[J'interromps la série en cours pour narrer une scène à laquelle j'ai assisté, tôt ce matin.]
Zacharie venait de se réveiller, une heure avant l'heure habituelle, à cause de ses gencives douloureuses lorsque j'entendis des cris dans la rue. Je ne vais pas automatiquement à la fenêtre dans ces cas là, mais, après un instant, j'ai reconnu la voix profonde, pleine de colère, de la femme-qui-dort-dans-la-rue-en-bas-de-chez-moi. Elle poursuivait un homme. J'ai remarqué qu'elle portait un nouveau manteau, bordé de fausse-fourrure, qui ajoutait encore à l'opulence de sa silhouette et rendait sa colère plus impressionnante encore. L'homme, lui, tenait un balai, brosse tournée vers le ciel et une blouse du bleu des bleus de travail. Il ne lui répondait quasiment pas et continuait d'avancer tandis que, le devançant, elle semblait le provoquer, le heurtant de l'épaule, l'interpellant, cherchant son regard des ses yeux noirs, furibonds. Puis, un mouvement a attiré mon regard, aux portes de l'allée qui fait face à l'entrée de mon immeuble. Une femme de ménage observait la scène, agitée, mécontente. Elle regardait son collègue s'éloigner et je devinais son sentiment d'impuissance à ses soupirs, ses mains sur les hanches, son front courroucé.
Mais tout à coup, elle esquissa un sourire mauvais et surveillant si la femme-qui-dort-dans-la-rue ne revenait pas, elle se servit de son balai pour faire tomber ses couvertures par terre. Ensuite, elle recula et retrouva sa place dans l'embrasure de la porte. Aussitôt je m'élançai sur mon balcon, en chemise de nuit et l'apostrophai. Je lui balançai quelque chose du genre : "Mais ça va pas la tête ?" qui la pétrifia un instant. J'ajoutai "Pourquoi vous vous en prenez à elle ?"
Elle trouva vite une justification brillante :
"Les gens de l'immeuble se plaignent tous les jours.
- Se plaignent, se plaignent de quoi ? C'est une pauvre femme qui a échoué dans la rue et vous mettez ses couvertures par terre parce que vos employeurs se plaignent. Vous n'avez pas honte ?
Là, elle me jeta un regard haineux. Ses lèvres découvrirent ses gencives. Haineuses elle cracha :
- Y'en a marre de la crasse !"
Quelques minutes plus tard, la femme-qui-vit dans-la-rue-en-bas-de-chez-moi revint, le pas lourd. Elle ramassa ses couvertures. Regarda la flaque d'eau dont l'homme de ménage avait aspergé le trottoir au pied de son couchage. Elle s'installa. Laissa, comme d'habitude, ses tongues sur la marche inférieure, s'allongea. Puis, elle saisit sa tête entre ses mains et sanglota.
Plus tard je lui descendis un café qu'elle accepta. Tandis que je tournai le dos, B. qui me guettait, la vit sourire. J'espère l'avoir, un peu, réconfortée.
Illustration : Bobi
Elle trouva vite une justification brillante :
"Les gens de l'immeuble se plaignent tous les jours.
- Se plaignent, se plaignent de quoi ? C'est une pauvre femme qui a échoué dans la rue et vous mettez ses couvertures par terre parce que vos employeurs se plaignent. Vous n'avez pas honte ?
Là, elle me jeta un regard haineux. Ses lèvres découvrirent ses gencives. Haineuses elle cracha :
- Y'en a marre de la crasse !"
Quelques minutes plus tard, la femme-qui-vit dans-la-rue-en-bas-de-chez-moi revint, le pas lourd. Elle ramassa ses couvertures. Regarda la flaque d'eau dont l'homme de ménage avait aspergé le trottoir au pied de son couchage. Elle s'installa. Laissa, comme d'habitude, ses tongues sur la marche inférieure, s'allongea. Puis, elle saisit sa tête entre ses mains et sanglota.
Plus tard je lui descendis un café qu'elle accepta. Tandis que je tournai le dos, B. qui me guettait, la vit sourire. J'espère l'avoir, un peu, réconfortée.
Illustration : Bobi
21 commentaires:
Vu comment tu fais le café, ça m'étonnerait.
Signé : B.
Nicolas,
Le matin c'est B. qui fait le café !
il y aquelques dizaines d'années les concierges et les juifs, maintenant les concierges et les gens-qui-habitent-en-bas-de-chez-nous...
quel joli métier que celui-là !
Bravo, tu as eu raison...
J'ai souvent remarqué que l'employé est pire que son chef!Il est tellement facile de se venger sur plus petit (plus petit en apparence ) des humiliations que l'on subit.
Je suis aussi souvent surprise de l'air hautain avec lequel je suis reçue dans des boutiques de mode par des filles qui sont surement plus pauvre que moi...
"encore le café dégueu de l'autre rousse", elle a dû penser... :)
AUCUN RAPPORT avec le billet, mais : Gaël, à propos de concierge et de juifs, Embruns a fait un billet très fort sur l'occupation, l'arrivée des troupes allemandes à Paris. Tu l'as vu ? c'est ici.
