Les jours qui ont suivi la conversation nocturne avec ma mère m’ont sans doute donné le goût d’être habitée par de vastes secrets. Tandis que Madame Gratton embrassait sa fille sur les deux joues et la serrait avec force contre sa poitrine pointue, je relativisais déjà leur présence, égrenant les infinies possibilités de danger que nous allions courir, désormais, sans ange gardien, jusqu’au soir.
Ma sœur, se précipitant dans la cour des classes maternelles, agitait déjà la main, et je mesurai, terrifiée, l’étendue de son innocence. Il me sembla qu’il aurait mieux valu qu’elle sache ce dont nous étions menacées. Je décidai de l’en informer dès la récréation de dix heures car une chose me semblait plus effrayante que l’idée qu’elle puisse être enlevée, c’était le fait qu’elle puisse l’être sans comprendre de quoi il s’agissait.
Je l’imaginai, jetée dans une voiture noire, enfermée dans une cave, seule, perdue. Si nous pouvions être ensemble ce serait différent, bien sûr, mais je ne pensais pas que les ravisseurs auraient cette délicatesse. Puis, ils n’arriveraient sûrement pas à m’attraper, moi. Anna ce serait facile, elle était si naïve parfois !
Ma sœur, se précipitant dans la cour des classes maternelles, agitait déjà la main, et je mesurai, terrifiée, l’étendue de son innocence. Il me sembla qu’il aurait mieux valu qu’elle sache ce dont nous étions menacées. Je décidai de l’en informer dès la récréation de dix heures car une chose me semblait plus effrayante que l’idée qu’elle puisse être enlevée, c’était le fait qu’elle puisse l’être sans comprendre de quoi il s’agissait.
Je l’imaginai, jetée dans une voiture noire, enfermée dans une cave, seule, perdue. Si nous pouvions être ensemble ce serait différent, bien sûr, mais je ne pensais pas que les ravisseurs auraient cette délicatesse. Puis, ils n’arriveraient sûrement pas à m’attraper, moi. Anna ce serait facile, elle était si naïve parfois !
J’avançai dans la cour de droite, au milieu des bouleaux dénudés, lorsque deux bras m’entourèrent, bloquant les miens. Je tentai de me débattre, en vain. Je criai et reçus un coup de pied dans un tibia en représailles. Soudain, un parfum de fraise me parvint. Je fronçai le nez.
« Lâche-moi Delphine, ordonnai-je. Sinon, je raconterai tout à ta mère ! »
La fillette me maintint quelques minutes en silence. Je commençais à penser qu’elle était peut-être de mèche avec le groupe qui voulait nous enlever quand sa réponse me parvint : dégoulinant, plus éloquent qu’un long discours, le crachat fut propulsé entre mes couettes, à la racine de mes cheveux. RAAAAAA SPLACH ! Je le sentis dévaler ma nuque et glisser à l’intérieur de mon chemisier.
« Ca t’apprendra à me piquer ma poupée ! vociféra Delphine. »
Elle s’éloigna calmement.
J’aurais pu la poursuivre mais je préférai taper dans mon dos afin d’écraser la traînée de salive qui galopait le long de ma colonne vertébrale. Je devais avoir l’air complètement idiot ainsi et plusieurs enfants se donnèrent des coups de coude en me regardant. Enfin j’atteignis le glaviot, au milieu de mon dos. Je frottai afin de sécher l’affront complètement, tirai la langue à mes spectateurs étonnés et me dirigeai vers le préau. J’espérais bien récupérer les billes perdues la veille.
C’est en classe que je me rendis compte que ce qui m’arrivait était tout simplement fascinant. Un groupe voulait nous enlever, moi et ma sœur ! Ma mère était victime d’un chantage ! J’avais l’impression d’assister à un épisode de Dallas ou de Dynastie, sauf que dans le rôle de la blonde effarouchée, c’était moi, avec mes cheveux entrain de pousser, mes lunettes et mes appareils dentaires. J’étais étrangement silencieuse. Mes camarades babillaient, comme d’habitude mais je ne les entendais pas. Je ne les voyais pas, je flottais, mon stylo entre les dents. J’étais devenue mystérieuse, semblable à Candy lorsqu’elle venait de voir Terry pour la première fois. Tout me regardait, les ombres dans les placards, le ciel orageux, une image dans le livre d’histoire. Dehors, des oiseaux murmuraient des présages que j’étais seule à entendre, des signes m’informaient minute après minute du déroulement futur des événements.
