis-je donner quelque chose que je ne me souviens pas avoir possédé ? Mais la maitresse aux cheveux orange frappe dans les mains. Le directeur demande un silence que les parents accordent à regret. Alors les enfants, en chœur, entonnent la chanson des retours de récréation, ils tapent dans les mains, articulent les paroles puis tapent des pieds, pour se réchauffer. Sont réunies cinq classes de vingt-sept enfants et la clameur est extraordinaire. Il y a le distrait qui cherche sur les lèvres des autres, les paroles perdues, la star qui secoue ses cheveux, Marc-Antoine qui sanglote de plus belle et celui qui ne fait rien, qui reste silencieux, content, et semble rêver sa vie : Kéké.

Alors, sans s'annoncer, les larmes s'accumulent et inondent mon visage.
Surprise, je pleure.
A l'émotion qui a provoqué ces larmes s'ajoute celle de pleurer. La joie ressemble tellement au chagrin parfois ! Je farfouille dans mon sac à la recherche d'un mouchoir. Sous le préau, les chants se succèdent : la chanson du grand-père à barbe blanche et celle du renne, la chanson des lutins, la chanson de la hotte, la chanson de l'hiver. Ensemble, plus ou moins, les enfants comptent sur leurs doigts, claquent la langue contre leur palais et hurlent les mignonnes paroles. Quand le public applaudit, Kéké se redresse, radieux. Ses yeux parcourent l'assemblée, il jubile. Cécile, sa maîtresse, a aussi, il me semble, les yeux embués. J'ai envie de lui crier que je l'aime en la serrant dans mes bras. J'ai envie de sangloter sur son épaule. Je tamponne mes paupières sans quitter mon fils des yeux.

C'est son premier spectacle de Noël !

Illustration : Marion Peck

jeudi 18 décembre 2008

Aujourd'hui, le plafond est de verre

Après une soirée arrosée au champagne, au Vinsanto, au vin rouge et au vin blanc, sans oublier un peu d'Evian, j'ai failli oublier d'annoncer la parution d'un texte d'Olympe très juste et drôle que vous lirez, je l'espère avec autant de plaisir que moi...

lundi 15 décembre 2008

Chez le boucher

Cette fille fardée, ondoyant sur ses hauts talons, consciente de sa grâce et de la longueur de ses jambes, se doute-t-elle, un seul instant, que la première chose que l'on aperçoit, sur son visage, c'est une moustache épaisse, mal décolorée ?








Illustration
: Art and Ghosts

jeudi 11 décembre 2008

Le destin d'Agatha

Auteur d'une pièce de théâtre, elle cherchait une chanteuse classique pour interpréter un air dans son spectacle. Elle m'avait appelée et nous nous étions retrouvées près de chez moi, Au rêve, un petit café rue Caulaincourt. Lorsque je la vis pousser la porte de l'établissement, je crus me voir : elle portait une longue jupe qui entravait ses jambes, un manteau d'une autre époque et des bottines à lacets. D'une main elle caressait ses longs cheveux roux tandis que de l'autre elle dessinait, dans l'espace, les phrases que sa voix rauque rendait presque inaudibles.

A peine assise, elle m'avoua que son prénom était un prénom qu'elle s'était inventé depuis peu. L'autre n'était pas laid et ne lui déplaisait pas mais elle avait voulu en changer comme on change de peau. Fascinée, je lui demandai comment son entourage avait réagi et évoquai une amie qui avait abandonné son prénom après le suicide de l'amant qu'elle venait de quitter. Des années après, sa famille continuait de l'appeler par son prénom de naissance tandis que ses amis s'étaient adaptés au changement. Avait-elle l'impression de revêtir une ancienne peau chaque fois qu'elle retrouvait les siens ? Et qu'est-ce que cela lui faisait d'être à la fois avant et après ? Agatha n'avait pas ce problème m'expliqua-t-elle puisqu'elle n'entendait même plus quand on s'adressait à son ancien moi. Je me dis, douloureusement mais brièvement, que j'aimerais avoir l'audace d'Agatha.

Elle penchait la tête de côté en parlant et fumait cigarette sur cigarette. Nous évoquâmes nos parcours respectifs, elle comme comédienne, moi comme chanteuse, nos mains fendant la fumée qui cernait de coton nos visages. Nous avions les mêmes doutes, un parcours chaotique et après quelques minutes de conversation, nous pouvions achever les phrases de l'autre à sa place. Alors, nous n'eûmes plus rien à nous dire et nous décidâmes de sortir.

Montmartre, beau en ses hauteurs, était secoué par un vent furieux, grondeur, méchant. Agatha m'agrippa le bras parce qu'elle se tordait les chevilles sur les pavés. Nos cheveux se mêlaient sur nos épaules, nous empruntions des rues escarpées, désertes, en courant pour échapper à la tempête. Devant le Château des Brouillards, un bruit soudain nous fit sursauter. C'était une grosse branche d'arbre qui tapait contre la bâtisse. L'ampoule de l'unique lampadaire éclata et nous nous retrouvâmes dans l'obscurité. Nous faillîmes heurter la statue de Dalida devant laquelle nous restâmes songeuses, un peu tristes, passant nos doigts gourds sur les joues de bronze. Puis, Agatha inspira avec difficulté. Je reconnus le sifflement que je prenais souvent pour les cris de fantômes enfouis dans mes bronches ; je lui tendis ma Ventoline. A petit pas, à l'abri du vent, nous gravîmes une rue de plus avant de dévaler la rue Lepic jusqu'à la place des Abbesses. Là, buvant un chocolat chaud et je ne sais pourquoi, nous parlâmes de nos pères.

Agatha ne fumait plus et elle garda les mains jointes sur la table. Ses yeux bleus luisaient. Sa voix devint âcre pendant qu'elle me racontait son histoire. Elle avait rencontré son père à l'âge adulte, après avoir appris, enfin et par hasard, son nom. Le retrouver fut facile puisqu'il figurait dans l'annuaire. C'était un comédien et elle l'aurait reconnu sans hésiter parmi une multitude. Il passèrent une nuit à parler, à se regarder - ils se ressemblaient comme des jumeaux - à se raconter leur vie. En faisant sa connaissance, Agatha comprit sur elle-même des choses dont elle n'avait pas conscience auparavant. L'avenir lui parut simple et à portée de main. Le regard protecteur de son père et l'assurance de sa présence future ôta de ses épaules un poids qu'elle s'était habituée à porter. Au matin, après avoir dit au-revoir à son père, elle sortit dans la rue, aérienne, et, jusque chez elle, sanglota de joie et de soulagement. Epuisée, elle s'écroula ensuite sur son lit et s'endormit à la seconde.
Le téléphone la réveilla alors que la nuit tombait : son père venait de mourir d'une crise cardiaque.

La gorge serrée, je la quittai après d'insoutenables minutes de silence. Agatha fumait les yeux clos. Elle me tendit, muette, une main fragile que je serrai trop fort et je tournai les talons pour cacher mes larmes.

Nous ne nous revîmes jamais mais je pense souvent à elle.
Illustration : Ray Caesar

mercredi 10 décembre 2008

Blog et âme

Je l'attendais impatiemment et je ne suis pas déçue !

Dorham avait un sujet absurde et difficile, il s'en tire avec brio... Ce sera à 11 heures au Plafond.

