J'ai d'abord ouvert les yeux sans bouger et ils se sont fixés sur les chiffres clignotants du réveil sans parvenir à leur donner un sens. Les sensations de mon dernier rêve troublaient ma perception. Je me crus un instant dans notre appartement lyonnais mais l'absence de circulation, la densité du silence me ramena à nos vacances en altitude. J'imaginai la montagne, dans l'obscurité, sombre, impassible, épaisse et néanmoins grouillant d'une faune nocturne, et cette vision m'oppressa. Je me tournai doucement vers Adèle. Etait-elle éveillée ? Sa respiration demeurait calme tandis que dans l'appartement du dessus, le couple faisait tomber des chaises, se jetait contre les murs et chutait sur le sol avec des hurlements sauvages. J'étais incapable de dire si la voix que j'entendais étais celle d'une femme, d'un homme ou d'un animal, tant elle était gutturale et stridente à la fois. De temps en temps je distinguais des syllabes qui provoquaient des visions très précises.
J'ai posé une main sur le bras de ma femme.
« Mais que font-ils ? a-t-elle soufflé en se frottant les yeux.
- Ils se croient peut-être seuls dans l'immeuble, ai-je suggéré. Sans savoir pourquoi j'avais envie de défendre nos voisins.
- Arrête ! Les enfants ont quand même fait du bruit ce soir ! Et puis nous nous sommes servis du barbecue sur le balcon…
- Ils étaient peut-être en promenade ? suggérai-je.
- Ouais. Et bien moi je vais mettre mes boules Quiès, a-t-elle annoncé d'un ton sec.
Elle semblait en colère. Au-dessus, un matelas grinçait modérément tandis que les cris s'étaient mués en gémissement alanguis. J'avais l'impression, en regardant Adèle, de contempler un être brisé. J'étais presque certain que si je lui parlais un peu fort, les morceaux s'éparpilleraient et que je ne la retrouverais plus. J'ai tapoté son dos, du bout des doigts. Agacée, elle a ôté une boule de mousse avec ostentation :
- Je m'étais rendormie, a-t-elle protesté.
- Ah bon ? Déjà ?
- Qu'est-ce que tu veux ?
- Non, rien, tu semblais en colère contre moi. Je voulais te demander si c'était le cas ?
- Mais non ! Qu'est-ce que tu vas chercher encore ?
- Je ne sais pas. Là tu es quand même énervée non ?
- Ben oui parce que tu m'a réveillée, ce n'est pas si difficile à comprendre, si ? »
Elle s'est éloignée de moi, sur le matelas. Couchée à plat ventre, elle a dissimulé son visage sous un oreiller. Au-dessus le silence n'était plus perturbé que par quelques « oui ! » à bout de souffle. Un matelas grinçait avec régularité. Je me suis souvenu de la façon dont, Adèle, lorsque nous étions de tous jeunes amoureux, balayait mon corps de ses cheveux après l'amour. Le sommeil s'est glissé dans la caresse que j'imaginais et j'ai cru sombrer dans la chevelure de ma femme. Aveuglé, éperdu, ému, j'avais l'impression de la retrouver, telle qu'elle était il y a sept ans. Sauf que dans ma gorge, l'angoisse serrait à m'étouffer.
(A suivre...)
Photo : f2images
14 commentaires:
"Couchée à plat ventre, elle a dissimulé son visage sous un oreiller. Au-dessus le silence n'était plus perturbé que par quelques « oui ! » à bout de souffle"
Tu as de la chance, ma machine à cochonneries graveleuse est enrayée.
Nicolas,
En même temps, là, ce serait trop facile !
J'ai beaucoup aimé, mais je n'ai que des grosses bêtises à dire, tu ne m'en veux pas ? :)
----
Bon allez, je me remue les fesses, du moins la fesse gauche et je répète avoir apprécié le : "Elle semblait en colère. Au-dessus, un matelas grinçait modérément tandis que les cris s'étaient mués en gémissement alanguis. J'avais l'impression, en regardant Adèle, de contempler un être brisé."
C'est une belle ellipse, un beau raccourci.
« Elle a soupiré :
« Mais que font-ils ? a-t-elle soufflé en se frottant les yeux. »
Je lirai la suite quand vous aurez rectifié ça. Relisez-vous, bon sang de bois !
Sinon, si vous persistez dans ce style, je vous propose des trucs du genre :
« Puisque c'est comme ça, je me casse ! » referma-t-elle la porte.
Ça leur donne pas envie de faire pareil ? Mimétisme etc...
Agréable lecture ! Je suis curieux de la suite, mais c'est vrai qu'il vous faut choisir entre soupirer et souffler.
Soupiffler ?
J'ai le droit de troller, madame est de sortie tandis que je garde la maison comme un hamster abandonné...
Balmeyer,
Plutôt sympathiques tes bêtises !
Didier,
Je me suis relue, qu'est-ce que vous croyez... Mal apparemment ! C'est rectifié, vous pouvez lire la suite !
Didier,
Bonne idée.
Catherine,
Apparemment pas.
Le coucou,
Merci mais n'en rajoutez pas hein ;) !
Balmeyer,
C'est bon je suis de retour, retourne dans ta roue !
J'ai hâte, tout comme cet homme, de voir Adèle redevenir "comme avant". Pour lui, pour sa gentillesse, il est tellement attachant ! ;-)
Je trouve le début du texte particulièrement réussi. Il me plonge avec le protagoniste dans cette sensation d'émerger d'un sommeil lourd (on s'y croirait).
Depuis le 1er épisode, je me demande s'il a un truc grave à se faire pardonner ou s'il est vraiment juste à plaindre...
Punaise, ces gonzesses...
[bravo]
[une remarque que je t'envoie par mail]
Pour rester dans le même domaine que mon commentaire d'hier, vous devriez (il me semble) élaguer un peu dans les "annonça-t-il", "répondit-elle", etc., surtout lorsque vous avez des répliques courtes et que vous ne mettez en scène que deux protagonistes : vous alourdissez inutilement un dialogue qui serait parfaitement compréhensible sans ces incises, et n'en serait que plus vif.
D'autre part, les grands écrivains n'hésitent pas à se contenter d'un simple et basique "dit-il", même à le répéter, plutôt que de chercher systématiquement des équivalents plus lourds. Et qui, parfois, finissent par gauchir le sens de ce qui est dit (je ne parle pas pour vous, là).
A part ça, on a tendance à trouver ce texte trop court : signe d'une "envie de suite"...
Poumok,
Merci... (Je ne dis rien hein :) )
Marie-Georges,
Merci. Mais n'essaie pas de me soutirer des informations !
Dorham,
Oh ça va. J'écris la même en inversé si je veux !
[Merci pour le mail et le bravo.]
Didier,
Vous avez encore une fois raison. Je m'étais même fait la remarque récemment. Je ne sais pourquoi je n'en ai pas tenu compte...
Vous terminez par un compliment... Arg !
Au boulot comme dirait un célèbre blogueur !
Enregistrer un commentaire