Affichage des articles dont le libellé est Philippe Djian. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Philippe Djian. Afficher tous les articles

vendredi 3 avril 2009

Philippe Djian, l'homme qui écrivait

Lorsque j'ai évoqué Philippe Djian sur ce blog, chacun y est allé de son appréciation plus ou moins argumentée. Les lecteurs férus de classiques se défendent d'apprécier un auteur qu'ils pensent trop populaire. D'autres admirent depuis longtemps ses histoires, la finesse de son style, son efficacité, la beauté de ses images et de ses personnages. Ceux qui ne l'ont pas lu se demandent s'ils ont envie d'aborder un auteur français qu'il leur semble déjà connaître...

J'ai découvert Philippe Djian au sortir de l'adolescence. En même temps que Miller. Et de même que l'auteur américain, il a été une sorte de révélation, une pierre sur le chemin de mon envie d'écrire, une aide à vivre, aussi, qui m'a donnée à vo
ir autre chose que ce que l'on m'avait enseigné à l'école, qui m'a parlé du monde dans lequel j'allais vivre, adulte, un monde âpre et violent parcouru de sombres espoirs. Pas si différent, finalement, de l'enfance que je quittais.

Malgré tout, en rencontrant Philippe Djian dans un salon des Editions Gallimard, je n'ai guère pensé à ses livres. Il est arrivé et nous nous sommes toutes levées tandis que les conversations résonnaient encore dans la pièce. Son sourire était timide, son expression embarrassée.
"Vous voulez boire quelque chose ? a proposé quelqu'un p
our briser le silence.
-Oui, a-t-il répondu. Mais pas de l'eau gazeuse. Pas non plus de l'eau plate. Ni du jus de fruits.
Il a ri :
- Vous voyez ce qui reste."
Le champagne a coulé. Nous avons pris place autour d'une table et Lily a parlé la première. Mon trac s'était envolé : j'avais en face de moi un hom
me qui écrivait et j'avais mille questions à lui poser...


Tous les matins, il écrit. Pas parce qu'il s'agit du moment idéal pour cela mais parce que c'est le plus pratique, finalement. L'après-midi il sera incapable d'aligner deux mots, ses pensées baguenauderont, il fera deux trois trucs, il tournera en rond - on sent bien, quand il évoque ces heures creuses, que sa vie n'est pas là.

Il se remettra au travail vers dix-huit heures. L'objectif ne varie jamais : il lui faut écrire une page par jour, chaque jour, et cette page ne sera pas retouchée. "Je peux passer des heures sur une virgule à me dire Ça ne va pas, ce n'est pas ça que j'ai envie de rendre. Mais une fois rédigée, la phrase ne bougera plus : j'y ai suffisamment réfléchi au moment où je l'écrivais pour qu'il n'y ait rien à changer"
De même, Philippe Djian passe peu de temps à se relire : "Comme je travaille tous les jours, j'ai mon histoire bien en tête", dit-il. Modeste, il ajoute "C'est juste ma façon de fonctionner. Elle ne conviendrait pas à tout le monde. Il paraît que Carver, par exemple, écrivait très vite. Puis qu'il retouchait chaque phrase, sans arrêt, jusqu'à la fin. John Irving écrit un roman en trois mois puis
passe trois ans à revenir sur le texte... "

Philippe Djian ne cherche pas à raconter des histoires, d'après lui, Shakespeare les a déjà toutes rapportées il y a des siècles. Il n'a pas besoin d'une idée, d'un thème ou d'une anecdote pour commencer à écrire. Parfois, il lui suffit d'un mot, d'une phrase ou d'un titre. De phrase en phrase, l'histoire se tisse toute seule. Elle coule comme l'eau qui trouve toujours une façon de contourner un obstacle, de se glisser, de s'immiscer pour continuer sa course. "Je ne connais pas ce truc de la page blanche. On ne peut pas avoir de problème de page blanche si, simplement, on marche sur la mélodie."
Ainsi, il lui semble insupportable de devoir se documenter en cours d'écriture et après s'être heurté à cette nécessité deux fois, il s'est promis que cela n'arriverait plus ; les plans ne lui sont pas indispensables car quand le roman est commencé il est trop tard pour le planifier, rien ne doit retarder l'écriture, rien ne doit entraver l'imagination. L'histoire existe déjà, la tâche de l'écrivain est de la retrouver. "Comme disait Salinger, j'essaye d'écrire le livre que j'aimerais lire."

