Le responsable des animations excelle dans le sketch du sifflet. Ça peut sembler idiot comme ça mais le but du truc c'est juste de ne pas lâcher l'engin et de souffler, souffler en faisant des tas de gestes explicites.
Essayez, vous glissez l'embout entre vos lèvres et vous déposez le bout de votre langue contre la fente et lorsque vous soufflez, vous ôtez et apposez la langue très vite comme pour dire tututut. En même temps vous tentez de décrire une femme gironde, vous voyez, les mains qui dessinent la poitrine, les hanches - ah ah, si la femme qu'il décrit ainsi se matérialisait devant lui, il serait surpris de voir un Botéro au lieu de la sylphide rêvée - oui, rien que ça c'est d'un comique irrésistible, je vous assure, je veux dire le tututut et les gestes... Le reste, Lulu dirait qu'il n'y a que moi pour l'imaginer... Il a toujours aimé que je le fasse rire, Lulu, il me disait qu'il me trouvait spéciale, comme dans les films américains.
Je trépigne sur ma chaise bien que ces choses ne soient plus de mon âge. Et s'il me choisissait moi ? je me demande tandis que le responsable des animations arpente la salle. Ma main droite devient moite autour du portable que je ne lâche plus depuis trois jours. L'excitation causée par le spectacle se confond avec l'envoi d'un sms à Lulu et l'attente fébrile de sa réponse. C'est qu'il me fait languir le bougre, presque à chaque fois, et quand il répond je ne comprends pas la moitié de sa réponse, on dirait des messages codés, jamais plus de trois mots alors que je lui en écris des tartines...
Pourtant il avait eu l'air content de me revoir l'autre jour. C'est drôle quand on y pense : on s'est rencontré à la gare, je partais pour mes vacances et lui il était en voyage d'affaires comme autrefois. Ça m'a rappelé quand je partais avec lui il y a trente ans, au nez et à la barbe de sa femme et de mon mari ; un flot de souvenirs est passé entre nous, j'ai rougi et il a baissé la tête. Puis il m'a dit que sa femme était morte et je lui ai raconté que j'avais divorcé. L'espace d'un instant j'ai cru qu'il allait me demander de le suivre, j'ai su que j'irais même si je ne le connais plus et même s'il m'en a fait baver autrefois. Il aurait fallu que j'annule mes vacances, c'est rien ça, j'ai même imaginé comment je m'y prendrais - en douce pour ne pas le faire culpabiliser. Car Lulu est tellement sensible, ça le mettait dans tous ses états avant, quand il pensait à sa femme alors qu'il était avec moi. Je n'ai jamais su s'il lui en voulait à elle aussi, parfois, de ne pas être une autre, de ne pas être un mélange de moi et d'elle-même.
Ah ah, le responsable des animations siffle de plus en plus fort, ça part dans les aïgus, c'est d'un drôle, on dirait qu'il va s'étouffer et il me désigne du doigt... Je n'ose y croire... C'est moi ? Mon rire s'étrangle dans ma gorge et puis il fait cet autre truc, on dirait que le son du sifflet devient grave, ses yeux lui sortent de la tête, il la secoue de gauche à droite, l'air dépité et c'est bien moi qu'il désigne. Comme les gens rient, les gens aiment tellement rire, c'est pas méchant, il faut bien se distraire. Lulu il répétait On fait de mal à personne, hein, tant qu'on prend du bon temps !
Mais quand même, j'ai une impression bizarre. Comme si j'allais me mettre à pleurer. C'est bête, hein, c'est idiot, ce n'est qu'un jeu pourtant d'un coup il me semble que Lulu sur le quai de la gare était plus embarrassé qu'autre chose. Peut-être que ses messages elliptiques signifient qu'il voudrait que je le laisse tranquille ? D'ailleurs il ne répond qu'une fois sur cinq, pas plus, ah ah, pas de quoi en faire une histoire !
C'est lorsque le responsable des animations se dirige vers une grande jeune femme tout en os que je vois l'écran de mon téléphone clignoter : c'est trop tard me répond Lulu, oublie-moi. La jeune femme vacille jusqu'à la scène, suivie de l'homme au sifflet qui fait mine de la peloter. Ah ah c'est drôle quand même.
