lundi 7 janvier 2008

Mémé en cheveux

Mémé mesure moins d'un mètre cinquante.
A un an elle me porte sur son dos, à deux ans aussi. A trois ans elle tente de m'expliquer que je suis devenue un peu trop grande et trop lourde, je hurle, je pleure, alors elle me console et plie ses bras pour que j'y glisse mes jambes.
Je savoure ma victoire, suçote le bonbon qu'elle a glissé dans ma bouche, et me balance en secouant mes jambes contre ses flancs pour qu'elle avance plus vite.


Quand je suis née, Mémé portait ses longs cheveux noirs en chignon. Les mèches cernant son visage, enroulées, lui faisaient une couronne de jais.

Un jour Félix, son fils lui a appris que les cheveux longs sur une femme de son âge ça faisait vieux. Mémé, semble-t-il, n'y avait jamais réfléchi et elle n'avait guère d'avis sur la question, elle a donc changé de coiffure : finis les torsades, les bigoudis, les barrettes et les pinces, les épingles et les noeuds, les couettes, les chignons et les tresses.

Mémé passe beaucoup moins de temps à s'occuper d'elle-même, un coup de peigne passé sous le jet du robinet et c'est bon, elle peut aller faire les courses, préparer le repas, passer le balais, servir Pépé, accueillir ses fils lorsqu'ils viennent lui rendre visite.


Mémé a passé sa vie à s'occuper des autres, à comprendre, à accepter, à pardonner, à écouter, à devancer, à satisfaire, alors si quelques cheveux en moins peuvent contenter Félix, elle s'en accommode avec grâce.

Je l'imagine devant sa glace, le matin. Avant qu'elle ne les coupe.
De longues mèches noires froissées ondulent autour de son visage lumineux. Elle se coiffe lentement, il est tôt, la porte de la salle de bains est fermée et dans les gestes qu'elle accomplit pour discipliner sa chevelure léonine, elle retrouve ceux qu'elle faisait, jeune fille, debout sur le sol sec en terre battue, dans la maison de ses parents, en Andalousie. Elle procédait un peu plus vite alors, plantant les pointes d'acier jusqu'à les sentir griffer son cuir chevelu, passant un doigt humecté de salive sur les petites mèches frisant au bord de son front.

Maintenant, il arrive qu'elle s'assoie sur le bord de la baignoire. Elle n'a pas besoin de contempler son reflet familier dans le miroir. Son bras se déploie dans la chaleur humide de la pièce comme un serpent qui se dresse avant d'attaquer. Il s'abaisse et ajoute un barreau à la barrière d'épingles qui enserre son crâne.


Enfin, Mémé contrôle le résultat : être présentable c'est tout ce qu'elle recherche. Finalement sa beauté ne lui a pas offert un destin à sa mesure et Mémé a toujours été plus modeste que ses atours.

Illustration : dreamasylum

26 commentaires:

Anonyme a dit…

que voilà une Mémé qui me rappelle la mienne
tout pour les autres
en tout cas tu nous la rends bien vivante ta Mémé

Zoridae a dit…

@Frisaplat : Si seulement !

nj a dit…

la mienne a tellement peu de cheveux qu'elle les agrde long et en fait une espece de moumoute naturelle tres sexy, je l'adore^^

Zoridae a dit…

@nea : Elle a l'air adorable ;)

Balmeyer a dit…

Magnifique article ! Vraiment !

Je ne comprends pas ce qui pousse les mémés à se déguiser en punk frisé, avec des cheveux bouclés bleus. Il faudrait créer un groupe pour le retour des mémés aux cheveux interminables, aussi architecturés que d'antiques napperons.

Anonyme a dit…

c'est une belle histoire...mais Mémé n'aurait pas du couper ses cheveux, ça me rend triste

Zoridae a dit…

@Balmeyer : Merci :))
Ton commentaire est magnifique et inspirant...

