vendredi 31 octobre 2008

Tic-tac

Pendant des jours, j'ai erré dans le brouillard. Ma paupière, pourtant, ne sautait plus, j'avais refermé le livre de Nancy Huston et je courais d'un endroit à l'autre pour dispenser des cours dans l'une ou l'autre des écoles où je travaille. Je croisais des gens et je ne ressentais rien qu'un étonnement distrait. Une vague nausée parfois. Je répétais certaines pensées en boucle avec l'espoir hésitant de me raccrocher à quelques branches.

Ainsi, j'ai enregistré ce visage noir, croisé dans la nuit, que des lunettes de soleil rendaient presque invisible. J'ai gravé un père penché amoureusement au-dessus du landau de sa fille. Une fille, empaquetée serrée dans sa minijupe avait une démarche de robot. Amandine est née le 16 octobre et elle est magnifique. Dans le métro, un homme, heureux, appelait tout son répertoire afin d'annoncer qu'il allait l'après-midi même à la préfecture, chercher sa carte d'identité française ; il a fini par manquer son arrêt.

Quand la douleur me laissait tranquille je touchais la vie du bout des doigts. Je rechignais à m'engager. Les épaules légèrement haussées, la nuque raide, prête à parer son retour en traître, je parlais à voix basse, allongée des heures à jouer aux petites voitures avec mon fils. Le soir, je tirais les rideaux, refusant de regarder comme d'habitude, les silhouettes hagardes dans la rue, les ombres chinoises des habitants d'en face, l'écran de mon ordinateur.

Il ne m'a pas été facile de choisir que lire avant de m'endormir. Les vingt premières pages de René Girard m'ont tellement enthousiasmée que j'ai passé une partie de l'heure suivante allongée dans ma salle de cours, les pieds sur un ampli, à regarder les murs valdinguer près de mon visage. La migraine se disputait mes tempes, grignotait mes orbites, mâchait mon front. Enfin, je me suis relevée et, effondrée sur le piano, parée d'un masque impassible, j'ai joué une vocalise pour Cinna.

Sol fa mi ré do sol do, les notes ont tinté faiblement dans mon crâne hurlant. Cinna a planté sa voix entre mes yeux. Sa langue a parcouru mon échine. Ses dents claquaient, ses gestes, sous le néon, grinçaient. Les paupières soulevées jusqu'aux cheveux, je la regardais et je marmonnais des choses au hasard, incapable de savoir ce qu'il fallait dire, incapable de distinguer la musique au milieu de la cacophonie. L'aiguille de l'horloge en plastique vrillait, de ses tics-tacs, le peu de conscience qu'il me restait.

Alors, j'ai choisi, sur ma table de chevet, le plus petit roman qui s'y cachait. Dissimulé par une pile de Dostoïevski, des essais de Nancy Huston qu'à la suite du Journal de la Création, j'avais envie de relire, il y avait La soif d'Andrei Guelassimov acheté sur une impulsion. Il m'a suffit de quelques lignes pour savoir que c'est ce roman et aucun autre qu'il me fallait.

C'est l'histoire d'un homme à qui il manque une partie du visage. Imbibé de vodka, il évolue dans un monde qu'il regarde comme s'il le découvrait...

Illustration : TummyMountain

En fait...

Je ne pensais pas devoir m'arrêter si tôt, mais je crois que par la force des choses ce blog sera en pause jusqu'à nouvel ordre...

(Si ça se trouve je serai de retour ce soir ou demain !)

mercredi 29 octobre 2008

Blogs et mafia

Aujourd'hui l'araignée est au plafond avec Eric Mainville... A mon avis, il y aura débat. En tous cas je vous souhaite une bonne lecture !

vendredi 24 octobre 2008

Journal de la création, page 105

Depuis une semaine, ma paupière gauche aime dribbler avec mon orbite. Je suis en cours, je parle à un élève, et soudain elle rebondit éperdument ; obligée d'arrêter ce que je faisais, je pose les doigts sur mon œil, j'appuie à peine. Dans le meilleur des cas, elle cesse alors de vibrer jusqu'à la prochaine fois. Mais parfois, la gêne devient douleur. J'ai la nausée, ma vision se trouble, parcourue d'éclairs, et la migraine envahit tout, lancinante, insupportable.

Bien sûr, comme cela dure depuis plusieurs jours, je m'inquiète. A la pharmacie, hier, on m'a demandé si j'étais fatiguée. J'ai pensé à la course des dernières semaines et j'ai soupiré : "Oui, je crois. Un peu." Elle s'est montrée rassurante : "ce doit être dû à un manque de vitamines et surtout de magnésium". Je suis repartie avec des boîtes remplies de gélules que j'avale religieusement, aux heures dites.

Dès que j'ai une minute, je m'interroge sur ma vie, je réfléchis à ce que je mange, à ce qui a changé depuis la rentrée pour que mon corps décide de m'envoyer de tels signaux d'alarme, à ce qu'il faudrait modifier pour me sentir mieux. Je travaille dans une salle, en sous sol, mal aérée, c'est peut-être ça. Je téléphone peut-être trop, d'ailleurs j'ai mal, souvent, du côté où j'appuie l'appareil. Tous les soirs je suis devant l'ordinateur, parfois dans la journée aussi, je lis, j'écris, je dialogue par chat. J'ai l'impression, par moment, que mon cerveau est en ébullition : je dresse des listes, trace des plans, les idées d'écriture s'accumulent, je compte chaque seconde, je cours après le temps, je réclame de la liberté, je rêve de solitude et de silence.

Pour le métro, j'élabore de véritables programmes : envoyer un message à tel élève pour déplacer son cours ; étudier un recueil de lieder pour trouver un morceau que tel autre puisse chanter ; réfléchir au programme du concert que je dois donner fin novembre ; noter l'idée de billet que j'ai eu ce matin, au réveil ; lire. Petit à petit les pages du Journal de la création défilent. Descendue du wagon je grappille quelques pages, encore, sur le quai. On me bouscule, j'avance lentement, à l'aveugle vers les portes de verres de la sortie. Stupéfaite, je lis ces lignes :

"Le 14 mars 1986
Comment garder la vie une fois revenue à la santé ? Voilà la question paradoxale. Comment ne pas vouloir rester malade à tout jamais, pour qu'on (=je) n'attende rien de moi ? Chaque jour un peu plus, il me semble que cette maladie
éclaircit les choses, qu'elle est plus claire et clarifiante que la santé. Dans mon état "normal", je marche souvent dans l'ombre de la vallée de la Mort ; depuis que je suis malade, tous les nuages de doutes et de destruction se sont dissipés et je suis dans la vie, dans tout ce que la vie a de bon et de généreux et d'évident."

