jeudi 27 novembre 2008

Des mots (4)

Nous nous écrivions tant qu'avant même de pouvoir passer du temps ensemble, nous avions construit, pour notre relation, un domaine vaste, foisonnant que nous n'avons pas fini d'explorer aujourd'hui. Le moindre frisson, nos angoisses et nos doutes étaient relatés, analysés, découpés puis lus et analysés une seconde fois. Car nous ne manquions jamais de relever une ligne de la lettre de l'autre et d'y répondre en détail. En retour, notre réponse était démantelée de nouveau et notre conversation finit par couvrir le monde tel que nous le connaissions, comme si nous avions étendu sur lui les filets arachnéens de nos sensibilités mêlées.

Nous étions très rigoureuses et n'hésitions pas à prouver nos dires. Nathalie glissait dans sa besace des photos volées dans l'album familial, tandis que je lui livrai, un jour, un carton rempli des lettres reçues depuis ma naissance : déclaration de mon premier amoureux, cartes postales de mon père, cartes d'anniversaire ; il me semblait que cette menue paperasse attestait, en partie, de mon existence. Nous échangeâmes nos journaux intimes et dérobâmes des livres dans la bibliothèque de nos parents. Bientôt, les paragraphes décrivant nos sentiments pour Philippe et Samuel s'amenuisèrent laissant place à ceux que nous éprouvions l'une pour l'autre. Nous jurions de ne jamais nous quitter, de ne jamais nous marier et nous imaginions, éventuellement, fréquenter plus tard, des frères ou des amis qui n'auraient jamais d'emprise sur notre amitié ; le piano de notre salon serait bordeaux ou blanc et nous des artistes.

Parfois, pourtant, Nathalie devenait silencieuse et coupait court aux confidences. Emmanuel, le copain de Samuel, qu'elle commençait à lui préférer, lui donnait des envies de secrets. Elle ne voulait plus épier ses sentiments mais se laisser porter par eux. Alors, je lisais Marguerite Duras et c'est mon amie que je voyais à travers les Lol V. Stein, Emily L. et autre Elisabeth Alione. Les soirs où elle tenait entre ses mains le sort de notre correspondance, je griffonnais des histoires à deux voix dans lesquelles, une Natalia, énigmatique et glaciale, s'exprimait telle le Sphynx face à une personne - homme ou femme - qui l'abreuvait de déclarations et de questions. Natalia préférait à la parole la danse, aux explications la musique et je ne la comprenais jamais tout à fait.

Il arrivait que pour me lancer dans un nouveau chapitre, j'établisse d'étranges correspondances entre une phrase de Duras et une des miennes. L'idée était proche ou carrément opposée, les mots avaient en commun un éclat particulier, une associations de fricatives mais au fond de moi, je savais que j'avais volé le résultat qui jaillissait de ce troc : "Tu écris vraiment comme elle, me disait Nathalie, admirative."

Illustration : Art and ghosts

mercredi 26 novembre 2008

Dans l'oeil de Catherine Goux

Cette semaine j'ai laissé entière liberté à Catherine à qui j'ai demandé une photo et un commentaire...

Cela parle de blogs et de campagne et ce sera, comme d'habitude, à onze heures au Plafond...

samedi 22 novembre 2008

Ce soir...

Je chante !





Dieu que j'ai peur...

mercredi 19 novembre 2008

L'invité du jour

A onze heures, sur Le plafond, apparaîtra un billet de Marc Calvet à qui j'avais demandé de rédiger un texte sur le thème "bloguer à la campagne". C'est une visite douce et belle que je me réjouis d'avoir...

Bonne lecture !

mardi 18 novembre 2008

Des mots(3)

Un jour, je l'ai vu traverser la cour et j'ai décidé de l'aimer. C'était un Terminale A3, option arts plastiques qui s'appelait Philippe, portait un anneau à chaque oreille, un Perfecto et des jeans dont les déchirures laissaient entrevoir les cuisses velues. Brun, les joues percées de fossettes, il posait parfois sur moi, sans y penser, un regard morne que je trouvais poignant. De ses grands cartons à dessins s'échappaient des liasses couvertes de peinture noire et blanche. Il arrivait qu'il porte une guitare à l'épaule. Il savait exhaler des ronds de fumée parfaits et il était un des seuls garçons du lycée à embrasser ses amis au lieu de leur serrer la main.