Philippe Djian semble loin des clichés de l'artiste égoïste, du Francis d'Impardonnables, entre autres, qui laisse ses proches péricliter pendant qu'il s'occupe du positionnement d'une virgule. Au contraire, il se sent investi d'un rôle de guide dans la cité.
"J'ai toujours cherché des réponses dans les livres et les livres m'ont aidé à comprendre plein de choses. Kerouac, Faulkner, Miller ont rendu ma vie moins floue... Et parfois, ils ont même dicté mon comportement. Après avoir lu Cendrars je n'ai pu faire autrement qu'aller travailler sur un cargo. C'était sans doute stupidement romantique, mais j'en avais besoin à ce moment là...
Et c'est pour cela que j'écris des romans ancrés dans le monde d'aujourd'hui. Pour faire avancer les gens avec la littérature... Tout a changé pourtant. On ne peut plus mettre le monde dans une phrase comme Carver et je ne comprends pas que l'on puisse défendre des règles précises et figées de la langue aujourd'hui. En ce moment, dans ma poche, j'ai dix dictionnaires. Ça ne rime à rien si ça ne ressort pas en littérature..."

L'écrivain est sourd de l'oreille droite. Quand il repère qu'on s'adresse à lui de ce côté, il tourne la tête, dans une attitude un peu penchée et il écoute, en fixant la personne qui s'exprime comme si elle en disait plus que ce que tout le monde perçoit. "J'aurais aimé faire de la musique, confie-t-il mais le jour où j'ai tenu une guitare je me suis rendu compte que le son partait du mauvais côté et que je n'entendais rien. Quand j'écris, j'entends tout..."
Quand il lit c'est pareil : "Rien ne m'étonne en littérature. Pour moi il n'y a pas de génies littéraires. Parce que je comprends comment ça marche, je comprends comment ils font. Pas avec mon intelligence... Non, tout comme la musique, un livre de Carver, par exemple, ne parle pas à mon intelligence. C'est simplement qu'en le lisant, j'ai l'impression de marcher avec lui. A ses côtés."

Sa femme est peintre*. Ils ont travaillé dans la même pièce et Philippe Djian, malicieux, raconte sa jalousie en la voyant, les mains pleines de peinture, tourner autour de ses toiles. Il y avait du bruit, de la matière, du mouvement. En face de lui, seulement une page blanche ; en lui des milliers de mots capables de vibrer...
La représentation de l'écrivain au cinéma l'a toujours amusé : "On voit le type, passionné, écrire toute une nuit. Le tas de papier blanc ressort au fur et à mesure de l'imprimante, barbouillé de mots... Ça ne se passe jamais comme ça. L'écriture est un travail. C'est lent, ça avance doucement et on est seul. J'ai connu le sentiment incroyable d'entendre mes mots, mes phrases scandés par un public de trois mille personnes parce que j'ai eu la chance d'écrire pour Stéphane Eicher... Mais quand j'ai fini un livre, je ne sais pas ce qui va se passer après. Je suis satisfait parce que j'ai fini mon travail, c'est tout. Je ne me suis jamais laissé emporter. Je ne vais pas au delà de ma page d'écriture par jour et même, si cette page a été laborieuse à écrire il m'arrive de laisser le dernier mot coupé en deux à la fin. Parce que je ne peux pas commencer une nouvelle page. J'ai fait mon travail..."

