lundi 29 octobre 2007

Heureux ?

Ses parents, Maria-Magdalena et Miguel, l'avaient appelé Félix, ce qui signifie heureux en espagnol.

Dans notre langue, le x, à la fin, pétille, il claque comme deux doigts qui indiquent un tempo allegro ma non troppo ; il nous fait un clin d'oeil et fuse tel le rire d'une gorge d'enfant.
En espagnol Félix se
prononce feliz (avec la langue apposée contre les incisives du haut) et le prénom alors chuinte, susurre, rassure ; Ce n'est plus une pulsation, un rythme mais une mélodie murmurée qui s'écoule librement ; ce n'est plus un baiser qui claque mais le glissement d'une caresse sur la peau ; ce n'est plus la tape dans le dos d'un camarade un peu frusque mais l'embrassade généreuse, silencieuse et intense des amis pour la vie.

Lorsqu'ils avaient choisi ce prénom l'avaient-ils fait pour témoigner de leur bonheur ? Ou pour prémunir leur fils de l'existence déjà rude qu'ils avaient connue ?
Etait-ce un prénom-preuve ou un prénom-porte-bonheur ?

Félix, plus grand et plus fort que son frère aîné, s'engageait, pour lui, à la récréation, dans des guerres qu'il n'avait pas fomentées. Le soir, assis sur le genoux de sa mère qui lui glissait des bonbons dans la bouche, il entendait le crépitement, dans l'air et sur les fesses de Francisco, de la ceinture de son père. Sage et studieux en classe, il conversa très tôt d'égal à égal avec ses parents tandis que son frère qui fuguait, qui mentait et volait, était préposé aux corrections, aux humiliations et autres corvées. Souvent l'injustice qui faisait de Félix, à l'école, le vainqueur de batailles futiles, lui permettait d'échapper aux punitions qu'il aurait mérité chez lui. Ces fois-là, tandis que sa mère le cajolait, des larmes glissaient-elles sur ses joues imberbes ?
Ou prenait-il plaisir, déjà, à échapper à son destin ?


A dix ans, Félix était gros et, à l'école, on le surnommait Bouboule. Les bagarres, il n'avait pas envie de les mener pour lui et son frère travaillait désormais dans un garag
e. Alors Bouboule sur des boulettes de papier qui lui sautaient dans la figure, Bouboule lorsqu'il tentait d'uriner dans les toilettes, Bouboule sur le chemin du retour, Bouboule jusque dans ses rêves de petit garçon.
Le médecin de famille répétait à Maria-Magdalena ne lui faites plus de gateaux, mettez moins d'huile dans votre riz, ne lui donnez pas trop de pain, privez-le de bonbons et Maria-Magdalena se souvenait du lait de chèvre qu'on la forçait à avaler, petite, parce qu'elle était chétive ; elle savait maintenant qu'il aurait suffit d'un peu de viande et de quelques gâteaux pour qu'elle devienne une gamine comme les autres. Alors, malgré tout le respect qu'elle portait au docteur, elle n'appliquait aucun de ses conseils.

Pourtant, Félix, incroyablement, maigrit et les quolibets cessèrent.

A 21 ans, étudiant en médecine, il était beau, grand, mince et m
usclé. Sa mère, fière de lui, ne parvenait plus à lui glisser de douceurs dans la bouche ; elle le contemplait et virevoltait autour de lui, pour anticiper le moindre de ses désirs : Un vaso de agua ? Melocoton ? Turron ? Il répondait toujours non. En se dégoûtant de la nourriture, il s'était éloigné, inexorablement, d'elle. Il lui parlait rudement, claquait la porte sans avoir répondu aux questions de son père, qu'il méprisait, et remportait pour la semaine son ballot de linge propre et repassé. Un jour, à la cantine de la faculté, il rencontra une fille au visage ingrat. Ses vêtements en prêt à porter, n'étaient guère plus à la mode que les nippes que sa mère lui cousaient jusqu'à peu mais elle les arborait avec un panache qui l'étonna. Derrière les verres épais de ses lunettes il découvrit un regard intelligent, un peu morne qu'il qualifia de mystérieux.

Félix la présenta rapidement à ses parents et déclara, pour voir : je l'aime plus que vous.

Devant les larmes de sa mère et l'éloquente crispation de son père, il décida de l'épouser.

Félix, c'était mon père. Et sa femme, ma mère.

