samedi 29 septembre 2007

Pour l'hiver

Traversant le parc au son des piétinements émerveillés de mon Zozo magnifique, je fus abordée, la semaine passée par un doux pochtron au regard égrillard.

Il y en a une floppée juste avant le jardin d'enfants, étalés en bandes sur des bancs, mous, avachis ou au contraire l'oeil en vrille, armés en esprit de quelques lances mirobolantes, prêts à pourfendre le quidam qui les bousculerait tout en tentant de les éviter.

Au mien il manquait toutes les dents de devant mais cela n'empêchait pas son oeil de friser ; la tête un peu penchée sur le côté, il me dévisagea avec admiration avant d'étaler ses compliments dans le soleil automnal comme de la peinture à l'huile sur une toile expressionniste. Puis, il tenta de m'expliquer que là il était en stand by, mais que ça n'allait pas durer. Il avait des projets. Sa précédente invention, une poussette électrique, n'avait pas aboutie, ses sponsors l'avaient lâché au dernier moment et c'est pour ça qu'il se trouvait là... en stand by.
Je l'écoutais poliment, aquiesçant à intervalle régulier, surveillant les pérégrinations, autour de nous d'un Zozo aussi amusé que moi. Car il ne fallait pas se fier aux apparences, m'apprit mon courtisan du mercredi, bientôt il serait riche et célèbre grâce au projet sur lequel il était entrain de travailler :
- Vous connaissez les couvertures chauffantes ? me demanda-t-il
- Hum, oui oui, répondis-je en m'élançant pour rattrapper un Zozo qui prenait la poudre d'escampette.
- Vous savez, c'est une couverture qu'on branche et elle reste super chaude. Et bien, sur le même principe je vais créer un ... chauffant.
(Je n'avais pas entendu le mot, répondant à une question impérative de Zozo)
- Comme c'est intéressant, approuvai-je, quelle bonne idée !
Alors mon Don Quichotte d'opérette s'emballa, il se mit à gesticuler, à mimer, éructant de fierté, avec aussi, au fond des yeux, une lueur qui s'était embrasée :
-C'est vrai, non ? Vous les femmes, vous avez toujours froid aux seins ! D'abord les femmes, elles ont souvent froid ! Pas vrai ? Ya qu'à vous regarder, vous vous tenez toujours comme ça (et il mime la position que j'avais à l'instant, les bras agrippant mes propres épaules dans le but évident de ne pas geler sur place) Grâce à mon soutien-gorge chauffant, vous n'aurez plus froid aux seins !
J'ai tenté, je l'avoue, un instant de faire entendre raison à cet homme ("Mais je n'ai pas froid aux seins, j'ai froid, c'est tout !") mais au bout d'un moment ce fut gênant et ma main s'ouvrit, une seconde, le temps de lâcher la capuche de Zozo, qui libéré, s'échappa :
- Bonne continuation, criai-je de loin à mon chevalier servant à qui nononon je n'avais pas le temps de faire une petite bise !

dimanche 23 septembre 2007

Nymphe

Discussion du dimanche :

Lui : Tu écriras lorsque Zozo sera chez Urszula ?
Moi : Hum, en ce moment je n'y crois plus. Il y a eu des périodes où j'étais satisfaite de mon existence, parce que j'avais l'impression de réaliser tous mes rêves d'enfant : je chantais, j'écrivais, j'avais de grands projets dans ces deux domaine, sans parler de mon bonheur en amour... Aujourd'hui il me semble que je n'arrive à rien... même l'amour me semble parfois ardu, épuisant.
Lui : Je crois que tu n'as pas compris le fonctionnnement des blogs... Tu n'auras jamais aucun lecteur si tu ne publies pas régulièrement !
Moi : Oui et quand je serai sur le point de mourir je me dirai "j'ai de quoi être fière, j'ai écrit dans des blogs !"
Lui : Ce que tu es NE-GA-Tive comme fille !