Un peu plus loin dans le livre, Nancy Huston cite un passage d'une lettre de Elisabeth Barrett à Robert Browning :

"Le 11 aout 1845
J'avais autrefois un médecin qui croyait avoir tout fait, simplement parce qu'il avait fait sortir l'encrier de la chambre. "Voilà, dit-il, demain votre pouls sera de tant." Il considérait, gravement, que la poésie était une sorte de maladie - une sorte de champignon au cerveau - et que pour les femmes c'était une maladie mortelle, incompatible avec la bonne santé, même dans les meilleures circonstances [...]. Comme ces médecins confondent physique et métaphysique !"

jeudi 23 octobre 2008

Envie d'espace

Le nombre d'invités sur mon blog - et mon envie d'en convier de nouveaux- m'ont donné envie d'espace.

Puis, ayant donné mon lien à quelques nouvelles connaissances, j'ai parcouru mes dernières pages et j'ai trouvé que ce n'était pas clair...

On ne distingue pas bien ce qui est de moi ou pas. Didier Goux parlait, même dans les commentaires du billet de Nefisa, de me bouter hors de mon blog, ce qui en dit long.

Donc, j'ai l'honneur de vous annoncer la création d'une annexe : Le plafond. C'est là que je vais coller vos créations.

[Un grand merci à mon amie Nefisa (encore elle !) qui a fait la décoration. Nef au lieu de supporter la yaya en Grèce, viens à Paris et deviens informaticienne. Tu es douée !]

Illustration : Wilmer Murillo

mercredi 22 octobre 2008

Blog et Vie Privée

[Contribution de Nefisa]


Il y a quelques temps déjà, Zoridae m'adressait un mail commençant par ces mots:

"Bonjour ordure,"

Cela montre qu'elle me connaît suffisamment pour savoir que je suis très à cheval sur l'utilisation d'une formule de politesse en début et en fin de correspondance.

D'ailleurs, avec la constance qui la caractérise, elle concluait le mail par :

"Bonsoir prout."

Preuve s'il en est qu'elle ne discerne pas si bien que ça les multiples facettes de ma personnalité. Je ne pète pas moi. Madame.

Le contenu de sa missive m'apprenait qu'à la suite du tri de milliers de candidatures et de longues délibérations, je faisais partie des heureux finalistes du grand concours : "Ecrivez sur le blog de Zoridae à sa place."
Je ne vous cache pas que je trouve ceci d'une flemmardise aberrante, mais comme c'est une copine, je n'ai pas refusé. J'aurais pu, quand on voit qu'en plus elle impose le sujet.

Blog et Vie Privée.

Me v'la bien lottie. J'aurais aimé avoir blog et immigration, blog et tronçonneuse (elle m'a aussi imposé ce mot là), ben non. Blog et vie privée! dans les dents.

Bon gré, mal gré je m'y suis collée.

Paraît que lorsqu'on écrit un texte argumentatif de ce genre on commence par une accroche, ça c'est fait, vient ensuite une présentation du sujet, ça aussi c'est bâclé, et enfin on définit les termes du sujet et on restreint à une problématique. Tiens, ça me rappelle la glose que je me farcissais en droit.

Un blog : ça ne se mange pas. C'est un enchevêtrement de pixels sur votre écran d'ordinateur, ça raconte des trucs avec des lettres, des images, du son. C'est issu des cerveaux d'un aréopage de représentants de l'espèce humaine et animale.

-- Aparté --

A propos de cette dernière phrase, d'aucuns s'étonneront, peu d'animaux en effet maîtrisent l'utilisation de l'Internet. Cependant, je n'exclue pas que certains chiens bloguent pour leur maîtres, ça expliquerait beaucoup de choses, comme les skyblogs par exemple, où des chiens battus se foutraient ouvertement de la gueule de leur maîtres en créant des blogs affligeants à leur noms. Et des koalas bloguent aussi, sinon comment justifier cette recrudescence de photos de marsupiaux mignons sur le net, c'est une conspiration koalesque ). Bon, on s'en fout en fait.

-- Fin de l'aparté --

Passons à vie privée. C'est tout ce qui n'est pas public. En fait, réfléchissons un peu : C'est tout ce que vous ne souhaitez pas voir rendu public. Conséquemment, dès l'instant où vous divulguez volontairement des informations sur vous (l'heure à laquelle vous allez au toilettes, votre dernière visite chez le vétérinaire, une photo de votre cellulite ) ces informations font partie de votre vie publique.
Je ne traiterais donc pas de la manière de gérer l'étalage de sa vie privée sur un blog, puisque je viens de démontrer que ça n'était pas le cas. (en fait il y a beaucoup à dire sur l'étalage de sa vie tout court sur le net et comment le gérer, mais ce n'est pas le sujet, vous pouvez aller lire là, ça couvre le sujet )
Il reste dans la problématique Blog et vie privée, la vie privée de ceux qui vous entourent. Par exemple si la Yaya apprenait le français et venait lire mon blog, je suis sûre qu'elle serait loin d'être ravie, elle me foutrait dehors à coup de balai et j'en serais réduite à dormir dans le poulailler et à tuer les chats pour me faire une couverture de leur fourrure. Et si un jour le fils de Zoridae lit le blog de son père, il risque de ne plus jamais oser sortir de peur de se faire lapider. Là encore il y aurait beaucoup à dire mais ça ne m'intéresse absolument pas de développer.

-- Aparté --

On comprendra maintenant aisément pourquoi je n'ai pas fait de longues études, vous me voyez sortir à mon directeur de thèse : Oui, bon, là sur l'évolution du marché des yaks au Turkménistan et son influence sur la courbe des prix du pétrole en Thaïlande, il y avait beaucoup à dire, mais j'ai eu la flemme alors j'ai mis une photo de koala à la place, c'est mignon." Non, sérieusement, ça ne se fait pas.

-- Fin de l' aparté --

Bon ce qui fait que je me retrouve avec rien. Je viens de vider de son sens la problématique blog et vie privée.
Peut être qu'en la retournant j'en extrairais une petite goutte. A tiens oui, ça fait vie privée et blog. Voilà qui nous fait voir les choses sous un autre angle.
Un carnetiste (ça vient d'entrer dans le dictionnaire, autant l'utiliser au moins une fois) a une vie à côté du blog, à moins d'être un nerd fini - pardon, un geek, parlons français. - qui passe sa vie devant son ordinateur à bouffer des chips et regarde des épisodes de Buffy et Xéna entre deux billets sur le dernier navigateur à la mode.
Le carnetiste a un partenaire, des parents, des gniards, un boulot, des loisirs et des rendez-vous chez l'oculiste. Oui ! au moins tout ça. D'ailleurs c'est une parade de blogowar, ça revient tout le temps, dès qu'on est à court d'argument : "j'ai une vie moi, je ne pense pas qu'au blog, vous êtes tous des décérébrés, je suis la meilleure ! point barre ! " (oui c'est un argument de filles surtout) .

