[Désormais tous les dimanches (à peu près) je citerai 7 paroles de blogueurs qui m'ont plu, touchée, emballée, inquiétée, interrogée...] Face au garage blanc, à côté de la terrasse, dressée sur la pointe des pieds, je guette le moment où la grande roue s’illuminera, loin, en bas. Ma grand-mère crie “la soupe au pistou est prête !” Je suis encore en maillot de bain. Mon père allume une spirale verdâtre anti-moustiques sous la table.
J’attendais nos rendez-vous. Je n’attendais que ce moment de bonheur. Tous les jours, je m’entraînais à la flûte, je cherchais de nouvelles mélodies à l’oreille, j’apprenais — très facilement — les morceaux que vous nous donniez à travailler. Les élèves vous aimaient bien, mais moi je vous adorais. Vous ne voyiez pas ma laideur, ma maigreur. Vous étiez indifférente à mon accoutrement qui me valait les quolibets cruels des autres enfants, ainsi que les regards appuyés de certains professeurs. Ma mère achetait mes habits chez Tadduni, j’étais vêtue comme une souillon, j’avais honte et j’avais peur, trop petite, trop seule. Vous me disiez de jouer et vous me félicitiez. Vous m’aviez appris la musique et moi, alors, je n’avais plus qu’à bien placer mes doigts, souffler juste ce qu’il fallait, et j’étais libre.
Ma veste, quant à elle, est grise et, malgré la chaleur abominable lors de cette conférence suivie d’un apéritif dinatoire imposée par un patronat combattable, j’ai du la garder toute la soirée pour cacher la déchirure latérale de mon pantalon gracieusement offerte par la RATP dont au sujet de laquelle les RER ont des accoudoirs agressifs allant jusqu’à se glisser dans la poche de mon pantalon au moment où je m’asseyais.
Lourdement, je dois avouer, ce qui explique que la poche soit restée dans l’accoudoir en question au moment où mon délicat fessier touchait le siège.
Il faut savoir qu'en Guinée dès que tu manges un peu plus de Riz que les autres, tu es considéré comme riche et ben tous les voisins, cousins, tante vont donner à leur enfant le même prénom que le tien! Parce que y'a une coutume qui veut que tu offres des cadeaux à ton homonyme...et tous les jours si possible!
J’aime bien me parler à moi-même; je suis toujours présente, toujours attentive et je n’interromps jamais. On écoute la mer, oreille au coquillage. Moi j'entends son ramage, bien loin de ses rivages, En fixant un galet, mon esprit aux aguets.
Puis nous rions z’à gorges déployés. A tel point qu’on pourrait s’appeler monsieur et madame Déployés ont des fils comment l’appellent-ils ? Georges. Parce que Georges Déployés.
En dessous de sa boule sombre de cheveux, elle confesse : "Je suis sous antidépresseurs depuis deux semaines et demi. Je vais mieux, remarquez. Au début, j'ai carrément été d'humeur suicidaire.
Je réponds : - Attendez, Pamina, reprenez depuis le début. Vous avez reçu un recommandé au moins ?"
Mais la secrétaire n'arrive pas à me parler de ce qui s'est passé car c'est son avenir qu'elle voit en gros plan, menaçant : "Au premier juillet je vais être SDF. Je vis dans un résidence hôtelière sociale. Il faut payer le loyer le premier du mois. Sinon on est mis dehors. Le 1er je ne pourrai pas payer. - Mais il ne vous a pas donné d'indemnités ? - Il me versera un mois, le mois de juillet. Il m'a dit que je ne méritais pas plus. Vous verriez les mails qu'il m'envoie depuis. C'est du harcèlement. Et des sms ! Il m'écrit des horreurs. Il m'a interdit de parler aux professeurs. Il évoque la liste interminable des griefs que ceux-ci ont, d'ailleurs, contre moi.
Elle frémit : - Alors que jamais, jamais je ne me suis autant dévouée pour un emploi ! Parce qu'il n'y avait pas que l'accueil, le téléphone, les relances, les facture.... Le mercredi je surveillais les petits. Qu'ils ne se précipitent pas sur la route en sortant de leur cours d'éveil musical. Qu'ils repartent avec la bonne personne. Certains parents les laissaient à ma garde un peu avant le cours, des tout-petits ! - Bon, il va vous verser un mois en plus de votre salaire de juin, vous pourriez donc payer votre loyer ? Il ne faut pas perdre votre logement. - Mais non, si je paye mon loyer je n'aurai pas de quoi manger. Je m'en sortais, péniblement, parce que le 15 du mois je demandais une avance. Imaginez, je gagnais, avec mon Contrat d'Avenir, 756 euros net par mois, pour 26 heures par semaine. Et mon loyer est de 580 euros. J'ai seulement 155 euros d'APL. Avec l'avance j'y arrivais. Mais là ce ne sera pas possible. - Et vous ne m'aviez pas dit que vous aviez un frère sur Paris ? Il ne pourrait pas vous héberger le temps que vous retrouviez un emploi ? - Oh non ! Je lui ai déjà demandé. Il n'a pas la place, il a énormément de frais, un crédit à rembourser, ses deux enfants qui font des études. Il ne pourra pas m'aider, malheureusement."
Nous nous taisons. Il y a quelques temps j'avais parlé en riant de Pamina et de ses sautes d'humeur avec Pinkerton, notre directeur. Il m'avait coupé en pavoisant : "Son contrat se termine dans six mois. Dans six mois, elle est partie !" Depuis, je tergiversais. Fallait-il que je la prévienne afin qu'elle commence à chercher son futur emploi ? Je craignais de la blesser, qu'elle ne me croie pas, que Pinkerton, si elle lui en parlait, nie et que les deux se retournent contre moi.
Finalement, Pinkerton, sans doute pour économiser ses salaires d'été, a décidé de ne pas attendre janvier pour se passer des services de Pamina. Il l'accuse de faute grave parce qu'elle s'est opposée à une mère d'élève qui agressait une remplaçante un peu paumée. La mère a décidé de ne pas réinscrire ses enfants à l'école l'année prochaine. Or elle rapportait 1500 euros par an. Voilà le prétexte qu'a saisi Pinkerton, au vol. Au début, il a voulu mettre Pamina à la porte comme ça, du jour au lendemain. Le 9 juin il a posté un recommandé de licenciement en même temps qu'il lui signifiait, par téléphone, une mise à pied. Le lendemain, il s'est ravisé et l'a autorisée à reprendre son poste jusqu'au 4 juillet, date des vacances de l'école. Pamina m'a fait ses adieux : " Je suis contente de vous avoir vue avant de partir. Comme ça je peux vous dire au revoir. Je vous aimais beaucoup. Alors..."
A douze ans elle avait un corps d’adulte. Ses courtes jambes s’étaient carrossées d’une belle graisse blanche. Un duvet parsemait son visage austère, lui donnant l’air appétissant d’une pêche un peu verte. Sa taille encore délicate et sa poitrine sèche titillaient l’attention des hommes. De loin, l’or du soleil couchant l'englobant comme le cadre d’un tableau dont elle aurait été la figure, ou, marchant sur un quelconque chemin qui craquait sous ses pas, elle ressemblait à ces vapeurs tremblotantes qui s’élèvent près d’un cours d’eau, après une sieste. Il semblait qu’elle allait s’enfuir d’un battement de cil ou vous hanter à jamais.
Elle aurait pu être aimable pourtant.
Elle souriait volontiers lorsqu’on lui pinçait les joues. Elle aimait travailler et travaillait vite. Ses sept frères trouvaient en elle une suppléante pratique à leur mère accablée. Elle leur coupait les cheveux et les rasait le dimanche, elle cirait leurs chaussures et lavait leur linge. Elle les servait à table. Le dimanche, elle les regardait partir sur la grande route en direction du village où ils buvaient jusqu’à l’aube.
En grandissant, Jeanne se découvrit une passion pour les animaux.