N'hésitez pas à aller lui dire ce que vous en pensez !

samedi 6 décembre 2008

Le jugement de Desdémone

J'ai toute de suite pensé qu'elle avait de l'allure. Brune, grande et fine, le port de tête altier, elle frémissait des narines comme un pur-sang, battant la mesure de ses paroles péremptoires d'un claquement de mocassins. Contrairement à la plupart de mes élèves, elle s'était donnée un objectif précis : chanter pour le mariage de sa fille dans six mois. Pour cela, elle avait dans ses bagages, des années de piano et la flemme de s'y remettre.
"Tandis que chanter, tout le monde peut le faire, m'apprit-elle.
- Hum, et bien... dis-je, oui ! En quelque sorte.
- Enfin vous allez me dire, n'est-ce pas, s'il est possible ou non que je réalise mon projet ? Mais je crois, ajouta-t-elle en riant, que je ne ferai pas honte à l'orchestre qui m'accompagnera !"
J'ai ri avec elle de bon cœur car, après tout l'ambition ne me déplait pas.

Une semaine plus tard, Desdémone est arrivée, impatiente, pour son premier cours. Arc-boutée dans un tailleur beige au tomber évident, elle a attendu, les mains serrées l'une contre l'autre dans une pose doctorale, que les petites filles qui chantaient avant elle, quittent enfin la salle. Il me semblait que d'un moment à l'autre, une conférence allait commencer et j'ai réprimé un bâillement à cette perspective.
"Seigneur, s'est-elle écriée ensuite, je suis véritablement soulagée de voir qu'il s'agit d'enfants. Parce que, de l'autre côté de la porte, j'étais horrifiée par tant de laideur ! Elles chantaient faux à un point !
J'ai ri avec elle de bon cœur, car, parfois, la méchanceté ne me déplait pas.
- Amalia a un mois de chant, ai-je répondu. Elle ne s'en tire pas si mal. Sa sœur a six ans à peine. Le manque de justesse bien souvent, vous savez, ce n'est qu'un...
- Oui, oui, je sais ce que vous allez me dire, m'a coupée Desdémone. Et je vous crois mais quand même, je n'aimerais pas chanter comme cela. Enfin vous me le direz, n'est-ce pas, si je chante comme cela ? Il ne me semble pas - j'ai toujours chanté juste, on me l'a souvent dit - mais on ne sait jamais..."

Alors que, soucieuse de garder mon calme, je rangeais les partitions et disques du cours précédent, Desdémone a continué de parler :
"Alors, maintenant, vous allez me dire, dites-moi : où je me mets, qu'est-ce qu'on fait ? Je ne sais pas, moi, je suis là pour apprendre. Alors je me me mets là, c'est ça ? Au milieu ? On chante tout de suite ou bien...
- Desdémone, comme je vous l'ai dit lors du cours d'essai, nous allons faire, avant tout, quelques exercices de relaxation et de respiration.
- Oh bien, comme vous voulez ! C'est vous qui me dites, oui, c'est cela... Alors je fais comme vous. On s'étire ? Ah oui d'accord et on souffle en se pliant en deux. Ce n'est pas très naturel, dites-moi. Enfin c'est vous qui savez. Et c'est vraiment nécessaire de faire tout cela ?
- Oui, Desdémone. Car nous chantons avec tout notre corps.
- Comme c'est amusant, rit-elle. Alors donc, il faut vraiment faire des rotations de la cheville pour chanter ? Si vous le dites je vous crois, n'est ce pas ? C'est vous le professeur après tout. Et puis j'aime la gymnastique oui ! J'adore la gymnastique, c'est drôle non ? Ça tombe bien !"
J'ai ri avec elle de bon cœur car, après tout l'humour ne me déplait pas.

Finalement, la faire chanter a eu comme avantage immédiat d'interrompre la logorrhée de Desdémone mais son corps s'est mis à parler pour elle : déhanchement sec, claquement de pieds, menton tendu vers le plafond.
"Alors, m'a-t-elle demandé à la fin du morceau, je crois que nous allons devoir trouver quelque chose d'un peu plus difficile, non ? Enfin si vous me dites qu'il faut travailler celui-ci je le ferai. Bien que je n'aie pas tellement le temps, voyez-vous. Mais c'est vous le professeur, dites-moi...

J'ai ri avec elle de bon cœur, car le cours était enfin fini !


mercredi 3 décembre 2008

Blog et handicap

C'est un billet émouvant et fort qui sera publié aujourd'hui au Plafond, à onze heures par une blogueuse que je suis depuis longtemps et qui me touche beaucoup. Je me réjouis de vous la présenter...

jeudi 27 novembre 2008

Des mots (4)

Nous nous écrivions tant qu'avant même de pouvoir passer du temps ensemble, nous avions construit, pour notre relation, un domaine vaste, foisonnant que nous n'avons pas fini d'explorer aujourd'hui. Le moindre frisson, nos angoisses et nos doutes étaient relatés, analysés, découpés puis lus et analysés une seconde fois. Car nous ne manquions jamais de relever une ligne de la lettre de l'autre et d'y répondre en détail. En retour, notre réponse était démantelée de nouveau et notre conversation finit par couvrir le monde tel que nous le connaissions, comme si nous avions étendu sur lui les filets arachnéens de nos sensibilités mêlées.

Nous étions très rigoureuses et n'hésitions pas à prouver nos dires. Nathalie glissait dans sa besace des photos volées dans l'album familial, tandis que je lui livrai, un jour, un carton rempli des lettres reçues depuis ma naissance : déclaration de mon premier amoureux, cartes postales de mon père, cartes d'anniversaire ; il me semblait que cette menue paperasse attestait, en partie, de mon existence. Nous échangeâmes nos journaux intimes et dérobâmes des livres dans la bibliothèque de nos parents. Bientôt, les paragraphes décrivant nos sentiments pour Philippe et Samuel s'amenuisèrent laissant place à ceux que nous éprouvions l'une pour l'autre. Nous jurions de ne jamais nous quitter, de ne jamais nous marier et nous imaginions, éventuellement, fréquenter plus tard, des frères ou des amis qui n'auraient jamais d'emprise sur notre amitié ; le piano de notre salon serait bordeaux ou blanc et nous des artistes.

Parfois, pourtant, Nathalie devenait silencieuse et coupait court aux confidences. Emmanuel, le copain de Samuel, qu'elle commençait à lui préférer, lui donnait des envies de secrets. Elle ne voulait plus épier ses sentiments mais se laisser porter par eux. Alors, je lisais Marguerite Duras et c'est mon amie que je voyais à travers les Lol V. Stein, Emily L. et autre Elisabeth Alione. Les soirs où elle tenait entre ses mains le sort de notre correspondance, je griffonnais des histoires à deux voix dans lesquelles, une Natalia, énigmatique et glaciale, s'exprimait telle le Sphynx face à une personne - homme ou femme - qui l'abreuvait de déclarations et de questions. Natalia préférait à la parole la danse, aux explications la musique et je ne la comprenais jamais tout à fait.

Il arrivait que pour me lancer dans un nouveau chapitre, j'établisse d'étranges correspondances entre une phrase de Duras et une des miennes. L'idée était proche ou carrément opposée, les mots avaient en commun un éclat particulier, une associations de fricatives mais au fond de moi, je savais que j'avais volé le résultat qui jaillissait de ce troc : "Tu écris vraiment comme elle, me disait Nathalie, admirative."

Illustration : Art and ghosts

mercredi 26 novembre 2008

Dans l'oeil de Catherine Goux

Cette semaine j'ai laissé entière liberté à Catherine à qui j'ai demandé une photo et un commentaire...

Cela parle de blogs et de campagne et ce sera, comme d'habitude, à onze heures au Plafond...

samedi 22 novembre 2008

Ce soir...

Je chante !





Dieu que j'ai peur...

mercredi 19 novembre 2008

L'invité du jour

A onze heures, sur Le plafond, apparaîtra un billet de Marc Calvet à qui j'avais demandé de rédiger un texte sur le thème "bloguer à la campagne". C'est une visite douce et belle que je me réjouis d'avoir...