Or blogger prends du temps, au moins si on engage pas des nègres comme le fait Zoridae, ou même Jegoun que je soupçonne de payer ses compagnons de débauche pour pondre des billets à sa place, c'est pas possible un tel débit.
Il faut avoir une idée de billet, trouver le ton, développer le contenu, trouver les vannes ou le mot juste qui fera continuer le lecteur (je parle de bloggeurs qui savent faire des phrases, pas de skybloggeurs entendons nous bien), il faut prendre soin de ses listes de liens, de la déco du blog, poser des commentaires chez les voisins, répondre aux siens, bloguer, (tiens, ils n'ont pas mis carnetiser dans le dictionnaire, que faut-il dire ? ) surveiller les statistiques et les classements pour savoir si on est célèbre et z'influent (quand on veut l'être, c'est pas obligé non plus, mais ça ajoute un peu de piment).
Bref, une activité chronophage comme on les aime. Or tout le monde ne tartine pas sa page au boulot, je vous assure ! On peut donc s'interroger sur la répartition du temps d 'ordinateur chez les couples. Et les petits désagréments inhérents à la tenue d'un blog :

"Chéri, j'ai envie de toi, maintenant, tout de suite sur la machine à laver !"
" Pas maintenant poulette, j'écris un super billet sur comment j'ai marché dans une crotte ce matin."
"Bon, Chéri, je te quitte."
" Oui, oui, attends, je réponds à un commentaire de bisounours43."

En plus du temps effectif passé à bloguer. Il y a le temps passé à en parler qui peut avoir des conséquences désastreuses sur la vie privée.

"Comment ça va aujourd'hui"
"Ben t'as pas lu mon blog?"
" Ton quoi ?"
"Mon blog, tu lis pas mon blog ? je te retire de mes contacts msn, @+"
"Je suis en face de toi, blaireau "

ou

" Ah tiens hier sur mon blog j'ai eu un troll, j'ai trouvé son IP, mais il en a changé avec Tor, j'ai envoyé un mail à mon hébergeur mais ils ne peuvent rien faire. "
"..."
"Je vais sûrement changer de plateforme et d'URL mais je n'arrive pas trouver comment exporter mes archives en FTP. "
" Bon , euh c'était sympa de te revoir, mais je crois que j'ai laissé mon hamster dans le micro ondes, à la prochaine"


Oui forcément, vous êtes dans votre petit monde, de quoi vite passer pour un taré nombriliste accroc au virtuel (demandez à ma sœur ) .

En plus de ces cafouillages sociaux, il y a le temps passé à penser à ce que vous allez écrire, et cette nouvelle vision du monde.

-- Aparté --

Pourquoi elle nous parle de pensée ? on s 'en fous, nous parlons de vie privée. Il se trouve qu'en ce qui me concerne, ce que je pense, mes opinions diverses et mes questionnements profonds, c'est ce que je définis comme ma vie privée, justement les choses que je ne mettrais pas facilement sur mon blog.

-- Fin de l'aparté --

"Oh un chat, je pourrais raconter sur mon blog qu'aujourd'hui j'ai vu un chat et oh tiens, la voisine et si je racontais que j'ai vu la voisine et oh la voisine tape le chat je pourrais dire que la voisine est une...oh un type aveugle je vais pouvoir sortir ma blague sur l'aveugle qui rentre dans un...."

Bref... tout de suite votre vision de la vie et la gestion de vos actions prennent un tour différent. On peut voir le côté positif de la chose : Si vous ne le faisiez pas avant, vous allez visiter des expos, aller au cinéma et voir des concerts pour ne pas passer pour un bulot devant votre lectorat. Désormais si vous voyez un type qui se noie, vous plongerez à son secours en pensant à comment vous allez tourner ça sur votre blog ce soir en soignant votre pneumonie. Sans blog, vous l'auriez regardé se noyer et au mieux vous auriez témoigné pour le journaliste stagiaire du canard local : "C'était horrible, il y avait de l'eau partout" rapporte Monsieur Nicolas J, 42 ans, témoin du drame.

J'avais lu il y a quelques années de ça, lors de la grande vague d'ouverture de blogs, qu'une telle activité modifiait le mode de fonctionnement du cerveau, comme si une case "blog" s'y inscrivait au détriment d'autres fonctions (il y a des gens qui ont payé pour faire une étude sur le cerveau des bloggeurs. rien que pour ça j'en étais restée sur le cul).
Traduction : bloguer vous fait penser différemment.
Re-traduction : maintenant pendant vos périodes de vacuité spirituelle, genre sur le trône au petit matin, dans le bus ou pendant une réunion chiante, vous ne pensez plus à ce qu'il va bien pouvoir se passer dans le prochain épisode de Sous le soleil, mais plutôt à ce que vous allez bien pouvoir raconter, et vous voilà à pondérer sur le sens de votre vie et ce que vous avez bien pu retirer de votre journée. C'est dire à quel point c'est dramatique, vous auriez pu gloser à l'infini sur la prise de poids de la présentatrice du journal TV à la place.

Que dire ? Vous vivez blog, parlez blog, mangez blog ? Avez vous besoin d'être enfermé ? Est-ce que comme l'alcoolisme ou la zoophilie votre obsession a des conséquences irréversibles sur votre vie privée ? C'était là le sujet, au cas où vous n'auriez pas encore pigé, mais je sais que tous les lecteurs de Zoridae sont beaux et intelligents, (me tapez pas dans les commentaires, je viens de vous faire des compliments, tudieu ! ) Bien sûr il faut savoir tenir votre langue en société, a moins qu'elle ne soit constituée que de blogueurs, votre tablée de restaurant se fout de vos statistiques comme de leur première cuite. En général, vos parents sont très fiers de votre blog et vos enfants s'en contrefichent, pendant que vous bloguez ils jouent sur la playstation au lieu de faire leur devoirs.

On fait quoi en conclusion déjà ? ah oui résumé, machinchose, ouverture. Et que personne ne me fasse remarquer que j'ai zappé le corps de la dissertation ou je mords.
Bloguer influe sur votre vie privée. Pourquoi ? parce que c'est une activité (ce qui veut dire que vous êtes actif pas passif et que vos petits neurones s'agitent lorsque vous bloguez). A tout prendre, je préfère passer trois heures devant mon ordi à déconner sur mon blog et ceux des autres, finir par rencontrer d'autres blogueurs, manger des épinards avec eux et enrichir ma vie de connaissances, de belles collaborations et des moments de pure marrade que de passer trois heures à faire de la cellulite sur mon canapé en matant le 20 heures de TF1 et Plus belle la vie.

Pour ceux qui ont sauté tout depuis le premier paragraphe je vais résumer en une phrase. Le blog n'est pas qu'une fenêtre ouverte sur votre jardin secret, c'est aussi une activité influent sur votre comportement général et votre manière de vivre et d'intéragir avec votre entourage. Pas forcément de manière négative d'ailleurs.

J'ai fait hors sujet. 2/20
Mes hommages.

mardi 21 octobre 2008

Ça n'arrive pas qu'aux autres !

Il y a trois mois il se moquait, parce que pendant quelque temps j'allais être plus vieille que lui ; c'est enfin son tour de prendre un an !