Les poules se laissaient caresser en picorant de jeunes grains de blé verts et des miettes de pain perdus entre les plis de sa paume creusée. Jeanne lissait leurs plumes du bout des doigts, tapotaient leurs flancs et touchait doucement leurs pattes dont le contact sec, la rugosité craquelée l’étonnaient toujours. Parfois, l’épiderme de leurs griffes, semblable à des écailles de poisson, se soulevait et éraflait à peine la pulpe de ses doigts. Jeanne pensait aux morceaux de bois que l’un de ses frères, Théodore, taillait avec un couteau pour les transformer en figurines grotesques.
Assis, tard le soir, devant la cheminée, il enroulait autour de son couteau les lamelles d’écorces ; elles finissaient par se rompre et flottaient jusqu’au sol. Le raclement répétitif du coutelas sur le bois irritait le père qui toussait pour le couvrir et remuait sur sa chaise, lâchant de temps en temps un mot tel un pet, agressif et nauséabond. De toutes façons, les gestes de Théodore attiraient les regards et la famille n’avait rien d’autre à faire.
Il procédait toujours de la même manière. D’abord, il épluchait le bois pour lui donner un aspect uniforme. Alors il approfondissait le rondin en deux endroits. Celui du haut devenait le cou. Celui, du milieu, moins creusé, la taille.
De temps en temps, une voix s’élevait, pour commenter la tournure que prenait le personnage.
« Ça, disait un frère, on dirait bien la bedaine de Firmin. - Non, regarde, il est court sur pattes, c’est Emile, plutôt, répondait Honoré. » Jeanne pensait que Théodore se servait de ces remarques pour nommer l’objet qu’il avait taillé sans idée préconçue : si son couteau dérapait et rognait le ventre d’Emile, alors on croirait qu’il avait choisi de sculpter Antonin, l’efflanqué.
Elle était la seule qui ne s’émerveillait pas de ses prodiges artistiques. Dubitative, elle ne disait pas un mot lorsque les autres s’étonnaient que Théodore ait choisi de sculpter pour la troisième fois Antonin. Jeanne avait vu le couteau déraper plusieurs fois, ôter des joues, creuser le ventre et elle avait deviné le subterfuge qu’utiliserait « l’artiste » : ` « Je n’étais pas content de ce que j’en avais fait la première fois, avouerait-il en se rengorgeant, je refais l’Antonin.»
La mère le regarderait en penchant la tête de côté ; le père ferait grincer sa chaise quelques fois. Puis, il balancerait quelques mots à sa manière heurtée, le souffle court : « Bon, ben moi, tout ce perfectionnisme, ça n’est plus de mon âge. Je vais me coucher. »
C’était, dans son esprit, à n'en pas douter, un véritable compliment. Illustration : Lisa Hurwitz
"J'ai ma carte de donneur depuis 3 ans. J'ai dit à ma famille : si je meurs, vous donnez tout sauf les yeux." J’ai pensé à mes fesses dodues et je suis allée me consoler avec un cookie-banane.
Mais comme dans le dernier épisode, j’ai été embarquée en prison, je vous signale que ce n’est pas très simple de gérer un truc pareil depuis une cellule.
Peut être que je serais tombée amoureuse de Claude François, mais j'essayerai d'oublier si j'étais une fille des années 60 ! Bref. Ce soir, quand je suis partie, il y avait un cocktail. Ouais, on est une boîte de luxe quand même, alors on fait des cocktails régulièrement. Les gens achètent plus facilement quand ils sont bourrés, qu'ils disent à la direction.
J’en profite pour prendre quelques photos d’Alice dont le style, l’humour et l’étrange et vénéneuse beauté me vont droit au cœur. Je suis athée mais j'ai toujours adoré les histoires d'elfes, de fées et tout ça.
Peu avant l’accouchement, elle avait appréhendé le déchirement, encore une fois, de ses chairs, les contractions, les langueurs moites des premières tétées. Elle se disait « je ne pourrais plus ; j’ai eu sept fils, je ne pourrai pas enfanter une huitième fois ! »
On lui avait entaillé le sexe pour le premier. On en avait tiré un avec des pinces, marbrant de bleus ses cuisses et son pubis. Le troisième avait déformé complètement son corps, il pesait plus de quatre kilos à la naissance et elle, quelques vingt de plus qu’avant sa grossesse.
Elle avait vomi. Elle avait souffert de coliques et de constipation. Elle avait eu une hémorragie, sans parler des trois fausses couches et de ceux qu’elle « avait fait passer ». Une fois, elle avait dû garder le lit pendant six mois. Ses cheveux étaient tombés après le cinquième.Ses jambes étaient couvertes de varices. Ses seins pendaient sur son torse, plus flapis que les pis d’une vieille vache à lait.
Elle avait pleuré, elle avait hurlé, elle avait eu peur et prié. Elle avait vieilli, elle avait aimé. Ses colères étaient mémorables. Ses accès de tendresse aussi.
Mais pour Jeanne rien.
Elle s’était aperçue qu’elle était enceinte quelques semaines avant de la mettre au monde. Puis la petite avait été là, posée sur elle, silencieuse avec sa bouche en coin et ses yeux fermés.
La mère avait demandé « Elle va vivre ? » et la cousine, venue pour aider, avait frappé du dos de la main les fesses de l’enfant pour lui tirer un vagissement étonné. « Elle va vivre ? » se demandait la mère. Ce n’était pas « Est-ce qu’elle va aller bien ? Est-ce que tout va bien ? » Elle ne ressentait que du dégoût et de l’incrédulité : « Cette crevette, ce petit vers de terre est une chose qui est sortie de moi ? Ça va vivre ? »
Les années passèrent et la mère de Jeanne devint vraiment brutale. Elle cherchait à retrouver les sentiments de plus en plus énigmatiques qu’elle se souvenait d'avoir éprouvé en élevant ses sept fils. Elle criait, frappait, exigeait du répondant, réclamait de l’attention, geignait jusqu’à ce qu’une plainte, un geste, émerge de la sage silhouette insondable de Jeanne.
Mais les souvenirs de ses joies et de ses peurs passés s’effaçaient de jour en jour et Jeanne devenait dure et forte.
Alors qu’elle ne savait pas encore marcher, on la perdait régulièrement.
Elle gisait dans un panier de linge sale, sous une table, dans le garde-manger que l’on fermait à clefs parfois toute une nuit, avant de la retrouver, par hasard.
Une fois, elle fut oubliée dans la grange, de l’aube jusqu’à la nuit tombée. Elle y était restée si longtemps qu’elle avait manqué trois repas. Elle était allongée dans le noir, frigorifiée au milieu des courants d’air. Des moustiques avaient dévoré une partie de son visage. Ses langes étaient imprégnés d’excréments qui lui coulaient dans le dos. Ses jambes, ses bras, son cou, nus semblaient poinçonnés, ponctués de minuscules cercles que le long séjour dans le foin avait gravé sur la peau sensible. Mais lorsque sa mère la découvrit enfin, au milieu de la paille où elle l’avait posée le matin pour étendre son linge, Jeanne ne pleura ni de colère ni de soulagement. Elle ne sourit pas en voyant le visage couperosé penché au-dessus d’elle, ni en se trouvant enfin écrasée et réchauffée entre deux seins mous.
La mère de Jeanne, parfois, sentait naître un début de culpabilité qu’un cri aurait pu transformer en regret puis en caresse. Néanmoins, jamais Jeanne n’exigeait qu’on la console du mal qu’on lui avait fait. L’épisode dans la grange avait vu naître la dernière angoisse maternelle ; Jeanne n’avait pas, jusqu’alors, été perdue si longtemps et il sembla, un instant, que c’était peut-être une fois de trop. Pourtant, l’angoisse et les caresses se trouvèrent oubliées avant même de s’être exprimées lorsque Jeanne se laissa prendre, changer, réchauffer, nourrir, sans une larme, sans un frisson de fièvre. La mère se dit Tiens, elle est docile cette enfant, et pas capricieuse mais elle n’en tira aucun plaisir.
La plupart du temps, Jeanne levait les yeux sur elle, ses deux lèvres fines et sèches comme des brindilles serrées l’une contre l’autre, craquelées. Son corps était mou, glacé. Elle se laissait déshabiller et habiller avec indifférence, sans lever les bras quand sa mère tirait sur les manches de son gilet, sans jouer avec ses pieds quand elle était allongée sur le dos, sans gémir si la pointe d’une épingle la piquait quelque part. Seuls, ses yeux s'arrondissaient comme des soucoupes ; ils tournaient dans leur orbite, coruscants et vides, fragments de miroir qui ne renvoyaient rien.
