dimanche 29 novembre 2009

Journal intime de David Mendelson

"La peinture est un outil : elle peut procurer une émotion, rappeler un souvenir. Mais l'écriture seule permet de se raconter, d'ordonner ce chaos qu'on appelle monde. Le scénariste, comme l'écrivain, tranquillise le réel. Il donne un sens à l'enchaînement brutal et haché des causes et des conséquences."

Fabrice Colin, La saga Mendelson.

dimanche 22 novembre 2009

Juste avant de devenir fou...

Avant de devenir définitivement fou, Robert Schumann composa ces Gesänge der Frühe, Chants de l'aube que j'ai découverts ce soir.
Puis, il se jeta, en vain, dans le Rhin et il demanda à être interné à l'asile d'aliénés où il oublia tout ce qui, auparavant, l'animait et cessa peu à peu de s'alimenter.

Sa femme était enceinte de leur huitième enfant ; à sa naissance, le garçon sera baptisé Félix*, en souvenir de Mendelssohn.

Je ne le fais pas exprès, mais j'ai l'impression que chaque fois que je m'intéresse à un artiste, il se trouve qu'il a souffert de la même maladie que mon père. Et cela ne date pas d'aujourd'hui.

J'ai longtemps eu une passion pour Schumann, Clara et Robert dont j'ai chanté de nombreux lieder et dont j'ai lu, il y a longtemps le Journal d'un mariage. J'ai adoré les œuvres de Van Gogh et de Munch bien avant de me documenter sur leurs existences chaotiques. Tout à l'heure, en cherchant dans ma bibliothèque musicale, le Journal du couple Schumann j'ai découvert que je possédais un livre chez Robert Laffont intitulé LA FOLIE, histoire et dictionnaire que j'avais oublié.

Dans le chapitre "L'art et la folie" il est écrit :

"Pour Van Gogh et nombre d'autres passionnés, le terme de "folie" n'a pas la signification qu'on veut bien lui donner ; face à l'œuvre de ce peintre qualifié communément d'"halluciné", d'"hanté", elle n'en a aucune puisqu'il cessait de travailler dès qu'il pressentait la venue de ces crises et ne prenait jamais ses pinceaux en état de démence.

Munch
, sujet à de graves dépressions, se sait lui aussi menacé par la
folie et tente de réagir par l'antidote de l'art ; sa peinture est, contrairement à celle de Van Gogh, le reflet de ses désordres cérébraux, d'où cette vision compulsive aux arabesques torturées, affolées, qui dans Le cri de 1893 exprime la fatalité et la panique de l'individu face à l'"enfer moderne". La femme en est l'une des tentations les plus obsédantes et dangereuses. En 1908, Munch comme naguère Vincent, est interné dans un hôpital psychiatrique ; il en sort guéri, mais contrairement à ce dernier, dont l'internement n'eut pas de répercussions sensibles sur son œuvre, son génie, décanté de son intensité dramatique et de sa violence convulsive, disparut. Jusqu'à sa mort en 1944 sa peinture de sera plus que le pâle reflet de ce qu'elle fut."

Est-ce parce que, sans que l'on ne m'ait rien dit, j'avais senti mon père ? Est-ce que je le comprenais bien avant de le savoir ?

Vendredi, cela faisait vingt ans que mon père était mort. Il me semble que c'était hier tout à coup.
On m'a demandé :

"Aviez-vous pleuré votre père à sa mort ?
J'ai sursauté.
- Oh oui ! Je n'ai fait quasiment que ça pendant une dizaine d'années."

Bizarrement il m'a semblé que je mentais.

Il va falloir admettre que je ne le pleurais pas pour de bonnes raisons. En vingt ans sans lui, j'en ai plus appris à son sujet que pendant les quinze où il a partagé ma vie... Faudrait-il que je pleure pour de nouvelles raisons ?


*Félix fut aussi le prénom de mon père.

Tableaux de Munch, dans l'ordre : Nuit à Saint Cloud 1890, Vampire 1893, Weeping Nude 1913

lundi 16 novembre 2009

La fille au P.Q.