A suivre

dimanche 28 octobre 2007

Voyage au centre de la terre

Le métro change de masque à chaque voyage ; un jour paysage voué à des cieux flamboyant, il semble ne charrier qu'espoir, beauté, joie ; le lendemain, habitacle sordide, vide ou bondé, avec ses wagons, secoués de sanglots, qui évoquent d'autres voyages, sans retour.

Depuis que j'habite de nouveau Paris et que mes plus longs trajets s'achèvent en trente minutes, je renâcle rarement en m'enfonçant sous terre. Ce seront trente minutes sans rien faire que rêver, trente minutes d'observation, d'imprégnation, d'étonnement, d'émerveillement ou de frissons. En dévalant les marches, je sais que je vais voyager, que je vais prendre et pas seulement subir, goûter au lieu de sentir.

Ce que je suis, aussi, cela dépend des jours. Souvent candide, je me rep
ais de l'amour d'un enfant pour sa mère, d'un père pour son fils ; la conversation badine d'un couple amoureux m'ébahit, qui ponctue ses phrases de bécots plus ou moins sonores, avec plus ou moins de langue et de la salive à l'avenant.

D'autres fois, est-ce l'odeur, âpre d'urine et de sueur, ou la foule, agressive dont la proximité me révulse, je deviens misanthrope, cynique et ce qui me frappe c'est l'effroyable laideur des humains, bordée de vulnérabilité, leurs crimes sans châtiment.

Il existe, cependant, quelques redondances. Dans l'ensemble je trouve les hommes émouvants, maladroits, distraits, rêveurs, troublants et les femmes belles, élégantes, bavardes, agitées, touchantes.


En plein jour, la vie se révèle parfois aussi rédhibitoire que le contact, sur les dents, d'une feuille de papier de verre. Sauf que personne ne vous oblige, en général, à vous poncer les dents... Lorsque je me heurte aux jugements sans aménité de mon entourage je me demande si quelqu'un dans le métro un jour a pu porter sur moi un regard étonné...
Crédit photos : Max Sauter
Arnaud Thomas
Pascal Grimberg

mercredi 24 octobre 2007

La sexualité des araignées



Il est fascinant d'observer qu'une araignée peut s'installer quasiment n'importe où. Gravissant l'escalier de mon immeuble, le nez en l'air, je remarque de curieux cocons de cadavres évidés pendouillant, sinistres, le long de la rampe d'escalier. Cette semaine j'ai aspiré deux nouvelles toiles, une dans les W.C., une dans la salle de bains.

Avant d'aménager nous nous étions pourtant adonnés à un véritable carnage parmi la gente arachnide. Il y en avait environ cinq par pièce. Une question me taraudait : comment les araignées se reproduisent-elles ?
Je m'imaginais dormir alors qu'au plafond, dans les coins, sous le lit, s'accompliraient de véritables orgies, pleines de pattes, de fils, "attache-moi" et compagnie. J'ai mis du temps à pouvoir me renseigner mais la réponse, je ne l'ai pas retenue car j'aime me dire, de temps en temps, que je pense à la sexualité des araignées.

Tout à l'heure je suis restée à côté de mon fils qui s'était endormi près de moi, à force de lire et relire ses histoires préférées. Un chat s'étirait sur le lit près de nous, ronronnant, se léchant quand soudain il a bondi sur le parquet faisant le même bruit qu'un de nos cartons de livres versant sur le sol. Il a donné quelques coups de pattes, ses griffes ont rayé le sol à plusieurs reprises puis je l'ai entendu déguster sa prise.
Ce devait être une araignée de belle taille car il l'a suçoté longuement.

Je ne sais pas si j'aime cet appartement que nous n'habitons pas encore pour de vrai, parce que tous nos cartons ne sont pas déballés, parce que les peintures ne sont pas finies, ni le bricolage...

Chaque soir, à l'heure où Zozo sombre dans le sommeil, les voisins du dessus, deux ados et leurs parents, se livrent à des cavalcades, ponctuées de jurons, de pleurs, de cris, de silences brusque au milieu du vacarme, moment où le coup tombe ; "tu es un connard et toi une connasse / TACATATAC /silence / Ouiiiiiiiiiiin ! Sale connard, sale connasse / Ouiiiiiiiiiin / TACATACATA / BOUM BOUM /Silence / Ouiiiiiiin ".

Une autre voisine, se réveille, vers six heures le matin, éternuant en de sombres cri rauques. Je pense régulièrement à lui laisser des prospectus sur les allergies mais je ne suis pas comme ça.

