jeudi 24 décembre 2009

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Joyeux noël à tous, mangez bien, buvez bien, amusez-vous bien, soyez heureux...

Signé : la famille vomi !
(Balmeyer et ma mère résistent mais on les aura !)

mardi 22 décembre 2009

mardi 8 décembre 2009

dimanche 6 décembre 2009

Traces

Pendant deux ans, Margot m'a émue chaque lundi en chantant devant moi sans minauderie et sans hésitation ; chanter, elle en avait un besoin fou.
En juin dernier, elle venait d'interpréter Le droit à l'erreur d'Amel Bent pour la première fois à sa façon spontanée, si généreuse et j'étais au bord des larmes. Derrière moi, sa mère pleurait carrément. J'ai lancé, la voix nouée :
"Cette chanson te va bien, elle est bouleversante.
- Bouleversante, ah bon ? Pourquoi ?
Margot vacillait sur les petites bottines à talons empruntées à sa mère. Grande liane de douze ans, elle n'avait pas les pudeurs des adolescentes que je connaissais. Au contraire, elle se réjouissait de sentir sur son torse émerger des seins, sur ses hanches des rondeurs, elle riait des poils qui rendaient sa peau veloutée comme celle d'un animal. De temps en temps, elle se jetait sur moi pour m'embrasser dans le cou. Elle murmurait des mots d'amour, me reniflait, me serrait si fort que je criais. Je la grondais, parce qu'elle me faisait un peu peur.
- Et bien quand tu prononces ces paroles là, tu sais "Et je prétendais tout voir/Me voilà dans le noir/Et mes yeux aujourd'hui ne me servent qu'à pleurer"... C'est...
- Ben quoi ? demanda Margot après un silence. Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Eh bien c'est particulièrement émouvant que tu chantes cela, toi... toi qui as perdu la vue.
- Ah, ça ? Je n'y avais pas pensé ! Je ne savais pas que ça voulait dire ça !
- Oh ça ne veut pas dire ça, en réalité... Mais quand c'est toi qui le chantes, on entend ton histoire..."
En septembre, Casius m'a amenée une chanson que j'ai trouvée merveilleuse. Au fur et à mesure qu'il prononçait les paroles de sa voix profonde, défilaient des images toute douceur, une promenade à Central Park, des feuilles d'automne, un thé fumant. Il pleuvait à l'extérieur mais j'étais au chaud dans ma salle de cours et comme un baume, la musique me rendait joyeuse, me rendait sereine. Je n'étais pas sûre de comprendre la phrase "You just keep me hanging on" mais cela ne m'importait pas. Casius et moi nous sommes interrogés sur le sens des dernières paroles
""You're going to reap just what you sow", on dirait une menace ?
- Ou une promesse..."

