lundi 25 mai 2009

La fête (2)

C’était le matin que Minna se sentait le plus pesante. Elle se demandait si tout le monde connaissait ça, l'effort que c'était de réintégrer sa peau un jour après l'autre et d’endosser les différents rôles que son entourage espérait. Rien ne servait de se dérober. Quand elle se terrait dans son lit, son père venait la chercher précédé de son ventre qui ressemblait au sien, sa mère l'appelait de son sprechgesang exaspérant, ou Juliette la narguait, essayant ses minijupes avec des moues de pétasse, tortillant ses fesses de rat sous son nez.
Minna devinait que celle qu'elle était dans ses rêves l’instant précédent, douce, sexuelle, finirait écrabouillée sous le premier pied qu'elle poserait par terre, droit ou gauche. Peu après la colère ferait battre son cœur un peu plus vite que la normale et elle se sentirait lasse à en vomir. Si seulement, pensait-elle assise dans les toilettes, si seulement tout ce qui m’énerve pouvait me faire gerber… Alors je serais plus mince que ma sœur, bien plus mince.
Elle avait une fois chatouillé sa gorge à l’aide d’une brosse à dents - c'est ainsi que faisait Keyla - mais Minna ne vomissait pas facilement et c’est à peine si elle avait pu cracher quelques miettes du croissant qu’elle venait de manger, baignées dans un filet de bile. Pour faire passer le goût elle avait avalé une tablette de chocolat arrosée d’un litre de Coca-Cola. Bof.

De toute l’année un seul jour valait la peine d’être vécu selon la jeune fille et bizarrement, c’était celui de son anniversaire. Car depuis quelques années ses parents avaient la discrétion de s’éclipser. Elle avait champ libre. D’autant qu’ils emmenaient même Juliette avec eux. Ils avaient commencé quand elle avait quinze ans, Ma chérie nous avons tellement confiance en toi, avait bêlé sa mère. Pourquoi pas en fait ? Minna les deux premières fois n’avait fait que glousser avec quelques copines autour de paquets de bonbons. Elles s’étaient couchées vers minuit, les bouches poisseuses et elles avaient échangé dans le noir des confidences tout aussi poisseuses sur les garçons qu’elles aimaient bien. Waouh ! Quel trip quand on y pense ! Minna ne connaissait pas encore Keyla à l’époque. Ni Blaise ni Grük.
Ah oui, et pour ses dix-sept ans, elles avaient fumé un paquet entier de cigarettes, elles étaient neuf à tousser, sauf une ou deux qui prétendaient en avoir l’habitude et elles avaient sifflé une bouteille de champagne que ses parents conservaient pour une grande occasion. Après tout, c’en était une, elle avait dit, le lendemain à ses parents. Son père avait cligné un de ses yeux chafouins et l’affaire avait été dans le sac. S’il avait vu l’effet que ça leur avait fait à Minna et ses copines, il aurait peut-être même versé une larme débile Il faut bien que jeunesse se passe, il aurait balbutié, sentencieux. Ému que des jeunes filles se sentent saoules après un petit verre d’alcool. Saoules au point de se rouler des pelles une partie de la nuit. Cindy n’avait-elle pas fait un strip-tease ou un truc comme ça d’ailleurs ? Bof.

Pour ses dix-huit ans Minna voyait les choses en grand. Pour la première fois, il y aurait des garçons. Keyla avait promis qu’elle rameuterait des copains de son quartier et surtout, Minna, depuis plusieurs semaines, se préparait à adresser la parole à Blaise et Grük pour les inviter. Il ne se passait pas une heure sans qu’elle y pense. Elle visualisait la scène comme le lui conseillait toujours son psy lorsqu'ils évoquaient ce qui la terrifiait, elle tapoterait sur l'épaule de Grük en cours d'Economie, de Blaise en Droit, Salut, ça te dirait de venir à une fête ? Ce qui la retenait c’était la certitude déraisonnable que les garçons liraient derrière ses paupières baissées les rêveries salaces qu’elles nourrissaient à leur égard. Et s’ils me voulaient tous les deux, se demandait-elle, comment je ferais ? Elle savait qu'elle serait incapable de résister à l’un comme à l’autre ; peut-être même que le vieux SDF qui dormait le long du boulevard pourrait obtenir ses faveurs pour peu que ses yeux brillent assez en la regardant... Tu y crois, toi ? lui soufflait une petite voix . Bof. Le SDF, à la rigueur...

Illustration : Calascione

12 commentaires:

Charles Magnet a dit…

pauvre enfant, que je plains vraiment.... tomber si bas, - non pas à cause d'un physique certes disgracieux à la base- mais en raison de cet irréparable, cet inqualifiable acte....bahhhhh.....
... à savoir non pas tester sa langue avec ses amies, mais bien plutôt... boire 1 litre de coca....
quelle horreur...........!

Loïs de Murphy a dit…

Austen, Sagan, Duras et Zori.

Zoridae a dit…

Charlemagnet,

Hihi ! Je m'étonnais que l'histoire des baisers te choque !

Loïs,

Arg !

Poumok a dit…

Des mots très justes, comme toujours !

(ça fait longtemps que je n'ai pas commenté ici, mais je te suis toujours, dans l'ombre !) ;-)

Zoridae a dit…

Poumok,

Merci !
(Ca fait plaisir de savoir que tu es toujours là :)), même dans l'ombre ! )

mtislav a dit…

Je reviens ici après avoir lu le premier, je préfère de beaucoup la suite qui permet de beaucoup mieux de comprendre le début.

Tifenn a dit…

brrrr. ;-)

Zoridae a dit…

Mtislav,

Tes deux commentaires m'amusent beaucoup !

Tifenn,

Oui...

Colombine a dit…

Argh ! L'estime de soi saccagée... c'est dur pour avancer...
Ton écriture est toujours un plaisir..
La bonne journée Mme..

Colombine a dit…

La suite de ton histoire est prenante et mordante...

Zoridae a dit…

Elle-c-dit,

Merci pour tes commentaires... La suite tarde un peu je m'en excuse...

Aladriss a dit…

J'aime. C'est super bien tourné, bien fichu, et c'est même pas la peine d'essayer d'être objectif et constructif avec ça.