Bonne lecture !

mardi 18 novembre 2008

Des mots(3)

Un jour, je l'ai vu traverser la cour et j'ai décidé de l'aimer. C'était un Terminale A3, option arts plastiques qui s'appelait Philippe, portait un anneau à chaque oreille, un Perfecto et des jeans dont les déchirures laissaient entrevoir les cuisses velues. Brun, les joues percées de fossettes, il posait parfois sur moi, sans y penser, un regard morne que je trouvais poignant. De ses grands cartons à dessins s'échappaient des liasses couvertes de peinture noire et blanche. Il arrivait qu'il porte une guitare à l'épaule. Il savait exhaler des ronds de fumée parfaits et il était un des seuls garçons du lycée à embrasser ses amis au lieu de leur serrer la main.

J'arrivais en cours en retard car, comme son ombre, j'avais pris l'habitude de l'accompagner partout. J'attendais que la porte de sa classe soit refermée pour gravir rêveusement les escaliers qui menaient à la mienne, la pointe des pieds trainante.

La première fois que j'ai écrit sur Philippe c'était dans le cahier adressé à mon père depuis son enterrement. J'espère que tu ne seras pas jaloux que je pense à un autre que toi, je suis jeune et j'ai envie de vivre, avouais-je. En classe, je gravais le prénom de mon bien-aimé sur le bureau, j'égrenais des acrostiches et brodais des alexandrins que je ne lui donnerais jamais. Elsa, ma copine, se réjouit que je sorte enfin de mon humeur morbide ; en réalité, la proximité de la mort nourrissait mon désir, mon deuil s'épanouissait dans cet amour et ils se transfiguraient sans cesse l'un l'autre.
Les jours où l'espoir d'être aimée en retour s'estompait, je sombrais dans le désespoir, convoquant les images d'un bonheur passé perdu à jamais. Mais, lorsque Philippe, pendant la récréation, m'avait souri, j'entendais presque mon père murmurer que, parfois, la vie était trop courte et qu'il fallait se dépêcher d'en profiter. Furieusement, je reprenais ma plume pour avouer à Philippe qu'il avait été désigné pour me rendre heureuse.

En cours de sport, un jour, Nathalie, une brune à lunettes que je connaissais à peine, échappa à la vigilance de Delphine, son amie, pour me parler. Moi aussi j'aime un garçon d'une autre classe... Tu lui as parlé au tien ? me demanda-t-elle, l'air excessivement grave. Comme Delphine s'approchait, les sourcils froncés, Nathalie proposa que nous nous écrivions. Je hochai la tête et soufflai précipitamment qu'elle n'avait qu'à commencer. Le lendemain elle me remettait quelques feuilles quadrillées pliées en quatre que je déchiffrai pendant le cours de géographie. Je lui répondis le jour suivant.

Ainsi commença une des plus intenses périodes de ma vie. Pendant la journée nous vaquions à nos occupations en compagnie de nos copines attitrées et le soir, nous nous attachions à décrire les tourments de nos jeunes existences, nos espoirs pour l'avenir qui semblait infini et ces deux garçons que nous adorions en secret. Nous avions chacune nos manies. D'abord il me fallait du papier recyclé à petits carreaux et un stylo à plume large. Je notais la date à la façon d'Anne Franck dans son journal et terminais du même "A toi" passionné.
Nathalie avait une calligraphie très ronde. Elle demeurait plus mystérieuse que moi et dans mes lettres, je la couvrais de questions tant j'étais avide de la connaître, de la comprendre. Elle aimait un garçon petit et blond au visage d'elfe qui s'appelait Samuel et qui la fixait aussi, chaque fois qu'il le pouvait. Comme nous nous soutenions l'une l'autre, j'avais pris l'habitude de définir l'intensité des regards échangés, la couleur des joues, la vitesse du rabattement de la mèche de Samuel, dans ces moments-là. S'ensuivait souvent un marchandage descriptif, par petits mots glissés en classe :
"Tu exagères, disait mon amie, il a à peine croisé mon regard hier.
- Mais si, rappelles-toi, lorsqu'il s'est retourné pour tenir la porte à son copain !
- Je ne suis pas sûre qu'il m'ait regardée à ce moment là...
- Tu rigoles, il a rougi d'ailleurs !"

Après quelques semaines de ces échanges légers, je racontai à ma nouvelle amie la mort de mon père, mes larmes trempèrent le papier, l'encre de mon stylo dégouta, nimbant d'auréoles vaseuses la description de mon chagrin. Nathalie m'écrivit ensuite que ces traces avaient décuplé les sanglots que mes mots avaient fait naître. Dès lors, je ne pleurai plus sans veiller à ce que mes larmes tombent sur du papier à lettres...

Illustration : Wilmer Murillo

jeudi 13 novembre 2008

Une voix sur le fil...


Découvrez Katie Melua!

mercredi 12 novembre 2008

Aujourd'hui au plafond...

Point de "Blogs et..." car le chroniqueur du jour a été excusé. Voyant mon désespoir hier, mon époux m'a proposé de rédiger un impromptu... C'est en cours !

Le titre sera : MA FEMME PREFERE SPERMY !

En attendant, vous pouvez aller suivre les liens indiqués , si ce n'est déjà fait.

Edit de 15h26 : ça y est...

mardi 11 novembre 2008

Des mots (2)

Les semaines suivantes je les ai passées dans la moiteur de la salle de bain. Je ne supportais mon existence qu’immergée dans la baignoire, entourée des quatre murs blancs. Mes bras flottaient à la surface, mes cheveux se trempaient. Je regardais mes jambes briller sous l’eau comme de curieux poissons, longs, blêmes, amorphes. L’eau chaude coulait sans discontinuer et, le visage perdu dans les vapeurs, je finissais par ne plus distinguer les contours de la pièce immaculée de ceux de mes pensées.

En cours, j’avais reposé mes stylos et fermé mes livres. Je ne travaillais plus et mes camarades de classe, rebutés par mon silence, dérangés par ma pâleur, s’éloignaient. Elsa, ma copine depuis la rentrée, m’invitait parfois encore, à dormir chez elle. Avec d’autres filles, elle énumérait les parties de son corps que des garçons avaient touchées, frôlées ou embrassées. Rieuses, avachies sur un lit, elles arrangeaient leurs cheveux en parlant, faisaient des moues avec leur bouche, battaient des cils, éperdument. Leurs chemises de nuit glissaient sur des épaules bronzées, enduites de crèmes et parfumées. De temps en temps, elles s’embrassaient sur la bouche, nonchalantes, en essayant de s’apercevoir dans le grand miroir d’Elsa. Leurs jambes graciles, soigneusement épilées se croisaient et décroisaient ; le frottement de leur peau créait des courants d’air froid sur mes dents ; je les regardai, comme à la télévision, certaines actrices de cinéma : j’avais envie d’être elles au point qu’elles finissaient par m’écœurer.