Pendant ce temps, ma mère prenait les choses en mains. Elle profitait de sa journée de congé pour aller voir les gendarmes et leur montrer la lettre anonyme. Ceux-ci venait de raccompagner un jeune couple qui habitait dans l’allée A des Rousses et qui avaient eux aussi reçu une lettre de menaces. Ils soupçonnaient une femme de leur immeuble avec qui ils avaient eu une dispute assez aigre quelques jours avant : madame Desrochers, était enceinte et mère d’une petite fille de deux ans qu’elle gardait à la maison. On la voyait parfois, dans le parc des Rousses, élaborant dans le bac à sable, des châteaux à créneaux que son enfant détruisait avec des cris gutturaux. Elle cachait son ventre sous des robes amples à imprimés grotesques. Rien ne semblait animer son visage hagard. Ni les pépiements de sa fille, ni la promesse qui poussait à l’intérieur de son ventre. Ma mère soupira. Cette femme était aussi menaçante qu’une poupée de baudruche… On avait juste envie de lui raconter une bonne blague pour la dérider.
De retour dans l’immeuble, ma mère alla interroger les concierges qui logeaient au rez-de-chaussée ; elle apprit que, la veille, madame Desrochers était venue leur poser une question anodine. C’est à ce moment là qu’elle avait dû glisser la lettre dans notre boîte.
Les gendarmes avaient dit à ma mère d’attendre que la personne nous recontacte.
Nous attendîmes une semaine entière. Rongée d’angoisse, ma mère se disait que peut-être les choses allaient en rester là et que finalement ce serait le pire. Ne pas savoir avec certitude, qui était à l’origine du chantage.
Faudrait-il déménager, fuir ? Ou accepter de vivre, dans la crainte que le retour de nos habitudes décontractées, soit le signal de notre malheur ?
« Lâche-moi Delphine, ordonnai-je. Sinon, je raconterai tout à ta mère ! »
La fillette me maintint quelques minutes en silence. Je commençais à penser qu’elle était peut-être de mèche avec le groupe qui voulait nous enlever quand sa réponse me parvint : dégoulinant, plus éloquent qu’un long discours, le crachat fut propulsé entre mes couettes, à la racine de mes cheveux. RAAAAAA SPLACH ! Je le sentis dévaler ma nuque et glisser à l’intérieur de mon chemisier.
« Ca t’apprendra à me piquer ma poupée ! vociféra Delphine. »
Elle s’éloigna calmement.
J’aurais pu la poursuivre mais je préférai taper dans mon dos afin d’écraser la traînée de salive qui galopait le long de ma colonne vertébrale. Je devais avoir l’air complètement idiot ainsi et plusieurs enfants se donnèrent des coups de coude en me regardant. Enfin j’atteignis le glaviot, au milieu de mon dos. Je frottai afin de sécher l’affront complètement, tirai la langue à mes spectateurs étonnés et me dirigeai vers le préau. J’espérais bien récupérer les billes perdues la veille.
C’est en classe que je me rendis compte que ce qui m’arrivait était tout simplement fascinant. Un groupe voulait nous enlever, moi et ma sœur ! Ma mère était victime d’un chantage ! J’avais l’impression d’assister à un épisode de Dallas ou de Dynastie, sauf que dans le rôle de la blonde effarouchée, c’était moi, avec mes cheveux entrain de pousser, mes lunettes et mes appareils dentaires. J’étais étrangement silencieuse. Mes camarades babillaient, comme d’habitude mais je ne les entendais pas. Je ne les voyais pas, je flottais, mon stylo entre les dents. J’étais devenue mystérieuse, semblable à Candy lorsqu’elle venait de voir Terry pour la première fois. Tout me regardait, les ombres dans les placards, le ciel orageux, une image dans le livre d’histoire. Dehors, des oiseaux murmuraient des présages que j’étais seule à entendre, des signes m’informaient minute après minute du déroulement futur des événements.
