Nefisa s'en était brillamment sortie. Et comme elle m'avait citée, ainsi que Lib, c'est à mon tour d'être interviewée sur psychologie.com.
Or, j'avais à peine lu la première question que l'envie de vous retourner la question m'a saisie. J'ai demandé la permission et on m'a autorisé cette gentille tricherie : alors ? Que venez-vous chercher sur ce blog ?
Bardés de nos sacs, valises et enfants nous avons piétiné dans le minuscule couloir, heurtant d’un côté les montants des lits superposés, de l’autre les portes des toilettes et de la salle de bains, avant de découvrir la pièce principale. Tandis que je me laissai tomber sur le canapé, Adèle embrassa d’un regard vague le canapé rustique adossé à une fresque japonisante, la table recouverte d’une toile cirée, la kitchenette rutilante. Elle ne prononça pas un mot.
Je lui fis signe de venir s’asseoir ; son visage était tourné vers moi, et je distinguais ma silhouette pétrifiée dans les verres de ses lunettes mais elle ne parut pas réaliser ce que je lui proposais. Déjà, elle se penchait sur un sac, tirant avec force sur les courroies qui le maintenaient clos comme si elle voulait le libérer. Puis elle extirpa une pile de vêtements qu’elle entreprit de ranger dans une des deux armoires du logement. Quelques minutes de ce spectacle me rendirent nerveux aussi me levai-je en soupirant pour ouvrir le volet de bois. La manivelle grinçait et je la lâchai deux fois dans ma hâte de découvrir le paysage. Enfin, j’ouvris la baie vitrée et je m’avançai sur le balcon. La montagne, haute et droite comme un immeuble, étendait son ombre sur le parc de la résidence.
Tandis que je me retournais pour appeler Adèle, je vis que Dorian s’était réveillé et qu’Adèle vidait le dernier de nos bagages. L’enfant me tendit les bras et je retournai avec lui sur le balcon : « Tu vois, lui dis-je, nous sommes arrivés à la montagne, pendant que tu dormais. » Il regarda ce paysage qu’il ne connaissait pas. Il se pencha par-dessus la balustrade pour voir le reste de l’immeuble et un chien qui jouait dans l’herbe. Adèle s’écria : « Ne restez pas dehors, il n’a pas de veste, il est déjà malade ! - Maman a raison, ai-je expliqué, rentrons ! »
Dorian se mit à pleurer. Adèle avait posé sur la table ses feutres et son cahier de coloriage. J’installai l’enfant sur une chaise et je lui ouvris le cahier. « Tu veux colorier l’Indien ? demandai-je. Il secoua la tête. - Le train alors, regarde ? - Non, souffla-t-il. - Et les fleurs ou la voiture de course, qu’en penses-tu ? » Les larmes dévalaient son visage et gouttaient sur les dessins. Morveux, il reniflait. Adèle se pencha au-dessus de lui, munie d’un mouchoir. Elle essuya son nez et couvrit de baisers chacune de ses larmes. Elle lui parlait de la voix colorée qu’elle ne réservait qu’à lui. Dès qu’un sourire perça de fossettes les joues rondes de Dorian, elle lui donna son biberon. Blotti dans ses bras, il le but goulûment. Après quoi, il se déclara pressé de colorier le train et il ouvrit tous les feutres, un à un.
Lorsque les cris ténus d’Oscar retentirent, Adèle était sortie acheter de quoi dîner. J’ai pris le bébé et j’ai gazouillé. Je me sentais épuisé et peu convaincant. Un miroir intérieur me renvoyait mes gestes comme autant de faux pas. Dorian me parla et je dus lui faire répéter trois fois à cause des vagissements colériques de son frère. Finalement il me montra son petit doigt et je compris : je glissais doucement le mien dans la bouche béante du bébé. Aussitôt, ses mâchoires se refermèrent, sa langue l’entoura et il téta. Sa figure rouge se détendit. Ses yeux glauques sondaient amoureusement un tâche de lumière sur le mur.
Dorian jouait aux petites voitures avec ses feutres ouverts, les lèvres vibrant pour imiter le bruit des moteurs. Adèle passa beaucoup de temps à l’épicerie et elle revint les bras chargés de victuailles : « Mais je croyais que nous ferions les courses demain matin ? - Oui, a-t-elle répondu, mais tu oublies le déjeuner. Oh ! Mon bébé s’est réveillé a-t-elle chantonné en prenant Oscar dans ses bras. Elle avait déposé les sacs dans l’entrée et les désigna : - Tu veux bien ranger les courses s’il te plaît ?