Dans la rue, une femme dort encore, la même. Elle est allongée presque toute la journée. Parfois, d'autres femmes lui déposent à manger, elle lève le nez pour mieux les ignorer et arbore une expression dégoûtée. Elle croule sous les couvertures. A une époque, elle a eu plusieurs matelas, et deux fauteuils mais les éboueurs finissent par lui enlever ce qui est encombrant. J'ai découvert comment elle satisfaisait ses besoins, par hasard, de mon balcon. Elle s'assied sur l'avancée de trottoir qui délimite un espace pour garer les vélos. Ses dessous sont cachés par son long manteau gris mais elle baisse son pantalon sans rechercher la discrétion, une petite rigole descend en direction du caniveau. Elle en était là de son affaire, vers 18 heures, en pleine affluence, quand une automobiliste ignorante est venue lui demander de se pousser parce qu'elle allait reculer...

J'ai réalisé récemment que je la considérais comme une déesse, ma déesse personnelle, pathétique et grandiose à la fois. J'ai d'abord été émue par son sort au point de m'identifier à elle et de passer mon temps à l'épier. Puis je me suis fâchée contre elle, révoltée par son attitude dépressive, sa complaisance. Me rappelait-elle la petite fille que j'étais, qui après une dispute avec sa mère se couchait sur le sol à poils ras, toute la nuit ? J'attendais d'être secourue, pardonnée mais ma mère ne venait pas me voir. Je me roulais dans mes larmes, les faisant redoubler grâce au défilé, savamment orchestré, des différentes injustices auxquelles j'étais soumise. Il fallait qu'elle me trouve, couchée par terre, le visage meurtri. Mais je finissais par regagner mon lit, épuisée sans que personne ne sache rien de mes flagellations nocturnes. Au petit déjeuner il fallait demander pardon à maman que j'avais, la veille, traitée de connasse.

Crédits photo : Rothamsted Research

lundi 22 octobre 2007

Nuit rouge

Dans la nuit, le ronronnement d'un véhicule arrêté plein gaz sous nos fenêtres me tire du lit, exaspérée. Je mets un pieds sur le balcon et ce que je vois me calme illico : un énorme camion de pompier est stationné, ses longs tuyaux vissés sur les arrivées d'eau de la rue. Un peu plus loin, un autre camion, des voitures de police.
Il y a un incendie au coin de ma rue.
Des badauds, fascinés observent l'événement, et je me fie à leurs visages pour imaginer ce qui se passe, puisque, d'où je suis je ne vois rien. A part le ronronnement de l'engin et les cris des pompiers au loin, l'ambiance est étrange ; la plupart des piétons avancent au ralenti, silencieux. Certains, au contraire, se pressent et un homme affolé qui entre dans l'immeuble à côté du mien, en se retournant comme si les flammes lui léchaient les souliers me communique sa panique.
Je demeure longtemps, dans le froid. Dans l'immeuble en face, des silhouettes se détachent, en noir, dans la lumière de leur appartement : un homme qui fume, une femme d'un certain âge avec des bigoudis, un autre homme, torse nu, très musclé. Nous échangeons des regards comme si nous nous parlions, nous nous rassurons mutuellement et je n'ai même pas honte de ma tenue hétéroclite, de ma tête échevelée car, au bout de la rue, il se passe des choses graves.
Je rentre, apaisée, soudain frigorifiée.
Avant d'aller me coucher, je me glisse à pas de loup dans la chambre de Zozo endormi. Aussitôt, il s'agite, repousse ses draps à coups de pieds énergiques, s'étire, secoue la tête de droite à gauche.
Puis il prononce très nettement : "brûlé". Le "r" roule longtemps dans sa gorge, le "l" vient effleurer doucement ses dents de lait, le "é" résonne, clair, tranquille, à peine interrogateur.

J'ai mis des heures à trouver le sommeil...

jeudi 11 octobre 2007

Margot




Aujourd'hui je me suis demandée pourquoi je souffrais autant pour les enfants, tous les enfants. Ce que je ressens à entendre un enfant pleurer, à voir un enfant que l'on maltraite, à écouter ce que dit un enfant qu'autour de lui, personne n'écoute, ressemble à une douleur trop personnelle pour être anodine. La journée d'hier a été éprouvante sur ce plan là.