J'avais à la place d'une bouche des babines que je sentais, comme lestées de plomb, dégouliner sur mon menton. Pour dire au revoir à ma dentiste, j'avais pudiquement caché cette sensation déplaisante en nichant le bas de mon visage dans mon foulard.
Dehors, la rue était calme, balancée dans une autre dimension par les aplats poignants que Thom Yorke tartinait entre mes oreilles. Seule, je savais que je n'aurais pas à parler pendant le trajet et au lieu de me soulager cela m'angoissait comme si la lippe grotesque qui précédait mon visage me rendait bavarde, poreuse, impatiente de me répandre.

C'est alors que je l'ai aperçue. Nous avons descendu les escaliers côte à côte et j'ai espéré en fouillant mon sac à la recherche de ma carte d'abonnement, qu'elle prenne la même direction que moi. Sur le quai je l'ai suivie sans discrétion et je me suis engouffrée dans la même rame qu'elle, fascinée par le sac de courses transparent, enroulé autour de son bras et qui contenait six rouleaux de P.Q.
L'encadraient des steaks hachés, des pâtes et un pot de sauce bolognaise mais cela, en vérité, importe peu.

Le P.Q. était à petites fleurs mauves et sa récente propriétaire souriait comme si elle avait subi une anesthésie de la mâchoire inverse à la mienne, ses commissures embrassant presque le coin de ses yeux étirés.
Ce sourire était fascinant, étalé de la bouche de métro au wagon blindé, étalé encore de Saint-Paul à Concorde mais moi, bardée de ma moue rebelle comme d'une posture philosophique, au lieu de simplement l'admirer, je me demandais s'il aurait été aussi fascinant sans le paquet de P.Q.

- Et pourquoi donc as-tu l'esprit si torve ?
me tançais-je, tu pourrais penser à la beauté de ce sourire planté dans le métro entre les visages gris, tu pourrais imaginer un amoureux, une victoire, un rêve réalisé derrière ce visage hilare.
- Mais non
, répondait ma bouche, mauvaise, elle doit sourire, plutôt, rassérénée à l'idée de toutes les envies pressantes que le papier ponctuera. Elle pourrait se réjouir aussi de pouvoir mettre un terme à une pénurie ancienne de plusieurs jours... Imagine, si ça se trouve elle était obligée de prendre une douche à chaque fois !
- Tu es sordide ! Je préfère croire que, libérée des contraintes matérielles et corporelles que promet l'achat de ces rouleaux, elle vogue dans d'autres sphères, elle écrit des romans dans sa tête, elle compose...


Après ça, ma bouche ne dit mot et c'est tant mieux !