Son regard était insolite et jamais sa mère ne l’avait croisé plus d’une seconde. Il chavirait d’un endroit à l’autre, lentement, ténébreux accablant, profond, insistant. Il ne glissait pas sur ce qui l’intéressait, il ne parcourait jamais rien mais il s’y appuyait, au contraire, de tout son poids, il s’y fixait et ne s’en détachait que pour aller se poser ailleurs, aussi décidé qu’une main qui donne une claque. Il semblait parcourir le moindre millimètre de la peau du visage que l’enfant observait.
« Qu’attends-tu ? Que veux-tu ? marmonnait la mère en tournant la tête de sa fille de l’autre côté, vers le mur. Mais les deux billes du regard de Jeanne revenait aussitôt lui brûler les joues. La mère agitait sa main entre son visage et celui de Jeanne, comme si elle chassait des mouches. « Mais, mon dieu, se disait-elle soudain, est-ce mon grain de beauté sur le front qu’elle regarde comme ça ? » Elle ne pouvait s’empêcher alors d’aborder sa fille avec son autre profil, celui au front intact. Un peu plus tard, elle sursautait ; Jeanne fixait son cou. « Oui, j’ai un double menton, finissait-elle par grogner, tu verras quand tu auras mon âge ! ».
Jeanne ne frissonnait pas. Pas un muscle de son visage ne bougeait lorsqu’elle subissait des coups ou encaissait des insultes. A trois ans, elle ne parlait pas, ne demandait rien. Mais son regard était curieux et sans pudeur. Il s’immisçait où personne n’accédait. Il fouillait, devinait, soulignait. « Que regardes-tu, hein ? Que cherches-tu ? » demandait la mère en se frottant le cou.
Ce qu’elle aurait souhaité, c’est que cette petite fille ranime des sentiments qu’une existence trop dure avait épuisés. Or, elle ne savait qu'irriter ses nerfs fragiles.
[L'article qui suit n'est pas de moi mais d'un envoyé spécial qui tient à rester anonyme. Il a d'ailleurs mis toutes les chances de son côté en allant jusqu'à changer de sexe pour demeurer incognito sur les lieux des agapes...]
C'est pas si souvent que je mets des escarpins. Mais le jeu en valait bien la chandelle. Il faut savoir chambouler ses habitudes.
"Tu es heuuuu… jolie." m'a avoué Nicolas en rougissant un peu. J'imagine que ce n'est pas évident pour lui de se couler ainsi à mes changements… d'humeur, on va dire. Je l'ai pas embrassé. Ça lui aurait fait des traces de rouge à lèvres et puis, on était déjà en retard.
Devant la mairie (après cinq longues heures de routes semées de bûches, d'embûches et autres volailles faisane et/où à képi) la place est noire de monde. Je sais que les futurs époux on fait pas mal de connaissances à Coventry et que le blog de mademoiselle est très fréquenté, mais là, s'en est à se demander si, par hasard, Scarlett Johansson ne serait pas venue faire de l'ombre à la mariée.
L'explication de ce rassemblement est simple. Apprenant le mariage imminent de Georges et Stéphane, toutes la faune LGTB carolomacérienne (et environnante sans doute) s'est déplacée pour fêter l'événement. Je vous raconte pas les commentaires quand ils verront débarquer la promise.
Et pourtant elle est merveilleuse dans sa robe marron à traîne de tricot parsemée de chrysanthèmes en papier crépon. Quant au marié, il a fière allure dans son uniforme. Même si je n'ai jamais été fan de la minijupe plissée et des pantoufles à pompons.
Nicolas et moi nous installons dans un recoin discret de la salle des mariages (après tout, on a pas été invités) tandis que le couple fait son entrée sur le "My Way" des Sex Pistols.
La cérémonie débute avec un retard coquet.
Je capte pas grand-chose au discours de Madame le maire, mais c'est pas par manque d'attention. Juste qu'un tiers des invités traduit en simultané à un second tiers dans des idiomes divers et variés. On se croirait au pied de la tour de Babel un jour de soldes. C'est trop sympa !
Au moment du traditionnel baiser, Nicolas me passe un bras autour des épaules. Je lui balance mon coude dans les côtes. Faudrait pas qu'il profite de la situation non plus.
J'adore le lâcher de marcassins à la sortie de la mairie. Ça change tellement des froufroutements mièvres de ces colombins crétins. Ici on trempe des deux pieds dans le romantisme rimbaldien, parce qu'un petit sanglier, ça chie autant que les habituelles colombes, mais au moins on le voit venir.
Comment nous nous retrouvons embringués au vin d'honneur ? Je ne saurais trop le dire. Mais une chose est sûre, ç'aurait été dommage de manquer un buffet à la griffe si reconnaissable.
Servir un cocktail à base de bière de porto et de Bailey's c'est couillu mais ça s'accorde à la perfection avec les mignardises qui rappellent sans doute de jolis souvenirs à beaucoup de monde. Le service étant assuré par une demi-douzaine d'Albanais gigantesques, je mâche longuement mon roulé de saucisson polonais au cheddar en bombe histoire de ne pas être obligé de me resservir tout de suite. Quand je me vois proposer de goûter les feuilles de vigne au pâté de marcassin (que je n'ai plus vu depuis qu'il s'égayaient tout à l'heure, d'ailleurs) je béni le ciel d'être une fille et d'avoir emporté une pochette pour y recracher discrètement ce que j'ai en bouche tout en faisant mine de chercher un mouchoir. Mon boyfriend, lui, a eu la chance de tomber sur ce qui doit être du tartare de saumon au pamplemousse. Il pourrait m'en proposer, le salaud !
La musique traditionnelle a remplacé celle de R.E.M.. Les hommes tirent à la carabine. Quelques pigeons et une pie s'abattent, les pattes en l'air, dans les plateaux de sandwiches au concombre et de boulets sauce lapin.
J'aperçois tout à coup une jeune femme rousse qui m'évoque quelque chose, mais comme celui qui l'accompagne ne porte pas de chapeau melon, je préfère ne pas me faire remarquer en abordant de parfaits inconnus. Le copinage virtuel impose un certain devoir de réserve. La situation est déjà bien assez incongrue comme ça.
Au bout du troisième verre que je vide au pied d'un platane, ce dernier commence à montrer des signes de détresse. Il serait peut être temps de penser à rentrer.
Maintenant coiffée d'un chapeau de cow-boy, la jeune mariée vient de monter sur âne qu'elle oblige à se cabrer et s'élance au galop en poussant des cris perçants. Les invités la suivent pour la suite des réjouissances. L'endroit se vide rapidement. Il ne reste bientôt plus que des verres traînants de-ci de là, quelques flaques de vomi derrière les buissons et une paire de poules écrasées. Je croise le regard de Nicolas. Les quelques pintes qu'il s'est envoyé lui donnent un regard un tout petit peu vague et je remarque qu'il louche pas si discrètement que ça dans mon décolleté. Pour l'heure je ne sais pas si je dois m'en sentir flattée ou pas. Je n'avais jamais eu l'occasion de réfléchir à la question. Et comme je ne sais pas trop pendant combien de temps je vais garder cette garniture chromosomique d'emprunt, il serait peut être temps de penser à en profiter.
Nous remontons en voiture. Je baille à l'idée des kilomètres de forêt qu'il faudra traverser si on veut éviter les encombrements de l'autoroute. A la radio, on signale le contenu d'un camion citerne répandu dans un échangeur. Toute cette mayonnaise doit rendre la route très glissante. Je me prends à souhaiter… et bien que mon chauffeur me fasse le coup de la panne… et beaucoup de bonheur(s) auxmariés aussi, évidement.
Elle était née, sans tapage, un matin de décembre. Elle était si chétive qu’il avait suffit d’une seule poussée pour qu’elle glisse, gluante et violacée, entre les cuisses maternelles. Elle avait émis un cri que personne n’avait remarqué et que la cousine, venue pour aider, avait convoqué d’un coup sur les fesses alors que l’enfant fermait les yeux.