Appuyée sur les coussins multicolores du canapé, elle sortit l’un de ses seins opalescents et le glissa dans la bouche du bébé. Dehors, l’ombre de la montagne grignotait le balcon. Alors que je lui souriais, elle murmura : - J’espère que tu t’étais lavé les mains avant de mettre un doigt dans la bouche d’Oscar ! »
Cela fait un moment que je me suis inscrite sur Ladies Room (après avoir vu que Marie-Georges y sévissait) mais je n'avais encore commis aucun article, par flemme.
Chaque semaine, je recevais néanmoins le thème du jeudi suivant et cette fois j'ai bondi : le 28 Ladies Room propose comme sujet d'inspiration : "Si j'étais un homme". Alors j'ai posté mon article "Mon sexe (dans la peau d'un homme).
Je vous invite, Mesdames, à poster vos contributions au jeu d'écriture sur le changement de sexe... si cela vous tente bien sûr. Pour celles qui préfèrent prendre des photos, c'est également possible, vous pouvez vous déguiser en homme (j'avoue que je suis tentée).
Hier, je me suis assise au piano et suivant la mélodie de la main droite j'ai entonné une mélodie toute simple de Vivaldi. Ma voix, plus souple que dans mon souvenir, plus veloutée, s'est élevée, tranquille. Fébrile, après avoir convoqué le miracle deux fois d'affilée, j'ai cherché ce qu'après un an de silence, je pourrais chanter d'autre. J'ai pensé au dernier air que j'avais travaillé, le "Morro, ma prima in grazia" du Bal Masqué de Verdi : une femme, sur le point d'être assassinée par son mari qui la croit infidèle, le supplie de lui laisser une dernière fois embrasser son fils. Mais l'émission trop lourde ne convenait pas à une reprise. Je manquais de souffle dans les longues phrases.
J'ai refermé la partition et j'ai continué à chercher. J'empoignais les partitions, trop serrées sur leurs étagères, tout en rameutant mes souvenirs. Soudain l'un d'eux a émergé, comme une évidence : le duo d'Eva et Adam dans la Création de Haydn. Je l'avais chanté il y a environ quatre ans dans une église contemporaine, à Pantin, avec un baryton et un ensemble vocal composé de chanteurs du Conservatoire : l'instant, fugitif, était gravé dans ma mémoire comme un des plus heureux de mon expérience de chanteuse. La traduction des paroles, la musique céleste, d'un classicisme sublime m'avait bouleversée :
Die Welt, - Le monde,
so gross, - si grand
so wunderbar - si merveilleux
ist deiner Hande Werk - est l'œuvre de tes mains.
Voilà ce que j'ai choisi de chanter en me demandant pourquoi je m'étais tue si longtemps. Pourquoi j'avais renoncé à ce bonheur que j'avais payé chèrement.
Et simplement, comme j'avais cessé de chanter, j'ai senti que c'en était fini de me taire.
A dix-huit heures aujourd'hui, après une après-midi d'écriture, accompagnée de mes disques de Haendel, Mozart, Bach que j'ai dégagés de leur gangue de poussière, je suis sortie. Mon pas était léger et je ne pensais qu'à la joie d'aller chercher mon fils, en même temps que B. Nous nous étions donnés rendez-vous à et quart. Je savais que la surprise de nous voir arriver en même temps chez sa nourrice, ravirait Kéké.
Dans la rue, les rideaux de fer étaient tirés. Soudain, un cri de femme, rauque m'a fait sursauter. Il était si fort qu'il m'a semblé d'abord qu'il venait d'une des boutiques fermées, à côté de moi. Je ne sais ce qui m'a poussée à m'arrêter. Peut-être le débit des hurlements qui, je l'entendais maintenant, étaient non des cris mais des phrases. Peut-être était-ce les pleurs du petit enfant qui y répondaient. J'ai cherché des regards autour de moi, paniquée. J'ai compris que la scène se déroulait au premier étage d'un immeuble. Je me suis arrêtée sous la fenêtre. Un rideau fin, remuait doucement. Une femme s'est arrêtée un instant, sur le trottoir. Quand je lui ai parlé, elle a hésité puis elle a poursuivi son chemin.
Le dialogue devenait monstrueux, l'enfant était terrifié et plus il pleurait et plus il criait et plus la femme s'énervait. Les seuls mots distincts que j'ai entendus étaient : " Je n'ai pas touché la couette ! Arrête ! Arrête !" De façon instinctive mais sans doute stupide, je me suis mise à appeler. Que se passe-t-il ? Madame ? Eh oh, criais-je en prenant ma voix de soprano, le cou tendu vers la fenêtre, les bras ballants. Les vociférations continuaient d'aller crescendo. Il n'y a pas eu une seconde de silence montrant que l'on m'avait entendue.