Il en a profité pour ajouter, qu'en m'écoutant commenter avec Zozo, des dessins animés que nous regardions ensemble, il avait noté que je signalais toujours ce qu'il y avait de triste : "Oh, il s'est fait un bobo Trotro ! Il pleure ! " etc. J'ai protesté. Je crois que c'est faux mais le doute s'est insinué et ce soir je pense être une mère aussi pitoyable que la chanteuse que je suis devenue, fatigant au bout de 45 mn de vocalises parce qu'elle ne s'astreint plus à chanter tous les jours.

Les choses ne se sont guère arrangées.
De temps en temps, on se croit tiré d'affaire ; parfois j'exulte , gonflée d'orgueil comme dans un jabot pourpre : je ne suis plus la même qu'enfant. Je suis une autre. Et je toise, de loin, celle que j'ai supporté longtemps, trop timide, embarrassée, godiche, trouillarde, si désireuse de se faire aimer qu'elle faisait fuir ses camarades. Bon débarras ! Jamais plus je ne distribuerai à des gens qui ne m'inviteront pas à leur prochaine boum, tout le gâteau que j'ai fait en E.M.T !

Mais pourquoi apparait-elle, cette fille à la voix tremblotante, tandis que je discute avec n'importe quelle autre mère de n'importe quel sujet concernant nos enfants, assise au bord du bac à sable ? Comment se fait-il que quel que soit le sujet abordé, je finisse par avouer "tu as raison, je crois qu'il faut que je fasse autrement !"

Plonger en soi-même comporte des risques. J'ai envie de m'immerger dans mon lit et de n'en pas ressortir jusqu'à la fin des temps. Je réalise que je n'ai pas mué, que je suis prisonnière de ma chrysalide. Je ne fais plus de gâteaux, de peur d'être tentée de les distribuer mais je gaspille mon temps libre, je brade mes désirs, j'oublie mes rêves.

vendredi 14 septembre 2007

Des mots sur les mots

Je lis dans la torpeur du sommeil qui m'attend, au milieu de la nuit. Mon coeur bat faiblement, la lumière de ma lampe tremblote sur les murs, ma vue est glauque, je ne pense à rien, je ne suis plus moi, juste un habitacle dans lequel résonnent les mots des autres. Dehors, un homme hurle, de temps en temps un autre passe en faisant ronfler des phrases étrangères dans son téléphone. Autour de moi des dizaines de cartons forment des murs entre les murs de la vaste chambre, un discret labyrinthe ; ils sont, eux aussi, remplis de phrases, d'idées, de magie, de poésie, d'horreur, ils m'ont habités une nuit, quelques heures, parfois un peu plus et je les feuillette souvent pour y retrouver celle que j'étais lorsque je leur appartenais.

Encore quelques mots, une ou deux pages, avoir la réponse à cette question, savoir ce qu'il advient d'un personnage et comment ? Et puis, pourquoi ne pas finir ce soir, cette nuit ? Demain je pourrais en commencer un autre, choisir entre les nouveautés de la bibliothèque et celles achetées, un jour assoiffée...

Est-ce de la curiosité alors que mon corps semble déjà au repos, sans appétit et sans désir ? Est-ce de la dépendance ou la peur d'éteindre la lumière tout simplement ?

Ma mère et ma soeur lisent aussi avant de dormir. Ma mère parcourt religieusement, chaque jour, Le Monde et dévore des romans policiers de tous styles, suédois, chinois, bouddhistes, sanglants, philosophiques, élizabétains, en commençant parfois par la fin. Ma soeur alterne entre Fantaisie, Bandes Dessinées de la bibliothèque, Canard Enchainé et Science-Fiction. Aux cabinets, elle se délecte de Fluide Glacial.
Je lis des romans américains, français, des nouvelles japonaises, des biographies, plus rarement. Je recherche parfois des récits qui parlent de moi, désirant, au contraire, certains jours découvrir des mondes inconnus, des personnages plus courageux ou plus mystérieux. J'aime les vraies histoires, comme on dit, les histoires qui m'emportent loin, les livres de sueur, de sang, de tripes. J'apprécie aussi les ouvrages de mots, sans coûtures apparentes, avec de temps en temps une sensation timidement esquissée, un personnage impressionniste, une fin méditative ; ceux-ci laissent dans mes souvenirs la trace fraîche et un peu écoeurante du passage d'un fantôme.
Comme au restaurant il y a les jours andouillette à la moutarde, tournedos Rossini et les jours Dodine de canard à l’ancienne pistachée, les envies de fruits de mer et celles de réserver sa faim pour le buffet des desserts.

