dimanche 11 janvier 2009

La famille vomi (1)

Le fils


Au début des vacances, le jour où je devais partir seule avec lui en TGV, Kéké s'est réveillé gémissant. Trois secondes après, il me vomissait dessus. En une heure, il a vomi une dizaine de fois. En deux, des centaines de fois. Il ne tenait plus debout et blanchissait à vue d'œil. A côté de lui, une bassine sur les genoux, une main dans ses cheveux, l'autre agrippée au téléphone, j'essayais de trouver un médecin qui se déplace, sa pédiatre étant en congé pour la journée. Impossible. Le 15 n'avait plus de médecin disponible dans le secteur. SOS médecins non plus. J'ai finalement appelé mon médecin généraliste qui m'a dit que je pouvais venir avec lui mais que nous devrions sans doute attendre longtemps. J'ai donc porté Kéké qui a vomi sur son manteau, vomi dans sa poussette et nous sommes allés chez le médecin, à dix minutes de la maison.
"Il fait froid, disait Kéké, je veux rentrer à la maison. Je suis fatigué Maman."

Après une heure et demi d'attente, c'est une collègue de ma généraliste qui nous a reçus parce qu'elle a eu pitié du petit garçon qui me demandait sagement de l'emmener au toilettes pour vomir tous les quart d'heures. Quand nous n'avions pas le temps d'arriver jusqu'aux toilettes, je recueillais le chaud liquide dans des feuilles de Sopalin pliées. Puis nous allions nous rasseoir sagement, le petit paquet jeté dans la poubelle et les mains savonnées.

Le médecin n'a pas été rassurant parce que Kéké semblait avoir très mal au ventre. Elle a parlé d'imbrication d'intestins ou d'appendicite. Elle a aussi dit qu'il pouvait s'agir d'une angine mais il n'y en avait pas encore trace dans la gorge. Il fallait que nous revoyions un médecin dans les 24 heures. Elle n'avait pas très envie que nous prenions le train. Perdue, inquiète, j'ai rhabillé mon fils qui s'est mis à vomir alors que j'avais oublié le Sopalin à l'autre bout de la salle d'attente. J'ai tendu les mains sans pouvoir arrêter tout à fait le flot bileux ; des rigoles mousseuses s'épanchaient sur nos chaussures, des morceaux dégouttaient d'entre mes doigts. L'enfant et moi étions immobiles au milieu de la pièce et des quelques patients qui attendaient en lisant des revues. Au bout de quelques minutes l'un deux s'écria, nous faisant sursauter :
"Vous voulez votre Sopalin, Madame ?
- Oui, s'il vous plaît, ai-je répondu"
Et c'est ainsi que nous avons été sauvés cette fois là.

Plus tard, dans l'après-midi Kéké s'est endormi après que je lui aie administré le médicament anti-vomitif prescrit. Il s'est réveillé pris de nausées et il a recommencé à vomir quelques minutes plus tard. J'avais décidé de partir pour Mâcon quand même mais je doutais de plus en plus de ma résolution. Finalement l'arrivée de son père, l'air frais, le métro qu'il adore, lui ont fait du bien. Je me suis aperçue, devant le wagon que nous étions en première classe. J'avais oublié que nous aurions ce privilège. Nous nous sommes installés et Kéké souriait. Son père, sur le quai, faisait le clown et Kéké éclatait de rire. Je me suis carrée dans mon siège et j'ai bu un peu d'eau. Pour la première fois de la journée, je respirais. Le train s'est élancé et mon fils a appuyé sa tête sur moi. Dans sa main il tenait un de ses Cars mais, épuisé, il n'avait pas la force de le faire rouler.

Au bout d'un quart d'heure de trajet, il s'est de nouveau senti mal. Alors qu'il se penchait sur mes mains garnies de Sopalin, j'ai surpris le regard de la femme qui voyageait seule derrière nous. Surprise, elle a haussé un sourcil, pincé les lèvres puis elle a repris sa lecture en voyant que je maitrisais la situation. J'étais fière de mon fils qui ne pleurait pas, ne grognait pas et essayait juste de dormir entre deux salves de vomi. Ma technique de recueillement de son contenu gastrique touchait à la perfection. Pas une goutte ne traversait le papier. Pas un jet ne manquait sa cible. Lorsque les spasmes de Kéké cessaient, je pliais le Sopalin en quatre et le glissais dans un sac en plastique prévu à cet effet. Puis je tapais des SMS affolés à B. : "Appelle le médecin. Ce n'est pas normal ! Il a vomi déjà 5 fois ! ". "Il a encore vomi 10 fois !"