J'arrivais en cours en retard car, comme son ombre, j'avais pris l'habitude de l'accompagner partout. J'attendais que la porte de sa classe soit refermée pour gravir rêveusement les escaliers qui menaient à la mienne, la pointe des pieds trainante.

La première fois que j'ai écrit sur Philippe c'était dans le cahier adressé à mon père depuis son enterrement. J'espère que tu ne seras pas jaloux que je pense à un autre que toi, je suis jeune et j'ai envie de vivre, avouais-je. En classe, je gravais le prénom de mon bien-aimé sur le bureau, j'égrenais des acrostiches et brodais des alexandrins que je ne lui donnerais jamais. Elsa, ma copine, se réjouit que je sorte enfin de mon humeur morbide ; en réalité, la proximité de la mort nourrissait mon désir, mon deuil s'épanouissait dans cet amour et ils se transfiguraient sans cesse l'un l'autre.
Les jours où l'espoir d'être aimée en retour s'estompait, je sombrais dans le désespoir, convoquant les images d'un bonheur passé perdu à jamais. Mais, lorsque Philippe, pendant la récréation, m'avait souri, j'entendais presque mon père murmurer que, parfois, la vie était trop courte et qu'il fallait se dépêcher d'en profiter. Furieusement, je reprenais ma plume pour avouer à Philippe qu'il avait été désigné pour me rendre heureuse.

En cours de sport, un jour, Nathalie, une brune à lunettes que je connaissais à peine, échappa à la vigilance de Delphine, son amie, pour me parler. Moi aussi j'aime un garçon d'une autre classe... Tu lui as parlé au tien ? me demanda-t-elle, l'air excessivement grave. Comme Delphine s'approchait, les sourcils froncés, Nathalie proposa que nous nous écrivions. Je hochai la tête et soufflai précipitamment qu'elle n'avait qu'à commencer. Le lendemain elle me remettait quelques feuilles quadrillées pliées en quatre que je déchiffrai pendant le cours de géographie. Je lui répondis le jour suivant.

Ainsi commença une des plus intenses périodes de ma vie. Pendant la journée nous vaquions à nos occupations en compagnie de nos copines attitrées et le soir, nous nous attachions à décrire les tourments de nos jeunes existences, nos espoirs pour l'avenir qui semblait infini et ces deux garçons que nous adorions en secret. Nous avions chacune nos manies. D'abord il me fallait du papier recyclé à petits carreaux et un stylo à plume large. Je notais la date à la façon d'Anne Franck dans son journal et terminais du même "A toi" passionné.
Nathalie avait une calligraphie très ronde. Elle demeurait plus mystérieuse que moi et dans mes lettres, je la couvrais de questions tant j'étais avide de la connaître, de la comprendre. Elle aimait un garçon petit et blond au visage d'elfe qui s'appelait Samuel et qui la fixait aussi, chaque fois qu'il le pouvait. Comme nous nous soutenions l'une l'autre, j'avais pris l'habitude de définir l'intensité des regards échangés, la couleur des joues, la vitesse du rabattement de la mèche de Samuel, dans ces moments-là. S'ensuivait souvent un marchandage descriptif, par petits mots glissés en classe :
"Tu exagères, disait mon amie, il a à peine croisé mon regard hier.
- Mais si, rappelles-toi, lorsqu'il s'est retourné pour tenir la porte à son copain !
- Je ne suis pas sûre qu'il m'ait regardée à ce moment là...
- Tu rigoles, il a rougi d'ailleurs !"

Après quelques semaines de ces échanges légers, je racontai à ma nouvelle amie la mort de mon père, mes larmes trempèrent le papier, l'encre de mon stylo dégouta, nimbant d'auréoles vaseuses la description de mon chagrin. Nathalie m'écrivit ensuite que ces traces avaient décuplé les sanglots que mes mots avaient fait naître. Dès lors, je ne pleurai plus sans veiller à ce que mes larmes tombent sur du papier à lettres...