J'ai commencé par avoir la vibrante idée d'emmener mon fils dans un lieu qui est à la fois un lieu d'accueil parents et enfants et un lieu de garde. C'est dans le 18ème arrondissement et j'avais lu plusieurs articles élogieux à propos du concept original et efficace.
Sans doute que la chose est efficace pour le portefeuille de sa créatrice. Sans doute que l'idée est originale. La façon de s'occuper d'enfants qui avaient entre 9 mois et 2 ans et demi aussi : à vrai dire, ces bambins ont tout à loisir d'explorer des sentiments tels que solitude, angoisse, ennui, violence, abandon puisqu'ils sont livrés à eux-mêmes dès que leur mère a tourné le dos. Original non ? J'ai craqué au bout de la vingt et unième minute de pleurs de Pierre , un grand innocent de 18 mois aux yeux bleus et à l'air perclus de chagrin ; il était au milieu d'une allée et personne en vingt minutes ne lui avait parlé. Dès que je l'ai fait, l'invitant à venir jouer avec Zozo et moi aux voitures, il m'a regardé d'un air plein de reconnaissance qui aurait attendri un steak trop cuit.On ne peut même pas dire que c'est parce qu'elles étaient débordées que les jeunes femmes ne s'occupaient pas des bébés. L'une d'elle avait réussi à un moment à rassembler une dizaine d'enfants autour d'elle pour lire des histoires. Ils écoutaient tous sagement, sauf un et une qui escaladaient les tapis de jeu, juste derrière, en silence pourtant. Et bien Mélinda a décidé que puisque "certains n'écoutaient pas, elle allait cesser de lire". Là dessus 2 d'entre eux se sont mis à pleurer mais la demoiselle a rangé ses livres et a tourné les talons. J'étais un peu plus loin, bouche bée, sidérée. Zozo, super excité, indifférent aux déboires de ses comparses faisait fonctionner l'ascenseur du garage à niveaux et les voitures montaient puis descendaient et remontaient à une allure débridée. Juste au dessus de l'espace que Mélinda avait libéré pendouillait une affiche écrite à la main "Ici ni doudou ni tétine, sauf si c'est trop dur". Apparemment pour la petite qui a pleuré toute la matinée, ça ne devait pas être trop dur puisque qu'on ne lui a pas donné ses ersatz de maman.

J'ai eu l'impression, ce matin là, d'être un guide de montagne accompagnant un groupe de randonneurs du dimanche alors que sévit une tempête de neige. J'ai évité des chutes spectaculaires, j'ai consolé, mouché, j'ai inventé des jeux, calmé des colères, dis des centaines de "oui, ta maman va venir tout à l'heure te chercher"...
Des petits vacillant sur leurs jambes se trouvaient face à l'escalier sans que personne ne veille à leur sécurité, d'autres s'étranglaient mutuellement, s'arrachaient la moitié du cuir chevelu dans une absolue indifférence. Une nounou qui était venue jouer avec deux petits qu'elle gardait faisait comme moi, et, habituée des lieux, elle me disait de temps en temps "c'est horrible ici, ils ne s'occupent pas des enfants !". Elle avait une petite dans les bras, une autre sur les genoux et elle avait le temps de distribuer paroles, conseils et baisers à ses protégés.
Mélinda faisait un puzzle avec un grand dont les joues brillait d'une longue traînée de morve et elle était totalement fermée à ce qui se passait autour d'eux. Sa collègue changeait les couches, les unes après les autres. Et la patronne faisait ses petites affaires au comptoir, encaissant la monnaie, prenant des rendez-vous, répondant au téléphone.
Zozo et Pierre ne me lâchaient pas, chacun absorbé par une voiture différente.

L'après-midi j'ai donné un cours d'essai à une petite fille de 11 ans qui a perdu la vue l'année dernière suite à une maladie. Sa mère m'avait expliqué au téléphone que Margot et elle avaient dû venir vivre à Paris parce qu'il n'y avait pas d'école spécialisée à l'endroit où elles vivaient. Tous les week-end elles retournent à la campagne, dans leur vraie maison.
Margot est vive et belle. Elle est gaie mais fragile, elle est grande, fine et se tient recroquevillée, voûtée depuis qu'elle ne voit plus. Ses yeux sont immenses, magnifiques, bleus. Elle tire des deux mains sur sa robe, elle cache ses mains dans ses manches. Elle est innocente et spontanée. Après quelques vocalises (elle interrompt mes bavardages explicatifs par des "je veux chanter" impérieux), elle me chante la chanson qu'elle a choisie : il s'agit de Auprès des miens de Amel Bent :


Je veux juste que ma mère soit fière de moi.
Que mon père ne regrette pas ses choix.
Je ne vis que pour les voir heureux.
Si je chante c'est pour eux.