" Et toi, demanda Elsa une fois, c’est quand la dernière fois que tu es sortie avec un garçon ? » Je les regardai, hébétée, l’une après l’autre, puis, secouant mes cheveux comme je les avais vues le faire, je bafouillai :
« C'était en cinquième, dans une boum. Et puis, une autre fois en Corse, la même année.
- En cinquième ! s'écrièrent les filles, choquées.
- Et c’était bien ? Il embrassait bien ? insista Camille au visage de lune.
- Hum. Non. C’était … Un pari… Enfin pas mal…Mais il me semble qu’il avait une grosse langue. Non je crois que je n’ai pas aimé.
- Ah bon ? demanda Emmanuelle. C’est triste si tu n’as même pas pris ton pied !
Elles pouffèrent. J’agitai une nouvelle fois ma chevelure, pour envoyer une mèche vers l’arrière. Elle me retomba dans l’œil et je la coinçai derrière mon oreille, sous une branche de mes lunettes. Je me sentais presque trop cool. Je pensais Si mon père me voyait, que penserait-il ?
- Et depuis ? s’inquiétait Emmanuelle, avec des gestes de danseuse, rien ? Pas un seul mec ?
- Bah… cet été je suis partie en vacances avec mon père et on faisait plein d’activités, je n’avais pas le temps et… Non rien !"
Je me tus pour empêcher ma voix de chevroter.

Consternées, elle laissèrent le silence s’installer. Puis Camille commença à rire. Un rire ténu d’abord, comme une crécelle, qui très vite enfla et emplit la pièce, roula sur les murs, résonna dans nos têtes ; il semblait que nous riions toutes ensemble. Théâtrale Camille se jeta en arrière. Elle heurta Emmanuelle qui roula avec elle sur le lit. Entre deux éclats, elle aspirait des goulées d’air, en battant des mains devant son visage, mimant la suffocation. Elsa gloussait, Emmanuelle attendait, souriante, et, rouge de confusion, je me mordais les lèvres. Enfin le vacarme décrut, Camille soupira, épuisée et elle articula :
" Emmanuelle, tu te rappelles, quand on avait parié qu’on coucherait avant nos quinze ans ?
- Oh oui ! Ben c’est bientôt raté !
Emmanuelle, se racla la gorge, gênée.
- Attends, pour toi oui, cria Camille ! Tu as quinze ans dans un mois et tu viens de larguer Damien… Mais moi je n’ai qu’à siffler Grégoire et il accourt !
- Je croyais que tu en avais marre de ses potes.
- Ben ils seront pas là quand on … "
Elles éclatèrent de rire et je réussis à produire un grognement qui pouvait passer pour une hilarité réprimée.

Quelques minutes plus tard, je demandai à Elsa :
"Je peux aller prendre un bain ?"

Illustration : Art and ghosts

lundi 10 novembre 2008

Des mots (1)

Novembre a été pendant des années un mois maudit. Le changement d’heure effectué, je commençais à ressentir l’effet d’un compte à rebours, amalgame de sensations, de souvenirs, de cauchemars qui me menait inéluctablement au vingt novembre, jour de la mort mon père, en 1989. Aujourd’hui je suis capable de dire qu’il y a eu un avant et un après sa mort. A l’époque il me semblait que ma vie s’était achevée, en même temps que la sienne, sur le coup, dans un accident de voiture.

Pourtant, l’année scolaire avait bien commencé. Je ne sais pourquoi – peut-être parce que j’étais enfin proche de lui – j’avais trouvé la force de briller. Je travaillais chaque soir tard, la plupart des cours me passionnait et j’étais vite devenue populaire parce que j’acceptais de combler les manques de mes camarades de classe s’ils me le demandaient. Un jour, j’avais dit à mon père : « Tu sais, je suis devenue très forte en mathématiques. Je crois que j’aimerais devenir médecin, comme toi, plus tard… » Il avait éclaté de rire. J’avais décidé que je le surprendrai. Je n’en ai pas eu le temps.

Ce n’est pas que j’ai été tirée de l’insouciance de l’enfance par sa disparition puisque insouciante je n’étais plus depuis longtemps. C’est que, à mesure que le chagrin, les regrets, les remords, la tentation de la folie, la colère s’infiltraient en moi, je suis devenue une autre personne que celle que j’aurais été sans cela. D’appliquée je suis devenue distraite, de résolue, hésitante ; ma réserve s’est muée en déraison, ma sagesse en hystérie ; d’économe j’ai été dispendieuse, de patiente, passionnée. Pendant les années suivantes, ma perception du temps a été complètement distordue. J’étais persuadée que certains événements précédant la mort de mon père avaient eu lieu dans ma petite enfance : je disais, par exemple, à mes amies que mon grand-père était mort, lui, quand j’avais huit ou dix ans. J’ai eu un choc quand, des années plus tard, j’ai réalisé que le père de mon père avait été enterré seulement neuf mois avant son fils.

Lorsque le téléphone a sonné au soir du vingt novembre, le décès de mon père avait été constaté depuis le matin. Les heures que j’avais passées entre dix heures trente et vingt heures trente sont des heures qui demeurent inconcevables, aujourd’hui encore. Je m’imagine tantôt comme une écervelée qui vaquait à ses occupations, ignare, bête, futile, tantôt comme une innocente au-dessus de laquelle pointait le couperet intraitable du destin. Ces heures ne semblent pas m’avoir appartenues et je les ai pourtant traversées comme les autres. Je n’ai pas été triste au moment de l’accident mais bien plus tard, alors que la nuit était tombée depuis longtemps.

La vérité c’est que, à dix heures trente, environ, le vingt novembre 1989, je rentrais du lycée. J’approchais de l’immeuble Des Rousses, où j’habitais avec ma mère et ma sœur et je pensais à mon père. Ma vie avait changé de façon spectaculaire depuis que, deux ans auparavant je lui avais écrit une longue lettre. J’avais raconté ce qu’il n’était pas et ce qui me manquait, j’avais pleuré et déversé sur travers le papier à fleurs toutes mes frustrations et tous mes manques, ma tristesse et ma rage. Une semaine plus tard mon père nous avait invitées au restaurant, sa femme et ma mère, Anna et moi, avec Ludivine, notre petite sœur. Il avait décidé de ne plus être en colère contre ma mère. Il avait fait des promesses qu’il avait tenues : nous emmener en vacances, ne pas nous tenir à l’écart de sa vie. J’avais cessé d’écrire dans mon journal que je le détestais et à la place c’est à lui que je murmurais, tendrement, que je l’aimais.

Pourquoi ai-je imaginé sa mort ce jour-là, je l’ignore… Je ne souhaitais pas qu’elle advienne mais j’ai quand même éprouvé, l’espace d’un instant et le cœur battant, la liberté de mon existence sans lui. Des images très précises de ce que je pourrais faire s’il n’était plus là du tout, ont défilé, débiles, séduisantes, minables. Je me suis grisée de la certitude que je ne serais plus moi-même et ce changement m’apparaissait bénéfique, comme si en quelques minutes j’allais devenir la jeune femme libre que je rêvais de devenir enfant, une jeune femme capable de danser, de parler, de chanter sans peurs et sans complexes. Je décris cela de façon très précise parce que c’est un souvenir que j’ai ressassé maintes fois depuis, mais à l’époque, j’ai chassé ma rêverie malsaine d’un haussement d’épaules, vaguement honteuse, sans savoir qu’elle resterait gravée en moi à jamais.

Arrivée dans notre appartement, j’ai profité de l’absence de ma mère pour allumer machinalement la télévision. Il n’y avait rien d’intéressant et je suis allée effleurer les touches de mon piano. Je ne parvenais plus à jouer depuis que je me sentais heureuse parce que j’avais pris, depuis trop longtemps, l’habitude de pleurer en répétant mes études de Mozart, Beethoven, Scarlatti. Il m’était devenu impossible de faire du piano sans sentir les larmes rouler sur mes joues. Je me suis donc attablée à mon petit bureau et j’ai commencé la dissertation que je devais rendre le lendemain.