Illustration : Marion Peck

dimanche 8 novembre 2009

5 février 1939

"Nous sommes extrêmement nombreux à parcourir à pied les routes, les corniches de la côte catalane après que les troupes de Franco ont pris Barcelone ; craignant les représailles des nationalistes, nous battons en retraite pour gagner la frontière française au niveau du petit village du Perthus ; quelques uns sont parvenus à s'y rendre en automobile, d'autres sur les plates-formes débâchées des camions ; la plupart cependant accomplissent La Retirada à pied ; de longues colonnes de femmes, d'enfants, de civils, de militaires s'allongent sur les routes qui n'ont jamais été goudronnées ; j'en sais quelque chose, moi qui ai fait partie des dizaines de milliers de réfugiés confinés au camp d'Argelès-sur-Mer, dès le mois de février ; cette année-là, l'hiver est rude, les baraquements ne sont toujours pas construits ; nous sommes forcés de creuser des trous à même le sable que nous surmontons de ce qu'on peut trouver sur une plage : des roseaux, des bouts de bois ramenés par la mer, des branchages poussés par la tramontane, ce qu'on a emporté, une couverture par exemple, une toile cirée ; les abris sont glacials ; les baraquements ont été bâtis à la hâte durant les jours qui ont suivi ; le 2 mars, alors que Daladier fait appel à Pétain pour renouer les relations diplomatiques avec l'Espagne franquiste, cela nous ne le savons pas encore, tout est rentré dans l'ordre selon les autorités françaises ; les gardes mobiles, appuyés par les troupes coloniales, se sont organisés pour surveiller, comme il se doit, du haut de leur monture, les Rouges tentés de franchir les fils de fer barbelés ; ils les punissent sur place ; parfois en les conduisant au fort de Collioure transformé en camp disciplinaire, depuis lequel on peut apercevoir l'hôtel où Antonio Machado est mort, quelques jours auparavant avec ce dernier vers, retrouvé tout chiffonné dans une poche de son veston: Ces jours bleus, ce soleil de l'enfance ; les Spahis qui gardent le camp d'Argelès-sur- Mer ressemblent aux soldats contre lesquels nous venons de combattre ; nous avons l'impression d'être retombés sur les unités nationalistes que Franco a ramenées du Maroc ; nous sommes nombreux parmi les réfugiés, à avoir contracté les maladies qu'on attrape dans les lieux insalubres : la dysenterie, la paratyphoïde, le typhus que se transmettent les poux ; plusieurs d'entre nous supportent mal l'humiliation, d'autres n'y ont pas survécu, certains sont devenus fous en se voyant traités comme La pègre de Catalogne qui déferle sur notre Roussillon : c'est ce qu'on écrit le 10 février dans le journal Somatent, dirigé par le président du PPF, Jacques Doriot ; on nous traite de Rouges, ce qui est plutôt flatteur pour nous, puis aussi de tueurs, de bouffeurs de curés ; certains esprits faibles, peu fiables, prétendent que nous avons une queue semblable à celle du diable en personne, cachée dans les plis de notre liquette dépassant du pantalon ; des curieux, non moins faibles d'esprit, friables du cœur ceux-là, viennent rôder autour des camps, le dimanche, pour vérifier l'information ; les absurdités les plus échevelées circulent à propos de nos silhouettes dépenaillées, déambulant sur le sable, croulant sur le fardeau d'un désespoir qui ne s'évanouira jamais ; il y a de quoi perdre la raison ; dans les années cinquante, certains Espagnols errent à moitié fous dans les villes du midi de la France, après leur retour des camps allemands où ils ont été directement transférés depuis les camps français du Roussillon (...)"

La lumière et l'oubli, Serge Mestre.

Conversation avant de se coucher

Il est 00h23, il va se coucher.

Lui : Je vais me coucher.
Elle : Hum. J'arrive...
Lui : T'en as pour longtemps ?
Elle : Bah je cherche... Hier j'avais trouvé un super site sur les camps de concentration de réfugiés espagnols. Je ne sais plus où je l'ai mis !
Un temps.
Lui : Vraiment, c'est un bémol à cette merveilleuse soirée !
Elle le regarde, l'air surpris.
Elle : Quoi donc ?
Lui : Que tu ne trouves pas ce site sur les camps de concentration d'Espagnols...
Elle : Bah oui, il y avait de superbes photos de Robert Capa !

Il ricane et va se coucher...

vendredi 6 novembre 2009

Mémé, La lumière et l'oubli

Longtemps je n'ai rien su de la Guerre d'Espagne. Survolée au lycée pour laisser le temps d'aborder les deux mondiales, quasiment tue par mes grands parents paternels qui l'avaient vécue, je n'avais pour principale images que celles d'un poète assassiné, d'intellectuels et artistes du monde entier se portant à la rescousse des Républicains. Des images de papier glacé en somme, trop idéales et trop romanesques pour avoir quelques accointances avec la réalité.