Profitez-en pour aller lire sa très belle série sur les vendanges.

Heureux anniversaire Bal !

lundi 20 octobre 2008

Journal de la création, page 28

Le Journal de la création de Nancy Huston est un livre dans lequel je me plonge régulièrement.

C'est étonnant d'ailleurs la façon dont ma lecture a changé entre la première fois où j'ai ouvert ce livre - je n'avais pas encore d'enfant, seulement, peut-être, le désir fluctuant d'en avoir - et aujourd'hui.

Il y a cinq ou six ans, les démêlés de Virginia Woolf, Sylvia Plath, Zelda Fitzgerald, femmes, mères, tiraillées entre le désir d'écrire, celui de s'affirmer face à un compagnon artiste et les limitations dues à leur condition de femmes dans une époque tyrannique pour elles, m'apparaissaient comme éminemment romanesques.

Puis, devenue mère d'un bébé qui ne dormait jamais, épuisée, exsangue, incapable de terminer une phrase correctement, de raisonner, d'envisager une vie qui ne soit pas animale, l'identification a fonctionné à plein régime. Bien loin d'avoir envie de le faire, je concevais ce qui avait conduit Sylvia Plath à glisser sa tête dans un four, Virginia Woolf a se laisser submerger par l’eau glacée de la Ouse.

Tout à l’heure j’ai pris ce livre de nouveau et je me suis demandée ce qui allait me frapper, me toucher plus cette fois. Dans le métro, déjà, j’ai relevé quelques lignes :

« Parfois, en bibliothèque, je pense aux millions de livres médiocres, aux gros tas de savoir périmé ou erroné qui ne feront plus jamais qu’accumuler de la poussière… Je pense aux millions d’épouses qui ont fait taire des millions d’enfants afin que les hommes puissent écrire ces livres-là (« Chut ! Papa travaille ! ») et je me dis qu’en fin de compte la véritable perte de temps était souvent l’écriture. N’aurait-il pas mieux valu pour tout le monde que ces hommes jouent avec leurs enfants ? »

[A lire : Leïloona évoque ici le dernier essai de Nancy Huston.]


Photo : Virginia Woolf par George Charles Beresford, en 1902

vendredi 17 octobre 2008

Quand tu seras grand...

Mon fils tu seras metteur en scène, réalisateur, ou bien acteur....

Ton cinéma sera novateur, unique mélange de scènes d'action et de répétitions en boucle d'une même péripétie.

Dans la salle de bain, une voiture violette vrombit le long de l'une de mes chevilles, rebondit sur mon genoux, dévale la pente de ma cuisse jusqu'au rebord blanc de la baignoire.

Soudain elle interrompt sa course :
"Le feu est rouge, lances-tu, hilare."

La voiture bleue que je poussais derrière la tienne, surprise, freine d'un coup et dérape. Perdant le contrôle, elle plonge dans l'eau après plusieurs tonneaux.

Je hurle : "Ah ! Au secours, au secours, je suis tombée dans l'eau !
- Attends, je te lance une corde, réponds-tu, essouflé."

Nous mimons l'action.

Ma voiture est enfin sauvée, tu t'écries : "Et si on roulait sur la montagne ? "

Nous voilà repartis sur mon pied gauche.

Tu me désignes l'endroit où je dois être. D'une voix ferme tu indiques ma position, précisément. Les roues arrière doivent se poser sur l'os scaphoïde, les roues avant effleurer l'astragale. Il faut attendre le top du départ et respecter la vitesse qui te convient. Sévère, tu détailles mes mouvements. Puis, tu décides de me laisser aller et tu t'avances à mes côtés. Le jeu peut commencer mais à la moindre incartade je sais que tu te fâcheras.

Pour te proposer un autre scénario, je dois ruser. Simuler l'étourderie. Si l'idée te plaît, tu te l'approprieras, et dix fois, vingt fois, nous répéterons la nouvelle scène.

Je ne me lasse pas de te contempler. Ta peau est douce au seul regard. Un halo de cheveux fins nimbe ton grand front. Dans tes yeux d'eau triste nagent des éclats dorés sur lesquels tu rabats, coquin, tes longs cils blonds dès que mon regard t'importune.

Je t'imagine fendre une foule médusée ; coiffé d'un Borsalino, pâle, tu souriras, saluant d'un geste de la main des femmes apoplectiques, des hommes éperdus et des enfants en larmes tandis que sur un écran géant, des extraits des films dans lesquels tu auras joué, passeront : sur tous, on verra, en gros plan, ton visage parfait, d'une beauté magnifique.

Pour toi, le cinéma expressionniste sera redevenu à la mode. Des films se bâtiront sur le mouvement de tes lèvres lorsqu'elles s'étirent pour un sourire, lorsqu'elles se froncent en une moue. Sur le pli au-dessus de ton nez dans la colère. La joie qui allume tes pupilles, le soir, quand tu m'accueilles à la porte.

Je supporterai difficilement les hordes de groupies qui t'attendront chaque soir devant la maison.
A coups de balai, je devrai les chasser des alentours des poubelles où elles chercheront les cheveux retirés de ta brosse, tes rasoirs et même tes rognures d'ongles.

De temps en temps tu partiras, à l'autre bout de la terre, pour des projets que je ne comprendrai pas. Le soir, je t'appellerai. Tu n'entendras rien au début, parce que je passerai quelques minutes à chercher le bouton du haut-parleur. Enfin, je serinerai ma liste de questions angoissées, de recommandations hystériques, de déclarations d'amour : "Tu as bien mangé mon cœur ? L'hôtel est confortable ? Les gens te traitent bien. Tu as besoin de quelque chose ? Tu veux que je vienne ? Dis-moi, hein, si tu veux que Maman vienne ! Maman et Papa seront toujours là pour toi, mon chéri ! "

Collé contre moi, B. ton père posera ses propres questions en même temps et tu finiras par raccrocher, épuisé et content. Juste avant la tonalité, d'une voix redevenue aigüe sous le coup de l'émotion, tu auras quand même avoué : Je t'aime Maman. Je t'aime très fort. Je t'aime Papa. Je vous aime tous les deux très fort."

Alors, le soir durant, nous ressasserons les nouvelles que tu nous auras données. L'un de nous commencera une phrase, l'autre la terminera et nous en arriverons à répéter dix fois, vingt fois la conversation tenue avec toi durant quelques minutes, experts dans l'art d'imiter la moindre de tes inflexions. Sur les murs, ton visage à tous les âges nous contemplera, pensif, joyeux ou bien espiègle.

Toi aussi, travaille ton gérondif avec Didier Goux !

Didier Goux semble avoir oublié son gérondif !


Ayant pondu hier une phrase que certains ont trouvé amputée d'un verbe, d'autres d'une proposition, d'autres encore de mains, de logique, d'ouverture, de bières, de contorsions, de hérissons, d'aventures, d'amour, que sais-je encore, il s'est obstiné jusqu'au petit matin.

