Posés sur leur transat, roulant des yeux et secouant bras et jambes avec des gestes saccadés, ils bavent, tordent leur bouche pour essayer d'attraper le col du pull qui taquine leur menton avant de pousser des cris perçants, épuisés de frustration.
Au dessus de la pièce, sur une alcôve en demi étage, des enfants à peine plus grands chutent dans l'escalier, sur leurs fesses bordées de couches, se battent pour une voiture, déchirent un livre, appliqués, en suçant leur pouce.
Les nounous, étalées dans le canapé, ne les regardent pas ; elles narrent en détail leur dernière soirée télévisée et les promotions dont elles ont bénéficié au supermarché le matin même. Parfois, elles évoquent les enfants dont elles s'occupent mais en les décrivant, elles oublient leur présence, passionnées par leur propre démonstration plus que par la présence routinière des bambins.
Au dessus de la pièce, sur une alcôve en demi étage, des enfants à peine plus grands chutent dans l'escalier, sur leurs fesses bordées de couches, se battent pour une voiture, déchirent un livre, appliqués, en suçant leur pouce.
Les nounous, étalées dans le canapé, ne les regardent pas ; elles narrent en détail leur dernière soirée télévisée et les promotions dont elles ont bénéficié au supermarché le matin même. Parfois, elles évoquent les enfants dont elles s'occupent mais en les décrivant, elles oublient leur présence, passionnées par leur propre démonstration plus que par la présence routinière des bambins.
Les mères sont encore plus furieuses de vivre, on dirait que jusqu'à cette heure de l'après-midi, elles ont traversé un désert de silence, un désert sans oreille ; d'une main, elles mouchent un nez, caressent un front et retiennent un vélo sans jamais s'arrêter de parler ; elles postillonnent, lèvent les bras au ciel et crient ; elles se dévisagent sans se voir, leurs fronts se touchent presque, on pourrait croire qu'elles dégobillent les mots directement dans la bouche de leurs confidentes et c'est une chaîne ininterrompue de paroles, un charabia irrésistible qui fascine même ceux qui ne comprennent pas cette langue.
Je m'amuse un moment à inventer des dialogues dans ma tête mais passées les premières minutes, je trouve qu'il y a trop de rebondissements et que ce n'est guère crédible.
C'est en m'asseyant sur le canapé des nounous, mon fils ayant besoin de mes jambes pour figurer une pente, que je la remarque. Elle se tient au milieu de la pièce, pâle, aspirant d'une lèvre épaisse une morve translucide. Ses yeux paraissent disproportionnés sur sa face inexpressive, ils paraissent tristes, curieusement fixes. Je me dis que c'est une idée, une projection ou un effet d'optique lorsqu'en un battement lent, les cils aux pointes noires s'abaissent, noyant d'ombre la pupille. Mais elle reste là un temps infini, immobile, presque invisible. Quelqu'un lui parle qu'elle semble ne pas entendre. Des enfants la bousculent et elle vacille sans que la colère ou l'ennui ne trouble son front, sans qu'un mot émerge de la bouche molle. Elle est belle, et pourtant si seule que ça ne compte pas. Ses cheveux crépus, blonds, sont soigneusement nattés. Les frisottis autour de son crâne forment un halo émouvant.
Le cœur serré, je tends soudain une main vers elle : "Bonjour, tu regardes les bébés ? lui demandé-je, intimidée." Mes doigts un instant caressent l'entrelacs de cheveux aussi mystérieux qu'un tapis de ronces, buttent sur une barrette rose. Elle fait quelques pas qui l'éloignent de moi. Alors que j'hésite à l'approcher de nouveau, une nounou me dit :
"Cette petite fille, je l'ai vue se gratter la tête sans arrêt aujourd'hui. A deux mains elle s'y prenait. Et ça saute ces p... Enfin, vous savez, je ne vais pas dire le mot ici, dit-elle d'une voix plus basse, mais vous devriez faire attention !"
Je m'étonne. Je n'ai rien vu, moi. Malgré mes doutes, je reste à ma place, honteuse. La fillette est à un mètre et elle contemple toujours les bébés. Je me retiens d'aller me laver les mains. La tête me démange déjà.