En s'endormant Minna caressait ses bras épais comme des jambonneaux.
Elle avait cette habitude depuis l'enfance mais c'est récemment qu'elle s'était mise à rêver que ses bras étaient ses jambes et que ce n'était pas elle qui les caressait.
Elle avait cette habitude depuis l'enfance mais c'est récemment qu'elle s'était mise à rêver que ses bras étaient ses jambes et que ce n'était pas elle qui les caressait.
En général, elle imaginait le sourire de Blaise tandis que les gros doigts boudinés de sa main droite pétrissaient son avant-bras, cernaient le poignet étrangement gracile et remontaient à l'intérieur du bras, là où la peau est douce et les veines affleurent.
Mais il arrivait que s'y substituent les yeux froids et brillants du garçon au premier rang du cours d'Histoire des Faits Économiques. Sa copine Keyla lui avait dit qu'il s'appelait Alexis, elle avait aperçu le prénom griffonné en haut d'un devoir, seulement Minna s'en moquait, elle ne voulait pas le savoir. Tout ce qu'elle voyait c'est qu'il n'avait pas une tête à avoir un prénom qui existe. Il n'était pas comme les autres, c'était évident et rien ne servait d'essayer d'expliquer cela à Keyla, elle ne comprendrait pas, elle se moquerait d'elle, encore une fois. D'ailleurs Keyla n'avait pas les mêmes goûts que son amie en matière de garçons. Enfin, c'est plutôt que Keyla avait décidé de n'être attirée que par les bruns aux yeux bleus et comme ci et comme ça, tandis que Minna savait bien qu'elle se donnerait à qui le voudrait... Pas question de tergiverser, elle ne voulait pas finir vierge ! Vierge et obèse, quel destin ! Quelle horreur !
En esprit, Minna préférait appeler le garçon du cours d'Histoire des Faits Économiques Grük ; Alexis c'était bien trop banal. Tandis que Grük, ça lui allait comme un gant...
Minna n'avait pas échangé un mot avec Grük mais elle avait l'impression qu'il l'observait et plus d'une fois, elle avait trébuché en rejoignant son siège parce que le regard qu'il dardait sur sa nuque était si inexpressif qu'il ne pouvait révéler qu'un amour ou une haine incroyables. Peu importe, grosse Minna qui ne comptait pour personne se contenterait d'être haïe, pourvu que ce soit avec passion. A l'intérieur de ses cahier, Minna griffonnait des B. pour Blaise et des Grük qui faisait rire Keyla : Jamais vu une tordue comme toi, elle lui disait et les deux comparses riaient à s'en étouffer, baissant la tête pour dissimuler leur inattention au professeur. Grük, Grük, répétait Keyla, mais d'où tu sors ça bordel ? C'est le nom de ta planète c'est ça ? Tu vas tous nous manger à la fin ? Pour qu'elle se calme, Minna attrapait un bourrelet de sa taille, elle tordait et, en général, ça suffisait pour que Keyla la ferme.
La jeune fille se troublait toujours en pensant à Grük. Les images doucereuses des rêveries qu'elle partageait avec ses copines, les projets d'avenir inspirés des pires mélos, laissaient place à des scénarios salaces que Minna ne devait à personne : sa chair débordait de cordages qui l'enchaînaient à un lit, on l'interpellait, on lui tirait les cheveux, Minna bavait, sa bouche s'ouvrait comme pour happer, elle se tortillait sous ses draps, étouffait ses gémissements dans son oreiller. Même Blaise était là, à contre-jour, un peu effacé mais peut-être pas si innocent que ça après tout. Le film s'arrêtait assez brusquement, fracassé contre les arrêtes du caractère terre à terre de la fille car Minna ne savait pas désirer ce qu'elle ne connaissait pas ; sa mère disait toujours ce truc imbuvable : Juliette c'est l'artiste, la rêveuse, Minna c'est le concret... Ma grande est tellement terre à terre ! Puis comme pour se faire pardonner, elle ajoutait : Au moins, avec elle je ne me fais pas de souci, je sais qu'elle se choisira un travail sérieux et tout ce qui va avec. Alors que Juliette, elle n'a pas fini de me causer des insomnies !