Illustration : Wilmer Murillo

jeudi 13 novembre 2008

Une voix sur le fil...


Découvrez Katie Melua!

mercredi 12 novembre 2008

Aujourd'hui au plafond...

Point de "Blogs et..." car le chroniqueur du jour a été excusé. Voyant mon désespoir hier, mon époux m'a proposé de rédiger un impromptu... C'est en cours !

Le titre sera : MA FEMME PREFERE SPERMY !

En attendant, vous pouvez aller suivre les liens indiqués , si ce n'est déjà fait.

Edit de 15h26 : ça y est...

mardi 11 novembre 2008

Des mots (2)

Les semaines suivantes je les ai passées dans la moiteur de la salle de bain. Je ne supportais mon existence qu’immergée dans la baignoire, entourée des quatre murs blancs. Mes bras flottaient à la surface, mes cheveux se trempaient. Je regardais mes jambes briller sous l’eau comme de curieux poissons, longs, blêmes, amorphes. L’eau chaude coulait sans discontinuer et, le visage perdu dans les vapeurs, je finissais par ne plus distinguer les contours de la pièce immaculée de ceux de mes pensées.

En cours, j’avais reposé mes stylos et fermé mes livres. Je ne travaillais plus et mes camarades de classe, rebutés par mon silence, dérangés par ma pâleur, s’éloignaient. Elsa, ma copine depuis la rentrée, m’invitait parfois encore, à dormir chez elle. Avec d’autres filles, elle énumérait les parties de son corps que des garçons avaient touchées, frôlées ou embrassées. Rieuses, avachies sur un lit, elles arrangeaient leurs cheveux en parlant, faisaient des moues avec leur bouche, battaient des cils, éperdument. Leurs chemises de nuit glissaient sur des épaules bronzées, enduites de crèmes et parfumées. De temps en temps, elles s’embrassaient sur la bouche, nonchalantes, en essayant de s’apercevoir dans le grand miroir d’Elsa. Leurs jambes graciles, soigneusement épilées se croisaient et décroisaient ; le frottement de leur peau créait des courants d’air froid sur mes dents ; je les regardai, comme à la télévision, certaines actrices de cinéma : j’avais envie d’être elles au point qu’elles finissaient par m’écœurer.

" Et toi, demanda Elsa une fois, c’est quand la dernière fois que tu es sortie avec un garçon ? » Je les regardai, hébétée, l’une après l’autre, puis, secouant mes cheveux comme je les avais vues le faire, je bafouillai :
« C'était en cinquième, dans une boum. Et puis, une autre fois en Corse, la même année.
- En cinquième ! s'écrièrent les filles, choquées.
- Et c’était bien ? Il embrassait bien ? insista Camille au visage de lune.
- Hum. Non. C’était … Un pari… Enfin pas mal…Mais il me semble qu’il avait une grosse langue. Non je crois que je n’ai pas aimé.
- Ah bon ? demanda Emmanuelle. C’est triste si tu n’as même pas pris ton pied !
Elles pouffèrent. J’agitai une nouvelle fois ma chevelure, pour envoyer une mèche vers l’arrière. Elle me retomba dans l’œil et je la coinçai derrière mon oreille, sous une branche de mes lunettes. Je me sentais presque trop cool. Je pensais Si mon père me voyait, que penserait-il ?
- Et depuis ? s’inquiétait Emmanuelle, avec des gestes de danseuse, rien ? Pas un seul mec ?
- Bah… cet été je suis partie en vacances avec mon père et on faisait plein d’activités, je n’avais pas le temps et… Non rien !"
Je me tus pour empêcher ma voix de chevroter.