A vingt heures trente, lorsque mon oncle a appelé, j’étais de nouveau au travail après mon après-midi de cours. Quels mots venais-je de tracer ? De quoi parlait ce devoir ? Tout cela je l’ai oublié…

Illustration : Art and ghosts

vendredi 7 novembre 2008

Mystère

Je l'imagine cachée dans un recoin de leur appartement, recroquevillée, l'œil aux aguets ; sans doute, elle profite de ce que son mari est sorti fumer une cigarette pour me téléphoner. Son accent délicat rend sa diction un peu molle, ses atermoiements m'embarrassent, j'ai du mal à concevoir qu'elle ne soit pas un peu responsable de la situation : Je ne peux pas aller plus d'un week-end par mois à Paris, me dit Eugenia. Or, nous avons deux concerts à organiser ensemble.

Alors que je fais le compte, à haute voix, des répétitions nécessaires, que je lui demande de me répéter ses disponibilités, elle m'interrompt : je dois raccrocher, il arrive. Je referme mon agenda, pensive, hésite à lui envoyer un mail, craint que son époux ne le lise et s'en serve pour lui reprocher je ne sais quoi. A la place, j'envoie un message à Melisande, l'amie chanteuse qui me l'a recommandée : Je t'avais dit que j'en voulais une normale !

Au conservatoire, à Lyon, j'ai eu Cadmus, qui ne s'animait que pour donner des indications de tempo, de nuances mais qui, le reste du temps, muet, les lèvres closes sous une longue moustache noire, s'en tenait à des grognements mystérieux. Il m'est arrivé d'attendre avec lui à l'entrée d'une salle la fin du cours de violon. Le regard fixé sur une affiche quelconque, il était incapable de soutenir une conversation. Après trois ans, nous nous connaissions bien : il parvenait, parfois, à articuler Bonjourcommentçava ? lorsque nous nous retrouvions après quoi, il redevenait contemplatif et silencieux.

Quelques années plus tard, Magda, maigre, blonde, au visage glacial de James Bond Girl slave quittait la salle sur ses talons rouges lorsque, selon elle, l'élève avait insuffisamment travaillé. En revanche, satisfaite de l'effort fourni, elle blaguait avec le professeur de chant durant la moitié du cours. Elle détestait son métier d'accompagnatrice et préférait la vodka glacée. Les soirs de concerts, elle portait des robes sublimes qui éclipsaient les chanteuses. Son visage pâle émergeait de soies froissées aux teintes rares. Sa bouche fardée se pinçait. Ses yeux s'étiraient sur ses tempes comme ceux d'un félin. Pour le cocktail qui suivait les saluts elle prenait soin de se changer, revêtait ses habits de ville ; Finlandaise, elle buvait plus que tous les hommes réunis. Elle finissait par s'endormir sur un canapé mais, assoupie, elle ne desserrait toujours pas les mâchoires.

Une fois j'ai été invitée à répéter chez elle. C'était un honneur, une sorte de reconnaissance tacite. Avant de fermer le couvercle du piano, elle ajustait sur les touches un beau tissu de velours noir. Et tes enfants, lui ai-je demandé, ils font de la musique ? Non, m'a-t-elle répondu, ils n'ont pas le droit de toucher le piano, ils s'y prennent trop mal et je ne le supporte pas. Serrée dans son tailleur satinée, elle paraissait sur le point de perdre l'équilibre.

Pour accompagner mes élèves sur Paris, les jours de concert, j'ai recruté par petites annonces. J'ai rencontré Nathalie qui semblait un peu timide et s'habillait avec des minijupes des années quatre-vingt sans s'épiler les jambes. Elle avait un jeu très fin, beaucoup de vélocité, une interprétation très souple. Pour finir de payer ses études, elle occupait un emploi de femme de chambre dans un hôtel.

Engagée par
une célèbre famille pour chanter lors d'un mariage, je l'ai emmenée avec moi à Saint Tropez. Nous avions choisi ensemble la tenue la plus sobre parmi celles qu'elle m'avait présentées. Mais à l'hôtel, Nathalie a sorti fièrement de sa valise, une robe pailletée, trouvée aux puces la veille ; bien sûr elle voulait la porter sans collants, elle ne supportait pas les collants. Un peu plus tard, effarée par le luxe de nos hôtes, le piano à queue au bord de la piscine, la morgue de la mariée, les chapeaux des invités à l'église, très déprimée, méconnaissable, elle s'est enfermée dans sa chambre et n'a pas reparu de l'après-midi. Je me demandais s'il fallait appeler les pompiers lorsqu'il s'est mis à pleuvoir : le concert de cocktail a dû être annulé, le piano, noyé sous la pluie a dû être remboursé et j'ai dansé jusqu'à l'aube tandis que Nathalie laissait sa robe remonter sur ses cuisses grasses, assise à notre table, avec les autres domestiques.

Il y a eu encore Coelia, aux cheveux envahis de pellicules. Je la trouvais bizarre mais je m'en voulais de penser cela. Le contact de sa peau, râpeuse, pelée, me révulsait et je prenais l'air affairé en ouvrant la porte de mon appartement afin de me soustraire à son embrassade. Coelia ne jouait pas très bien, ses doigts heurtaient les touches d'une manière saccadée, mais je manquais de confiance en moi et je voulais me confronter, de nouveau, sans stress, à l'exercice du récital. Un jour, alors que Coelia déchiffrait une partition en trois deux, elle a perdu ses moyens. Frottant ses mains l'une contre l'autre, elle s'est mise à se balancer, d'avant en arrière. Un curieux gémissement glissait d'entre ses lèvres comme de la bile. Je ne l'ai plus jamais rappelée...

Giovanni, organiste, est venu à Gordes avec une mezzo-soprano de mes amies. Nous devions chanter, à l'église, des duos pour un mariage. Obsédé, Giovanni ne parlait que du nombre supposé de filles qu'il pourrait séduire pendant le week-end. Au milieu d'une phrase de Mozart, en pleine répétition, il nous interrompait pour connaître nos goûts en matière de dessous masculins, exhiber ses biceps, vanter ses prouesses sexuelles. Dès qu'une femme s'avançait en contre-jour dans l'entrée de l'église, il chuchotait "Celle-là, je sens que je vais me la faire avant ce soir..."
Il nous avait averties qu'il ne supportait pas l'alcool. Inconscientes nous l'avons regardé siroter du champagne après la cérémonie. Une heure plus tard, nous étions exclus de la fête parce que, dépité par l'indifférence d'une invitée qu'il trouvait à son goût, il avait commencé à insulter tout le monde. Avant que nous ne franchissions le portail il avait eu le temps de traiter la mariée de cruche, son époux de minable, les parents - nos employeurs - de radins.

Mélisande me rappelle juste après avoir reçu mon message : "Attends, elle n'est pas folle, Eugenia, je te le promets. C'est juste que son mari est très jaloux... Elle est ukrainienne et ça fait huit ans qu'elle est en France et seulement un an qu'il lui permet, à nouveau, de faire des concerts. Mais il ne faut pas qu'elle quitte le domicile conjugal trop souvent ni trop longtemps. Et il ne faut pas qu'elle joue avec des hommes, sauf s'ils sont homos (moi je lui ai dit que tous mes élèves l'étaient, ça ne l'a pas empêchée d'être rouge comme une tomate pendant la durée du cours). C'est un peu compliqué pourtant ça vaut le coup : c'est une des meilleures pianistes que j'ai jamais entendue et elle a envie de travailler. Par contre, fais gaffe, je l'ai laissé une journée accompagner mes élèves et elle en a fait pleurer trois."

Je crois que les pianistes sont maudits...

Illustration : The black apple

mercredi 5 novembre 2008

Spermy et les filles

Au plafond, Spermy, avec son style décapant, son impertinence jubilatoire, va parler des blogs et des filles...

Ce sera à 11 heures.

J'ai hâte de lire vos commentaires !