Minna reprenait son souffle, un peu écœurée, mais surtout furieuse que l'histoire se heurte aux limites de ce qu'elle avait vécu : un baiser échangé au CP avec Damien Leroux. Impossible, même si elle avait lu des livres, vu des films, d'imaginer qu'un garçon puisse la caresser et placer son sexe entre ses jambes. Pourtant elle était sûre de souhaiter que cela advienne. Car sa mère se trompait. C'est à cause de son manque d'imagination que Minna essayerait le plus de choses. Juliette laisserait sa nature lymphatique décider de sa vie ; Minna, au contraire, prendrait les devants pour que son quotidien revête les couleurs qui lui plaisaient vraiment. Et elle n'avait jamais eu les mêmes goûts que les autres !
De l'autre côté de le chambre sa sœur dormait déjà et son nez sifflait avec un petit claquement au début de chaque inspiration. Une frange noire mordait son front, ses bras s'étiraient comme les cous de cygnes amoureux autour du délicat visage assoupi. Juliette avait treize ans et elle était venait de rompre avec son premier amant, un terminale de son lycée. Celui-ci, digérant mal la rupture venait hurler sous leurs fenêtres un soir sur deux. La semaine dernière, il avait intercepté Minna alors qu'elle rentrait d'un baby-sitting. Éméché, le jeune-homme l'avait plaquée contre la porte de l'immeuble et il avait frotté son visage contre son épaule dodue. Il murmurait : Ma Juliette, ma Juliette, dis-moi comment elle peut me faire ça, hein dis-moi ? mais c'est elle, Minna, qu'il touchait, dans ses cheveux qu'il mouchait ses larmes. Minna d'abord qui avait voulu le repousser, l'envoyer dinguer sur les marches de l'escalier, se sentit flancher, émue par son désespoir, troublée par la main qu'il remuait sur ses hanches. Ses pensées se déroulaient à toute vitesse et au milieu d'elle un désir fou étalait son audace comme des tentacules.
Elle lui tendait les lèvres quand il avait reculé : Mais qu'est-ce que je fais moi ? Non mais n'importe quoi ! Il était parti sans s'excuser...
La dernière fois qu'il avait hurlé en bas de l'immeuble, Juliette dormait chez une amie et Minna avait déversé, par la fenêtre, un seau d'eau entier ; elle y avait mis tant d'enthousiasme et de rage que le seau était parti avec son contenu. Quand Damien avait protesté elle avait hurlé ta gueule ! et peu après elle avait entendu démarrer son scooter ridicule.
15 commentaires:
le tapage nocturne doit être puni!
Du grand Zoridae comme je l'aime !
quelle douche froide...! :)
Vivement la suite.
Merci à tous pour votre lecture !
Quel style, j'imagine pleinement cette fille perdue dans ses contradictions, ses envies inavouées et prisonnière de son corps. Vite la suite!
À suivre ? Chic.
Yesseu ! J'adore quand tu es dans ce registre !
('tain je te lis après le billet de Mtislav, quel pied deux bons textes à la suite !)
Une sensualité troublante se dégage de cette Minna..
A te lire....
Homer,Christophe,
Euh... Pas encore écrite, plein de boulots, il va falloir attendre un tout petit peu :))
Loïs,
Quel registre, tu m'intéresses ?
(Le texte de Mtislav est excellent, demain je l'annoncerai ici...)
elle-c-dit,
Nous nous sommes croisées... Oui, Minna est assez éveillée ;) !
longtemps que que je te lis, enfin quelques mois, mais quelques mois en temps blogguien, c'est énorme ; et je me décide aujourd'hui à commenter.
J'aime beaucoup ton écriture et tes nouvelles.
Celle-ci part bien avec des personnages bien campés et certainement plus complexes qu'il n'y parait.
bravo et bonne continuation.
arf,
(Argh, comment fais-tu le r à l'envers ?) Bienvenu ici et merci de ton commentaire !
J'ai lu le deuxième avant le premier ! Je préfère le premier.
Mtislav,
Hihi !
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