Consternées, elle laissèrent le silence s’installer. Puis Camille commença à rire. Un rire ténu d’abord, comme une crécelle, qui très vite enfla et emplit la pièce, roula sur les murs, résonna dans nos têtes ; il semblait que nous riions toutes ensemble. Théâtrale Camille se jeta en arrière. Elle heurta Emmanuelle qui roula avec elle sur le lit. Entre deux éclats, elle aspirait des goulées d’air, en battant des mains devant son visage, mimant la suffocation. Elsa gloussait, Emmanuelle attendait, souriante, et, rouge de confusion, je me mordais les lèvres. Enfin le vacarme décrut, Camille soupira, épuisée et elle articula :
" Emmanuelle, tu te rappelles, quand on avait parié qu’on coucherait avant nos quinze ans ?
- Oh oui ! Ben c’est bientôt raté !
Emmanuelle, se racla la gorge, gênée.
- Attends, pour toi oui, cria Camille ! Tu as quinze ans dans un mois et tu viens de larguer Damien… Mais moi je n’ai qu’à siffler Grégoire et il accourt !
- Je croyais que tu en avais marre de ses potes.
- Ben ils seront pas là quand on … "
Elles éclatèrent de rire et je réussis à produire un grognement qui pouvait passer pour une hilarité réprimée.

Quelques minutes plus tard, je demandai à Elsa :
"Je peux aller prendre un bain ?"

Illustration : Art and ghosts

lundi 10 novembre 2008

Des mots (1)

Novembre a été pendant des années un mois maudit. Le changement d’heure effectué, je commençais à ressentir l’effet d’un compte à rebours, amalgame de sensations, de souvenirs, de cauchemars qui me menait inéluctablement au vingt novembre, jour de la mort mon père, en 1989. Aujourd’hui je suis capable de dire qu’il y a eu un avant et un après sa mort. A l’époque il me semblait que ma vie s’était achevée, en même temps que la sienne, sur le coup, dans un accident de voiture.

Pourtant, l’année scolaire avait bien commencé. Je ne sais pourquoi – peut-être parce que j’étais enfin proche de lui – j’avais trouvé la force de briller. Je travaillais chaque soir tard, la plupart des cours me passionnait et j’étais vite devenue populaire parce que j’acceptais de combler les manques de mes camarades de classe s’ils me le demandaient. Un jour, j’avais dit à mon père : « Tu sais, je suis devenue très forte en mathématiques. Je crois que j’aimerais devenir médecin, comme toi, plus tard… » Il avait éclaté de rire. J’avais décidé que je le surprendrai. Je n’en ai pas eu le temps.

Ce n’est pas que j’ai été tirée de l’insouciance de l’enfance par sa disparition puisque insouciante je n’étais plus depuis longtemps. C’est que, à mesure que le chagrin, les regrets, les remords, la tentation de la folie, la colère s’infiltraient en moi, je suis devenue une autre personne que celle que j’aurais été sans cela. D’appliquée je suis devenue distraite, de résolue, hésitante ; ma réserve s’est muée en déraison, ma sagesse en hystérie ; d’économe j’ai été dispendieuse, de patiente, passionnée. Pendant les années suivantes, ma perception du temps a été complètement distordue. J’étais persuadée que certains événements précédant la mort de mon père avaient eu lieu dans ma petite enfance : je disais, par exemple, à mes amies que mon grand-père était mort, lui, quand j’avais huit ou dix ans. J’ai eu un choc quand, des années plus tard, j’ai réalisé que le père de mon père avait été enterré seulement neuf mois avant son fils.

Lorsque le téléphone a sonné au soir du vingt novembre, le décès de mon père avait été constaté depuis le matin. Les heures que j’avais passées entre dix heures trente et vingt heures trente sont des heures qui demeurent inconcevables, aujourd’hui encore. Je m’imagine tantôt comme une écervelée qui vaquait à ses occupations, ignare, bête, futile, tantôt comme une innocente au-dessus de laquelle pointait le couperet intraitable du destin. Ces heures ne semblent pas m’avoir appartenues et je les ai pourtant traversées comme les autres. Je n’ai pas été triste au moment de l’accident mais bien plus tard, alors que la nuit était tombée depuis longtemps.