Déjà la violence sanctionnait son apparente indifférence.
On l’avait frottée avec une éponge rance plongée dans une eau à peine tiède et vêtue d’une layette bleue usée et rapiécée qui avait servi pour ses sept frères aînés. La mère, avant de lui accorder une attention courroucée, s’était essuyée entre les cuisses avec de vieux chiffons bons à jeter, propres mais troués et tendus par des taches roides que de multiples lessives n’avaient pas atténuées. Enfin, la cousine avait offert Jeanne aux bras de sa mère et les hommes étaient entrés pour voir la « première fille de la famille ».
Ils en avaient rêvé autrefois.
Elle mettrait de la gaieté dans la maison. Les garçons la protégeraient et se battraient pour elle. La mère lui donnerait ses robes de jeune fille embellies d’un ruban ou de dentelles qu’elles coudraient ensemble au coin du feu. Le père la gâterait, elle serait sa préférée. Mais finalement, Jeanne était arrivée trop tard. Ses frères étaient grands et envisageaient de s’établir avec leur propre famille. La mère avait utilisé ses vieilles robes pour en faire des chiffons et elle s’était, avec le père de Jeanne, repliée dans l’attitude aigrie, dans l’égoïsme mordant qui leur avaient semblé être la dernière possibilité de jouir encore un peu d’une existence décevante.
Ainsi le défilé devant l’enfant fut-il mou et contraint. C’était surtout l’occasion de s’arrêter en plein travail pour fumer et manger un casse-croûte exceptionnel. Jeanne s’était endormie sans téter le sein que sa mère lui tendait, nue sur le ventre ample et plein de plis qu’elle venait de déserter.
Un de ses frères, Paul, la réveilla encore en voulant lui faire desserrer le poing ; cette façon qu’ils avaient de serrer entre leur petits doigts, de toute leur force, un doigt beaucoup plus grand que les leurs, c’était le seul contact amusant qu’il se souvenait d'avoir jamais eu avec des bébés. Pierrot lui tira les cheveux qu’elle portait drus et noirs. Jean lui pinça les joues. Le père lui souffla une bouffée du cigare qu’il gardait depuis plusieurs années dans l’attente d’une grande occasion. Jeanne, bien sûr toussa et pleura, ce qui provoqua un fou rire général. Elle était si petite qu’au milieu de sa trogne rabougrie, on ne distingua pas, tout d’abord, les yeux violets pailletés de noir, et, par la suite, on eut si peu l’habitude de la dévisager, que l’on ne remarqua pas non plus l’étrangeté de son regard. Illustration : Lisa Hurwitz
"Je m'aperçus bientôt que je n'étais pas seule. On aurait même dit que j'étais accompagnée. Je recomptai : mon alien, mes deux cuissots et ma tête. Moi et personne d'autre. Je poursuivis mon chemin, sentant petit à petit grandir cette présence étrangère. "Il n'y a que moi", me raisonnai-je. En réalité, plusieurs êtres, manifestement intéressés par mon activité, décidèrent de se joindre à mon erratique promenade. Je me retrouvai vite entourée d'une nuée de personnages à qui je n'avais rien demandé, surtout pas de me suivre. "Et si tu allais chez l'épicier acheter du chocolat ? Oh ouiiii !" m'interpella une petite fille blonde à qui il manquait deux dents de devant. "Et puis tu rentres. Y'a rien là-bas, où tu vas ?", continua-t-elle. Je toisai la péronnelle sans mot dire, pour lui signifier que nous n'avions pas gardé les bisounours ensemble."
"On était dans des petites rues de l’Haÿ les Roses, et je devais suivre quelqu’un, un homme, mais il disparaissait dans des rues. Avec le chameaulama, je suis allée voir et j’ai trouvé le chemin et je suis arrivée dans une ferme pour animaux chimiquement purs. C’était comme ça, je savais que c’était une ferme pour animaux chimiquement purs. D’ailleurs, y avait un lion, ça se voyait qu’il était chimiquement pur. Moi je me suis dit que mon chameaulama allait être très bien dans cette ferme."
" - Qu'est-ce que tu t'es fait aux poignets ? - Bof, ça c'est rien. - Tu as des entailles partout. T'as quand même pas cherché à te... - Si effectivement, j'ai cherché... - A te tuer ? - Mais non ! J'ai cherché la fameuse puce. - Quoi ? - Tu sais, la puce. Celle qu'on nous implante à la naissance et qui contient toutes nos informations génétiques. Ce mouchard permet de nous pister partout où on se trouve. Une vraie saloperie ! - Arrête, ne me dis pas que tu crois vraiment à ces conneries. - C'est pas des conneries ! Ils sont là, parmi nous. Ils font des expériences sur nous, ils nous traquent. - C'est de la science-fiction. Si les extraterrestres existent, ils ont sûrement d'autres chats mutants à fouetter... - Tu es trop naïve. On est sans cesse manipulés par nos gouvernements, par la télé, on ne connait rien de la vérité. - Ah oui ? Et c'est quoi la Vérité ? La théorie du grand complot ? Sarkozy et Bush sont des petits gris ? - Tu ne crois pas si bien dire ! - Ok, reste dans ton délire... Tu es tout pâle, tu te sens bien ? - Aaaaaah c'est bon... Tu permets que je ferme les yeux. Ça commence à agir. Si je te prends pour un gros lézard rouge à un moment, faudra pas t'en faire..."
"De la fenêtre on perçoit le bruit de deux Airbus qui se fracassent. Des gerbes de flamme viennent s’écraser mollement contre la fenêtre du cabinet. Le toubib de l’âme ne fait pas un mouvement, il regarde dans mes yeux comme moi ou je ne sais plus lequel de mes « moi » l’autre jour dans le cortex de sa cravate à pois. Loisir auquel je ne peux m’abandonner aujourd’hui puisque sa chemise m’éblouit comme une sorte de magnificence divine intolérable. D’autres avions fusent, ventre vers le ciel. Dans le cabinet, c’est aussi assourdissant qu’une kermesse d’enfer. Et par dessus cet Hadès de bruits, d’horreur et de mort, fantastique et grotesque, on entend le sifflet strident d’un flic qui fait la circulation. Allez vous écraser là-bas et vous par là. Par ici, tut-tut !"
"Après m’avoir vanté les mérites comparés de la méthode Pilates, du Powerplate et de la gymnastique suédoise Axel se plaignit de son découvert, de l’amertume d’une soupe de cresson en brique et des informations alarmantes sur l’utilisation intensive de son portable. Il n’était pas prêt, je crois, à entendre parler de mon goût immodéré pour le chocolat, l’écriture et le cha-quong, vieille gymnastique chatoise."
"J'ai fait un rêve... j'ai rêvé d'une femme à la beauté tendre et lumineuse. j'ai rêvé que cette femme avançait à quatre pattes, se cognant et se perdant dans une forêt de jambes. j'ai rêvé que cette femme cherchait partout sa couronne de reine. j'ai rêvé que toutes ces jambes piétinaient ses mains et l'empêchaient d'avancer. j'ai rêvé que la couronne de reine se trouvait dans le coin le plus sombre, le plus reculé de la pièce et que la femme à quatre pattes la cherchait en vain."
"- Une connaissance scientifique du vivant est-elle possible ?
J’ai essayé avec le vieux Jacques, si tant est qu’on puisse le considérer comme vivant. Scientifiquement, il s’apparente à une baderne susceptible. La science a encore des progrès à faire.
- L’art transforme-t-il notre conscience du réel ?
Oui. C’est évident. Les pommes de terre sont bien réelles. Quand on fait des pommes de terre au l’art, on a conscience de toutes les qualités développées par ce légume prodigieux."
Ce soir je devais rentrer à 21h30 mais la répétition générale a duré beaucoup plus longtemps que prévu... Demain matin, je vais jouer un peu avec mon fils, puis aller préparer mes élèves pour leur concert de fin d'année.
Donc, malheureusement, je crains qu'il n'y ait pas de chronique dominicale cette semaine. Surtout, qu'étant donné l'agitation de la semaine passée, je n'ai rien pensé à préparer...