Toi aussi tu aimes les belles phrases, avec ou sans gérondif, alors aide-le à trouver une meilleure formulation.

Voici l'objet incriminé :

« Bref, nous nous servons un verre (les adultes assommés), et entrouvrant la porte-fenêtre du salon, afin de pouvoir fumer en toute bonne conscience - ce que nous faisons illico »

mercredi 15 octobre 2008

Thérèse

"J'aurai beau tricher et fermer les yeux de toutes mes forces... Il y aura toujours un chien perdu quelque part qui m'empêchera d'être heureuse..."

Jean Anouilh, Le sauvage, Acte III.

lundi 13 octobre 2008

Famille

La tête renversée, à gorge déployée, elle râle, grogne et braille, étalant son goitre, secouant sa poitrine avachie, à mi-chemin entre la femme et la truie. Parmi les syllabes indistinctes, les cris gutturaux, trois mots se détachent, qu'elle répète avec plus ou moins de précision, laissez-moi tranquille, laissez-moi tranquille, en boucle.

Dans son sillage, un gamin de treize ou quatorze ans, harnaché à son cartable, alors qu'il est bientôt minuit, caparaçonné dans un parka trop grand pour lui, la soutient lorsqu'elle s'écroule sur le capot d'une voiture stationnée, la précède lorsqu'elle traverse un groupe, et s'agrippe à elle en sanglotant. Le père suit d'un peu plus loin, la tête haute, la lippe baveuse des insultes qu'il éructe. De temps en temps, poussé par une haine qu'il ne contrôle plus, il presse le pas et assène sur la tête grasse de sa compagne une ou deux baffes bien sonores. Aussitôt le petit groupe se met à hurler : la mère demande encore une fois qu'on la laisse ; l'enfant jure qu'il ne le fera jamais ; le père promet qu'elle crèvera seule.

Ils ballotent d'un bord à l'autre d'une trottoir selon que la mère échoue contre le mur ou s'écroule sur un véhicule. Le père ordonne au fils de rentrer, de laisser sa mère indigne cuver dans la rue. Le fils refuse et sanglote dans le giron de son ivrogne de mère. Ce sont des pleurs de petit garçon, il hoquète, tremble et supplie, serrant le corps flasque contre lui. Il niche son visage là où il peut et cela m'évoque, quelques instants, la quête du nouveau-né lorsqu'il a besoin de lait.

Allongée sur le capot d'une petite voiture, la mère le repousse avec vigueur et finit par le battre aussi. Des deux mains elle le frappe sans le faire reculer. Il veut la relever, petit d'homme dépouillé de son enfance, il rabat sur les cuisses violacées, énormes, la jupe plissée bleu-marine. Il s'obstine et baisse la tête pour moins sentir les coups.

Un groupe de fumeurs, aux portes d'un bistro, regarde la scène avec nonchalance, s'approche d'un pas juste au cas où il y aurait du spectacle. Un homme rit. Alors le père s'élance de nouveau ; il tape la mère, sur la tête, de son poing il boxe le visage débile, du genou il heurte le ventre mou. Une femme hurle. Un homme tente de s'interposer et recule devant la fureur du père. La mère et le fils pleurent dans les bras l'un de l'autre, il pleure pour elle tandis qu'elle ne pleure que sur elle.

Ronflant, grognant, la voix cassée, elle balbutie Me tape pas, me tape pas. Le fils promet, croyant peut-être qu'elle s'en soucie, Je te laisse pas Maman, je te laisserai pas. Le père ne sait plus ce qu'il dit.

La famille s'ébranle enfin, traverse le groupe de spectateurs, qui s'écartent silencieusement.

Lentement, elle arrive au coin de la rue et tourne pour rejoindre le boulevard. On entend encore, longtemps après leur disparition les pleurs du fils...

vendredi 10 octobre 2008

Faire feu de tout bois

[Cette semaine j'ai joué ; je ne savais pas que je m'amuserais autant. Sous la direction d'une comédienne, metteur en scène et auteur de théâtre d'une générosité surprenante, Joëlle Rouland, avec des bibliothécaires, des éducateurs spécialisés, des puéricultrices, j'ai improvisé, chanté, ri, pleuré, bégayé, boité, tremblé... Et j'ai écrit.

A chaque fois nous disposions de quelques minutes et de consignes précises. Pas de magie, pas de sorcières, pas d'animaux parlant.

Pour le texte qui va suivre, la consigne était : "Ça commenc
e par "il était une fois"", il doit y avoir de l'amour, de la poésie, ça se termine bien."

Ensuite, Joëlle nous a attribué à chacun un héros : "un bol, un parapluie, une brosse à dents, un vélo, une porte, une chaussette, un pyjama. Nous avons disposé d'une dizaine de minutes : c'est donc sans prétention aucune.

Si vous êtes inspirés, n'hésitez pas !]

Il était une fois, une porte fermée à double tour. D'un côté et de l'autre, un homme et une femme qui ne se parlaient plus, vaquaient.

"Si la porte s'ouvrait, pensait la femme de temps en temps, je pourrais regarder dans la rue, par la fenêtre du salon. J'aimais bien regarder dans la rue, par la fenêtre, avant..."

Alors, elle allait coller son oreille gauche contre la porte et grattait le bois, un tout petit peu, du bout d'un ongle.

La porte, ravie, se trémoussait : elle adorait qu'on la gratte et c'est pour cela qu'elle restait fermée.

"Si la porte s'ouvrait, pensait parfois l'homme, je pourrais me faire un café, dans la cuisine. J'aimais bien boire du café, avant."

Alors il allait coller son oreille droite contre la porte et, du plat de la main, il caressait un panneau de la porte, tout doucement.

Celle-ci, enchantée, grinçait : elle adorait les caresses et c'est pour cela qu'elle restait fermée.

Soudain, la femme perçut le chuchotement des caresses de l'homme sur la porte. Elle cessa de gratter.

Au même moment, l'homme avait entendu le grattement de l'ongle de la femme sur la porte et il avait interrompu ses caresses.

Furieuse d'être délaissée, la porte sortit de ses gonds et se brisa sur le sol. L'homme et la femme s'embrassèrent au dessus des débris :

"Et si nous faisions un feu de cette porte ? proposa l'homme.
- Oh oui, s'écria la femme, un vrai feu de joie !"