La vérité c’est que, à dix heures trente, environ, le vingt novembre 1989, je rentrais du lycée. J’approchais de l’immeuble Des Rousses, où j’habitais avec ma mère et ma sœur et je pensais à mon père. Ma vie avait changé de façon spectaculaire depuis que, deux ans auparavant je lui avais écrit une longue lettre. J’avais raconté ce qu’il n’était pas et ce qui me manquait, j’avais pleuré et déversé sur travers le papier à fleurs toutes mes frustrations et tous mes manques, ma tristesse et ma rage. Une semaine plus tard mon père nous avait invitées au restaurant, sa femme et ma mère, Anna et moi, avec Ludivine, notre petite sœur. Il avait décidé de ne plus être en colère contre ma mère. Il avait fait des promesses qu’il avait tenues : nous emmener en vacances, ne pas nous tenir à l’écart de sa vie. J’avais cessé d’écrire dans mon journal que je le détestais et à la place c’est à lui que je murmurais, tendrement, que je l’aimais.

Pourquoi ai-je imaginé sa mort ce jour-là, je l’ignore… Je ne souhaitais pas qu’elle advienne mais j’ai quand même éprouvé, l’espace d’un instant et le cœur battant, la liberté de mon existence sans lui. Des images très précises de ce que je pourrais faire s’il n’était plus là du tout, ont défilé, débiles, séduisantes, minables. Je me suis grisée de la certitude que je ne serais plus moi-même et ce changement m’apparaissait bénéfique, comme si en quelques minutes j’allais devenir la jeune femme libre que je rêvais de devenir enfant, une jeune femme capable de danser, de parler, de chanter sans peurs et sans complexes. Je décris cela de façon très précise parce que c’est un souvenir que j’ai ressassé maintes fois depuis, mais à l’époque, j’ai chassé ma rêverie malsaine d’un haussement d’épaules, vaguement honteuse, sans savoir qu’elle resterait gravée en moi à jamais.

Arrivée dans notre appartement, j’ai profité de l’absence de ma mère pour allumer machinalement la télévision. Il n’y avait rien d’intéressant et je suis allée effleurer les touches de mon piano. Je ne parvenais plus à jouer depuis que je me sentais heureuse parce que j’avais pris, depuis trop longtemps, l’habitude de pleurer en répétant mes études de Mozart, Beethoven, Scarlatti. Il m’était devenu impossible de faire du piano sans sentir les larmes rouler sur mes joues. Je me suis donc attablée à mon petit bureau et j’ai commencé la dissertation que je devais rendre le lendemain.

A vingt heures trente, lorsque mon oncle a appelé, j’étais de nouveau au travail après mon après-midi de cours. Quels mots venais-je de tracer ? De quoi parlait ce devoir ? Tout cela je l’ai oublié…

Illustration : Art and ghosts

vendredi 7 novembre 2008

Mystère

Je l'imagine cachée dans un recoin de leur appartement, recroquevillée, l'œil aux aguets ; sans doute, elle profite de ce que son mari est sorti fumer une cigarette pour me téléphoner. Son accent délicat rend sa diction un peu molle, ses atermoiements m'embarrassent, j'ai du mal à concevoir qu'elle ne soit pas un peu responsable de la situation : Je ne peux pas aller plus d'un week-end par mois à Paris, me dit Eugenia. Or, nous avons deux concerts à organiser ensemble.

Alors que je fais le compte, à haute voix, des répétitions nécessaires, que je lui demande de me répéter ses disponibilités, elle m'interrompt : je dois raccrocher, il arrive. Je referme mon agenda, pensive, hésite à lui envoyer un mail, craint que son époux ne le lise et s'en serve pour lui reprocher je ne sais quoi. A la place, j'envoie un message à Melisande, l'amie chanteuse qui me l'a recommandée : Je t'avais dit que j'en voulais une normale !

Au conservatoire, à Lyon, j'ai eu Cadmus, qui ne s'animait que pour donner des indications de tempo, de nuances mais qui, le reste du temps, muet, les lèvres closes sous une longue moustache noire, s'en tenait à des grognements mystérieux. Il m'est arrivé d'attendre avec lui à l'entrée d'une salle la fin du cours de violon. Le regard fixé sur une affiche quelconque, il était incapable de soutenir une conversation. Après trois ans, nous nous connaissions bien : il parvenait, parfois, à articuler Bonjourcommentçava ? lorsque nous nous retrouvions après quoi, il redevenait contemplatif et silencieux.