Zoridae a dit…

@Zigzag : Merci...
Oui moi aussi ça m'a rendue triste. Mais elle, elle avait l'air de s'en moquer. Elle n'était pas du genre à s'apitoyer sur elle-même...

Anonyme a dit…

Il y a tellement de choses qui s'expriment à travers une coupe de cheveux !
Et les cheveux longs... l'image féminine de toute une époque !
Il m'aurait fallu beaucoup de courage pour faire une chose pareille, je suis pleine d'admiration (et triste également... pour ses mèches qui devaient être magnifiques, de beauté et d'élégance !).

Anonyme a dit…

Ma grand mère, qui est partie aujourd'hui, avait de longs longs cheveux légèrement bouclés que j'admirais beaucoup. Tous les soirs, c'est moi qui les lui peignait, lentement pour les rendre brillants, soyeux. Puis, elle faisait une natte pour la nuit.
Un jour elle aussi a coupé ses longs cheveux, parce qu'elle était trop fatiguée pour les peigner, les laver, les entretenir. Mais par je ne sais quelle magie, elle a toujours réussi à faire le même chignon gonflé, comme si finalement ils n'avaient jamais disparu.

L'autre soir, par le jeu des miroirs j'ai vu un dos, avec de longs longs cheveux, légèrement bouclés, mais blonds.
Les cheveux de ma grand mère, dans le miroir.
C'est moi qui un jour ferait sans doute rêver les petits enfants que je n'ai pas encore.

Balmeyer a dit…

Encore une triste nouvelle, Dom... :(

Ces derniers temps, tu n'as pas trop été gâtée... Une pensée émue.

Christie a dit…

Ma grand-mère a moi avait aussi coupé ses longs cheveux .. Elle préférait passer plus de temps à ses casseroles pour nous faire plaisir..
elle avait une longue chevelure à l'espagnole. Etant flamande et que flamand vient de flamenco , j'ai toujours en le sentiment d'être mixée..
Mon père avait un type très méditéranéen également. Est-ce pour cela que j'ai épousé un espagnol et que notre fils à la double nationalité. En plus j'adore l'Espagne ..

Anonyme a dit…

@Balmeyer :
Je me suis sans doute mal exprimée, ma grand mère est décédée depuis 9 ans, cette année j'ai vu partir mon père et mon grand père, on va dire que cela suffit bien.

Balmeyer a dit…

ooops, désolé dom, j'ai mal compris !

Zoridae a dit…

@Poumok : ne le fais pas alors... Oui les cheveux longs sont toujours pour moi l'image de la féminité et pour la petite fille que j'étais c'était carrément un crime de les couper.

@Dom : Quelle beau reflet dans le miroir... Merci de l'avoir partagé!

MC : Tout pareil que toi sauf le côté flamand ;)

Nicolas Jégou a dit…

"A un an elle me porte sur son dos, à deux ans aussi."

Elle est forte pour son age !

Balmeyer a dit…

Quel taquin ce Nicolas ! :-)

Zoridae a dit…

@Nicolas : Oui c'était une super mémé ma mémé, même à deux ans !

T'as qu'à dire que c'est pas clair ;)

Nicolas Jégou a dit…

J'ai pas dit ça...

Zoridae a dit…

Non t'as raison, ça peut prêter à confusion...

Balmeyer a dit…

Ne lui prête jamais rien, elle ne te le rendra pas ! :)

Nicolas Jégou a dit…

Tu as l'air de bien la connaître !

Balmeyer a dit…

La confusion ? C'est la dernière invité à rester quand la fête est terminée ! :-)

(je suis un pouet aujourd'hui...)

Nicolas Jégou a dit…

C'est pour ça qu'il faut rien lui prêter.

Zoridae a dit…

Ouh lala je m'absente cinq minutes et quand je reviens c'est la foire !
Vous aussi vous avez pris l'apéro chez nea ce matin ?

Anonyme a dit…

@Zoridae : j'ai les cheveux plutôt courts en fait... mais les cheveux longs sont un mythe pour moi ! :-)