Ma grand-mère a contribué à ce que je ne m'inquiète pas de ce qu'elle avait vécu, nous contant avec force rires l'histoire de sa fuite à travers les Pyrénées accompagnant une colonie d'enfants et de bonnes sœurs. Une fois, elle avait enterré dans le potager le pistolet d'une de ses comparses alors que la Guardia Civil était entrain de fouiller sa chambre, une autre fois, elle avait cassé une chaise sur la tête d'un homme qui voulait l'embrasser. Elle nous racontait cela avec une expression joviale, nous fourrant dans la bouche crevettes et calamars, mantecados et turron, plus inquiète de nous voir refuser une bouchée que soucieuse de se savoir écoutée... Ce que nous riions ! Je la voyais comme une héroïne qui n'avait guère couru de risque, merveilleusement belle et futée, elle survolait l'histoire sans s'en mêler, image là encore, belle image que n'aurait pas atteint la cruelle réalité.
Pendant des années, j'ai d'ailleurs cru qu'elle avait quitté l'Espagne au début de la guerre, en 1936. Ce n'est qu'à sa mort que j'ai découvert qu'elle était partie au dernier moment, en 1939, âgée de 24 ans, recherchée et en danger. Mes cousins andalous m'ont appris qu'alors elle avait laissé derrière elle, à Barcelone, un mari franquiste...

Dans le camp de concentration de Port Barcarès (ou bien était-ce Argelès-sur-mer ?), les femmes étaient séparées des hommes et parquées dans des cabanes de bois. Une des amies de ma grand-mère, la Rufina, dansait à moitié nue sur un lit pour énerver les Tirailleurs Sénégalais qui les gardaient - Mémé disait los negros, c'est ainsi que l'on dit en espagnol et cela me choquait - elle ne les aimait parce qu'il les avait traitées avec peur et mépris alors qu'elles venaient de fuir des combats sanglants. Si j'imaginais le danger qu'il y avait à provoquer des hommes armés je corrigeais ma grand-mère "Pas camp de concentration, Mémé, ça c'était après, pendant la deuxième Guerre Mondiale !". Elle expliquait sans que je l'entende, elle insistait sans que je la croie ; parfois elle n'utilisait pas le vocabulaire adéquat, sa langue s'emballait sur les R, elle ne savait pas dire les "u", il me paraissait normal qu'elle dise camp de concentration pour décrire l'endroit, sur la plage, où elle et ses compatriotes avaient été retenus, le temps pour la France de se préparer à les accueillir.
Alors nous passions à table et dégustions sa paella.

Le film Land and Freedom de Ken Loach fut un premier choc, No pasaràn, documentaire de Henri-François Imbert un second. Depuis, par période, je lis des livres - sur le sujet, je fais des recherches. Il est trop tard pour confronter mes découvertes avec le vécu de ma grand-mère mais en continuant d'explorer ce qu'elle a pu traverser, il me semble que je marche sur ses pas et je ne cesse de la découvrir et je ne cesse de l'aimer.

Le roman de Serge Mestre, La lumière et l'Oubli, au titre parfait pour évoquer cette période, m'a attirée pour toutes ces raisons. Je n'avais pas prêté assez attention aux dates mais l'histoire des deux amies qui s'échappent en sautant d'un train m'avait tout de suite interpellée. Je m'attendais à marcher sur les pas de ma grand-mère dans une Espagne en guerre. En réalité, l'histoire de Julia et Esther commence en 1953. La guerre est finie depuis longtemps pourtant les orphelins nés de Républicains sont parqués dans des Couvents, martyrisés. Le reste de la population vit dans la terreur, susceptible d'être arrêté sur dénonciation ou pour une injure prononcée à voix haute.
"Ils sont nombreux dans cette Espagne catholico-fasciste à avoir purgé plusieurs mois de prison pour avoir blasphémé contre Dieu, la Vierge, parfois les saints. L'histoire de ce Valencien se rendant à Alicante avec un groupe de petits maraîchers en laissant échapper sur les Ramblas un pet bien gras de paysan parfaitement nourri, a déjà fait le tour de l'Espagne. L'homme s'exclame pour amuser la galerie : Vive Franco, qu'il l'attrape, puis qu'il se le peigne en rouge ! Cependant les Valenciens ne sont pas seuls. Une patrouille passe par là. Les gardes civils s'emparent du pétomane, le conduisent séance tenante au commissariat, où on le jette dans les caves insalubres quadrillant les sous-sols de la Direction générale de la Sûreté. Il demeure plusieurs heures à même la terre battue, avant qu'un policier ne vienne tourner la clé dans la serrure : Lève-toi, fils de pute, hurle-t-il. A peine debout le Valencien reçoit une énorme gifle qui le projette au sol, le visage contre terre. (...) A la fin de sa garde à vue, sa conscience de la douleur s'est transformée. Son corps est devenu une boule comateuse, que les coups ont meurtrie, ne parvenant plus à la faire gémir. Quelqu'un retrouve le Valencien plus tard, mourant, la tête renversée, les yeux révulsés, dans le fossé bordant la route qui mène d'Alicante à Santa Pola, en face de l'île de Tabarca. avec ses lèvres croûteuses, tuméfiées, il répète au rythme d'une litanie toujours le même double, obsédant oxymore : Franco le bon, saint vicelard de mes couilles... Il rit, sanglote, crache à la fois. Il meurt à l'asile psychiatrique de Santa Pola, dans une grande chambre toute blanche, depuis laquelle on peut entendre aujourd'hui le bruissement lancinant de la houle."