Résultat, à notre arrivée à Mâcon, ma mère nous attendait pour nous emmener directement aux Urgences de Villefranche. Malheureusement, elle n'avait pas de lingettes. Je n'avais pas pu me laver les mains dans le train et elles sentaient mauvais. Malgré tout, désespérée, je me suis rongée les ongles en préparant de nouvelles feuilles de Sopalin pour le voyage. Soudain, alors que je regardais un peu la route, j'ai poussé un cri. Ma mère a pilé et le sanglier qui traversait la route devant nous a rejoint l'autre côté de la route.

Nous sommes arrivés à l'hôpital à 20 heures. Kéké épuisé, le ventre vide, n'avait vomi que 3 ou 4 fois pendant le trajet en voiture. Bien sûr, le service était bondé. Autour de nous des dizaines d'enfants et de nourrissons, pour la plupart, respiraient avec des bruits de forge et toussaient comme s'il n'allaient jamais reprendre leur respiration. Un garçon d'une dizaine d'année touchait du bout des doigts le gros pansement appliqué sur sa joue. Le sang imprégnait la compresse. Kéké avait soif mais il vomissait derechef la moindre gorgée d'eau avalée. J'ai pu passer mes mains sous l'eau mais il n'y avait plus de savon dans le distributeur des toilettes publiques.

Finalement, une infirmière nous a fait entrer dans un box "Je vous prends en priorité car je le trouve très pâle, cet enfant." Pour une fois je n'ai pas protesté en disant qu'il était tout le temps pâle. Alors, elle nous a abandonné une heure de plus. Comme nous étions à côté du bureau d'accueil et dans une salle où était entreposé le matériel médical, nous voyions souvent le médecin - une jeune femme -, les infirmières et puéricultrices passer devant nous, au pas de course, affairés, le regard fixe. Nous avions l'impression d'être devenus invisibles et Kéké commençait à se plaindre, assoiffé, affamé, fatigué. Enfin, on nous a demandé de le déshabiller. La pédiatre allait venir, nous a-t-on dit. Nous nous sommes secoués, pleins d'espoir. Kéké en slip sur le lit médical semblait maigre et vulnérable. Il tremblait de froid. Le médecin n'est venu qu'après une demi-heure d'attente alertée, enfin, par le fait qu'elle le voyais vomir de nouveau. Mieux que le Sopalin, nous avions la joie d'avoir un haricot pour recueillir la gerbe de mon fils. Mes mains, lavés dans le lavabo du box, sentaient le savon.

Sous les néons, dans le lieu surchauffé, les quelques gorgées séchaient avant que d'autres ne viennent les recouvrir et le haricot semblaient toujours propre "J'espère qu'ils vont le laver quand même, ai-je pensé, hagarde." Le médecin a touché le ventre de Kéké qui sursautait, a examiné sa gorge : "il a une angine, a-t-elle annoncé."

J'ai pensé que nous avions enfin trouvé la raison des vomissements mais elle voulait être sûre d'avoir bien cerné le problème. Il a fallu faire un prélèvement de gorge, une radio du ventre, une prise de sang et attendre les divers résultats. A minuit elle nous a tendu une compote et elle a annoncé, souriante. "Il faut qu'il mange cette compote. Une cuillère à café toutes les dix minutes. S'il vomit, on devra le perfuser cette nuit..."
Bêtement j'ai regardé la compote, l'horloge, et j'ai demandé :
"Mais, il y a combien de cuillères à café de compote dans une compote ?
- Je ne sais pas mais il faut qu'il les avale toutes, sans vomir, a-t-elle répété."
Kéké s'est jeté sur la première cuillère comme un affamé et ma gorge s'est serrée.
"Maintenant, lui ai-je dit, il faut attendre un peu avant de manger la suivante.
- A boire, a-t-il répondu.
Je suis allée voir l'infirmière pour savoir si je pouvais, aussi, lui donner un peu d'eau.
- Non, elle a secoué la tête. Il faut d'abord qu'il mange la compote.
- J'ai soif, m'a dit Kéké lorsque je l'ai rejoint.
- L'infirmière a dit que ce n'était pas possible. Oh ! Mais regarde ! C'est l'heure de ta deuxième cuillère de compote !"
Kéké a dévoré la compote puis il s'est mis à pleurer. J'ai donc rempli un bouchon d'eau et je le lui ai donné. Ses lèvres craquelées se sont mises à briller.
"Mais c'est tout, hein, ai-je articulé péniblement.
- Encore Maman ! m'a-t-il supplié"
J'ai cédé. Nous avons eu le droit, peu à peu, d'accélérer le rythme des cuillerées de compote et nous sommes rentrés à 1h30 du matin. Kéké s'est endormi dans mon lit, alors que nous attendions que ma mère revienne de la pharmacie de garde avec les antibiotiques. J'ai dormi contre lui et je me suis réveillée en sentant ses caresses sur mon visage.