Se sont écoulées plusieurs semaines ; le jeudi le temps s'ouvrait comme une fleur, aspirant difficultés, soucis, chagrins ; mon ventre se dénouait, je respirais mieux. La vie devenait logique, riche, palpitante. Debout, face à Casius, je faisais de grands gestes pour lui donner le courage de chanter le bonheur, de chanter une grande joie toute simple. Casius essayait, timide, avec son sourire un peu triste, sa tête inclinée.
Puis Ludivine, ma sœur, est venue me rendre visite quelques jours. Sortie de l'hôpital depuis peu, elle semblait pleine d'une détermination un peu triste, de résolutions appliquées. Ses gestes ralentis par les médicaments lui donnaient l'air d'un robot plein de sagesse.
Je l'ai accueillie, un jeudi, plus anxieuse qu'elle. Je voulais qu'elle prenne chez moi des forces pour les années à venir, qu'elle rie, qu'elle pleure si elle en avait besoin, je voulais qu'elle se repose sur moi un moment.
Nous avons parcouru Montmartre à peine revenues de la gare. Ludivine avait besoin de marcher pour s'extirper de la gangue des médicaments. Elle avançait, le front haut, droite, son long cou de danseuse étiré, et j'avais peine à la suivre.
Pendant que je donnais quelques cours, elle est encore allée, infatigable, jusqu'au musée Rodin. Elle m'a rejoint pendant la dernière heure, dans une toute petite salle, alors que Casius chantait la chanson de Lou Reed. Elle s'est assise à côté de moi, en face de mon élève. Nos jambes se touchaient et je luttais contre l'envie de la prendre par l'épaule. Les mots ont soudain pris un autre sens, la chanson est devenue absolument triste, le You just keep me hanging on m'a donné envie de sangloter et j'ai regardé ma sœur qui était assise à côté de moi. Je ne savais pas si elle connaissait assez l'anglais pour comprendre que j'aurais tellement voulu qu'elle me la chante, cette chanson.
Nuria a été psychomotricienne. Mais, bipolaire, elle a été mise à l'écart du service où elle exerçait. Alors, toute la journée, elle trie des papiers, archive, classe. Et la souffrance qu'elle ressent à ne plus pratiquer son métier se manifeste physiquement :
"Je tombe, me dit-elle. Dans la rue, je tombe. Les gens appellent les pompiers alors que je sais parfaitement pourquoi je tombe. Le fardeau est trop lourd, dit-elle, secouant la tête entre ses épaules.... Remarquez, je les comprends. Cela semble parfois la seule chose à faire, appeler les pompiers..."

Nous avons des conversations passionnantes et plusieurs fois nous avons passé l'heure de son cours à discuter de certains de mes élèves. Ainsi, comme je lui parlais d'une adolescente qui se tenait toujours la tête penchée, comme entrainée par le poids de sa fantastique chevelure, Nuria a évoqué les animaux, qui devant un prédateur présentent leur jugulaire en signe de soumission. Je me demande ce que Nuria pensera lorsque je lui raconterai la semaine prochaine que la jeune fille est arrivée samedi les cheveux teints en roux. Du même roux que le mien.

Un jour, alors que nous faisons le compte des cours qu'elle a pris, Nuria parcourt son agenda.
"Ah, voyez, me dit-elle. Ce mardi-là j'ai noté "Cours passé à parler suite à une question de la prof."
-Arg, ai-je dit, alors, vous notez tout ?
-Oui, c'est nécessaire. Car avec les médicaments, j'oublie beaucoup de choses...."

Un peu plus tard, elle me décrit les cours de dessin qu'elle suit.
"Le prof nous a imposé d'avoir de grandes feuilles de papier. Nos gestes doivent être grands, ils mobilisent presque tout le corps. Et ça fait du bien après une journée passée courbée sur des dossiers, de se déployer, de se balancer, de s'étirer. Un peu comme ici... C'est le modèle qui décide quand changer de position. C'est assez déstabilisant. Parfois, il ne tient la posture que deux minutes. Il y en a qui ont du mal à renoncer. Ils continuent bien après le changement. Ils ont besoin d'avoir fini avant de passer à autre chose. Moi je m'en fiche. Ce qui compte, comme dans mon agenda, c'est de laisser une trace. Si petite soit-elle, elle me suffit à me retrouver..."
En fin de journée, Princesse Camcam m'a raccompagnée à la gare. Nous venions de passer une après-midi parfaite. J'avais feuilleté les livres qu'elle admirait, scruté les originaux de ses illustrations au mur. J'avais rempli mon sac de cadeaux tous plus beaux les uns que les autres, siroté du thé, mangé des chocolats. Les abords de la voie ferrée étaient calmes. La ville, bien cachée derrière une barre d'immeubles de briques rouges, frissonnait à peine.
Je lui posais des questions sur sa belle-mère dont j'avais admiré, à l'entrée de son appartement, une peinture. Son beau-père, lui, m'a-t-elle appris, réalisait des illustrations médicales.
"Et tes parents à toi, ce sont des artistes aussi ?
-Non, mais ma mère a toujours dessiné pour nous. Je me souviens, elle dessinait d'un seul mouvement, elle commençait par les pieds et elle remontait jusqu'à la tête. Après, elle ajoutait les détails, les yeux, la bouche. C'était toujours très mignon, très délicat.
- Comme tes dessins ?
- Oui. D'ailleurs j'ai appris en recopiant ses dessins. Je faisais comme elle, un seul geste. Et ensuite ma petite sœur a appris à dessiner en copiant les dessins de ma mère et les miens...
- Et tu pourrais dire que vos dessins se ressemblent ?
- Oh je ne crois pas, plus maintenant. Il y a sans doute des points communs mais..."

