lundi 12 novembre 2007

Voir sans être vu... et vice-versa !

Ce matin, j'ai sorti de mon armoire une longue robe rouge que je n'avais pas mise depuis deux ou trois ans.

Mon fils, à quelques pas de moi, faisait rouler une voiture en attendant que je sois prête à le suivre pour jouer dans sa chambre. J'enfilai la robe par la tête et, tandis que mon visage se dégageait de la prison de tissu, que mes épaules émergeaient des ouvertures, l'étoffe rouge glissait lentement le long de mon buste puis de mes jambes.

J'aperçus alors Zozo, éperdu d'admiration, bouche bée, ne tenant plus sa voiture que de deux doigts écartelés.
Quelques secondes passèrent en un froissement de tissu.

Le bas de ma robe, enfin frôla mes pieds et Zozo chuchota : "Elle met un' belle robe, Maman !"


Tout à l'heure, je venais de traverser la route quand, dans une voiture stationnant au feu rouge, un homme attira mon regard. Il tenait le volant fermement, de ses deux mains et semblait assis un peu bas car son visage se perdait derrière le volant.
Il me rappelait quelque chose ou quelqu'un et j'avançais, le visage orienté vers lui, lorsque soudain, il tourna, à son tour, la tête vers moi.
Par réflexe, je détournai les yeux avant que nos regards ne se croisent.


J'ai toujours ressenti une curiosité qui me fait observer les gens sans lassitude et sans gêne, jusqu'à ce qu'un mouvement de leur part me fasse réaliser l'apparente impolitesse que je manifeste.


J'aime, dans la rue, passer devant les fenêtres allumées où se dessinent de sombres silhouettes ; à leur insu, elles me racontent une histoire qui me ressemble.

Dans le métro, aux gestes soudain agacés d'une jeune fille, je réalise qu'elle a conscience d'être observée et que cela lui déplaît.

J'aimerais pouvoir lui dire que sa vivacité m'a fascinée, et sa voix aux accents rauques, les cernes de ses yeux, ses mimiques, ses bavardages insouciants mais sensibles, le duvet velouté parsemant ses joues de pêche.


Au bout d'un moment, d'ailleurs, je la regardais sans la voir car c'est en moi que je plongeais, me revivant à son âge, songeant, tiens, j'étais plus comme ceci et moins comme cela.

De ma commémoration intime, elle devenait la mise en abîme et c'est moi que je scrutais à travers elle.

Samedi soir, j'ai passé une soirée avec mon amie Ly-Thi-Daï.

Elle me décrivait le stress des répétitions avec un célèbre chef d'orchestre
: "Je crois qu'en faisant ce métier, je ne prends jamais de plaisir. Je ne suis jamais détendue, satisfaite. Régulièrement, je pense à tout arrêter, à changer de vie, à faire complètement autre chose."

Et je ne cessais de me dire
Si j'étais elle, si belle et si talentueuse, si j'avais la carrière qu'elle a, il me semble que je me sentirais chaque jour parfaitement heureuse.
T
outes les personnes qui rencontrent Ly-Thi-Daï tombent en admiration devant elle. Mais cela ne suffit pas, ai-je réalisé. L'image magnifique que nous offrons parfois, n'est qu'un leurre par rapport à ce que nous pensons de nous-même.
Je lui ai répondu : "Je pense, aussi souvent à arrêter de chanter, pour faire autre chose de moins difficile, de moins ingrat. Mais je me sens si sombre parfois, à l'intérieur. Et le chant, la scène me tirent de mon marasme intérieur. Vers la lumière. Comment cesser ce qui me sauve ?"
La maman de Margot me raconte son histoire.
Margot a perdu la vue l'année dernière lorsque son nerf optique a été endommagé à la suite d'un accident vasculaire cérébral. Ses yeux, eux-mêmes, fonctionnent encore. Mais ils sont devenus inutiles.

Recroquevillée sur un tabouret de piano, Margot nous écoute, cachant de ses longs cils les lacs bleus de son regard immobile.

Elle a 11 ans et elle arbore un sérieux qui lui pèse visiblement.

Au milieu de nos mots d'adultes, qui s'attachent à des termes médicaux, dressent des diagnostics, Margot lâche alors un tout petit "moi, ce que je voudrais, juste, c'est voir. Revoir un jour."

Ce soir, elle est tendue. Les vacances lui ont rendu sa timidité et le cours est difficile parce qu'à la suite de cette discussion, je la sens plusieurs fois prête à fondre en larmes. Elle ne supporte pas de se tromper, elle, que sa mère dit
si forte, ne se pardonne rien et je passe mon temps à lui expliquer que la toute petite erreur qu'elle vient de faire, n'est pas si importante qu'elle semble le penser.

Peu à peu les fils se dénouent, Margot fait son show, elle chante d'une belle voix claire et vibrante une chanson de Piaf. D'une main, elle tient, devant sa bouche, un micro de pacotille qui ne fonctionne pas. Elle pouffe lorsqu'elle est fière d'elle ; elle se tape sur les cuisses et met la main devant sa bouche.
D'une souplesse étonnante, elle s'empare de la moindre de mes indications pour en faire un joyau.

A la fin de l'heure, Margot ne veut plus partir, elle vient vers moi et me serre dans ses bras "hum tu es douce, tu sens bon". Je plonge dans ses yeux qu'elle dirige, instinctivement, face aux miens ; elle s'accroche à mes épaules, rit et chante.
Son affection me console de la peine que j'ai ressenti pour elle.


Nous sortons, nous nous disons au revoir et je me retourne pour la regarder s'éloigner tandis qu'elle crie " bisous bisous au revoir !"
Dans le métro, plongée en moi-même je pense encore à ces autres regards, celui de l'amie de quinze ans qui nous connaît comme sa poche, celui de ma mère, qui refuse de voir que j'ai grandi, celui de mon compagnon, plein d'étoiles...

9 commentaires:

Anonyme a dit…

merci pour l'émotion

Anonyme a dit…

Le regard...si important et pourtant si traitre.

Anonyme a dit…

Merci d'être passés me voir...

Anonyme a dit…

vraiment très beau

claude a dit…

elles en ont bien de la chance les araignées, elles ont des yeux multi facettes ce qui doit leur procurer une vision du monde que nous avons bien du mal à imaginer comme nous avons du mal à imaginer ce que peut être la vie de celui ou celle dont les yeux ne remplissent plus ou pas leur fonction qui est celle de nous transmettre aussi bien le spectacle d'une toile arachnéenne ou la marche d'une étoile...

Anonyme a dit…

j'aime aussi regarder les gens, ressentir toutes ces petites émotions que tu transcris si bien... merci !

Romy a dit…

bien décrit toutes ces émotions.... très agréable a lire ...
bonne journée.

Anonyme a dit…

Nous sommes dans le regard de l'autre, telle généreuse dans le regard de son compagnon sera dure dans celui du frère, ou ingrate dans un autre.
Nous ne vivons qu'au travers des regards des autres,
au risque de nous perdre ?

Merci encore pour ce texte toujours aussi finement écrit.

Zoridae a dit…

Merci pour vos lectures et vos petits mots...