Photo : Spermito

lundi 3 novembre 2008

Le plafond

Pendant que je prends quelques jours de vacances, Nefisa travaille. Aujourd'hui, elle a arrangé la déco sur mon deuxième blog, Le plafond, et elle a transféré dessus tous les articles de la catégorie "Blogs et..." avec leurs commentaires.

Je ne savais même pas que c'était possible !

Ainsi, Boby, Clarinesse, Didier, Nicolas, Gaël, Eric, Marie-Georges, Nefisa vous êtes ici et là-bas maintenant...

Bientôt, je l'espère, Dorham, Balmeyer, Marc, Olympe vous rejoindrons pour parler de blogs...


(Et pendant ce temps je fais tous les liens à la main, moi !)

samedi 1 novembre 2008

La littérature chez Wikio

Hier j'ai reçu une bombe dans ma boîte mail. "Voici, m'écrivait Paul de Wikio, le classement des 20 premiers au classement littéraire... Voulez-vous le publier sur votre blog ?"
J'ai pensé "Euh, non !". Puis j'ai lu mes autres mails, répondu à mes commentaires, suivi un lien et j'ai ouvert la pièce jointe au mail de Paul.

Alors, j'ai découvert l'incroyable : Pierre Assouline passait à la deuxième place détrôné par l'efficace et prolifique Clarabel que je lis depuis quelques temps et que j'apprécie beaucoup. En troisième position, juste derrière Assouline, il y avait mon blog, inséparable de celui de mon époux... J'ai beau, d'habitude, ne guère me soucier de ma place au classement, j'ai été incroyablement émue d'apprendre ça...

Demain soir, ma mère arrive pour une visite de quelques jours et je vais lui annoncer la nouvelle. "C'est bien, va-t-elle me dire, circonspecte. Et à part ton blog, tu travailles à quelque chose en ce moment, des nouvelles, un roman ? Et ta nouvelle chez Filaplomb, tu en as vendu beaucoup ?
- Euh, c'est à dire..."
Edit du 3 novembre : le classement vient de paraître sur Wikio et Assouline finalement conserve sa première place tandis que Clarabel est maintenue en deuxième position. Paul de Wikio, contacté par mail m'explique qu'Assouline aurait récupéré un lien le 31 après qu'il m'ait envoyé l'arrêté du classement...

Pour Balmeyer et moi, rien de changé ! Ouf !

Illustration : The black apple

vendredi 31 octobre 2008

Tic-tac

Pendant des jours, j'ai erré dans le brouillard. Ma paupière, pourtant, ne sautait plus, j'avais refermé le livre de Nancy Huston et je courais d'un endroit à l'autre pour dispenser des cours dans l'une ou l'autre des écoles où je travaille. Je croisais des gens et je ne ressentais rien qu'un étonnement distrait. Une vague nausée parfois. Je répétais certaines pensées en boucle avec l'espoir hésitant de me raccrocher à quelques branches.

Ainsi, j'ai enregistré ce visage noir, croisé dans la nuit, que des lunettes de soleil rendaient presque invisible. J'ai gravé un père penché amoureusement au-dessus du landau de sa fille. Une fille, empaquetée serrée dans sa minijupe avait une démarche de robot. Amandine est née le 16 octobre et elle est magnifique. Dans le métro, un homme, heureux, appelait tout son répertoire afin d'annoncer qu'il allait l'après-midi même à la préfecture, chercher sa carte d'identité française ; il a fini par manquer son arrêt.

Quand la douleur me laissait tranquille je touchais la vie du bout des doigts. Je rechignais à m'engager. Les épaules légèrement haussées, la nuque raide, prête à parer son retour en traître, je parlais à voix basse, allongée des heures à jouer aux petites voitures avec mon fils. Le soir, je tirais les rideaux, refusant de regarder comme d'habitude, les silhouettes hagardes dans la rue, les ombres chinoises des habitants d'en face, l'écran de mon ordinateur.

Il ne m'a pas été facile de choisir que lire avant de m'endormir. Les vingt premières pages de René Girard m'ont tellement enthousiasmée que j'ai passé une partie de l'heure suivante allongée dans ma salle de cours, les pieds sur un ampli, à regarder les murs valdinguer près de mon visage. La migraine se disputait mes tempes, grignotait mes orbites, mâchait mon front. Enfin, je me suis relevée et, effondrée sur le piano, parée d'un masque impassible, j'ai joué une vocalise pour Cinna.

Sol fa mi ré do sol do, les notes ont tinté faiblement dans mon crâne hurlant. Cinna a planté sa voix entre mes yeux. Sa langue a parcouru mon échine. Ses dents claquaient, ses gestes, sous le néon, grinçaient. Les paupières soulevées jusqu'aux cheveux, je la regardais et je marmonnais des choses au hasard, incapable de savoir ce qu'il fallait dire, incapable de distinguer la musique au milieu de la cacophonie. L'aiguille de l'horloge en plastique vrillait, de ses tics-tacs, le peu de conscience qu'il me restait.

Alors, j'ai choisi, sur ma table de chevet, le plus petit roman qui s'y cachait. Dissimulé par une pile de Dostoïevski, des essais de Nancy Huston qu'à la suite du Journal de la Création, j'avais envie de relire, il y avait La soif d'Andrei Guelassimov acheté sur une impulsion. Il m'a suffit de quelques lignes pour savoir que c'est ce roman et aucun autre qu'il me fallait.

C'est l'histoire d'un homme à qui il manque une partie du visage. Imbibé de vodka, il évolue dans un monde qu'il regarde comme s'il le découvrait...

Illustration : TummyMountain

En fait...

Je ne pensais pas devoir m'arrêter si tôt, mais je crois que par la force des choses ce blog sera en pause jusqu'à nouvel ordre...

(Si ça se trouve je serai de retour ce soir ou demain !)

mercredi 29 octobre 2008

Blogs et mafia

Aujourd'hui l'araignée est au plafond avec Eric Mainville... A mon avis, il y aura débat. En tous cas je vous souhaite une bonne lecture !

vendredi 24 octobre 2008

Journal de la création, page 105

Depuis une semaine, ma paupière gauche aime dribbler avec mon orbite. Je suis en cours, je parle à un élève, et soudain elle rebondit éperdument ; obligée d'arrêter ce que je faisais, je pose les doigts sur mon œil, j'appuie à peine. Dans le meilleur des cas, elle cesse alors de vibrer jusqu'à la prochaine fois. Mais parfois, la gêne devient douleur. J'ai la nausée, ma vision se trouble, parcourue d'éclairs, et la migraine envahit tout, lancinante, insupportable.

Bien sûr, comme cela dure depuis plusieurs jours, je m'inquiète. A la pharmacie, hier, on m'a demandé si j'étais fatiguée. J'ai pensé à la course des dernières semaines et j'ai soupiré : "Oui, je crois. Un peu." Elle s'est montrée rassurante : "ce doit être dû à un manque de vitamines et surtout de magnésium". Je suis repartie avec des boîtes remplies de gélules que j'avale religieusement, aux heures dites.

Dès que j'ai une minute, je m'interroge sur ma vie, je réfléchis à ce que je mange, à ce qui a changé depuis la rentrée pour que mon corps décide de m'envoyer de tels signaux d'alarme, à ce qu'il faudrait modifier pour me sentir mieux. Je travaille dans une salle, en sous sol, mal aérée, c'est peut-être ça. Je téléphone peut-être trop, d'ailleurs j'ai mal, souvent, du côté où j'appuie l'appareil. Tous les soirs je suis devant l'ordinateur, parfois dans la journée aussi, je lis, j'écris, je dialogue par chat. J'ai l'impression, par moment, que mon cerveau est en ébullition : je dresse des listes, trace des plans, les idées d'écriture s'accumulent, je compte chaque seconde, je cours après le temps, je réclame de la liberté, je rêve de solitude et de silence.