Deux jours plus tard, aux informations, j'ai entendu qu'un petit garçon de trois ans, malade d'une angine, était mort à Paris après un changement de perfusion. J'ai pleuré longtemps...

Illustration : The black apple

23 commentaires:

Anonyme a dit…

Ces sentiments contradictoires...
Probablement accentués par ces lumières blafardes, ces gens en blancs presssés, peut-être parfois trop, cette ambiance à la fois glaciale et rassurante et l'envie de devenir la seule maman avec son petit malade.
Très courageux n'empêche.
Les deux.
Mais faut-il qu'un petit meure pour que des dizaines d'autres survivent?

Nicolas Jégou a dit…

Y'a des billets qui ne poussent pas à la déconnade, même avec des histoires de vomi qui auraient du me permettre de me foutre de la gueule du père.

Anonyme a dit…

Une histoire qui remue notre propre vécu à Fiston, son père et moi. je ne compte plus les vomis, les appels à SOS médecins, les attentes longues et angoissées, les voyages pénibles.
Y compris notre dernier voyage jusqu'en Normandie chez ma mère, suivi d'un séjour à Paris où j'ai du annuler notre passage à la Comète pour cause de gastro, et sans doute d'angine dont il reste quelques rougeurs aujourd'hui.
Les déshydratations consécutives aux vomissement nous ont souvent laissé un gamin diaphane.
Nos enfants sont souvent plus courageux que nous dans ces situations.
Nous avons toujours soigneusement évité les urgences. Mais j'ai toujours à porté de mains un truc pour intervenir en urgence.

Je me souviens d'une soirée Téléthon au cours de laquelle Fiston devait donner le départ d'une course marathon destinée à récoltée des fonds. Il ne pouvait pas être absent car aucun enfant ne pouvait le remplacer.
Il faisait glacial et il était malade, angine doublée d'une gastro.. La totale.
Il voulait y aller. je ne comptais pas les arrêts catastrophe, les vomissements incoercibles... Et malgré les anti-vomitifs et l'advil pour contrer la migraine persistante.
Malgré toutes précaution que nous avons prises, il y a eu juste le temps de la photo avec le sportif pour le journal entre deux vomissements et retour à la maison.
Je sais seulement que lorsqu'il y a déshydration je lui donne des petites gorgées d'au sucrée ou de coca cola.
Il faut boire coûte que coûte c'est ce que m'a conseillé un médecin.

Didier Goux a dit…

C'est curieux, quand j'ai vu le titre, j'ai pensé que Balmeyer s'était trompé de blog...

Bon, je vais lire et je repasse plus tard.

Didier Goux a dit…

On vous l'a dit cent fois : Kéké est TROP PETIT pour que vous le laissiez aller à des soirées-Comète. Surtout la veille d'un voyage en train.

Cela étant, j'ignorais la corrélation entre angine et vomissements.

Balmeyer a dit…

J'attends la suite avec impatience... et curiosité... :)

Anonyme a dit…

Au travers de ces lignes, me revient en mémoire des jours terribles ou mon fils alors agé de 1 an a été pris de vomissements similaires... il ne gardait rien... 1 jour, 2 jours il était léthargique, tout mou... anormalement calme, il dormait sans arrêt... sans plus tergiverser, un service pédiatrique s'imposait... il était temps... la déshydratation aurait eu raison de lui... et de nous... je pense que ce jour là quelqu'un ou quelque chose nous a guidé...

Anonyme a dit…

C'est curieux (tentative de commentaire léger). J'ai été sujets à des angines, des vraies, des dures des tatouées. La première m'a collé au lit en plein mois de Juillet, papy de 4 ans dans son transat avec de nombreuses couvertures en pilou.
La deuxième m'a pourri un été de 18 ans, avec 10 jours de piqûres bi-quotidiennes d'antibiotiques dans le fondement (aïeuh).
La troisième a carrément dégénérée en phlegmon de l'amygdale, trois ponctions, hospitalisation avec perfusion d'antibiotiques, je suis passé à deux doigts de l'ablation à chaud (mais avec anesthésie) du fond de ma gorge.