Quelques années plus tard, Magda, maigre, blonde, au visage glacial de James Bond Girl slave quittait la salle sur ses talons rouges lorsque, selon elle, l'élève avait insuffisamment travaillé. En revanche, satisfaite de l'effort fourni, elle blaguait avec le professeur de chant durant la moitié du cours. Elle détestait son métier d'accompagnatrice et préférait la vodka glacée. Les soirs de concerts, elle portait des robes sublimes qui éclipsaient les chanteuses. Son visage pâle émergeait de soies froissées aux teintes rares. Sa bouche fardée se pinçait. Ses yeux s'étiraient sur ses tempes comme ceux d'un félin. Pour le cocktail qui suivait les saluts elle prenait soin de se changer, revêtait ses habits de ville ; Finlandaise, elle buvait plus que tous les hommes réunis. Elle finissait par s'endormir sur un canapé mais, assoupie, elle ne desserrait toujours pas les mâchoires.

Une fois j'ai été invitée à répéter chez elle. C'était un honneur, une sorte de reconnaissance tacite. Avant de fermer le couvercle du piano, elle ajustait sur les touches un beau tissu de velours noir. Et tes enfants, lui ai-je demandé, ils font de la musique ? Non, m'a-t-elle répondu, ils n'ont pas le droit de toucher le piano, ils s'y prennent trop mal et je ne le supporte pas. Serrée dans son tailleur satinée, elle paraissait sur le point de perdre l'équilibre.

Pour accompagner mes élèves sur Paris, les jours de concert, j'ai recruté par petites annonces. J'ai rencontré Nathalie qui semblait un peu timide et s'habillait avec des minijupes des années quatre-vingt sans s'épiler les jambes. Elle avait un jeu très fin, beaucoup de vélocité, une interprétation très souple. Pour finir de payer ses études, elle occupait un emploi de femme de chambre dans un hôtel.

Engagée par
une célèbre famille pour chanter lors d'un mariage, je l'ai emmenée avec moi à Saint Tropez. Nous avions choisi ensemble la tenue la plus sobre parmi celles qu'elle m'avait présentées. Mais à l'hôtel, Nathalie a sorti fièrement de sa valise, une robe pailletée, trouvée aux puces la veille ; bien sûr elle voulait la porter sans collants, elle ne supportait pas les collants. Un peu plus tard, effarée par le luxe de nos hôtes, le piano à queue au bord de la piscine, la morgue de la mariée, les chapeaux des invités à l'église, très déprimée, méconnaissable, elle s'est enfermée dans sa chambre et n'a pas reparu de l'après-midi. Je me demandais s'il fallait appeler les pompiers lorsqu'il s'est mis à pleuvoir : le concert de cocktail a dû être annulé, le piano, noyé sous la pluie a dû être remboursé et j'ai dansé jusqu'à l'aube tandis que Nathalie laissait sa robe remonter sur ses cuisses grasses, assise à notre table, avec les autres domestiques.

Il y a eu encore Coelia, aux cheveux envahis de pellicules. Je la trouvais bizarre mais je m'en voulais de penser cela. Le contact de sa peau, râpeuse, pelée, me révulsait et je prenais l'air affairé en ouvrant la porte de mon appartement afin de me soustraire à son embrassade. Coelia ne jouait pas très bien, ses doigts heurtaient les touches d'une manière saccadée, mais je manquais de confiance en moi et je voulais me confronter, de nouveau, sans stress, à l'exercice du récital. Un jour, alors que Coelia déchiffrait une partition en trois deux, elle a perdu ses moyens. Frottant ses mains l'une contre l'autre, elle s'est mise à se balancer, d'avant en arrière. Un curieux gémissement glissait d'entre ses lèvres comme de la bile. Je ne l'ai plus jamais rappelée...

Giovanni, organiste, est venu à Gordes avec une mezzo-soprano de mes amies. Nous devions chanter, à l'église, des duos pour un mariage. Obsédé, Giovanni ne parlait que du nombre supposé de filles qu'il pourrait séduire pendant le week-end. Au milieu d'une phrase de Mozart, en pleine répétition, il nous interrompait pour connaître nos goûts en matière de dessous masculins, exhiber ses biceps, vanter ses prouesses sexuelles. Dès qu'une femme s'avançait en contre-jour dans l'entrée de l'église, il chuchotait "Celle-là, je sens que je vais me la faire avant ce soir..."
Il nous avait averties qu'il ne supportait pas l'alcool. Inconscientes nous l'avons regardé siroter du champagne après la cérémonie. Une heure plus tard, nous étions exclus de la fête parce que, dépité par l'indifférence d'une invitée qu'il trouvait à son goût, il avait commencé à insulter tout le monde. Avant que nous ne franchissions le portail il avait eu le temps de traiter la mariée de cruche, son époux de minable, les parents - nos employeurs - de radins.