Trente-cinq ans après leur fuite, Julia et Esther sont submergées par les souvenirs. Le roman, à la construction complexe, passe d'une époque à l'autre, jusqu'à ce que se dessine le destin tragique des deux femmes, de leurs parents et des personnes qu'elles ont rencontré. L'histoire de Peio m'a particulièrement émue : fils de communistes basques, confié en 1937 par ses parents à un jeune couple basque, il est enlevé en pleine rue à la fin de la guerre par des hommes du service extérieur de la Phalange et expédié à Bilbao afin d'être rééduqué. Placé dans une école catholique de l'Opus Dei, il devient prêtre en 1947. Il découvre alors que la mission pastorale se borne à organiser la délation. "On signale, tous azimuts, aussi bien les villageois réfractaires à la messe dominicale, aux vêpres, ceux qui blasphèment, que ceux dont on découvre l'engagement politique clandestin grâce aux confidences savamment arrachées en confession à certains membres faibles, influençables surtout, de la communauté : les vieilles bigotes soi-disant apolitiques, les enfants à qui, sous le couvert d'une mission purificatrice, on fait habilement restituer les conversations privées pendant le repas.
Faut-il encore se demander d'où vient le silence des Espagnols ? On l'a perfusé à plusieurs générations d'entre eux, il a fini par se calcifier dans leurs veines."


Si j'ai été passionnée par les découvertes que m'a permis de faire Serge Mestre, et touchée par l'évocation récurrente du silence des vaincus, je n'ai pas été totalement emballée par le roman. L'histoire romanesque qui se greffe sur les événements historiques m'a parue trop diluée, presque anecdotique. Je ne me suis guère attachée aux personnages principaux qui, en dehors de leur "période espagnole", m'ont parus sans consistance, désincarnés, terriblement froids. Il me semble que je me souviendrai un peu mieux de l'histoire de l'Espagne mais que j'oublierai bien vite celle de Julia et Esther.
Enfin, je me suis demandée si le trait n'était pas forcé du portrait des religieux espagnols car tous rivalisent de sadisme, d'ambition, de cruauté jusqu'à ces sœurs qui violent une orpheline emprisonnée, dans une scène qui m'a vraiment dérangée.

A la recherche d'informations sur le rôle des prêtres dans l'Espagne franquiste, je suis tombée sur une page Wikipedia sur laquelle sont dénombrés les victimes religieuses de massacres en zone républicaine. En zone nationaliste, d'autres prêtres furent exécutés pour, au contraire, avoir soutenu les Républicains. Impossible de tirer des conclusions de quelques lignes sur un site internet mais cela m'a rappelé mon grand-père madrilène, anticlérical convaincu, immobile devant la télévision, une des dernière fois que je le vis.
Sur l'écran le Pape officiait. Comme ma mère se moquait, cherchant à provoquer une de ses diatribes enflammées contre le clergé, l'église et toute forme d'aliénation spirituelle, Pépé répondit seulement : "Je me demande, c'est tout..."