Dans le train je me suis demandée si le chemin que je suivais m'avait été indiqué par mes parents. Il me semble parfois que je suis née de moi-même, que je ne dois qu'à une étrange ténacité d'avoir réalisé certains de mes rêves d'enfant.
Eve tirée de sa propre côte.
M'est revenue pourtant cette anecdote que j'avais oubliée depuis longtemps : mon père, étudiant en médecine, s'était mis à chanter, ivre peut-être, lors d'une soirée. Un homme se serait avancé peu après et lui aurait dit, en lui donnant sa carte : "Appelez-moi, je peux faire de vous un grand ténor!".

Et c'est en jalousant ma mère attelé à la rédaction d'un livre d'orthographe avec deux collègues que j'avais rédigé mon premier conte, une histoire de sorcière et de couronne d'épines...

Ce billet a trouvé un écho chez Arf.

Peintures : Tiina Heiska

mardi 1 décembre 2009

Surviving Elvis

C'est* en voyant mon père danser le rock acrobatique, vêtu d'un pantalon rouge moulant, que je pris conscience de sa ressemblance avec Elvis Presley.
J'avais treize ans, un appareil dentaire des lunettes qui dévoraient la moitié de mon visage et une coupe de cheveux improbable. Quand je passais devant les lycéens en groupe devant le gymnase, j'entendais parfois : "Salut la moche !" Pourtant, le visage incliné vers l'arrière, dans le miroir de la salle de bains, je m'observais et trouvais que mon nez, finalement, n'était pas si grand, ni mes traits si aigus. Mon regard, vu du dessous semblait mystérieux, presque fatal. J'avançais mes lèvres vers leur reflet et susurrais "I love you..." en laissant ma voix ronfler dans ma gorge. Ma mère un jour me photographia, curieusement déhanchée, un coquelicot entre les dents, le visage rejeté vers l'arrière et dès lors, dans la famille on m'appela, pour rire, Norma Jean.

Il me fallut peu de temps pour réunir des preuves confondantes. D'abord, physiquement, mon père avait tout d'un Elvis vieillissant. Certes, il avait choisi de changer la couleur de ses yeux pour du marron mais je savais qu'il portait des lentilles. Ce n'était donc pas un problème. Ses joues, larges et allongées demeuraient, ainsi que son grand front, sa gentillesse légendaire et son jeu de jambes irrésistible. Sur la scène de l'école de danse où il prenait des cours - histoire de brouiller les pistes - il envoyait sa partenaire titiller, du bout des escarpins, la voie lactée multicolore des spots clignotants. Sa chemise pailletée découvrait un torse strié de longs poils noirs où s'accrochait des chaînes et des médaillons religieux. Je le trouvais magnifique et l'émotion me faisait pleurer et crier lors des applaudissements. Mon père feignait d'avoir le trac mais ne pouvait s'empêcher de prononcer, en même temps que le chanteur, les paroles dans un anglais parfait. En famille, on l'appelait l'Américain parce qu'il ne rêvait que d'aller arpenter les Etats Unis, était intarissable au sujet du Grand Canyon, de New York, Los Angeles et connaissait mieux les présidents américains que les présidents français. Avec l'espoir d'obtenir de lui des aveux, je lui lançais parfois des phrases énigmatiques comme "Ce doit être dur d'être exilé" et son hésitation à me répondre était notée et archivée avec les autres éléments à charge. Il me semblait que dans ces moments là, sa diction devenait trouble comme si un accent transparaissait derrière les mots anodins. A l’affût, j'épongeais son front dans les loges mais mon père restait silencieux et je ne pouvais vérifier si ses dentales étaient molles ou pas, ni m'assurer que ses r ressemblaient à des w.