Illustration : Wilmer Murillo The Messenger of Love is old and tired

mercredi 8 octobre 2008

Nef est géniale

Voici ce qu'elle vient de poster en commentaire du billet de Didier Goux :

"Je viens de trouver une différence entre un blog et un livre.
Un livre, même en écrivant tout petit, il n'y aurait jamais assez de place pour coller autant de commentaires à la fin."

mardi 7 octobre 2008

SPLENDEURS ET MISÈRES DES BLOGUEURS

[Contribution de Didier Goux]

SPLENDEURS ET MISÈRES DES BLOGUEURS

Ou Nous sommes tous des déshonorés de Balzac


L’écran du blogueur n’est pas la page blanche de l’écrivain. La page de l’écrivain est vierge et vide à la fois, même lorsque l’écrivain travaille sur ordinateur. Alors que, derrière l’écran du blogueur, parfois même dedans, ça grouille, ça se contorsionne, ça ricane ; parfois aussi ça encourage, ça flatte, ça louange ; il arrive même que ça sourie. Bref, il y a du monde, et c’est ce qui fait qu’un blogueur ne peut être écrivain, alors qu’un écrivain peut parfaitement tenir un blog si cela lui chante ; c’est injuste, mais c’est ainsi.

L’écrivain est seul, c’est ce qui fait sa grandeur, et aussi ce qui, le plus souvent, le précipite aux enfers de l’impuissance. Il est à la fois le juge unique et l’unique condamné ; il prononce la peine et l’exécute d’un même mouvement ; dans la salle d’audience déserte, il se dédouble afin de pouvoir simultanément occuper le box et siéger au bureau des juges.

Pendant ce temps, l’homme-au-blog est au centre de la piste et fait claquer le fouet du dompteur pour impressionner les adultes, affublé d’un nez rouge dans l’espoir de rameuter aussi leurs enfants ; il est en représentation. La solitude indispensable à l’écrivain, constitutive de lui-même, il l’ignore, la craint, la repousse. Le blogueur veut la foule, et surtout une foule en quelque sorte divisée contre elle-même, tel le Satan des Évangiles. Car les silhouettes sans visage qui parsèment les gradins du cirque sont ses commentateurs toujours prêts à se plier docilement à la louange ou à l’invective selon la demande qui leur est faite par le dompteur ; mais ils sont aussi des blogueurs concurrents.

Si bien que, dans un même mouvement, ils font offrande à l’homme-au-blog d’un nouveau public, tout en cherchant insidieusement à lui siphonner celui qu’il a déjà et qu’il pense avoir définitivement conquis. Ils sont ses « modèles-obstacles », au sens que René Girard donne à cette expression, ceux qui l’exhortent à se prendre pour un écrivain, et l’empêchent par là même de le devenir jamais. Double bind.

L’homme-au-blog, tournant sans fin autour de la piste, deviendra peut-être un fort habile jongleur ; s’il met assez bas le prix du ticket d’accès, il fera sans doute chapiteau comble tous les soirs. Il y aura des ris et des clameurs d’enthousiasme sous la toile, des rafales d’applaudissements et quelques huées.

Mais il ne sera jamais écrivain, même s’il devient imbattable dans l’art d’en enfiler le costume avec drôlerie et célérité. L’écrivain est condamné à avoir au moins du talent et à le découvrir seul ; l’homme-au-blog a choisi d’avoir un public : pour en assurer la pitance journalière, il ne peut rien d’autre que bidouiller de petits sketchs plus ou moins scintillants, pour faire épanouir la rate du vulgaire. Et plus il jouera à l’écrivain, plus son nez rouge se verra, grossissant comme s’allonge celui de Pinocchio, et pour la même raison exactement.

La solitude sans faille de l’écrivain risque fort de l’abattre avant terme ; la cour de l’homme-au-blog le condamne à une représentation sans fin, au cirque éternel. Et le ver rongera sa peau comme un remords.

vendredi 3 octobre 2008

Mères

Dans le lieu d'accueil de la Goutte d'Or, elles arrivent ; un sac au creux du bras, elles poussent la porte avec leur dos, engouffrent la poussette dans l'ouverture, attrapent un enfant tenté de s'enfuir, pour rire. Elles se redressent, ordonnent vaguement leurs cheveux, marmonnent une réponse inaudible au Bonjour solennel de l'animatrice puis se penchent, aussitôt, pour détacher l'enfant dans son siège, lui retirer ses vêtements, un chapeau, une tétine, un bout de pain mâchonné. Elles le redressent, lui débarbouillent le visage du bout des doigts, le mouchent, baisent une de ses joues parfaitement douce.

Alors, une main dans le dos comme si le souvenir d'avoir porté cet enfant les épuisait encore, elles le regardent s'élancer vers les jeux de sa démarche de marionnette, de créature cinétique. Fières, elles lui laissent de l'avance, l'écoutent baragouiner des bribes de réponses aux questions des animateurs ; elles le suivent et n'ajoutent rien : elle savent qu'elles ont cessé d'être le jour où leur enfant s'est emparé de leur avenir.
Il a un an, deux ans, elle porte une robe à fleurs et des collants roses, ses cheveux s'entortillent le long de son cou gracile, sur son front pur. Ils grimacent, crient, réclament, implorent, dégoulinant de bave, ils hurlent, exigent, pleurent. Ils se repaissent des drames qu'ils ont fomenté. Ils oublient vite mais pas toujours.

Autour, les mères, sur des canapés, des chaises minuscules, des tabourets d'enfants, sont avachies ; elles laissent béer leur tee-shirt sur des poitrines exsangues. Leurs bourrelets se déploient, lorsqu'elles respirent, soufflets d'un accordéon sans musique. Elles baillent et discutent parfois, sans conviction, comme devant la télévision, absorbées par le spectacle de leurs marmots passionnés. De temps en temps, elles se précipitent, au milieu d'une phrase : juste quand elles évoquaient un de leurs soucis, il leur faut ramasser un jouet, consoler d'une bosse, tempérer une dispute. Finalement, elles ne parleront pas d'elles, la naissance de l'enfant les a mises entre parenthèses et elles ne savent pas comment en sortir.

Shalyma a deux filles qui ont un an d'écart. Lorsqu'elle ne se sent pas regardée, elle soupire. Lorsqu'on la regarde, elle tire sur son petit pull noir et aplatit les mèches de sa frange. Elle glousse sans sourire. Myriame, son aînée, âgée de deux ans et demi, prend dans son sac une canette de Sprite. Shalyma ne tend pas la main pour la récupérer, elle regarde l'animatrice. Gênée, elle lui demande :
"Vous pourriez lui dire que c'est interdit de boire ça ici ?
- Mais pourquoi voulez-vous que je lui dise ça ?
- Parce qu'elle réclame toujours et nous on ne veut pas qu'elle boive des boissons gazeuses.
- Dans ce cas, dites le lui. Pourquoi voulez-vous que j'invente une raison alors que vous en avez une ?
- Oh non !
- Vous savez, ici on pense qu'il faut expliquer les choses aux enfants.
- Mais non. Moi je ne fais pas ça.
- Pourquoi ?
- Bah parce qu'elle ne comprend pas. Ça ne comprend rien à cet âge-là.

Les mères qui écoutent la conversation éclatent de rire sans que l'on sache pourquoi. Myriame escalade un vélo et dévale la pente, poursuivie par sa sœur.