Pour le métro, j'élabore de véritables programmes : envoyer un message à tel élève pour déplacer son cours ; étudier un recueil de lieder pour trouver un morceau que tel autre puisse chanter ; réfléchir au programme du concert que je dois donner fin novembre ; noter l'idée de billet que j'ai eu ce matin, au réveil ; lire. Petit à petit les pages du Journal de la création défilent. Descendue du wagon je grappille quelques pages, encore, sur le quai. On me bouscule, j'avance lentement, à l'aveugle vers les portes de verres de la sortie. Stupéfaite, je lis ces lignes :

"Le 14 mars 1986
Comment garder la vie une fois revenue à la santé ? Voilà la question paradoxale. Comment ne pas vouloir rester malade à tout jamais, pour qu'on (=je) n'attende rien de moi ? Chaque jour un peu plus, il me semble que cette maladie
éclaircit les choses, qu'elle est plus claire et clarifiante que la santé. Dans mon état "normal", je marche souvent dans l'ombre de la vallée de la Mort ; depuis que je suis malade, tous les nuages de doutes et de destruction se sont dissipés et je suis dans la vie, dans tout ce que la vie a de bon et de généreux et d'évident."

Un peu plus loin dans le livre, Nancy Huston cite un passage d'une lettre de Elisabeth Barrett à Robert Browning :

"Le 11 aout 1845
J'avais autrefois un médecin qui croyait avoir tout fait, simplement parce qu'il avait fait sortir l'encrier de la chambre. "Voilà, dit-il, demain votre pouls sera de tant." Il considérait, gravement, que la poésie était une sorte de maladie - une sorte de champignon au cerveau - et que pour les femmes c'était une maladie mortelle, incompatible avec la bonne santé, même dans les meilleures circonstances [...]. Comme ces médecins confondent physique et métaphysique !"

jeudi 23 octobre 2008

Envie d'espace

Le nombre d'invités sur mon blog - et mon envie d'en convier de nouveaux- m'ont donné envie d'espace.

Puis, ayant donné mon lien à quelques nouvelles connaissances, j'ai parcouru mes dernières pages et j'ai trouvé que ce n'était pas clair...

On ne distingue pas bien ce qui est de moi ou pas. Didier Goux parlait, même dans les commentaires du billet de Nefisa, de me bouter hors de mon blog, ce qui en dit long.

Donc, j'ai l'honneur de vous annoncer la création d'une annexe : Le plafond. C'est là que je vais coller vos créations.

[Un grand merci à mon amie Nefisa (encore elle !) qui a fait la décoration. Nef au lieu de supporter la yaya en Grèce, viens à Paris et deviens informaticienne. Tu es douée !]

Illustration : Wilmer Murillo

mercredi 22 octobre 2008

Blog et Vie Privée

[Contribution de Nefisa]


Il y a quelques temps déjà, Zoridae m'adressait un mail commençant par ces mots:

"Bonjour ordure,"

Cela montre qu'elle me connaît suffisamment pour savoir que je suis très à cheval sur l'utilisation d'une formule de politesse en début et en fin de correspondance.

D'ailleurs, avec la constance qui la caractérise, elle concluait le mail par :

"Bonsoir prout."

Preuve s'il en est qu'elle ne discerne pas si bien que ça les multiples facettes de ma personnalité. Je ne pète pas moi. Madame.

Le contenu de sa missive m'apprenait qu'à la suite du tri de milliers de candidatures et de longues délibérations, je faisais partie des heureux finalistes du grand concours : "Ecrivez sur le blog de Zoridae à sa place."
Je ne vous cache pas que je trouve ceci d'une flemmardise aberrante, mais comme c'est une copine, je n'ai pas refusé. J'aurais pu, quand on voit qu'en plus elle impose le sujet.

Blog et Vie Privée.

Me v'la bien lottie. J'aurais aimé avoir blog et immigration, blog et tronçonneuse (elle m'a aussi imposé ce mot là), ben non. Blog et vie privée! dans les dents.

Bon gré, mal gré je m'y suis collée.

Paraît que lorsqu'on écrit un texte argumentatif de ce genre on commence par une accroche, ça c'est fait, vient ensuite une présentation du sujet, ça aussi c'est bâclé, et enfin on définit les termes du sujet et on restreint à une problématique. Tiens, ça me rappelle la glose que je me farcissais en droit.

Un blog : ça ne se mange pas. C'est un enchevêtrement de pixels sur votre écran d'ordinateur, ça raconte des trucs avec des lettres, des images, du son. C'est issu des cerveaux d'un aréopage de représentants de l'espèce humaine et animale.

-- Aparté --

A propos de cette dernière phrase, d'aucuns s'étonneront, peu d'animaux en effet maîtrisent l'utilisation de l'Internet. Cependant, je n'exclue pas que certains chiens bloguent pour leur maîtres, ça expliquerait beaucoup de choses, comme les skyblogs par exemple, où des chiens battus se foutraient ouvertement de la gueule de leur maîtres en créant des blogs affligeants à leur noms. Et des koalas bloguent aussi, sinon comment justifier cette recrudescence de photos de marsupiaux mignons sur le net, c'est une conspiration koalesque ). Bon, on s'en fout en fait.

-- Fin de l'aparté --

Passons à vie privée. C'est tout ce qui n'est pas public. En fait, réfléchissons un peu : C'est tout ce que vous ne souhaitez pas voir rendu public. Conséquemment, dès l'instant où vous divulguez volontairement des informations sur vous (l'heure à laquelle vous allez au toilettes, votre dernière visite chez le vétérinaire, une photo de votre cellulite ) ces informations font partie de votre vie publique.
Je ne traiterais donc pas de la manière de gérer l'étalage de sa vie privée sur un blog, puisque je viens de démontrer que ça n'était pas le cas. (en fait il y a beaucoup à dire sur l'étalage de sa vie tout court sur le net et comment le gérer, mais ce n'est pas le sujet, vous pouvez aller lire là, ça couvre le sujet )
Il reste dans la problématique Blog et vie privée, la vie privée de ceux qui vous entourent. Par exemple si la Yaya apprenait le français et venait lire mon blog, je suis sûre qu'elle serait loin d'être ravie, elle me foutrait dehors à coup de balai et j'en serais réduite à dormir dans le poulailler et à tuer les chats pour me faire une couverture de leur fourrure. Et si un jour le fils de Zoridae lit le blog de son père, il risque de ne plus jamais oser sortir de peur de se faire lapider. Là encore il y aurait beaucoup à dire mais ça ne m'intéresse absolument pas de développer.

-- Aparté --

On comprendra maintenant aisément pourquoi je n'ai pas fait de longues études, vous me voyez sortir à mon directeur de thèse : Oui, bon, là sur l'évolution du marché des yaks au Turkménistan et son influence sur la courbe des prix du pétrole en Thaïlande, il y avait beaucoup à dire, mais j'ai eu la flemme alors j'ai mis une photo de koala à la place, c'est mignon." Non, sérieusement, ça ne se fait pas.