[Achevé au son de cette musique somptueuse, écoutée là et là :]
Pépé, le visage long, blême, piqueté de tâches de rousseurs aux contours vagues, regarde la vie avec de sombres yeux mornes ; des paupières tombantes paraissent les couver avec méfiance, des cernes les noient, comme gonflées d'eau.
Pépé a le regard d'un homme qui n'ose plus écarquiller les yeux.
Lorsque Pépé parle, il faut se pencher vers lui, tendre l'oreille, attraper au vol les mots qu'il n'a pas trop malmené avec son français chuintant, guttural, roucoulant ; alors, au fond de ses pupilles, on perçoit une étincelle espiègle. Pépé sourit.
Détachées du crâne, en pointe, ses oreilles tirent leur révérence à toutes les phrases incomprises, à la langue ardue, admirée et haïe de son pays d'adoption. Pépé serre les lèvres dans son costume roide, à petits carreaux.
Un été, Pépé est allé à la mer avec la famille de son fils. Redoutant que les coups de soleil attrapés dans son enfance ne le martyrisent de nouveau, il s'est promené tous les jours sur la plage en costume trois pièces, abritée sous un parapluie noir. Devant lui, Mémé, pieds nus, trottinait. Il la houspillait, il soufflait, toussait, essayant en vain de la rejoindre mais elle ne l'entendait pas ; effrayé, Pépé la voyait déjà s'éloigner et, peut-être, le quitter. Il suppliait : Espera, 'spera !, à bout de souffle. Son parapluie, malmené par le mistral, ployait. Les baleines se déchaussaient. Ses pieds patinaient dans le sable. Pépé alors, tirait d'une poche de sa veste un grand mouchoir brodé à ses initiales. Il s'épongeait, crachait au milieu. Courbé, enfin, les pieds glissant sur le sable instable, il tentait de réparer le parapluie. Mais ses longues mains tremblaient, il n'avait pas emporté ses lunettes.
Soudain Mémé était près de lui. Elle lui donnait une petite tape sur les doigts "Mais que tu t'énerves, que tu t'énerves ! A quoi ça sert ?" Elle le convainquait de s'asseoir. De ses bras menus, elle le soutenait jusqu'à ce qu'il ait trouvé une position confortable sur le sol mouvant. Elle étendait, au-dessus de son visage tourmenté, l'ombre du pépin qu'elle avait rassemblé.
Mémé caressait le front plissé de Pépé, le cou en sueur avec son propre mouchoir, aspergé d'eau de Cologne. Puis, assise à côté de lui, elle regardait, avec lui, les enfants, les jeunes couples au son des vagues. Elle répétait : "Ça ne sert à rien de s'énerver ! Tu devrais penser à ton cœur au lieu de te mettre dans des états pareils !"
J'ai découvert, en Andalousie, que la famille de Mémé appelait Pépé "l'ingeniero" et aussi "el segundo". J'ai été émue d'entendre ces surnoms. Le premier l'aurait rempli de fierté. Parce qu'ingénieur, Pépé l'était en Espagne, avant de s'exiler. Mais en France il n'a pas exercé son métier à son niveau de compétences, il s'est contenté d'un poste d'électricien dans les mines de Saint-Etienne. Mémé, m'a expliqué maintes et maintes fois : "Ton Pépé est communiste et même, il lui est arrivé de voter pour Lutte Ouvrière. Il refusait de voler le travail des Français."
J'acquiesçais même si je ne comprenais pas le rapport.
Un jour Pépé est tombé d'une échelle, dans la mine. Il a été opéré et on l'a pourvu d'un pacemaker. "Qu'est-ce que c'est Maman un Pacetruc ? ai-je demandé. - C'est un genre de pile, dans le cœur. - Ah bon, mais si elle s'arrête ? - On opère et on la remplace. - Mais alors, Pépé va vivre toujours ?"
Mémé se plaint souvent de la jalousie de Pépé. Depuis qu'il ne peut plus travailler, il est toujours sur son dos. Il la surveille, il l'analyse, il lui donne des conseils.
Quand elle sort pour le marché, il note l'heure de son départ dans un carnet. A son retour, il appose l'heure qu'il est. Il griffonne quelques équations, compulse quelques livres. Il pose son stylo à plume et il appelle Mémé. Il tient à ce qu'elle surgisse dans la seconde, qu'elle délaisse ce qu'elle était entrain de faire et qu'elle court dans le long couloir. Pépé est un scientifique, il aime l'exactitude. Il invite Mémé à prendre une chaise en face de lui et il l'interroge. "Qu'as-tu acheté ? Y avait-il de l'attente pour cette denrée ? Combien as-tu dépensé. Qui as-tu rencontré ? As-tu discuté avec quelqu'un ?" Pépé ne pose aucune question directe, il déteste les cris et les disputes. Néanmoins, il tente de délimiter le problème : Mémé, pour acheter les mêmes denrées que la semaine précédente, a passé dix minutes de plus dehors. Comment cela se peut-il ?
Il regarde Mémé qui trépigne. Elle finit par lui crier Tu m'emmerdes ! Je m'en fous ! en français. Pépé hausse un peu la voix. Pourquoi s'obstine-t-elle à parler cette langue qu'elle écorche ? Il le dit gentiment, c'est pour son bien à elle. Dans certains cas, il vaut mieux s'abstenir et lui laisser assumer la communication avec l'extérieur. Pépé maudit son cœur qui lui interdit l'effort. Il voudrait aller au marché à la place de Mémé. Il voudrait que Mémé reste tranquillement dans leur minuscule appartement en rez de chaussé d'un boulevard. Elle était contente quand ils avaient aménagé ici. Avant, les W.C. étaient sur le palier et on devait se laver dans une bassine. "Une salle de bain, quel luxe, s'était écriée Mémé". Elle l'avait serré dans ses bras. Elle avait murmuré, sans aucun rapport : "Si tu veux, on se marie pour nos trente-cinq ans de vie commune..." Pépé avait défailli. Il en rêvait depuis le premier jour !
Pépé a conscience que Mémé est un soleil. Elle est aussi belle qu'il est laid, aussi forte qu'il est malade. Elle est généreuse, dynamique tandis que les colères qu'il pique parfois font fuir ceux qu'il aime. Pépé est le gardien de tant de secrets ! Parfois, les bavardages de Mémé lui font peur : et si elle racontait tout ? Il préfère griffonner dans ses nombreux carnets. Mais rien de personnel, non. Pépé écrit à propos des religions, à propos d'économie, de fascisme. Il recopie des passages entiers de livres qui analysent les guerres qu'il a vécu et il essaye de comprendre pourquoi son frère cadet est mort à vingt-deux ans.
Pépé est tombé amoureux de Mémé lorsque, ayant fui l'Espagne, elle portait l'enfant du mari franquiste qu'elle avait laissé derrière elle. Il ne sait toujours pas pourquoi elle est restée avec lui, le laid, le roux, le torturé. Pendant trente-cinq ans, elle a refusé de l'épouser : "Une fois, ça suffit, disait-elle". Pépé a reconnu le fils qui est né, comme le sien. Il a donné à Mémé un autre fils. Il n'avait qu'une condition : que tout cela reste entre eux. Il ne cherchait aucune reconnaissance, juste de l'amour. Son amour.
Le soir, en s'endormant, Mémé chuchote parfois "buenas noches corazón de oro".
Sachez que vous qui me lisez, vous vous compromettez avec rien moins que la femme d'un incitateur à la pédophilie, d'un dangereux criminel de la blogosphère, jugé actuellement pour son usage décadent du linkage, sa bonne place dans le classement Wikio, ses copains influents, j'en passe et des meilleures. Il a même été accusé d'être tout une bande à lui tout seul. Les charges retenues contre lui sont aggravées par le fait qu'il est père d'un enfant en bas âge "qu'il aime mettre en avant".
Aujourd'hui, deux blogs ont publié, en même temps, une lourde charge contre mon compagnon qui en est tout chamboulé. Il a même parlé d'arrêter ses deuxblogs et des poussières.
Mais, comme souvent, le débat est faussé dès le départ parce qu'on ne nous dit pas tout.