Un peu plus tard, Leïla se précipite vers la porte d'entrée, laissant son fils, Jasser, patauger dans le lavabo. Celui-ci ne tarde pas à s'apercevoir qu'elle n'est plus là. ; éperdu, il geint, péniblement, dévisage les mères qui ne sont pas la sienne, incapable d'entendre les mots qu'elles prononcent pour le rassurer. Tandis que sa mère sort dans la rue, une animatrice s'élance à sa suite. Jasser veut courir aussi, mais il se prend les pieds dans son tablier et tombe la tête la première sur une voiture à pédale.
Puis, Leïla est de retour. Son front, ceint d'un voile noir est courroucé. L'animatrice lui explique qu'elle ne doit pas laisser son enfant, que ce n'est pas une garderie. Leïla prend son fils en larmes dans ses bras. Ses yeux noirs brillent de colère. Elle le plaque contre son épaule et caresse son dos, lentement. Sa main semble bouger hors du temps, patiente et douce, tandis que le ressentiment plaque ses lèvres l'une contre l'autre. L'animatrice se tait. Jasser laisse reposer sa tête dans le cou de sa mère. Il ferme les yeux. Bientôt pourtant, ses pieds battent le ventre maternel, il se contorsionne pour descendre et glisse le long de la tunique mordorée, du pantalon ample chatoyant. Dans le lavabo, il saisit un bateau plein d'eau et le porte à ses lèvres. Leïla lui tape les mains cinq fois très fort. Elle dit : "ne fais pas ça !" Jasser sourit, ravi, et remplit le bateau.
Dans cinq minutes, Leïla disparaîtra encore. Elle a besoin de l'entendre crier pour vérifier qu'elle existe bien parce que, près de lui, elle ne sait plus où s'arrête son corps, où commence le sien et elle ne pense à rien.

Clara parle beaucoup. Elle conseille à Marius de se calmer. Marius ne doit pas crier, ni sauter. Il ne doit pas jouer avec des objets bruyants. Il doit s'asseoir correctement sur le toboggan. Marius est espiègle. Il saute et crie en tapant sur un téléphone à roulettes. Sa mère le prend dans ses bras. Elle le serre et lui répète avec douceur ce qu'elle a dit cent fois. Marius rit encore. Il tape sur la tête de sa mère avec le combiné en plastique. Lasse, elle lui permet de s'échapper. Le regarde gravir le toboggan avec détermination. Si seulement il pouvait lui donner un peu de son désir et de sa joie ! Elle explique : "je suis entrain de divorcer. Pour lui, ça ne change pas grand chose, son père n'était jamais là..."

La pièce du bas est déserte. Leïla ramasse les jouets épars. Un animatrice lui dit que ce n'est pas la peine : "On range à la fin". Leïla proteste : "Je n'aime pas quand c'est en désordre !". "Oui, mais, répond l'animatrice, c'est comme ça que nous fonctionnons, reposez-vous donc, vous n'avez pas besoin de faire ça ici !" A l'étage Jasser pleure et Leïla va le rejoindre en haussant les épaules. Dans un coin, Shalyma soupire. Sa fille aînée lui parle et elle ne semble pas l'entendre. Sombre, inconsolable, elle fixe un point à l'intérieur d'elle-même. Myriame, d'un coup, brise la maison de poupée qu'elle lui tendait. Les morceaux de légos, les poupées en plastique chutent à ses pieds. Les femmes rient et Shalyma, sursautant, plaque sa frange des deux mains. Elle implore du regard l'animatrice. Celle-ci dit à l'enfant : "Que se passe-t-il, Myriame, tu es en colère ?"
Mais il est l'heure de partir, personne n'écoute la réponse de la fillette. Les mères empoignent leur progéniture, tirent sur un coude, une épaule, hissant le corps fatigué contre leur cœur. Elles le revêtent d'un ciré, d'une doudoune en fausse fourrure, d'un manteau à pompons, juchent sur sa tête un couvre-chef bariolé, l'harnachent dans sa poussette, ondoient entre porte, marches et trottoir.

Enfin, elles sont dehors, elles foncent loin de l'après-midi écoulée. Leur manteau n'est pas fermé et le froid s'engouffre dans leurs cheveux. L'enfant dans sa poussette voit en chaque chose une promesse, il s'excite et babille, montrant du doigt voitures et boutiques. Voutées, les mères se dépêchent, il reste tant de choses à faire avant l'heure du coucher. Au moins, elles ne s'ennuieront pas !

jeudi 2 octobre 2008

Bloguer au travail 2/2

[Contribution de Gaël]

« Ça a commencé insidieusement. Tous les matins je fais une revue de presse pour le boulot. Je bosse dans un domaine très en vogue aussi bien auprès du législateur que des industriels et du grand public. Alors, forcément, il faut bien se tenir au courant. Et puis, il n'y a rien de tel quand on bosse en bas d'une grosse pyramide que de s'informer par soi-même, parce que les infos elles semblent bien aimer l'air en altitude, elles ont du mal à redescendre... Mais bon, là n'est pas votre question...


Je faisais donc ma revue de presse tous les matins : presse régionale, nationale, alertes google sur des mots clés, liens en favoris, etc... Dans ces favoris j'avais aussi glissé quelques sites de copains, dont Nicolas (pas P. ! ni S. d'ailleurs...) que j'avais perdu de vue dans la vraie vie depuis un p'tit bout d' temps. Et puis, Nicolas a ouvert ses blogs, que j'ai aussitôt ajouté à mes favoris, vous pensez bien ! J'ai commencé par suivre assidûment Partageons mes âneries, me foutant royalement de son avis et de son reste ! J'y suis venu après... Lire les compte-rendus de Nicolas me faisait marrer, je lui laissais des commentaires, il me répondait (parfois gentiment...). Puis mes filles sont nées, j'ai envoyé des photos à Nicolas et là : Paf ! 1 billet sur les pépettes ! Prune et Anna stars des blogs ! Moi fier comme pas deux j'envoie le lien à toute ma galaxie (comme le chante si bien Higelin) et Nicolas devient un z'influent au vu du nombre de visites records que je lui envoie (enfin je crois que c'est lié) ! « Agadez les filles sont déjà des stars » que je criais dans mes mails, et puis, là, une envie de blogguer m'a prise !

Puisque la famille était disséminée aux quatre coins de la France voire du monde pour certains, pourquoi ne pas ouvrir un blog familial pour informer tout le monde en temps réel des progrès des filles (qui seraient à n'en pas douter spectaculaires !) ? Encouragé en cela par Nicolas (« fainéant, pas encore ouvert ce blog ? » m'écrivait il régulièrement par mail) j'ouvrais donc le blog familial. Dans le même temps, le nombre de blogs consultés pendant la réalisation de ma revue de presse ne cessait d'augmenter? C'était surtout des blogs gravitant autour des PMA. J'osais à peine y commenter du bout des doigts, négligeant par là-même les conseils de blogage indispensables pour devenir un z'influent.