-- Fin de l' aparté --

Bon ce qui fait que je me retrouve avec rien. Je viens de vider de son sens la problématique blog et vie privée.
Peut être qu'en la retournant j'en extrairais une petite goutte. A tiens oui, ça fait vie privée et blog. Voilà qui nous fait voir les choses sous un autre angle.
Un carnetiste (ça vient d'entrer dans le dictionnaire, autant l'utiliser au moins une fois) a une vie à côté du blog, à moins d'être un nerd fini - pardon, un geek, parlons français. - qui passe sa vie devant son ordinateur à bouffer des chips et regarde des épisodes de Buffy et Xéna entre deux billets sur le dernier navigateur à la mode.
Le carnetiste a un partenaire, des parents, des gniards, un boulot, des loisirs et des rendez-vous chez l'oculiste. Oui ! au moins tout ça. D'ailleurs c'est une parade de blogowar, ça revient tout le temps, dès qu'on est à court d'argument : "j'ai une vie moi, je ne pense pas qu'au blog, vous êtes tous des décérébrés, je suis la meilleure ! point barre ! " (oui c'est un argument de filles surtout) .

Or blogger prends du temps, au moins si on engage pas des nègres comme le fait Zoridae, ou même Jegoun que je soupçonne de payer ses compagnons de débauche pour pondre des billets à sa place, c'est pas possible un tel débit.
Il faut avoir une idée de billet, trouver le ton, développer le contenu, trouver les vannes ou le mot juste qui fera continuer le lecteur (je parle de bloggeurs qui savent faire des phrases, pas de skybloggeurs entendons nous bien), il faut prendre soin de ses listes de liens, de la déco du blog, poser des commentaires chez les voisins, répondre aux siens, bloguer, (tiens, ils n'ont pas mis carnetiser dans le dictionnaire, que faut-il dire ? ) surveiller les statistiques et les classements pour savoir si on est célèbre et z'influent (quand on veut l'être, c'est pas obligé non plus, mais ça ajoute un peu de piment).
Bref, une activité chronophage comme on les aime. Or tout le monde ne tartine pas sa page au boulot, je vous assure ! On peut donc s'interroger sur la répartition du temps d 'ordinateur chez les couples. Et les petits désagréments inhérents à la tenue d'un blog :

"Chéri, j'ai envie de toi, maintenant, tout de suite sur la machine à laver !"
" Pas maintenant poulette, j'écris un super billet sur comment j'ai marché dans une crotte ce matin."
"Bon, Chéri, je te quitte."
" Oui, oui, attends, je réponds à un commentaire de bisounours43."

En plus du temps effectif passé à bloguer. Il y a le temps passé à en parler qui peut avoir des conséquences désastreuses sur la vie privée.

"Comment ça va aujourd'hui"
"Ben t'as pas lu mon blog?"
" Ton quoi ?"
"Mon blog, tu lis pas mon blog ? je te retire de mes contacts msn, @+"
"Je suis en face de toi, blaireau "

ou

" Ah tiens hier sur mon blog j'ai eu un troll, j'ai trouvé son IP, mais il en a changé avec Tor, j'ai envoyé un mail à mon hébergeur mais ils ne peuvent rien faire. "
"..."
"Je vais sûrement changer de plateforme et d'URL mais je n'arrive pas trouver comment exporter mes archives en FTP. "
" Bon , euh c'était sympa de te revoir, mais je crois que j'ai laissé mon hamster dans le micro ondes, à la prochaine"


Oui forcément, vous êtes dans votre petit monde, de quoi vite passer pour un taré nombriliste accroc au virtuel (demandez à ma sœur ) .

En plus de ces cafouillages sociaux, il y a le temps passé à penser à ce que vous allez écrire, et cette nouvelle vision du monde.

-- Aparté --

Pourquoi elle nous parle de pensée ? on s 'en fous, nous parlons de vie privée. Il se trouve qu'en ce qui me concerne, ce que je pense, mes opinions diverses et mes questionnements profonds, c'est ce que je définis comme ma vie privée, justement les choses que je ne mettrais pas facilement sur mon blog.

-- Fin de l'aparté --

"Oh un chat, je pourrais raconter sur mon blog qu'aujourd'hui j'ai vu un chat et oh tiens, la voisine et si je racontais que j'ai vu la voisine et oh la voisine tape le chat je pourrais dire que la voisine est une...oh un type aveugle je vais pouvoir sortir ma blague sur l'aveugle qui rentre dans un...."

Bref... tout de suite votre vision de la vie et la gestion de vos actions prennent un tour différent. On peut voir le côté positif de la chose : Si vous ne le faisiez pas avant, vous allez visiter des expos, aller au cinéma et voir des concerts pour ne pas passer pour un bulot devant votre lectorat. Désormais si vous voyez un type qui se noie, vous plongerez à son secours en pensant à comment vous allez tourner ça sur votre blog ce soir en soignant votre pneumonie. Sans blog, vous l'auriez regardé se noyer et au mieux vous auriez témoigné pour le journaliste stagiaire du canard local : "C'était horrible, il y avait de l'eau partout" rapporte Monsieur Nicolas J, 42 ans, témoin du drame.

J'avais lu il y a quelques années de ça, lors de la grande vague d'ouverture de blogs, qu'une telle activité modifiait le mode de fonctionnement du cerveau, comme si une case "blog" s'y inscrivait au détriment d'autres fonctions (il y a des gens qui ont payé pour faire une étude sur le cerveau des bloggeurs. rien que pour ça j'en étais restée sur le cul).
Traduction : bloguer vous fait penser différemment.
Re-traduction : maintenant pendant vos périodes de vacuité spirituelle, genre sur le trône au petit matin, dans le bus ou pendant une réunion chiante, vous ne pensez plus à ce qu'il va bien pouvoir se passer dans le prochain épisode de Sous le soleil, mais plutôt à ce que vous allez bien pouvoir raconter, et vous voilà à pondérer sur le sens de votre vie et ce que vous avez bien pu retirer de votre journée. C'est dire à quel point c'est dramatique, vous auriez pu gloser à l'infini sur la prise de poids de la présentatrice du journal TV à la place.

Que dire ? Vous vivez blog, parlez blog, mangez blog ? Avez vous besoin d'être enfermé ? Est-ce que comme l'alcoolisme ou la zoophilie votre obsession a des conséquences irréversibles sur votre vie privée ? C'était là le sujet, au cas où vous n'auriez pas encore pigé, mais je sais que tous les lecteurs de Zoridae sont beaux et intelligents, (me tapez pas dans les commentaires, je viens de vous faire des compliments, tudieu ! ) Bien sûr il faut savoir tenir votre langue en société, a moins qu'elle ne soit constituée que de blogueurs, votre tablée de restaurant se fout de vos statistiques comme de leur première cuite. En général, vos parents sont très fiers de votre blog et vos enfants s'en contrefichent, pendant que vous bloguez ils jouent sur la playstation au lieu de faire leur devoirs.

On fait quoi en conclusion déjà ? ah oui résumé, machinchose, ouverture. Et que personne ne me fasse remarquer que j'ai zappé le corps de la dissertation ou je mords.
Bloguer influe sur votre vie privée. Pourquoi ? parce que c'est une activité (ce qui veut dire que vous êtes actif pas passif et que vos petits neurones s'agitent lorsque vous bloguez). A tout prendre, je préfère passer trois heures devant mon ordi à déconner sur mon blog et ceux des autres, finir par rencontrer d'autres blogueurs, manger des épinards avec eux et enrichir ma vie de connaissances, de belles collaborations et des moments de pure marrade que de passer trois heures à faire de la cellulite sur mon canapé en matant le 20 heures de TF1 et Plus belle la vie.

Pour ceux qui ont sauté tout depuis le premier paragraphe je vais résumer en une phrase. Le blog n'est pas qu'une fenêtre ouverte sur votre jardin secret, c'est aussi une activité influent sur votre comportement général et votre manière de vivre et d'intéragir avec votre entourage. Pas forcément de manière négative d'ailleurs.

J'ai fait hors sujet. 2/20
Mes hommages.