Le bébé n'était qu'un cri affreux. J'ai fouillé dans mon sac et j'ai constaté que je n'avais pas pris mon téléphone. Une seconde de réflexion et j'ai foncé chez moi comme une folle. Dans l'escalier , en redescendant, j'ai composé le 17. Je suis retourné me poster sous la fenêtre espérant que la personne qui me répondrait entendrait ce qui se passait. Mais la fenêtre avait été fermée et l'on n'entendait plus rien. J'ai débité mon histoire à l'homme qui a répondu, commençant par l'adresse. "Il y a un gardien ? a-t-il demandé. - Euh non, il y a un digicode. - Ah. Bon. - Vous n'allez pas venir alors ? - Et bien je vais prévenir le commissariat du 18ème mais s'ils ne peuvent pas rentrer, ça risque d'être classé sans suite."
J'ai sangloté jusque chez Urszula, la main devant la bouche. Je n'osais plus penser à mon fils de peur que la souffrance du bébé dont j'avais été le témoin auditif ne l'atteigne d'une quelconque façon.
Deux heures plus tard, nous venions de rentrer, lorsque de mon balcon, j'ai aperçu une voiture de police garée en face. Une femme flic sortait de l'adresse que j'avais indiquée. "Quoi ? Ils viennent seulement maintenant ? ai-je dit." Et puis j'ai pensé que s'ils venaient à cause de mon appel, je pourrais leur expliquer un peu plus clairement que je ne l'avais fait au téléphone, ce que j'avais entendu. Je suis descendue.
Très nerveux, ils m'ont écoutée et ils ont lâché : "En fait, on a eu un autre appel, il y a cinq minutes. Apparemment, cinq hommes cagoulés ont pénétré tout à l'heure dans l'appartement dont vous parlez... "
Pendant une heure, j'ai vu les policiers aller d'un immeuble à l'autre dans la rue, sans doute à la recherche d'autres témoignages. De nouvelles voitures sont arrivées. A un moment, des policiers ont couru vers un immeuble, plus loin. Ils sont revenus longtemps après, au pas. L'un d'eux tenait une lampe de poche à la main. Deux étaient en civil avec des brassards oranges. Puis, ils sont restés à scruter la fenêtre avant de monter dans leurs voitures.
Die Welt, so gross, so wunderbar, ist deiner Hände Werk !
[M. n'a pas de blog, je publie donc son texte ici... ]
Je souffre. Je souffre d’exister. Ou plutôt, je souffre d’exister dans un corps qui n’est pas le mien. Ce sexe me gêne, il n’est pas conforme à celui que je voudrais. Je devrais être autre. Je souhaite que ces attributs qui sont sensés me définir arrêtent de me dénaturer l’âme, ne me pèsent plus, qu’ils soient autre pour me définir vraiment.
Je me promène dans la rue, dans des vêtements qui me font mal. J’ai essayé plusieurs fois de paraître à l’extérieur qui je suis à l’intérieur mais chaque fois, je n’ai vu dans le miroir qu’une pâle imitation, un grotesque, une satire de qui je suis parce que justement je lui ressemble encore trop. Cet autre moi que j’abhorre, ses traits me déforment, ils représentent trop fidèlement ce genre qui n’est pas le mien.
Aujourd’hui, une femme doit ressembler à une femme, un homme à un homme, sinon on vous regarde de travers. L’androgynie est sacrilège, est malaise. Cet antagonisme était trop visible lorsque que je portais les attributs qui me plaisent.
Alors, je me cache. Je porte ce poids et la solitude qui l’accompagne. Je fais semblant, en sur-jouant mon rôle, pour avoir la certitude de ne pas attirer l’attention sur mon secret. On me demande toujours pourquoi je suis toujours célibataire alors que l’on m’envie souvent pour mon physique. Le problème c’est que je n’ai pas trouvé d’hétéro de mon sexe qui soit capable d’aimer l’intérieur et de dépasser l’enveloppe.
Je souhaite tant que la vie soit belle pour moi aussi, qu’enfin je m’épanouisse au grand jour.
La voiture fonçait entre les champs vallonnés de la Nièvre, Kéké ne vomissait pas, nous échangions des propos sans importance sur le temps qu'il avait fait, le temps qu'il allait faire et l'état de santé de tous les invités au gite lorsque ma mère a lancé :
"J'ai entendu Anna dire à sa belle-mère qu'elle ne tenait pas à parler avec toi de votre dispute. Elle reste pour que les enfants se connaissent... Rien de plus. Alors j'aimerais bien que, de ton côté, tu mettes ton mouchoir dans ta poche. Tu comprends ? Et puis tu pourrais lui dire un truc gentil quand tu la verras. Que tu es contente de la voir. Ou la serrer dans tes bras...Un truc comme ça...
Le silence s'est installé dans la voiture. L'angoisse qui s'était tenue tranquille jusque là, a bondi dans mon ventre.