Ce que je peux vous dire, moi, par exemple, c'est qu'il y a deux mois que j'attendais un coup bas de la part de l'un de ces blogs. C'est pour ça que je les conservais dans mon Netvibes alors que Balmeyer essayait de les oublier.
C'est à Romans que certaines attitudes nous ont parues troubles. Une blogueuse, D., que nous avions rencontrée quelques semaines avant, à Paris, nous a ouvertement ignorés. Pourquoi ? Nous ne l'avons jamais su mais nous pensons que BN. a dû lui raconter une des salades peu ragoutantes dont elle a le secret. Quant à BN., elle passait son temps à cracher sur les blogs littéraires, Wikio et compagnie. Etant donné son statut à Romans, c'était un peu surprenant. Elle aimait en outre, beaucoup, ponctuer son discours de noms tels que : Ron l'Infirmier Brad Pitt Deuchfall tout en disant que la blogosphère, les influents, tout ça c'était de la merde. Sans parler des Bisounours mais nous y reviendrons.
Avant Romans, D. nous appréciait. Elle commentait sur nos blogs, elle nous avait même ajouté à sa blogroll.
Quelques semaines après, nous nous sommes rendus compte que nous n'y étions plus. Pourquoi ? Bal l'a demandé par mail et il lui a été répondu que nous n'avions plus besoin de soutien, que nous pouvions voler de nos propres ailes dorénavant...
Soit. Nous, nous l'avons conservée dans nos blogrolls jusqu'à aujourd'hui.
Ce qui aurait dû nous mettre la puce à l'oreille c'est la teneur de nos conversations le jour de notre rencontre avec BN. et D., à Paris. Nous étions contents, un peu intimidés aussi, surtout moi dont la présence avait été plus ou moins imposée par Balmeyer.
Nous avons choisi un buffet chinois pas cher près de la gare Saint-Lazare et nous y sommes restés plusieurs heures à parler d'écriture, de blogs, de rencontres de blogueurs bien sûr. Puis, nous avons discuté d'un récent billet de Bal. Il s'est avéré que ces deux dames ne croyaient ni l'une ni l'autre à la beauté intérieure. D. a expliqué son point de vue à mon compagnon pendant que BN. me décrivait le sien. Je n'ai pas tout compris. La discussion était tellement tendue que j'ai certainement dû changer de sujet car je n'aime pas les conflits. Ce qui m'a frappé c'est qu'en résumé si t'es moche t'es moche. La beauté intérieure ça n'existe pas. Tu es gros, chauve ou j'en passe tu es moche, irrémédiablement. Le charme, l'intelligence, oui peut-être, mais bon, ça ne fait pas tout !
L'autre sujet de conversation qui m'a hantée depuis c'est "La blogosphère ce n'est pas le pays des bisounours !". On nous l'a scandé avec insistance, à plusieurs reprises.
Et moi dans ma tête je pensais "Ah bon ? Mais nous si !". Bal et moi avons échangé un regard complice, on pensait la même chose.
Le pire c'est que c'est vrai.
Cette histoire sordide nous tombe sur la tête. Balmeyer l'explique très bien dans son annexe, je ne vais pas recommencer. Je vais juste raconter ma version.
Je sais qu'il n'a pas fait exprès d'écrire "enfants nsu" après "accouche", je sais que tout écrivaillon qu'il est il n'a pas eu conscience de ce que cette association de mots pouvaient suggérer à des esprits tordus. D'ailleurs, quand quelques jours après il a reçu une demande de Wikio le priant de retirer ce titre il est tombé des nues et il l'a supprimé immédiatement.
Malheureusement il avait oublié Cozop qui garde une copie de tous les billets des blogs référencés. Alors aujourd'hui on l'accuse encore d'avoir fait republier ce billet par sa bande de copains.
N'importe quoi, comme si Cozop c'était une bande de copains !
J'avais ri aussi en lisant ce titre. Oui, parce que je voyais le jeu de mots sur "enfants habillés". Seulement nos amies d'hier guettaient dans l'ombre. Elles attendaient le faux pas qui leur permettrait d'attaquer. Pourquoi tant de haine ? Sans doute parce que nous sommes des Bisounours... A vrai dire je ne vois pas d'autre raison. Et quoi de mieux pour faire souffrir ces grosses bêtes au cœur tatoué sur la peau, que de les accuser du pire crime possible ?
Ce soir, à table, je me suis fâchée parce que Bal n'était pas avec nous, il ne mangeait pas, il ne pensait qu'à ça. Son fils lui parlait et il ne l'entendait pas. Nous avons fini par mâcher et remâcher cette histoire et il n'y avait rien à en tirer.
Les arguments de ses détractrices ne tiennent pas. Le jeu de Quicoulol était de créer une espèce de buzz poétique. Les liens vers les copains tenaient du traquenard : attirer des amateurs de célébrités nues avec des titres alléchants. L'article en dessous était de la pure déconnade, ponctuée de mots "nus" et illustrée par des photos de Lénine. Wikio n'avait rien à voir dans le concept.
La preuve, Balmeyer ne s'est quasiment jamais linké lui-même. Il préférait diriger le faux public vers les blogs de ses amis blogueurs, pour piéger (gentiment) le voyeur et le lié.
Par habitude, comme dans les trois quarts de ses titres, Bal a écrit récemment, le mot "nus" après le mot "enfants" : on l'accuse donc je cite : de "jouer avec le public des sites pédophiles pour servir l’addiction à sa propre côte de popularité."
Quelle horreur ! J'ai envie de vomir !
Mais qu'est-ce qu'on a fait ?
On travaille, on élève notre fils, on passe nos soirées à écrire -car le blog c'est, pour nous, le moyen de satisfaire un besoin d'écrire qui date de l'enfance. On a sympathisé avec de nombreux blogueurs qui de temps en temps parlent de nous. Nous lisons des blogs que nous avons envie de partager avec nos lecteurs fidèles...
Et ce soir on se demande si on ne va pas écrire dans notre coin comme avant...
Je crois que les miennes ressemblaient beaucoup à des fiches de lectures parce que je lisais presque tout le jour, allongée sur un lit, bourdonnante de mots. Il y eut même une période où je choisissais les livres d'après leur volume. Le nombre de pages était comme un contrat passé sur le dos de l'ennui.
J'ai encore une fois dû raconter les miennes. Mais les futures... Je n'ai eu aucun problème d'inspiration puisque je compte les passer dans un palace !
Enfin si vous votez pour moi une fois par jour...
Ce qui serait chouette, c'est que vous commentiez directement là-bas ! Et pourquoi pas témoigner de vos derniers voyages ?
[Et puis vous aussi vous pouvez écrire une pige...]
Nefisa a décidé de participer une deuxième fois au jeu du changement de sexe, avec un texte impertinent sur un changement de sexe qui est aussi un changement de peau. (Du coup ça me donne une nouvelle idée...)
"Quand j’ai vu le numéro de ma mère s’afficher sur mon portable, j’ai hésité, et soupiré. Encore une fois, j’allais avoir droit à la litanie d’une femme hypocondriaque, qui allait me raconter sa énième radiographie du petit doigt parce qu’il lui semble qu’il grince, et « tu ne peux pas te rendre compte ma fille, mais c’est très désagréable », ou l’histoire de sa voisine qui doit probablement se faire opérer des sinus la semaine prochaine « non mais tu te rends compte ? ». Et je ne trouverai plus la paix. Dans la pénombre de mon bureau, la nuit serait blanche, mais pas de lectures et de travail…"
"-« Ecoute moi bien Paul, je vais te dire la vérité, je rentre tard parce que je suis allé à l’hôtel avec un type et que j’ai couché avec lui. Alors, qu’est-ce que tu en dis ? Ça te cloue non ? J’ai eu du plaisir avec un autre homme et je l’assume, sache-le. J’en ai marre de ne pas vivre mes pulsions, de contrarier ma nature, je revendique mon animalité tout autant que mon humanité, comprends-moi bien Paul, je veux vivre, vivre toutes mes vies, ma vie d’adulte, ma vie d’enfant, je veux être une amie une amante une mère une enfant une fille comme une femme, je suis encore adolescente, je cherche encore, je suis peut-être bisexuelle aussi, comment savoir ? En tous cas ce que je sais c’est que je ne regrette pas ce que je viens de faire. Et si l’occasion d’aimer se pose à nouveau sur mon épaule je ne la laisserai pas s’envoler. »
"Je me souviens qu'Olivier parlait d'amour avec un grand A mais pourquoi faut-il absolument un grand A ? Ici, il n'y a que de petites choses, et pourtant elles sont pleines d'amour, sous plusieurs formes, de plusieurs façons, mais de l'amour tout le temps. Pas plus à droite qu'à gauche, pas moins fort ni moins beau. Jamais moins vrai.