Essayez, vous glissez l'embout entre vos lèvres et vous déposez le bout de votre langue contre la fente et lorsque vous soufflez, vous ôtez et apposez la langue très vite comme pour dire tututut. En même temps vous tentez de décrire une femme gironde, vous voyez, les mains qui dessinent la poitrine, les hanches - ah ah, si la femme qu'il décrit ainsi se matérialisait devant lui, il serait surpris de voir un Botéro au lieu de la sylphide rêvée - oui, rien que ça c'est d'un comique irrésistible, je vous assure, je veux dire le tututut et les gestes... Le reste, Lulu dirait qu'il n'y a que moi pour l'imaginer... Il a toujours aimé que je le fasse rire, Lulu, il me disait qu'il me trouvait spéciale, comme dans les films américains.
Je trépigne sur ma chaise bien que ces choses ne soient plus de mon âge. Et s'il me choisissait moi ? je me demande tandis que le responsable des animations arpente la salle. Ma main droite devient moite autour du portable que je ne lâche plus depuis trois jours. L'excitation causée par le spectacle se confond avec l'envoi d'un sms à Lulu et l'attente fébrile de sa réponse. C'est qu'il me fait languir le bougre, presque à chaque fois, et quand il répond je ne comprends pas la moitié de sa réponse, on dirait des messages codés, jamais plus de trois mots alors que je lui en écris des tartines...
Pourtant il avait eu l'air content de me revoir l'autre jour. C'est drôle quand on y pense : on s'est rencontré à la gare, je partais pour mes vacances et lui il était en voyage d'affaires comme autrefois. Ça m'a rappelé quand je partais avec lui il y a trente ans, au nez et à la barbe de sa femme et de mon mari ; un flot de souvenirs est passé entre nous, j'ai rougi et il a baissé la tête. Puis il m'a dit que sa femme était morte et je lui ai raconté que j'avais divorcé. L'espace d'un instant j'ai cru qu'il allait me demander de le suivre, j'ai su que j'irais même si je ne le connais plus et même s'il m'en a fait baver autrefois. Il aurait fallu que j'annule mes vacances, c'est rien ça, j'ai même imaginé comment je m'y prendrais - en douce pour ne pas le faire culpabiliser. Car Lulu est tellement sensible, ça le mettait dans tous ses états avant, quand il pensait à sa femme alors qu'il était avec moi. Je n'ai jamais su s'il lui en voulait à elle aussi, parfois, de ne pas être une autre, de ne pas être un mélange de moi et d'elle-même.
Ah ah, le responsable des animations siffle de plus en plus fort, ça part dans les aïgus, c'est d'un drôle, on dirait qu'il va s'étouffer et il me désigne du doigt... Je n'ose y croire... C'est moi ? Mon rire s'étrangle dans ma gorge et puis il fait cet autre truc, on dirait que le son du sifflet devient grave, ses yeux lui sortent de la tête, il la secoue de gauche à droite, l'air dépité et c'est bien moi qu'il désigne. Comme les gens rient, les gens aiment tellement rire, c'est pas méchant, il faut bien se distraire. Lulu il répétait On fait de mal à personne, hein, tant qu'on prend du bon temps !
Mais quand même, j'ai une impression bizarre. Comme si j'allais me mettre à pleurer. C'est bête, hein, c'est idiot, ce n'est qu'un jeu pourtant d'un coup il me semble que Lulu sur le quai de la gare était plus embarrassé qu'autre chose. Peut-être que ses messages elliptiques signifient qu'il voudrait que je le laisse tranquille ? D'ailleurs il ne répond qu'une fois sur cinq, pas plus, ah ah, pas de quoi en faire une histoire !
C'est lorsque le responsable des animations se dirige vers une grande jeune femme tout en os que je vois l'écran de mon téléphone clignoter : c'est trop tard me répond Lulu, oublie-moi. La jeune femme vacille jusqu'à la scène, suivie de l'homme au sifflet qui fait mine de la peloter. Ah ah c'est drôle quand même.