- Comment tu peux demander ça alors que tu ne sais rien ? Figure-toi qu'avant de venir je lui ai écrit. Je voulais que nous nous expliquions avant de nous revoir. Mais elle m'a jetée. Violemment. La discussion a encore dégénéré. J'ai tenté le coup deux fois. Sans compter les appels du pied dans mon blog. Je ne vais pas risquer de me faire jeter encore une fois, en vrai !
Ma mère, c'est compréhensible, se met à crier, à menacer, à pleurer. Elle parle des guerres que nous pourrons fomenter sur son cadavre mais d'ici là... Je la coupe. Je l'accuse. Ma voix est cassante, je m'emporte calmement. Des flashes de souffrance passée me harcèlent :
- Et pourquoi tu ne lui dis pas ça à elle ? Pourquoi tu approuves le fait qu'elle ne veuille pas discuter de ce qui nous a séparées pendant neuf mois ? Pourquoi cette histoire de mouchoir ? " Et moi ? ai-je envie de crier, comme toujours. Et moi ? Zacharie vomit. Ma mère freine.
Tableau 2
Je range en soupirant le linge qui dégouline de nos sacs à dos. Dans la pièce à côté, ma mère vitupère, empêtrée dans ses draps et son impuissance. Anna entre dans la chambre. Ses cheveux sont plus courts, très noirs, brillants, retenus par une barrette. Son visage, qui s'est arrondi semble paisible. Elle me sourit et s'avance vers moi pour me donner deux bises rapides.
"Salut ! Ça va ? Vous avez passé un bon voyage ?
Je suis soufflée. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle me parle, ni à ce qu'elle m'embrasse. Je laisse passer des secondes infinies avant de répondre, j'essaye de sourire et je sens mon visage grimacer. Je dis :
- Oui. Très bon. Enfin, Zacharie a vomi en voiture... mais seulement une fois ! Il y a du progrès !"
Muettes, nous sourions. Nos regards se frôlent sans se rencontrer. Je retourne à mon rangement. Anna sort. Elle discute avec ma mère qui se calme aussitôt.
Tableau 3
Il fait nuit et tout le monde est couché mais je ne dors pas. Je pense aux visages de mes nièces que ma sœur a voulu montrer à Kéké. A tâtons, nous étions rentrés dans leur chambre. Anna avait pris une lampe de poche et elle avait éclairé les bouilles enchifrenées. L'aînée, de l'âge de Kéké, était devenue aussi blonde que lui. La plus jeune, que je n'avais jamais vue, de profil ressemblait à sa sœur et à la mienne, aussi, de façon troublante. Comme elle dormait à plat ventre, Anna avait tiré sur sa turbulette afin de la retourner. Le bébé s'était agité, avait entrouvert un œil. Puis, alors que nous n'osions plus respirer, d'un coup ses traits s'étaient relâchés : elle dormait.
Mes tentatives de réflexions se heurtent au souvenir du sourire de ma sœur, des silhouettes, magiques dans la nuit, de ses filles. Je me demande ce que sera l'avenir. Et s'il fallait accepter de les contempler fugitivement, comme ça, à la lueur d'une lampe de poche ? Et si ma sœur devenait une étrangère qui me sourit doucement et m'embrasse tout en refusant de me parler... Que pourrais-je faire ?
Tableau 4
Je nage. Le temps est idéal mais je suis rongée de l'intérieur. Je peine à étirer mes bras, à remuer mes jambes. Je fais la planche. Je bois la tasse.
Je pense à ce que nous avons partagé, Anna et moi, enfants, et ce temps latent - où nous nous approchons sur la pointe des pieds - m'est insupportable. Je tourne les événements dans ma tête et je cherche le moment où les choses ont commencé à se dérégler. Enceinte, éperdue d'angoisse, j'avais vu une psychologue Je lui avais raconté qu'après la naissance d'Anna, mon père m'avait emmenée à la maternité. Et, serrant dans mes bras, le minuscule bébé, j'avais pleuré, inconsolable. Ma mère m'a toujours raconté que c'était des pleurs de joie. Pourtant je me souvenais d'avoir éprouvé un réel chagrin. Après quelques minutes de discussions, la psychologue avait murmuré : "Ne croyez-vous pas que vous pleuriez parce que vous aviez peur pour elle ? Parce que vous craigniez de ne pas pouvoir la protéger ?"
Tableau 5
Le soir, après avoir couché Kéké, je descends. Ma sœur n'est plus là. Ma mère est plongée dans un livre. Elle lève un sourcil lorsque je lui parle et oublie de me répondre. Je remonte lire un des polars. qu'elle a emprunté à la bibliothèque. Je lui en parlerai demain. Si elle l'a lu, nous comparerons nos impressions.
Tableau 6
En pleine nuit, en sueur, je me réveille. Un long cri résonne dans ma tête. J'ai peur.