Zoridae c'est la gloire ! tu inspires un z'influent (pas chez wikio, mais z'influent quand même !)
tiens j'vais aller lui mettre un commentaire laconique à la nicolas (j'hésite entre "trés beau billet" et "tu pourrais citer tes sources d'inspiration !")
Je soutiens Geneviève. Notre société est tellement égoîste qu'elle n'arrive même pas regarder l'autre comme un être humain mais somme un miroir qui lui renvoie sa "bonne image". Habiter là où dort une clocharde, ça fait désordre !! C'est pas classe !!!
transmets-lui mes pensées sincères!
On se sent tellement impuissant face à la misère des gens... Un café et après ? Il y a une femme assez agée mais très digne, le genre "qui ne veut pas que ça se sache qu'elle dort dans la rue" qui vit non loin de chez moi. Parfois je lui porte à manger, mais après ?
Ce n'est pas à nous de régler le problème de logement de tous ces gens, mais c'est à nous de demander que ce problème soir réglé en priorité !!
Chloé Clafoutis
Vous portez réellement des chemises de nuit ?
Didier,
Oui, mais pas dessus une affreuse culotte en laine.
Zoridae, je ne sors pas d'une seule lecture de tes textes sans émotion.
Au début du texte j'ai pensé que tu habitais dans mon immeuble. Consolation maigrelette de mon côté : sur le trottoir d'en face il n'y a pas de porte d'immeuble, les SDF y dorment à peu près tranquille. Génial.
Gaël,
Je ne sais pas si c'est le métier qui est responsable de la bêtise mais là, il y en avait à revendre...
Jelaipa,
Raison de quoi ? encore une fois, j'ai fait si peu... Je ne me sens vraiment pas fière. en plus j'ai peur que ça recommence tous les jours. Ou toutes les semaines...
Balmeyer,
Sans commentaire.
Gaël 2,
Demande lui de citer ses sources, c'est plus frais ;)
Christie,
Pourtant notre quartier n'est vraiment pas classe. C'est sûr que c'est dérangeant de la voir tous les jours. Dérangeant parce que l'on se sent impuissants et minables dans notre petit confort... De là à lui jeter des seaux d'eau dessus comme s'il s'agissait de vermines... Pfff ma colère n'est encore pas retombée !
Chloé,
Je sais qu'un café ce n'est rien. Les repas que je lui porte de temps en temps non plus. Mais les sourires que je lui fais et qu'elle me rend, ça c'est important. Pour toutes les deux je crois. Quant à aller plus loin, j'y réfléchis...
Didier Goux,
Ou des pyjamas. Je suis frileuse...
Nicolas,
Non. Mais comment le sais-tu ?
Marie-Geaorges,
Bienvenue ici et merci de ton commentaire !
Le pire c'est qu'elle à quelques mètres de la porte de l'immeuble et que les habitants ne doivent même pas la voir de leur balcon. C'est nous qui la voyons le plus... Tous les matins en ouvrant nos volets, tous les soirs en les fermant... Elle fait partie de notre vie.
Bravo, bravo, bravo.
Les employés de l'administration nazie étaient des gens très efficaces et très dévoués qui pouvaient compter sur la participation de tous les bons citoyens de tous les pays...
Le pire je trouve c'est cet argument :"d'autres se plaignent" comme si cette employée n'avait pas, ne pouvaient pas avoir sa propre pensée, sa propre humanité...
:-)
Tu viens de me faire penser à une dame à qui je faisais du thé dans mon ancien immeuble (parce que le café, moi, sais pas pas faire :-(...) Elle était toujours bien contente. Et puis, elle aimait aussi quand je lui donnais des échantillons de parfum et de rouge à lèvres. Ses yeux brillaient comme une petite fille. Un jour, elle a disparu.
Enfin, je te raconte ça parce que tu m'as fait penser à elle et que ça m'a ému. :-)
Bonne fin d'après-midi et gros bisous !
Azulamine,
Je ne sais pourquoi mais merci !
Filaplomb,
Ce que je trouve de pire moi c'est quand elle a dit "y'en a marre de la crasse" comme s'il fallait éliminer le problème... avec tant de haine et de mépris dans la voix !
Flannie,
Ce qui est dur avec cette dame-là c'est qu'elle est pratiquement toujours dans le refus. Une fois sur deux les repas que je lui porte finissent à la poubelle. Mais j'essayerai les échantillons de parfum, c'est une bonne idée !
La crasse ... comme si on n'avait plus affaire à des humains ... elle balance les sans-papiers aussi, la concierge, je suppose ?
Tu as l'oeuil pour saisir une scène et nous la restituer avec bonheur et émotion. Une grande humanité se dégage de tes phrases. Tu devines les âmes à travers les gestes et les attitudes de ceux que tu dessines.
Tiens, je me rends compte que je n'avais pas répondu à Fiso, pardon Fiso !!! Mais oui, j'ai imaginé la même chose que toi...
Patrick,
Tu es entrain de lire tout mon blog c'est ça ;)
Et moi qui n'ai pas avancé dans le tien... Tu me fiches des complexes !
Merci pour tes beaux mots.
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