"Récemment je vais chez mon barbier pour qu'il me tripote la caboche (le massage est offert, trop court, mais offert) Je me retrouve à coté d'une vieille dame aux cheveux roses qui papote sur le temps qui passe en médisant sur la jeune shampouineuse esclave qu'elle ne trouvait point agréable. Avec mes horaires à la con, j’ai la chance de pouvoir faire mes courses hors heures de pointe comme me faire mousser la queue de cheval . C’est agréable, de se faire mousser la queue, certes, mais aussi de ne pas avoir à prendre de RDV et de ne pas avoir à attendre pour être beau. En général, j’aime pas trop papoter avec les ciseaux mais comme j’avais du sucer douze Lexo1000 à cause d’une facture de téléphone exorbitante que je venais auparavant de réceptionner , j’étais d’humeur."
"J'étais très occupée à admirer la chute de reins d'un Christ quand j'ai senti un léger souffle derrière moi.
Je me suis dit : Oh non ! pas encore un fantôme. Surtout dans un ancien asile de fous. C'est quand même flippant.
Par chance c'était juste le jardinier qui venait d'entrer, sûrement pour faire une pause. je l'ai dévisagé, puis j'ai pris l'option grand angle. Wow, les travaux de plein air, ça forme...
Il m'a fait une révérence, j'ai tendu la main. Il l'a baisé avec classe. J'étais impressionnée.
"Que fait une aussi charmante demoiselle sans chaperon en des lieux si inhospitaliers ? "
"Mais si je trouve un plaisir inégalable à ces préliminaires, ce n'est plus le cas de mon compagnon de jeu et, déjà, sa main remonte le long de ma cuisse… -"Julien, non. Arrête." L'interpellé plonge son regard dans le mien. -"Allez, Guillaume, s'il te plaît." Il pose ses lèvres sur les miennes et je sens son doigt s'immiscer encore un peu. Je me dérobe à ses caresses et me redresse. -"J'ai dit non. Pas encore." Julien détourne la tête et je lis dans son geste un mélange un peu bizarre d'impatience et de gêne. Mes sentiments ne sont pas plus clairs. -"Je suis désolé." -"Non, c'est moi.""
"Les commentaires élogieux : ils devront être clairement élogieux. La métaphore sportive est tolérée mais vous devez citez un auteur réputé au moins.
N'écrivez pas :"J'adore votre article. On voit clairement que Victore Hugor a clairement pompé sur vous."
mais : "J'adore votre article. Comme l'a écrit Victore Hugor :
"Longtemps, on rampe sur cette terre comme une chenille, dans l'attente du papillon splendide et diaphane que l'on porte en soi. Et puis le temps passe, la nymphose ne vient pas, on reste larve".
Si vous avez une critique à formuler, n'hésitez à faire taire ce sentiment de révolte qui vous étouffe et à ne laisser paraître qu'un enthousiasme modéré mais enthousiaste cependant.
N'écrivez pas : "Comme d'habitude, t'as vraiment foiré la chute"
mais "J'adore votre article. Comme l'a écrit Jonathan Littel :
"Longtemps, on rampe sur cette terre comme une chenille, dans l'attente du papillon splendide et diaphane que l'on porte en soi. Et puis le temps passe, la nymphose ne vient pas, on reste larve"."
(Merci à Marc Vasseur d'avoir parlé de ma chronique dans sa Revue de Web du 1er juin !)
D'elle je n'ai d'abord vu qu'un crâne, minuscule et couvert d'une fine chevelure hirsute. Contre son nez, le sein de sa mère, blanc et énorme m'arracha une grimace :
"Mais qu'est-ce que tu fais ? demandai-je à Elisabeth. - Et bien je l'allaite, tu vois.
- Pourquoi, elle ne prend pas plutôt le biberon, c'est mieux non ? - Ben on lui donne des biberons de temps en temps. Mais boire au sein c'est ce qu'il y a de meilleur pour les bébés tu sais !" Anna, assise près de moi, pouffa dans ses mains. Je détournai la tête gênée car le bébé venait de recracher le téton érigé, tout luisant de salive. Une goutte de lait dévala la corolle sombre, s'attarda sur un grain de beauté et s'écrasa sur le soutien gorge à rabat. Ma belle-mère emboita sur le mamelon une drôle de gouttière. Je ne pus m'empêcher de poser encore des questions : - C'est quoi ça ? Ça sert à quoi ce truc ? - C'est pour recueillir le lait qui coule... Je regardais, silencieuse, les sourcils froncés, la poitrine étrange qu'arborait Elisabeth, à présent qu'elle avait rabattu ses vêtements par-dessus. Elle ressemblait au soldat en armure qui ornait la couverture de mon livre d'histoire.
Enfin, elle nous présenta notre petite sœur, Ludivine : - Qui veut la prendre ? s'enquit-elle gentiment... - Moi ! - Non moi ! Elisabeth trancha en ma faveur : - Anna tu la prendras plus tard. Tu auras le temps, ne t'inquiète pas.
Ludivine avait onze jours et elle était aussi légère qu'une poupée. Elle me dévisageait de ses yeux écarquillés et je n'osais plus respirer. Son petit nez se nichait contre mon épaule comme celui d'un petit animal, elle serrait les poings. De temps en temps un soubresaut agitait tous ses membres à la fois. Elle s'arquait entre mes bras qui l'embrassaient. Soudain, elle ouvrit la bouche et poussa un vagissement. - Oh ! On dirait un chaton ! dis-je. Ma voix, dans ma gorge c'était coincée. Je me tus, émue. - Regarde ! chuchota Anna, qui, collée contre moi fixait Ludivine avec intensité.
Une gerbe de lait, épaisse et mousseuse, dégoulina sur la joue du bébé. - Elisabeth, criai-je, Elisabeth, vite, viens la prendre !
Ce n'est qu'au moment de dormir que mes pensées s'ordonnèrent. - Je voulais la détester tu sais, avouai-je dans la pénombre à Anna. Je le voulais vraiment, en plus on l'avait juré et tout et tout... Mais... Je crois que je l'aime ! - Oh oui, elle est si belle, approuva Anna. Alors mon cœur se serra de cet amour immense et reconnu.
La tête dans l'oreiller, longtemps après que ma sœur se fut endormie, j'étouffai mes sanglots . Derrière les arcs de lumière de mes paupières pressées, j'admirais le visage de Ludivine, ses petites mains aux doigts repliés. J'avais onze ans de plus qu'elle et cela me terrifiait : - Jamais nous ne serons proches, réalisais-je, et jamais nous ne vivrons ensemble. Et puis je vais mourir des années avant elle et elle sera si triste !
C'est comme l'émergence d'une dent de lait à travers une gencive innocente ; en plus, ça prend des plombes ! Mais comme on n'a jamais vu une fille de quinze ans parvenue à l'âge de quarante ans, il a bien fallu accepter que la déchirure advienne... Lorsque la peau de mon enfance a moussé à mes pieds, je lai piétinée et je suis allée plus loin tanner mon cuir tout neuf.
Finalement, cela ce n'est rien.
Ce qui est le plus douloureux ce n'est pas d'avancer sur le chemin de soi-même, c'est de devoir le faire, amputé d'un bras, d'une jambe, la tête bourdonnant des voix autrefois aimées de ceux que l'on a laissés en chemin...
Parfois je pense à ceux-là, morts, à celle qui m'a abandonnée, à d'autres qui m'ont trahie, oubliée ou que j'ai quittés et à la cohorte d'amis, de connaissances, d'élèves, de voisins que j'ai côtoyés et qui se baladent dans le monde avec des parties de moi que je ne connais plus....