Et vous qui me lisez, que lisez-vous ?

jeudi 6 septembre 2007

Une araignée au plafond

Mon fils a les cheveux en forme de nuages, des accroche-rêves sur la nuque. Il sommeille à côté de moi, bras et jambes étirés, il est gracieux dans un sommeil aussi profond que la nuit.
J'ai noté, dans un très beau texte de Marie-Claire Pasquier aux Editions Autrement : "La mère qui a un fils accède dans l'arrogance de l'illégitimité au statut majeur de mère-de-héros. Son phallus, dit-on. "
Au square, parfois, je me retourne pour voir si les mères, les pères, les nounous présents remarquent les exploits vertigineux de mon fils. Lorsque je croise un regard, le mien est victorieux, mon front est haut et fier, je souris. Si les visages demeurent impénétrables et mystérieux, cela ne m'empêche d'être grisée de joie lorsqu'à la descente de son tobbogan, il s'applaudit lui même avec un sourire de bonheur pur.

Hier, alors que la femme-qui-dort-sur-le-trottoir reposait, cachée sous une toile de tente sans tente, la nuit à peine tombée, des cris m'ont attirée à la fenêtre. Un homme lui criait " Allez, rentre à la maison maintenant, ça suffit ! Viens dormir au chaud, arrête de faire ta pauvresse ! " Le temps que j'accède à mon balcon, il tournait déjà les talons en l'insultant, parce que, sans doute, elle avait refusé, parce qu'elle l'avait repoussé ou simplement ignoré. Il l'insultait sans se retourner et il insultait sa mère. Elle lui répondait, farouche, d'une voix puissante et grave mais tellement plantée sur ses jambes que pour la première fois j'ai vu qu'elle paniquait. Avant de tourner au coin de la rue il a balancé " Tes enfants tu n'es pas prête de les revoir, ils vont aller à la DDASS ! Tu ne les reverras pas !"

Alors l'effroi m'a saisie. Peut-être suis-je trop naïve et sacrément ignorante du monde dans lequel nous vivons mais cette femme je voulais la voir seule, loin des siens. Je m'étais racontée une histoire d'esclavage moderne mâtinée de mariage imposé avec, en guise de préambule l'exportation forcée d'un pays pauvre mais aimé ; elle avait fuit, c'était normal.
Je savais bien que cela n'expliquait pas tout, par exemple les longs conciliabules qu'elle tenait seule, des heures durant, ses fous rires inexpliquables, son regard opaque où se reflétait ma honte. Mais n'est-ce pas normal, arguais-je, en contemplant une araignée courant sur mon plafond, si l'on est seul tout le temps, de finir par parler à voix haute ?
Pourtant, voilà : cette femme a un foyer quelque part avec des enfants et un compagnon -une espèce de brute écervelée pour ce que j'ai pu en juger - or, un jour, elle a rangé dans une petite valise marron, une petite couette à fleurs comme celles qui recouvrent les canapés-lits dans les appartements d'étudiants, une toile de tente sans tente, des cigarettes, peut-être un peu d'argent et elle est sortie se coucher dans la rue.

Elle avait de belles tresses, elle a fini par les ôter, un matin. Son sourire surgit comme un fugitif qui sent sur ses mollets le souffle des chiens lancés à sa poursuite. Et souvent, il me semble la voir sangloter, le visage grimaçant, les pommettes asymétriques, les cheveux courts, dressés sur sa tête.
Sitôt qu'elle croise mon regard, elle se remet à rire, discrètement. Et je me cache, je me tais, les yeux aux plafonds, j'écoute la respiration de mon fils qui dort à côté de moi.