Pour alimenter mon blog familial, quand je n'avais pas eu le temps de le faire à la maison, je me permmettais d'uploader 2 ou 3 photos et d'ajouter quelques lignes de textes tout en faisant ma revue de presse, et hop ! À celle et ceux qui penseraient : « rhôôôô !!!! mais il pratique un loisir sur son lieu de travail ! » je répondrais simplement qu'un PC doit pouvoir faire plusieurs choses en même temps ! Quand on met des photos sur un blog, on n'est pas obligé de regarder la petite barre d'avancement... Rien ne vous empêche donc de continuer à bosser ! Faut pas laisser végéter un PC à faire du mono-tâche : après ça devient fainéant et ça ne veut rapidement plus rien foutre, c'est un peu comme un cerveau humain... Bloguer au boulot permet donc de s'ouvrir et d'exercer sa cervelle, en réfléchissant bien (dans mon sens surtout) c'est tout bénéf' pour votre employeur ! »

Bon, ma brillante démonstration ne semblait pas si brillante que ça pour le journaliste... D'autres blogueu(r) ses par contre voyaient très bien ce dont je parlais. Certains en étaient arrivés là par d'autres biais (réservation de voyage sur internet, consultation de la météo ou d'horoscopes, ...) : tout pouvait être prétexte à tomber sur un blog et à se voir inoculer le virus.

Sentant l'approbation de certain(e)s, j'embrayais : « Après, bloguer au travail ou à la maison, en fait l'endroit d'où l'on publie importe peu. Cette publication est en effet souvent une libération. On ne demande que rarement aux gens où ils font leur caca du matin. Alors laissez nous bloguer où l'on veut ! »

Bon l'exemple du caca était peut-être mal choisi... Plus personne en me parla de la soirée, et l'article ne fit aucune référence à mon blog... C'est pas comme ça que j'allais monter au wikio encore...

mercredi 1 octobre 2008

Comme Nicolas !


Tiens, je vais déroger à mes habitudes et poster un billet qui fera plaisir à Nicolas. Il le mérite bien puisqu'il apparaît deux fois dans cette liste !

Les absents se reconnaîtront et j'espère qu'ils prendront de bonnes résolutions !

Du côté des mots clefs je n'ai pas grand chose à signaler si ce n'est que de nombreuses personnes s'interrogent sur la possibilité de changer de sexe. Sont-ce les mêmes qui s'intéressent, régulièrement, aux péripatéticiennes ?


l-oeil-du-vent.over-blog.com 243
bouchedela.blogspot.com 159
du-cote-extime.blogspot.com 148
extra-ball.blogspot.com 132
admin.blogs.psychologies.com 126
balmeyer.blogspot.com 92
filaplomb.20minutes-blogs.fr 68
baratin.hautetfort.com 65
jegpol.blogspot.com 64
cochondingue.over-blog.net 49
loisdemurphy.canalblog.com 38
georges-flipo-auteur.over-blog.com 29
nefisa.blogspot.com 29
jegper.blogspot.com 28
entre2eaux.hautetfort.com 27
detoutetderiensurtoutderiendailleurs.blogspot.com 19


Pour terminer, la réflexion du soir de mon époux :

" Tu crois que Proust, il publiait des tableaux de stats ?"

Peinture : Hieronymus Bosch

Bloguer au travail 1/2

[Contribution de Gaël]

"Asseyez-vous avec les autres, s'il-vous-plaît. "


Le ton avec lequel ce « les autres » avait été prononcé par l'hôtesse en disait long sur ce qu'elle pensait de nous, pauvres hères soupçonnés de profiter honteusement du système. Je me dirigeai donc vers le cercle de chaises sur lequel était installé un échantillon représentatif de ce que les médias considéraient comme les nouveaux parasites du monde du travail, rendez-vous compte, des blogueuses et des blogueurs qui assouvissaient leur bas instinct au boulot.


J'avais moi-même été contacté par mail par ce journaliste qui montait un dossier sur ce thème. Faut dire que parler de gens qui osaient utiliser leur temps de travail pour leur loisir faisait jaser et promettait de jolies ventes au prochain numéro de « l'Inquisiteur ». Drôle de nom pour un journal, non ? Ils avaient dû essayer de traduire « the Inquisitor » en français, me disais-je... Et puis pourquoi pas, après tout j'aime bien ces rencontres de blogueu(r)ses, ça permet de tisser des liens, échanger sur les buzz passés et à venir, enfin bref ça donne un peu de punch à son blog. Je m'étais donc décidé à y aller. En plus je rencontrerais peut-être de véritables stars de la blogosphère...


Je m'approchais donc du cercle de chaises. Je ne reconnaissais personne, un peu normal vu que la plupart des blogueu(r)ses tiennent avant tout à leur anonymat, surtout lorsqu'ils bloguent dans le cadre de leurs activités professionnelles... Affalé sur sa chaise comme s'il était sur une pouffe un jeune cadre dynamique consultait son y-phone avec volupté. Ça pinguait à tout va, signe qu'il devait recevoir des mails, des touittes et des attaques de loups-garous via fessebouc à tout-va. Sa voisine, droite comme un I sur son siège, attendait patiemment, faisant et défaisant sans cesse son point de croix. Le troisième larron ânonnait une étrange mélopée distillée dans son ses esgourdes par un astucieux stratagème qui avait transformé son chapeau melon en valquemane, comme on disait quand j'étais jeune. En m'approchant de mon siège, je reconnus avec stupéfaction du Prink Froyd, le morceau de 15 minutes 32 à Pompeii... Pouah ! Les autres étaient tous du même acabit, donc toutes et tous différents. Chacun était venu avec son petit univers à lui dans ses poches, mais semblait prêt à le partager avec quiconque se montrerait un tant soit peu intéressé... C'est un peu ça les blogs pour moi, c'est essayer d'apporter quelque chose de soi (ou bien qui te touche) à autrui, que cet autrui soit connu ou bien virtuel.


Enfin, la star de la soirée pénétra le cercle de chaise. Il eut un regard circulaire et s'assit à son tour sur une des chaises encore libres. « Bon, je pense qu'on est tous là, certains et certaines se sont désistés, je le en excuse, le climat est peu propice au genre de révélations que vous allez me faire ce soir. On serait plus dans une ère du « travailler plus... » que dans une société de loisirs que ça ne m'étonnerait pas (sourire)... ». Son introduction se voulait franche et directe. Peut-être pour nous mettre à l'aise. Mais à l'aise on l'était, la dernière phrase de son mail était claire : « anonymat garanti ».


Après deux ou trois intervenants, je n'avais écouté que d'une oreille distraite un chef d'entreprise web 2.0 à mort qui travaillait justement dans le milieu des blogs et qui donc bloguait au travail mais POUR son travail, je fus ensuite amusé par le témoignage de Nicolas P. qui avait exigé de témoigner depuis une autre salle et dont le boulot était de surveiller ce qui pouvait être dit par des sales gauchisses sur son patron, mon tour arriva !