Ce qui me causa plus de souci fut de prouver que ma mère était Marylin Monroe. Je savais qu'elle avait eu une brève liaison avec le King mais le problème c'est qu'elle était morte bien avant l'âge supposé de ma naissance. Devant le peu de probabilité qu'on m'ait menti sur mon âge, je dus me rendre à l'évidence : la fécondation avait dû avoir lieu post mortem et j'avais grandi dans le ventre d'une mère porteuse, celle avec qui je me disputais régulièrement depuis les premiers signes de ma puberté. Nos conflits se trouvèrent apaisés de cette découverte. J'avais quand même un lien avec cette femme et j'acceptai mieux qu'elle m'empêche de tenir la télécommande et m'oblige à débarrasser la table. Néanmoins, sous certains angles et sans lunettes, il était évident que j'étais un mélange - certes un peu décevant - d'Elvis et de Marylin et que je n'avais rien d'elle, sauf les lunettes. Les yeux dans les yeux de mon reflet je murmurais "Why did you let me, mummy ?" avec une expression navrée de circonstance.
Marylin, hélas, ne me répondait jamais...

Finalement, peu après mes quinze ans, mon père se tua, accidentellement, sans avoir jamais trahi son secret et je pleurai comme s'il n'avait été que mon père. Sa deuxième épouse, ma belle-mère, accepta que je prenne le pantalon en viscose rouge et les chaînes en or. Le dimanche, lorsque j'allais lui rendre visite, j'écoutais un par un les vinyles de mon père à la recherche d'un message que je reconnaîtrais. Je terminais toujours par les albums du King, découvrant que ce que je préférais, dans sa voix, c'était l'espèce de trémolo qui donnait l'impression d'un sanglot caché sous chacun des mots qu'il prononçait. Les yeux fermés j'essayais de me souvenir si dans la voix de mon père il y avait eu, aussi, le signe d'une fin tragique mais ce qui émergeait de cette réflexion c'était seulement que j'avais déjà oublié le son de sa voix et cela me rendait triste.

Je ne sais combien de temps cela prit et de quelle façon cela arriva mais un jour je cessai de croire à la mort de mon père... Est-ce en voyant le film Itinéraire d'un enfant gâté de Lelouch, dans lequel un homme décide de changer de vie et se fait passer pour mort ? Est-ce à force d'écouter les serments d'amour de Presley ? Je passai bientôt plus de temps à imaginer des scénarios alambiqués avec vol de cadavre à la morgue, simulation d'accident qu'à regretter son absence. Il aurait fallu que j'accède à des preuves et je harcelai en vain mes proches. J'appris de justesse qu'il avait été accroc aux amphétamines et qu'il avait souffert d'une dépression. Si cela me confortait dans l'idée que mon père était Elvis, cela ne me donnait aucune piste quant à son lieu de résidence actuel. Les recherches google au nom de mon père me donnèrent un jour un homonyme, maire dans le 9ème arrondissement. Je lui écrivis une lettre que je n'envoyai jamais. Finalement, je réalisai que s'il avait choisi de changer de vie c'était peut-être pour retrouver celle d'avant.

Depuis, je piste tous les Elvis du monde...

Aujourd'hui il a 74 ans.

*Ce billet était paru l'année dernière sur lexpress.fr, il m'est revenu à l'esprit en découvrant le livre Elvis de Taï-Marc Le Thanh et Rébecca Dautremer

Illustration : Rebecca Dautremer