Boudeuses, nous étions assises sur le canapé d'angle. Mon père nous avait ordonné de venir parce qu'ils avaient une surprise pour nous. D'un pas léger, il était allé nous chercher un verre de lait que nous sirotions lentement, regardant nos Playmobils interrompus en pleine bataille..
Notre belle-mère, Elisabeth nous souriait avec entrain mais nous ne nous fatiguions pas à lui répondre ; avant de nous engager dans des émotions violentes nous préférions que notre père annonce clairement la couleur.
"Elle est où la surprise alors ? demandai-je poliment. - Et bien, elle n'est pas encore visible mais ça ne saurait tarder... répondit mon père énigmatique. - Ah !" Anna soupira carrément puis elle murmura, impatiente : "Bon ben en attendant on n'a qu'à aller jouer ? Et pis vous nous préviendrez quand elle sera là ! J'approuvai d'un hochement de tête quasi hystérique. - Mais vous n'avez même pas deviné ce que c'était ! s'exclama mon père désappointé. - Allez, on vous aide intervint ma belle-mère. En fait, elle est déjà là mais elle n'arrivera vraiment que dans 5 mois. - Euh, tentai-je... Ça arrive par la poste ? - Pourquoi ça met si longtemps c'est nul ! maugréa ma sœur. Du bout du pied, elle poussait le tigre en direction d'un de mes cowboys. Je lui pinçai le bras discrètement. - Aïe, brailla-t-elle. Je lui intimai le silence d'un regard sombre.
Soudain j'eus une idée : - Des vacances ? Vous allez nous emmener aux Etats-Unis avec vous la prochaine fois ? Ils n'osèrent pas se regarder. Les choses ne semblaient pas prendre la direction qu'ils avaient envisagée. - Bon, allez, je vous aide beaucoup là, s'énerva mon père, c'est une surprise qu'on doit attendre neuf mois en tout.
Mais nous étions déçues. Anna avait croisé les bras sur son ventre. Je me rongeais les ongles. - Je ne sais pas. Aucune idée, avouai-je, agacée. - Une petite sœur, annonça Elisabeth, crispée. Vous allez avoir une petite sœur... Je suis enceinte. - Nous allons avoir un bébé, conclut mon père, fièrement.
Anna et moi échangeâmes un regard. Nous étions déçues, affreusement. Ils espéraient que nous exprimions notre joie mais nous en étions incapables. Nous aurions préféré un voyage. - Chouette, super, dis-je, poliment.
Il y eut un silence puis Anna glissa du canapé vers le tapis. Elle saisit son tigre. Inquiète, je jetai un œil au couple sur le canapé. Mon père tapotait l'épaule de ma belle-mère qui regardait le mur, de l'autre côté de la pièce.
Je m'élançai sur mon cowboy avant que le tigre ne lui dévore un bras. Tacitement, nous décidâmes d'allier nos forces pour dévorer le bébé Playmobil qui babillait bêtement.
"L'arbre généalogique a ceci d'étrange que la descendance vient se nicher près des racines tandis que les aïeuls, sur leurs rameaux perchés, semblent nés de la dernière pousse. Ca s'appelle un arbre généalogique ascendant, c'est comme ça et puis c'est tout. Bon d'accord, mais sur mon mien y'a quelques couacs visuels. Les plus vieux ont été portraiturés plus jeunes que les plus jeunes. Visez les visages et vous verrez : la grand-mère de ma mère paraît être sa fille. D'où l'intérêt des ramifications pour remettre un peu d'ordre canonique dans tout ça. Je n'impressionnerai pas les historiens avec ma plante d'intérieur neurasthénique qui s'arrête net aux grands-parents de mes parents pour les branches les plus hautes. Presque personne n'a eu la bonne idée de naître en France, résultat les pousses partent dans tous les sens et mes racines se perdent en cours de route."
"Et puis c’est toi qui es trop loin, ou bien moi qui ne suis pas à ma place, comme un gardien qui s’est vu confisquer son poste, qui ne veut pas qu'on le remplace par de grosses dames en blouses blanches et qui marchent en claquettes. Et pourtant tu dors, pourtant tout ira bien, et si la couverture te découvre trop le dos là bas, qu’il n’y a personne pour la remonter, alors tu dormiras tout aussi bien, ce n’est que moi. Cela fait des semaines que je ne peux pas regarder tes dessins sur le mur, que je détourne les yeux à chaque fois. Chaque jour j’essaie de penser à autre chose, mais je ne pense vraiment à rien, je me perds en attendant."
"Je devrais dire, plus honnêtement, le souci que j'ai de mon fils. Son appétit, son sommeil, sa toux, le pantalon que je dois coudre (je vis une tragédie) pour son spectacle, ses cartes, sa dictée, son équilibre, ses amitiés bruyantes, définitives, ses amours timides et fatalistes, la peur que je dois taire toujours quand il nage, quand il dévale à vélo une pente de skate, quand il réagit à un vaccin, quand il me demande où est sa grand mère, son oncle, son papi mais aussi le vert d'ambre de ses yeux, ses petits biceps blancs, son humour ravageur, sa dureté implacable quand je l'engueule, il ne supporte pas, ses questions incessantes que je ne comprends pas. Un coin de ma tête reservé- une forteresse imprenable."
"Il y a quelque chose d'étrange dans la maison, des odeurs, un silence.Je m'approche sans faire de bruit de la chambre puis de son lit. Je pose ma main sur son front. Elle est bouillante. Les draps sont trempés. Elle tremble et claque des dents. Je lui parle mais elle ne répond pas. Elle respire de plus en plus mal. J'ai très peur et me dis que le docteur s'est trompé. C'est beaucoup plus grave qu'une grippe. Je vais chercher le Larousse médical dans l'armoire. Je suis comme papa je le regarde souvent pour apprendre. Je cherche les mots fièvre, sueur, température, infection. Je trouve aussi les photos de maladies inconnues. Maman a tous les symptômes et toutes les maladies. Elle va mourir. J'ai les jambes en coton, la tête qui tourne et de plus en plus de fièvre. Je retourne dans la chambre. Je me couche à coté d'elle. Les ressorts du lit grincent sans la réveiller."
"Toute ma confiance restante d'enfant pour les adultes s'est effondrée le jour où elle est apparue, le visage fermé et le carnet en cours à la main. Il était mon exutoire et beaucoup de passages la concernait. Ce n'était pas un journal intime rempli de coeur sur les i et d'appréciations sur mes journées, mes camarades d'école ou toutes les futilités qui occupent une enfant de 12 ans. Non. C'était des paragraphes entiers de rage et de colère, d'insultes et de méchancetés, de constatations distantes, de reproches... Comment son amour propre de mère aurait-il pu l'admettre ?"
"Chaque éclair découpait les silhouettes-ombres chinoises qu'il disposait dans la pièce, devant les fenêtres. Chaque coup de tonnerre modifiait ces scènes et , chef d'orchestre petit, frêle et troubillonnant, le gamin recréait, profitant de la nuit, de la tempête et des lueurs sinistres, tout un univers de film d'horreur..."
"C. chante, le regard soudain perdu dans un monde appartenant au passé. Elle regarde droit devant elle mais ne me voit plus. Elle a oublié les regards moqueurs et les rires sous cape de ceux qui la raillent et qui n'ont jamais connu l'exil. Le cœur serré par la mélodie triste et sa voix qui pleure la terre natale, je vois son sourire et ses yeux se brouiller."
En cherchant mes citations j'ai trouvé celle-ci que, dans le contexte actuel, j'ai trouvé savoureuse. Elle est d'Eric Chevillard :
" Les livres sont si maltraités, mal compris, qu’il vaudrait sans doute mieux pour eux et leurs auteurs que personne ne les lise jamais. Dans des reliquaires scellés au plomb, se garderait la littérature intacte, c’est-à-dire plutôt l’idée que nous avons d’elle et que flétrit le moindre souffle (acide, comme nous le confirme la licorne ponctuée de Lascaux, à demi mangée par nos bâillements)."