lundi 16 novembre 2009

La fille au P.Q.

J'avais à la place d'une bouche des babines que je sentais, comme lestées de plomb, dégouliner sur mon menton. Pour dire au revoir à ma dentiste, j'avais pudiquement caché cette sensation déplaisante en nichant le bas de mon visage dans mon foulard.
Dehors, la rue était calme, balancée dans une autre dimension par les aplats poignants que Thom Yorke tartinait entre mes oreilles. Seule, je savais que je n'aurais pas à parler pendant le trajet et au lieu de me soulager cela m'angoissait comme si la lippe grotesque qui précédait mon visage me rendait bavarde, poreuse, impatiente de me répandre.

C'est alors que je l'ai aperçue. Nous avons descendu les escaliers côte à côte et j'ai espéré en fouillant mon sac à la recherche de ma carte d'abonnement, qu'elle prenne la même direction que moi. Sur le quai je l'ai suivie sans discrétion et je me suis engouffrée dans la même rame qu'elle, fascinée par le sac de courses transparent, enroulé autour de son bras et qui contenait six rouleaux de P.Q.
L'encadraient des steaks hachés, des pâtes et un pot de sauce bolognaise mais cela, en vérité, importe peu.

Le P.Q. était à petites fleurs mauves et sa récente propriétaire souriait comme si elle avait subi une anesthésie de la mâchoire inverse à la mienne, ses commissures embrassant presque le coin de ses yeux étirés.
Ce sourire était fascinant, étalé de la bouche de métro au wagon blindé, étalé encore de Saint-Paul à Concorde mais moi, bardée de ma moue rebelle comme d'une posture philosophique, au lieu de simplement l'admirer, je me demandais s'il aurait été aussi fascinant sans le paquet de P.Q.

- Et pourquoi donc as-tu l'esprit si torve ?
me tançais-je, tu pourrais penser à la beauté de ce sourire planté dans le métro entre les visages gris, tu pourrais imaginer un amoureux, une victoire, un rêve réalisé derrière ce visage hilare.
- Mais non
, répondait ma bouche, mauvaise, elle doit sourire, plutôt, rassérénée à l'idée de toutes les envies pressantes que le papier ponctuera. Elle pourrait se réjouir aussi de pouvoir mettre un terme à une pénurie ancienne de plusieurs jours... Imagine, si ça se trouve elle était obligée de prendre une douche à chaque fois !
- Tu es sordide ! Je préfère croire que, libérée des contraintes matérielles et corporelles que promet l'achat de ces rouleaux, elle vogue dans d'autres sphères, elle écrit des romans dans sa tête, elle compose...


Après ça, ma bouche ne dit mot et c'est tant mieux !

Illustration : Marion Peck

11 commentaires:

DBardel a dit…

:-))

Je ne sais pas si c'est de saison, mais cet accessoire ornemental (ou pas) inspire actuellement quelques blogueuses...

Petit lien thématique : http://wagon4.canalblog.com/archives/2009/09/30/15267430.html

Zoridae a dit…

Salut Dominique,

Chouette alors, je suis dans l'air du temps ?

Merci pour le lien !

Sylvaine Vaucher a dit…

I got the key for the Slapbak but in my WC je n'ai pas trouvé assez de PQ pour éponger cette étrange histoire si fleurie au pied de cette Joconde à la recherche d'un orthodontiste.

Enfantissages a dit…

Bravo!
Très beau le "me rendait bavarde, poreuse, impatiente de me répandre."

Et la femme portraiturée ferait un joli pendant au roi du "Roi et l'oiseau" ;-)

Didier Goux a dit…

Ben oui, quoi, vous avez croisé le Joker revenant du Super U : ce sont des choses qui arrivent tous les jours...

Charles Magnet a dit…

oui je confirme.. même Tifenn (la vie qu'on aime) parle de PQ... mais au stade postérieur (tiens je n'y avais pas pensé..)... la pré-consommation..
et en tout bien tout honneur bien sûr...

lucia mel a dit…

oui, nos bouches sourient parfois un peu trop (alors que nos esprits grimacent), regardons-nous grimacer... ça pourrait nous rasséréner. J'aime ton illustration (une fois de plus).

Le coucou a dit…

Vous avez réveillé mon mal aux dents (je ne sais pas laquelle, dans le doute je suis large), mais le portrait m'a rendu le sourire avant la fin.

Sophie a dit…

Si elle souriait c'est parce que pour une fois au supermarché, il passait du Radiohead. Elle souriait car elle planait grâce à Thom !

Colombine a dit…

Du coup, j'écoute radiohead.. Et je note sur ma liste de course PQ.. (il n'en reste que deux rouleaux.. et je n'aime pas bien le sopalin de substitution.. (trop rêche)...
ah... ça me détend...

Zoridae a dit…

Sylvaine,

Désolée pour l'inondation alors ;) !

Enfantissages,

Ah oui, bien vu pour le roi et l'oiseau !

Didier,

Quoi ? Feriez-vous référence à Batman ?

Charlemagnet,

Joli ! Eh eh !

Lucia Mel,

Arg, alors tu aimes ce qui n'est pas de moi...
Je sens un peu d'ironie derrière ce que tu dis. Au contraire, j'aime les sourires mais ce jour là j'avais mauvais esprit :))

Le coucou,

Oh mon pauvre ! Je sais ce que c'est ! Le lendemain de ma visite,(hier donc) idem, horrible mal de dents. Je croyais naïvement que c'était un résultat du soin avant de m'apercevoir que j'avais mal à une dent du haut et pas une dent du bas...
Pfiou !
(Heureusement aujourd'hui ça va mieux et j'ai un rendez-vous demain !(Vous saurez tout !))

Sophie,

Si seulement il y avait du Radiohead au supermarché ! Hélas, j'avais pris l'i-phone de mon époux et j'étais la seule à planer :)

Elle-c-dit,

Ah :) !
Tu écoutes quoi ?
Fais gaffe il paraît que le sopalin bouche les toilettes !
Nous, en cas de panne on utilise des mouchoirs en papier ;) !