Pendant ce temps, ma mère prenait les choses en mains. Elle profitait de sa journée de congé pour aller voir les gendarmes et leur montrer la lettre anonyme. Ceux-ci venait de raccompagner un jeune couple qui habitait dans l’allée A des Rousses et qui avaient eux aussi reçu une lettre de menaces. Ils soupçonnaient une femme de leur immeuble avec qui ils avaient eu une dispute assez aigre quelques jours avant : madame Desrochers, était enceinte et mère d’une petite fille de deux ans qu’elle gardait à la maison. On la voyait parfois, dans le parc des Rousses, élaborant dans le bac à sable, des châteaux à créneaux que son enfant détruisait avec des cris gutturaux. Elle cachait son ventre sous des robes amples à imprimés grotesques. Rien ne semblait animer son visage hagard. Ni les pépiements de sa fille, ni la promesse qui poussait à l’intérieur de son ventre. Ma mère soupira. Cette femme était aussi menaçante qu’une poupée de baudruche… On avait juste envie de lui raconter une bonne blague pour la dérider.
De retour dans l’immeuble, ma mère alla interroger les concierges qui logeaient au rez-de-chaussée ; elle apprit que, la veille, madame Desrochers était venue leur poser une question anodine. C’est à ce moment là qu’elle avait dû glisser la lettre dans notre boîte.
Les gendarmes avaient dit à ma mère d’attendre que la personne nous recontacte.
Nous attendîmes une semaine entière. Rongée d’angoisse, ma mère se disait que peut-être les choses allaient en rester là et que finalement ce serait le pire. Ne pas savoir avec certitude, qui était à l’origine du chantage.
Faudrait-il déménager, fuir ? Ou accepter de vivre, dans la crainte que le retour de nos habitudes décontractées, soit le signal de notre malheur ?
(A suivre...)
Illustration : Karen Preston
8 commentaires:
Prem'z ; rien à dire parce que 1 ; c'est du tonnerre ; 2 ; ta suite forme vraiment une unité...et que j'attends donc ce qui va venir...
Juste une question, as-tu écris ces textes les uns après les autres ou est-ce que les écris au fil du temps (parce que c'est très dur d'arriver à l'unité, surtout si on écrit d'autres trucs en même temps...)
Merci Dorham, ton enthousiasme me fait plaisir parce que les jours précédents je me disais justement que j'étais peut-être entrain de m'égarer dans cette série et que j'avais trop développé !
J'ai écrit au fur et à mesure, en fait je n'ai pas énormément de temps pour ça, je n'écris que le soir tard et quelques heures grappillées en semaine lorsque j'ai moins d'élèves que prévu.
Alors je n'écris quasiment rien en dehors de mon blog (d'où sans doute la frustration que j'évoquais il y a peu de temps). Mais je bouillonne d'idées, de projets...
et toi, tu en es où de ton truc ?
Alors là bravo, quelle maîtrise du récit ! La suite nom de Zeus !
De rien, continue...c'est vraiment pas du tout "égaré"...
En ce moment, mon truc bute sur le manque de temps...
Je me suis laissé un peu happé par des trucs sans importance. J'ai une semaine et demi de vacances pour lui refaire une beauté...
Un jour, je t'en enverrai quelque chose, à toi et à ton homme sui fait jamais la vaisselle...
d'ailleurs, j'y pense, ne pas faire la vaisselle peut valoir un chatiment à la hauteur des talents d'un Gunther... :-)
Loïs,
Merci merci ! La suite ce soir (pour une fois elle est déjà écrite) avant de sortir dîner...
Dorham,
Mais toi aussi tu es tout le temps en vacances crénom !
J'ai hâte que tu nous envoies cela... Vraiment !
(Tu te trompes sur mon couple, c'est moi qui ne fait jamais la vaisselle ! Oh non, pas Gunther !!)
Ah oui, c'est lui qui fait jamais à manger, je me souviens, il fait de la vaisselle (tout nu) en faisant des cakes au chocolat...
Tel un livre chaque jour une page, une envie de lire encore, une intrigue qui se resserre et qui titille...
pfff, j'adore...!
J'aime bien: "Dehors, des oiseaux murmuraient des présages que j’étais seule à entendre".
En fin de compte, ca fait une chouette nouvelle, tout ca, peut etre au bon format pour Filaplomb, non ?
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