Merci à l’équipe de l’agence Zelios Interactive pour cette lecture dans le cadre du Goncourt des Lycéens qui sera annoncé le 9 novembre.

mercredi 4 novembre 2009

Les tortues de mer vont aussi au paradis...


... grâce à Mtislav et Gaël : c'est ici.

Si vous aussi vous avez un billet, dans votre blog que vous voudriez voir accéder au Paradis, contactez Mtislav !

lundi 2 novembre 2009

Prix Goncourt




Je l'ai appris chez Lily. C'est Marie N'Diaye qui a remporté le Prix Goncourt et j'en suis très heureuse car son roman Trois femmes puissantes m'a bouleversée, épatée, fascinée... J'en parlerai bientôt !

dimanche 1 novembre 2009

Tombée

Encore une femme qui tombe, près de moi, encore une qui flanche et je me demande si finalement notre société est meilleure pour nous que celles où tombèrent les Virginia Woolf, Zelda Fitzgerald, et autres Sylvia Plath - pour ne parler que de celles qui, à travers leur œuvre réussirent, au moins un peu, à s'exprimer.
Est-ce à cause des limites de cette expression, à cause du carcan que leur imposait malgré tout une société aux lois proférées par les hommes que ces artistes ne réussirent à trouver l'apaisement, ou parce qu'explorer leurs tourments à l'écrit a accéléré le processus, ce sont des questions que je me suis souvent posées.
Cependant, si celles que je cite ici ont été entendues, ne serait-ce que longtemps après, grâce à leur œuvre je me demande combien ont sombré dans l'oubli des leurs ne laissant de leur passage sur terre aucune trace, comme dans le ciel des étoiles qui seraient éteintes bien avant d'être mortes.

Combien de Sarah, Ludivine, Urszula ?

Aujourd'hui Sarah est toujours séparée de son fils Siegfried qui grandit dans une pouponnière en attendant d'être assez grand pour être placé en famille d'accueil. Sarah est seule et elle ne se soigne pas parce que personne ne lui a dit qu'elle était schizophrène. On lui cache la vérité comme on cache à certains malades qu'ils vont mourir. On lui cache une vérité que personne ne veut regarder en face. Elle voit de temps en en temps sa sœur aînée lorsque celle-ci n'est pas occupée à préparer son déménagement définitif en Polynésie. L'un de ses frère se débat avec ses propres affres, dépression saisonnière, chômage, endettement, l'autre est accaparé par femme, enfants et belle- famille et ne prend jamais de nouvelles. Siegfried qui va fêter ses deux ans, est seul aussi dans l'environnement remuant de sa crèche à plein temps ; aucun de ses oncles ou tante ne le prennent en vacances - sans parler de le recueillir définitivement - et Anna et moi qui ne sommes de leur famille que grâce à l'alliance tardive de notre mère et de leur père suivons les événements de loin, impuissantes, après avoir été rembarrées par les services sociaux.

Notre sœur est sortie de l'hôpital psychiatrique quelques jours après ma visite d'octobre. Une infirmière m'avait pourtant expliqué à l'issue de cette journée de permission qu'il faudrait encore plusieurs semaines avant que Ludivine ne recouvre sa pleine liberté, parce que sa crise maniaque semblait loin d'être terminée.
Apparemment le psychiatre que Ludivine rencontrait une fois par semaine en a jugé autrement dès le lendemain. Et nous ne savons à qui nous devons nous fier et si nous devons nous réjouir ou nous inquiéter de la savoir de nouveau seule chez elle, coupable seulement d'avoir dévié du cours tranquille de son existence toute tracée mais coupable au point d'avoir été emprisonnée et maltraitée.