Sa maman la prend en photo ou la filme. Sans doute cache-t-elle son émotion derrière un écran... Moi qui ne peut me dissimuler nulle part, je suis face à Margot que je regarde sans qu'elle ne me voit et j'ai du mal à avaler ma salive. Comme elle est intimidée, j'essaie de la faire bouger un peu, ce que je fais souvent avec des personnes impressionnées... mais j'avais oublié qu'elle ne connaissait pas les lieux, et je l'ai vue perdue, angoissée, pour la première fois, frôlant les murs comme un papillon affolé, hésitant, perturbée. Jetant un coup d'oeil désolé vers sa mère, je lui ai pris la main et j'ai rectifié : "tu peux danser sur place si tu le souhaites, si ça t'aide, tu peux faire des gestes."
Alors Margot lâche un peu le bord de sa robe et trace dans l'air des gestes impétueux . De temps en temps, elle pouffe, une main devant la bouche. Ses yeux me fixent quand je parle mais parfois, ils effectuent un balayage circulaire qui révèle son infirmité.

Soudain je remarque l'effroyable lapsus : Margot au lieu de chanter Je ne suis plus de celle qu'on fait rêver, prononce Je ne suis plus celle qui fait rêver.

Dans la nuit, je rentre, un peu penchée de côté, je cherche entre deux immeubles la SDF qui dort sous son amas de couverture, coiffé d'un gros bonnet gris. Elle est là. Je respire, rassurée et épuisée à la fois.
Des cris, des insultes, soudain, fusent juste à côté de moi. Une fille, moulée dans un pantalon brillant, maigre et très maquillée hurle des obscénités à un homme près d'elle. Celui-ci marmonne des explications inaudibles. Elle dit qu'elle veut tuer les putes qu'il draguait, qu'elle veut le tuer et puis elle s'en bat les couilles de lui, elle s'en bat les couilles de ses marmonnements, elle en a rien à foutre. Elle hurle et elle secoue les bras de colère.
Au bout de ses bras il y a un landau.
Et dans le landau, un tout petit bébé.
Trois mois à peine.

mardi 2 octobre 2007

Ballon de baudruche

En stage en ce moment avec Enfance et Musique, je laisse Zozo le matin aux bons soins de son papa qui est chargé de l'emmener chez Urszula. Je sors la première de l'immeuble ; aussitôt détachée de la porte cochère, avançant d'un pas dans le matin, ajustant mon foulard, cherchant dans mon sac un ticket de métro, je suis comme saisie de légèreté. C'est tout juste si je n'empoigne pas un réverbère, si je ne m'agrippe pas à quelque quidam pour m'arrimer au sol et éviter de m'envoler comme un ballon de baudruche gonflée à l'hélium. Ce qui ne serait pas très pratique pour aller prendre le métro !
La surprise est de taille : je n'ai pas, au bout de mes bras, une poussette contenant les affaires de Zozo, ni sur la hanche le-dit Zozo. Je ne dois pas non plus, tout en conduisant mon engin quasi-inutile-mais-je-la-prends-quand-même-on-ne-sait-jamais, veiller sur les déambulations de mon gamin de 20 mois qui s'arrête dix minutes au-dessus d'une grille de métro, ébouriffé par les ondes chaudes et polluées des engins souterrains et repart en courant au moment où je me détendais, prête à passer la matinée à cet endroit.
Non, je marche et je suis si légère, si libre que je rebondis sur le trottoir à la façon d'un marsupial. J'accepte les journaux que l'on me donne avant de dévaler, sans aide, les escaliers. Je mets mon ticket dans la machine et je passe, sans avoir besoin de faire signe au guichetier pour qu'il m'ouvre la mini-porte spéciale poussette qui reste coincée une fois sur deux et "vous avez bien composté votre ticket ?".
Dans le wagon bondé, je peux me mettre n'importe où et je n'ai personne à distraire. Alors je regarde les gens. Hier je les aimais assez malgré la présence d'un drogué endormi sur une banquette et qui sentait la pissotière du bal des conscrits après le bal. Mon voisin, un vieux beau était si souriant que je n'ai osé quitter ma place avant d'être arrivée à bon port "Au revoir Monsieur et bonne journée !"
Juste avant de pénétrer dans la salle où se déroule le stage j'éteins mon portable et je vois sur l'écran le visage de mon petit ange : "mais qu'est-ce que je fais loin de lui ?"