lundi 14 janvier 2008

Mélanger l'amour et le travail

Clémentine et Roméo formaient un couple bizarre qui suscitait la controverse. Certains admiraient leur romantisme spécial, d’autres pensaient que cette histoire ne pouvait que mal se terminer.

Ils étaient tous deux cadres moyens dans une petite maison d’édition, la même maison d’édition. Roméo avait traversé plusieurs mois de chômage et Clémentine avait réussi à lui trouver un poste dans son bureau.

Il faut savoir que ça ne correspondait pas vraiment à leur idéal de vie : travailler ensemble, rester ensemble tout le temps. Cependant, ils ne pouvaient vivre avec un seul salaire et, en appréhendant la situation de façon pragmatique ils étaient parvenus à se mettre d’accord pour protéger coûte que coûte leur couple.

Ainsi, dès l’arrivée au bureau de Roméo il a fallu appeler Clémentine Catherine et Roméo Emile. (Ce fut moins dur pour Roméo puisque nous ne le connaissions pas.) Ils faisaient comme s’ils ne se connaissaient pas. Evidemment tout le monde savait qu’ils étaient mari et femme et il fallait réprimer des fous rires lorsque Clémentine- Catherine demandait, avec des airs de conspiratrice : « Il est pas mal cet Emile, ça fait longtemps qu’il est marié ? »
Mais ça devenait parfois malsain quand elle se moquait devant lui de son mari Roméo.

Lui, Emile qui était en vérité Roméo paraissait tout à fait compréhensif et il se vantait devant elle, de façon insidieuse, d’être tout le contraire de son mari. Je m’attendais parfois à la voir sortir de ses gonds, lui dire :
« Mais enfin, ne me fais pas croire que tu fais la vaisselle, ça fait un mois que tu n’as pas mis les pieds dans la cuisine. »
Mais non, elle faisait vraiment comme si elle ne le connaissait pas intimement. Elle lui apportait son café en se tortillant et elle répétait avec des trémolos dans la voix :
« Ah, Emile, si je n’étais pas mariée ! »

Le soir ils ne rentraient jamais ensemble et ne quittaient jamais le bureau à la même heure. De retour chez elle Clémentine se plaignait à son mari de ses collègues qui faisaient mal leur travail, surtout le nouveau qui passait son temps à envoyer des mails à ses copains. Roméo lui racontait, moqueur, qu’une horreur de bonne femme le draguait au travail. Elle lui posait des questions, un peu jalouse quand même :
« A quoi elle ressemble ? Tu es sûre qu’elle ne te plait pas ? »

Mais bientôt eurent lieu les premiers accrocs. Ils étaient fatigués et ils s’emmêlaient un peu les pinceaux. Un jour que Clémentine disait du mal de son collègue Emile, Roméo se mit à hurler :
« Mais lâche- le ce pauvre mec. Qu’est-ce t’en sais qu’il ne travaille pas d’abord ? Moi aussi j’envoie des mails à mes potes et ça ne m’empêche pas de bosser. En fait je suis sûr qu’il te plait. Tu aimerais bien te le faire mais tu peux pas parce que t’es mariée connasse, hein, ça te fout les boules ça, t’es frustrée et tu peux pas en parler, hein ? Je parie que tu lui fais des cafés et que tu tortilles du cul chaque fois que tu lui tournes le dos, c’est comme si je te voyais. Alors tu râles, tu te plains de lui, c’est une façon de parler de lui hein ? »

Il lui tenait le menton violemment. Elle pleurait. Mais cette dispute la libéra de lui. Le lendemain elle disparut un bon quart d’heure aux toilettes avec Emile.

Elle avait entamé une relation extraconjugale.

De son côté Roméo n’était pas très net non plus. Il avait cédé aux avances de sa collègue Catherine. Ils se retrouvèrent tard le soir et de plus en plus tard les soirs suivants. Puis vint le week-end. Clémentine allait mettre le linge sale dans la machine à laver lorsqu’elle aperçut une tache de rouge à lèvres près de la braguette de son mari.

« Roméo, hurla-t-elle, qu’est-ce que c’est que ça ? »
La scène fut violente. Elle cassait tout ce qui lui tombait sous la main, elle le griffait, le mordait.
« Tu as cédé, tu as cédé, salaud, je croyais qu’elle ne te plaisait pas, qu’elle avait l’air trop conne ? Je croyais que les histoires de cul ne t’intéressaient pas. »

Il essaya de se justifier, en vain, il s’excusa, à genoux. Leur appartement était un vrai désastre. Leurs vêtements étaient en lambeaux, ils reniflaient, épuisés, haletants.
« Je m’en fous ânonnait Clémentine, je m’en fous, je m’en fous. »

Il était allongé sur le dos, les joues rougies par les larmes.
Elle répétait :
« Je m’en fous, je m’en fous. »

Soudain elle se redressa, comme une folle :
« Tu sais pourquoi je m’en fous, mais alors comme je m’en fous, tu sais pourquoi je m’en cogne, je m’en balance, je m’en tape ? Tu sais pourquoi ? »
Roméo secoua la tête.
« Parce que, parce que (elle était prise de fou rire) parce que je… parce que je suce Emile ! Je le suce tous les matins, dans les toilettes du bureau, je le pompe de toutes mes forces, voilà pourquoi je m’en fous que tu couches avec une poufiasse de ton bureau, voilà pourquoi… Parce que je suce Emile. »

Elle se marrait comme une truie, elle ronflait et grognait et elle ne vit pas de quelles façons Roméo la regardait.