Ce dimanche-là, nous avions laissé Ludivine à la porte du réfectoire, entourée de dépressifs au regard cotonneux, de retardés mentaux, bave au menton, de gentils allumés pleins de tics, de vieux toqués l'air à peine sénile, la plupart vêtus de pyjamas élimés, de robes de chambre à carreaux, le visage comme poussiéreux, hagards et mornes. Entre les murs jaunes, serpentait le fumet d'une soupe verdâtre pleine d'eau. Nous avions regardé notre sœur, résignée, rejoindre son siège, sourire à la compagnie et saisir une tranche de pain qu'elle avait émiettée machinalement alors que nous lui faisions un signe de la main.
Dans la journée, elle nous avait paru aussi sage qu'avant, aussi appliquée à l'être, meurtrie par ce qu'elle avait vécu en chambre d'isolement plus que par sa maladie. Elle articulait certaines phrases plus lentement que d'autres comme pour nous convaincre de sa bonne foi. Et nous, du bon côté des choses, nous doutions à la voir ainsi, de notre propension à dramatiser, des conséquences que nous avions tirées, de notre regard qui la scrutait comme il aurait scruté un animal dangereux. Nous nous demandions si nous n'étions pas plus fragiles qu'elle, si la folie n'allait pas nous sauter dessus, se répandre parmi notre fratrie ébranlée comme un feu de paille.
Dans la voiture, au retour, nous avions laissé s'épancher notre souffrance, face à la route, mots et larmes intarissables, peurs et questions, remords et regrets roulant sur le goudron à côté de nous dans une course que nous ne nous sentions pas capables de gagner.

Hier, j'ai appris qu'Urszula - la nounou de Zacharie quand il était petit, - était à son tour en clinique psychiatrique. Son mari S., la voix brouillée par les sanglots m'a raconté qu'elle avait appelé tous ses amis pour leur dire qu'elle partait, tous ses amis mais pas lui. Puis elle a pris leurs deux enfants et a sillonné Paris, d'un hôpital à un commissariat, d'un quartier à l'autre, racontant des histoires différentes à chacun de ses interlocuteurs, des histoires sans queue ni tête. Il a réussi à la retrouver, il ne sait même plus comment, il est parti à sa recherche, dans sa camionnette et il l'a retrouvée quelque part, il ne sait même plus où.
Depuis une semaine, S. va lui rendre visite tous les jours, elle y a droit de 14 à 18 heures, il a pris une semaine de congés mais lundi, déjà, il va falloir qu'il retourne travailler. Il me dit que la veille, elle a pleuré parce qu'elle voulait rentrer avec eux mais ce n'est pas possible, pas encore, et il a dû la repousser tandis qu'elle s'accrochait à lui, et après il a dû calmer les enfants qui pleuraient du chagrin de leur mère et qui voulaient rester avec elle, eux qui ne l'avaient jamais quittée auparavant.

Pendant qu'une aïeule venue de Pologne veille sur les enfants, dans leur bain, S. s'étouffe dans les larmes au téléphone : il ne comprend pas ce qui se passe, il ne sait plus ce que va être leur vie. Oh bien sûr les médecins lui ont expliqué, il sait qu'il faut attendre, on ne peut pas se prononcer tout de suite ; quand elle rentrera elle aura des médicaments, cela ils lui ont dit, il en déduit qu'elle sera toujours malade - et lui, comment fera-t-il pour partir au travail et la laisser seule à la maison avec les enfants ?
Comme Anna et moi, comme tous les gens qui voient un des leur s'écrouler, il explore le passé, les dernières semaines ; il reconnaît qu'elle avait maigri, jusqu'à devenir l'ombre de la jeune femme qu'il avait connue, elle a toujours été tellement perfectionniste et ce n'est pas facile de vivre à quatre dans un studio alors qu'on rêve pour ses enfants d'une vie meilleure que celle qu'on a vécue, il se reproche de l'avoir laissée plusieurs semaines seules avec les petits, parce qu'il avait accepté un travail en Pologne... Et pourtant, la veille de sa fugue, tout allait bien. Et pourtant, le jeudi elle était encore normale...

Illustration : Casey Weldon