Mélisande me rappelle juste après avoir reçu mon message : "Attends, elle n'est pas folle, Eugenia, je te le promets. C'est juste que son mari est très jaloux... Elle est ukrainienne et ça fait huit ans qu'elle est en France et seulement un an qu'il lui permet, à nouveau, de faire des concerts. Mais il ne faut pas qu'elle quitte le domicile conjugal trop souvent ni trop longtemps. Et il ne faut pas qu'elle joue avec des hommes, sauf s'ils sont homos (moi je lui ai dit que tous mes élèves l'étaient, ça ne l'a pas empêchée d'être rouge comme une tomate pendant la durée du cours). C'est un peu compliqué pourtant ça vaut le coup : c'est une des meilleures pianistes que j'ai jamais entendue et elle a envie de travailler. Par contre, fais gaffe, je l'ai laissé une journée accompagner mes élèves et elle en a fait pleurer trois."

Je crois que les pianistes sont maudits...

Illustration : The black apple

mercredi 5 novembre 2008

Spermy et les filles

Au plafond, Spermy, avec son style décapant, son impertinence jubilatoire, va parler des blogs et des filles...

Ce sera à 11 heures.

J'ai hâte de lire vos commentaires !

Photo : Spermito

lundi 3 novembre 2008

Le plafond

Pendant que je prends quelques jours de vacances, Nefisa travaille. Aujourd'hui, elle a arrangé la déco sur mon deuxième blog, Le plafond, et elle a transféré dessus tous les articles de la catégorie "Blogs et..." avec leurs commentaires.

Je ne savais même pas que c'était possible !

Ainsi, Boby, Clarinesse, Didier, Nicolas, Gaël, Eric, Marie-Georges, Nefisa vous êtes ici et là-bas maintenant...

Bientôt, je l'espère, Dorham, Balmeyer, Marc, Olympe vous rejoindrons pour parler de blogs...


(Et pendant ce temps je fais tous les liens à la main, moi !)

samedi 1 novembre 2008

La littérature chez Wikio

Hier j'ai reçu une bombe dans ma boîte mail. "Voici, m'écrivait Paul de Wikio, le classement des 20 premiers au classement littéraire... Voulez-vous le publier sur votre blog ?"
J'ai pensé "Euh, non !". Puis j'ai lu mes autres mails, répondu à mes commentaires, suivi un lien et j'ai ouvert la pièce jointe au mail de Paul.

Alors, j'ai découvert l'incroyable : Pierre Assouline passait à la deuxième place détrôné par l'efficace et prolifique Clarabel que je lis depuis quelques temps et que j'apprécie beaucoup. En troisième position, juste derrière Assouline, il y avait mon blog, inséparable de celui de mon époux... J'ai beau, d'habitude, ne guère me soucier de ma place au classement, j'ai été incroyablement émue d'apprendre ça...

Demain soir, ma mère arrive pour une visite de quelques jours et je vais lui annoncer la nouvelle. "C'est bien, va-t-elle me dire, circonspecte. Et à part ton blog, tu travailles à quelque chose en ce moment, des nouvelles, un roman ? Et ta nouvelle chez Filaplomb, tu en as vendu beaucoup ?
- Euh, c'est à dire..."
Edit du 3 novembre : le classement vient de paraître sur Wikio et Assouline finalement conserve sa première place tandis que Clarabel est maintenue en deuxième position. Paul de Wikio, contacté par mail m'explique qu'Assouline aurait récupéré un lien le 31 après qu'il m'ait envoyé l'arrêté du classement...

Pour Balmeyer et moi, rien de changé ! Ouf !

Illustration : The black apple