Inutile de dire que la soirée s'est achevée trop tôt. Une question en entrainant une autre Philippe Djian nous a consacré le double du temps prévu. J'avais une question sur le bout des lèvres lorsque la fin de la rencontre a été annoncée... Philippe Djian nous a serré la main, souriant, l'air aussi heureux que nous de ce moment partagé mais sans doute inconscient de ce qu'il avait nous avait apporté, en parlant, en écrivant...

[Lily a ressenti les mêmes choses que moi avant la rencontre. J'aime beaucoup son compte-rendu. Pinklady s'est perdue en chemin pour venir mais elle n'a pas manqué l'essentiel.]

Mille merci à Philippe Djian qui s'est montré d'une patience, d'une simplicité et d'une générosité incroyables. Et toute ma reconnaissance à la maison Gallimard
et à Véronique Laury pour leur accueil chaleureux et l'invitation à cette rencontre à laquelle je ne cesserai de penser...

Photo : Philippe Djian en pleine séance de dédicace... Il a dit qu'il utiliserait mon prénom dans un de ces prochains romans !

*Tiens, comme celle de Georges Flipo !

mardi 3 mars 2009

Impardonnables

Depuis que j'ai lu Impardonnables, le dernier roman de Philippe Djian, je ne cesse de m'interroger sur ce que je trouve impardonnable. En dehors, bien sûr, de choses clairement répréhensibles, condamnées par la loi. Et ce n'est pas si facile de répondre à cela. Il me semble que les années passant, certaines colères se sont apaisées, que les douleurs endurées ont perdu de leur pouvoir, que les trahisons se sont muées en banals accidents et que je suis devenue à la fois plus sereine et plus tolérante.

Dans le roman, Francis, écrivain de soixante ans en panne d'inspiration, doit affronter la disparition d'Alice, sa fille actrice, alors que, quinze ans auparavant il a perdu, dans des circonstances atroces, sa femme et son autre fille.

La première partie de l'histoire est palpitante. Francis engage une amie détective privée - Anne-Marguerite dite A.M.- pour retrouver sa fille, il se souvient des circonstances entourant le premier drame, de la façon dont la vie a repris ses droits après des années sous le choc, de sa relation avec sa fille survivante, construite envers et contre tout.
Francis supporte difficilement cette nouvelle épreuve d'autant que sa deuxième épouse, Judith, le délaisse et que Jérémie, le fils d'A.M. sortant de prison, lui impose sa présence désespérée, ses problèmes insolubles. Alors il erre d'une réflexion à un souvenir, d'une découverte à un espoir, dévasté mais capable de dérision, égoïste et attachant.

Quand à la cent-huitième page, Francis découvre que sa fille se cachait pour relancer sa carrière, le récit bascule.
Car Francis ne pardonne pas - et ne pardonnera pas - à Alice de lui avoir infligé des souffrances inutiles après avoir traversé le pire avec elle autrefois.

A la lecture de la deuxième partie, le doute m'a taraudée sans répit: est-ce que moi je pardonnerais une chose pareille ? Après tout, l'écrivain retrouve sa fille alors qu'il la croyait disparue à jamais... N'est-il pas plus important d'être rassuré sur son sort que d'avoir été victime d'un mensonge - certes odieux ?

Un vieux rêve m'est revenu que je faisais, chaque fois un peu différent, après la mort de mon père. Quelques jours après son accident, il apparaissait, juste comme ça, et j'étais stupéfaite. C'était un chœur de rires pleins de larmes, un final de feu d'artifices, tonitruant, ridicule à force de surenchère ; je redécouvrais l'être que j'avais cru perdu à jamais et nos relations étaient belles, débarrassées des ridicules pudeurs qui avaient empêché tant de paroles entre nous. Mon père avait été obligé de nous infliger la souffrance du deuil, il me l'expliquait et c'était évident. Il arrivait qu'il dégouline encore du sang qu'il avait feint de verser, il me donnait des explications saugrenues que je n'écoutais pas. Seul comptait le bonheur de le retrouver, lui mon père, d'être à nouveau la fille qui lui ressemble - qualis pater, qualis filiae - disait Papi Jean, celle qui finit ses verres de vin parce qu'il n'aime pas ça, celle qui lui a pardonné sa violence passée et qui le serre dans ses bras.
Ensuite nous étions poursuivis par des hordes de psychopathes armés de tronçonneuses mais c'est une autre histoire...