Le lendemain on retrouva leurs corps baignant dans le sang. Roméo avait poignardé Clémentine puis il s’était tranché les veines.

Emile et Catherine ne revinrent jamais au bureau. On ne parla que de ça pendant une semaine. Certains pensaient qu’ils avaient fui ensemble en abandonnant leurs époux respectifs, d’autres secouaient la tête sans croire à un dénouement positif. Au bout d’une semaine on n’en parla plus du tout.

23 commentaires:

Nicolas Jégou a dit…

C'est affreux : on y croit.

Nicolas Jégou a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Anonyme a dit…

surréaliste
et quelque peu troublant
j'adore!

Anonyme a dit…

c'est sympa, on peut choisir la couleur du fond
tiens, je vais le relire dans chaque couleur
peut-être l'effet sera-t-il différent ?

Anonyme a dit…

Un texte extra !

Merci bcps mam'zelle !!!

Ash

Zoridae a dit…

Nicolas,

Mais c'est vrai !

Frisaplat,

Merci...
Je suis ravie que quelqu'un remarque la possiblité de changer le fond ! Qu'en dis-tu ? Lequel préfères-tu ?

Ash,

Je vous en pris cher monsieur ;)

nj a dit…

1) en blanc c mieux^^
2) on est dedans à fond
3) je bosse avec mon mec...

Nicolas Jégou a dit…

Je confirme : en blanc, c'est mieux, mais en noir, la colonne de droite est mieux lisible (en gris, elle est totalement illisible).

nea,
Tu veux dire que tu blogues avec ton mec ?

nj a dit…

@nicolas : déconne pas, je ne fais pas de billets depuis le taff moi^^

Nicolas Jégou a dit…

Non mais tu commentes !

Anonyme a dit…

waouh !!
Troublant, poignant, palpitant... à la limite du surréalisme.

et pis tu écris très bien.

(et je préfère en blanc... ^^)

Zoridae a dit…

nea,

1)ok, je vais peaufiner...
2)Cool !
3)Faites gaffe quand même !

nicolas,
T'inquiète, je vais faire ça mieux...

J'ai été inspirée par vos conseils de blogage...

Yelka, Merci pour les compliments et merci pour l'avis.

Balmeyer a dit…

Le blanc est très chouette en effet ! :)

Bloguer.. euh .. bosser avec son mec, quelle idée.

nj a dit…

@balmeyer : t'as raison, je vais le lourder^^

Balmeyer a dit…

@nea : bien dit !

(je ne pensais pas avoir cette influence, mais bon, faut un début à tout).

(pardon monsieur neo)

nj a dit…

@balmeyer : te voila influenceur^^

Balmeyer a dit…

Je fais une bannière "brisons le couple de nea ?" :)

Sinon, pour en revenir au texte, il est très beau et étrange, je me réjouis que tu nous dévoile un peu de fiction...

boronali a dit…

Un milieu vicié, l'Edition ...

Christie a dit…

J'aime bien le blanc, c'est virginal ! Ce texte est très beau et prouve bien qu'on ne se connait jamais vraiment , ni soi-même , ni les autres. c'est très impressionnant mais plus courant qu'on ne le crois.AH! Les fonds de l'âme humaines !

Anonyme a dit…

merci pour ton passage chez moi...
mince...quel suspense!
du réalisme surréaliste
très bien mené aussi!

Zoridae a dit…

Balmeyer,

Arrête de briser des couples sur mon blog !
(Merci pour les louanges)

nea,

ne te laisse pas impressionner par les arguments excessifs de Balmeyer

Boronali,

Comme tous les milieux non ?

mc,

Virginal ? Alors je vais peut-être repasser au noir.
Je plaisante...
Contente que ce texte t'ait parlé..

Coumarine,

Merci des compliments, j'en suis très touchée car je te lis depuis un moment et j'adore...

Anonyme a dit…

J'ai beaucoup aimé ce texte.
Je crois que par certains aspects il me rappelle le recueil de nouvelles "Le passe-muraille" de Marcel Aymé. Il y a une nouvelle où l'héroïne a le don d'ubiquité et ça se termine mal, aussi...

Zoridae a dit…

Sérénissime,

Bienvenue et merci pour ton message : je relirai Marcel Aymé dès que possible ;)