Donc les angines je connais. Je n'ai JAMAIS vomi. J'ai un collègue dont les enfants vomissent systématiquement quand ils sont malades. Ça ne m'est jamais arrivé (bon sauf en cas de gastro, mais je ne me souviens pas en avoir eu dans ma petite enfance).

J'ai total occulté ou je suis pas normal ?

(Prompt rétablissement et rouleaux de sopalin à toute la famille)

Zoridae a dit…

Melina,

Courageux ? Kéké oui, c'est un petit malade adorable. Moi, dans ces cas là, je pense à lui avant tout et j'essaie de ne pas écouter les voix angoissées qui me donnent envie de pleurer...

Ta dernière question est frappante. Ce serait horrible de penser, lorsqu'on va à l'hôpital qu'il reviendrait au même de jouer à la roulette russe... C'est un peu l'impression que j'ai eu cette fois là.

Nicolas,

La suite t'en donnera peut-être l'occasion ;) !

Christie,

Ton fils a l'air très courageux ...

Pour la boisson coûte que coûte je suis d'accord mais là Kéké ne gardait pas une gorgée...

Didier Goux,

J'étais sure que quelqu'un allait penser ça. Que voulez-vous, nous avons des centres d'intérêt communs !

Didier Goux,

Hihihi.
Oui, il paraît que c'est fréquent chez les tous petits et une angine peut-être très grave...

Balmeyer,

Arg. Ne me stresse pas !

Bérénice,

Ton histoire fait froid dans le dos !
Idem, kéké était tout mou. Lui qui a toujours besoin de tout un cirque pour s'endormir s'endormait partout. Il ne jouait pas, ne parlait pas. Je crois que c'est ça qui est le plus inquiétant, plus inquiétant que les symptômes comme les vomissements : voir que son enfant devient différent, qu'il semble éteint. Rien que d'y penser, j'en tremble encore...

Zoridae a dit…

Fédéric Meurin,

Nos commentaires se sont croisés :)

Je crois en effet qu'il y a des enfants qui vomissent dès qu'ils sont malades. C'était mon cas enfant et je crois que Kéké tient de moi...

Mais j'ai entendu aussi que c'était fréquent aussi en cas d'angine chez les petits.

Alors... Je ne sais pas :)

(Je suis devenue une fanatique des rouleaux de Sopalin, j'en achète sans arrêt ;) )

Didier Goux a dit…

N'empêche que se ronger les ongles avec les mains pleines de gerbe, il faut être une sacrée Mère Courage (und ihre Kinder) !

Didier Goux a dit…

Ou alors être droguée à donf.

Zoridae a dit…

Didier,

Oui, droguée à l'adrénaline...

Olympe et le plafond de verre a dit…

et en plus il y a une suite...

Zoridae a dit…

olympe,

Oui... Désolée ;) !

Christie a dit…

ça arrive souvent que les enfants qui vomissent facilement ne supportent même pas uns simple goutte d'eau mais en même temps, le minimum avalé, il en reste toujours, peu aider car la déshydratation est intense.
C'est ce que m'a expliqué ce médecin à qui je faisait la même remarque que toi. A voir comment vomit KéKé, Fiston je me dis qu'il aurait trouvé un copain de galère qu'ils seraient bien entendus sur le sujet.
Mais la déshydratation fait peur. Tu peux essayer les suppos anti vomitif..
Mais bon attendons la suite en souhaitant un bon rétablissement à KéKé.
L'angine fait effectivement vomir..
Parole de maman pro...
;-D)

Tifenn a dit…

Gros bisous à Kéké, je lui souhaiterai une bonne année après la suite qui promet!

Le coucou a dit…

J'ignorais qu'il y avait des angines aussi mauvaises, pauvre gosse! On attend avec curiosité le point de vue du père…

mtislav a dit…

J'ai lu le billet, pas les commentaires. C'est une histoire effrayante. Je la lisais en me répétant "attention à la déshydratation", "attention à la déshydratation"...

Zoridae a dit…

Christie,

Il est guéri, depuis longtemps maintenant, et il se remplume, ça fait plaisir à voir !

Tifenn,

Je transmets les bisous, mais tu sais, il n'aime pas ça ;) !

Le coucou,

Le père n'était pas là... Il travaillait !

Mtislav,

Tu avais raison de te dire ça... Nous ne sommes pas passés loin !

Nicolas Jégou a dit…

Tiens ! J'ai passé une soirée peinard au bistro sans insulter personne. Zori, je peux me rattraper sur l'autre abruti qui spamme ?

Zoridae a dit…

Nicolas,

Tu crois que c'est un spam ?

Nicolas Jégou a dit…

En tout cas, ça n'est pas une orchidée sauvage.