Les années ont passé et dans mon rêve les explications de mon père devenaient de plus en plus sensées tandis que je plissais le front en posant des questions en rafales. Au lieu de me jeter dans ses bras, je le dévisageais d'un œil sévère. Puis je lui coupais la parole et je lui exposais les mille façons dont j'avais voulu mourir de sa mort. Je lui parlais de mes sœurs aussi perturbées que moi, de sa femme, seule sans lui. Et je crois bien que je lui tournais le dos...

Au réveil, je devais supporter l'idée que mon père était mort, de toutes façons, que je le lui pardonne ou pas.

C'est lorsqu'il s'est coupé de sa fille que Francis décide de se plonger dans l'écriture d'un roman. Son amie A.M. vient d'apprendre qu'elle va mourir d'un cancer, sa femme est toujours absente et Jérémie semble s'adapter peu à peu. Francis veut écrire pour sortir de la vie, pour n'avoir plus le temps de s'occuper des problèmes des autres :
"Rien n'était plus dur que d'écrire un roman. Aucune besogne humaine ne réclamait autant d'efforts, autant d'abnégation, autant de résistance. Aucun peintre, aucun musicien n'arrivait à la cheville d'un romancier. Tout le monde le sentait bien. Il m'arrivait de serrer si fort les dents au milieu d'une phrase que la pièce toute entière se mettait à siffler. Hemingway ne racontait pas autre chose. L'herbe ne verdissait pas toute seule. Le paysage ne filait pas derrière la vitre par enchantement. J'aurais préféré renouer des relations normales avec ma fille ou repartir sur de nouvelles bases avec Judith, mais écrire un roman était ce qui me semblait le plus réalisable en l'occurrence. Chaque jour qui passait m'en persuadait davantage. Rien d'autre ne me paraissait à portée. Je ne voyais pas d'autre planche de salut. Je regardais à gauche, je regardais à droite et je ne voyais rien. Je n'avais encore jamais abordé l'écriture d'un livre dans cet état d'esprit."

C'est un livre fort, un peu âpre mais plus léger qu'il ne semble. Entre autres, il parle d'écriture d'une façon simple, sans chichis. J'ai aimé la cadence décousue, heurtée, avec une fin qui précède le milieu du livre dans le temps, les personnages bruts, tellement tannés par la vie qu'ils en deviennent incapables d'exprimer leurs sentiments. Et puis je ne cesse d'y penser... C'est bon signe, non ?

Et vous, que ne pourriez-vous pardonner ?

Lily, Amanda Meyre, Thomas Sinaeve ont fait de belles critiques. Et puis juste pour rire un peu, vous pouvez aller admirer la flamboyante joute verbale de Yann Moix et Didier Jacob.

vendredi 13 février 2009

Ecrire un roman...

"Je songeais à me remettre à l'écriture d'un roman pour dresser un rempart autour de moi, j'y songeais sérieusement. Je tenais le coup, depuis des années, au moyen de quelques articles, de quelques vagues nouvelles, semblant plus occupé que je ne l'étais réellement, mais aujourd'hui, dans cette situation, le retour au roman semblait s'imposer. Son épreuve semblait s'imposer. Écrire un roman requérait tant d'énergie que tout le reste passait au second plan. C'était l'avantage.
J'en avais souvent fait l'expérience. J'avais écrit mes derniers romans en forme de blockhaus, et les circonstances semblaient indiquer qu'il était temps d'avoir recours de nouveau à ces pouvoirs, quitte à y laisser quelques plumes."

Philippe Djian - Impardonnables - P121 et 122