vendredi 11 janvier 2008

La peur

Hier soir, je me glissai, vacillante, entre les personnes agrippées aux barres métalliques, je franchis la barrière cagneuse de genoux récalcitrants et je m'assis sur un siège dans un wagon de la ligne 4.

Le but atteint, j'entrepris de dénicher dans mon sac, en tirai mon carnet rouge et mon stylo.
Je débouchai le stylo, enfonçai le capuchon au bout opposé à la mine, j'ouvris mon carnet, dont j'avais retourné la couverture afin de casser la tranche. Enfin, je posai le stylo, contre ma bouche, cherchant la phrase que j'avais élaborée, en attendant sur le quai, et je levai les yeux, perdue dans mes pensées.

A côté de moi, une jeune fille blonde tripotait son téléphone portable. Un face d'elle, une femme brune se détourna lorsque nos regards se rencontrèrent. Je tournai la tête, vaguement, déroulant le fil d'une idée et je remarquai d'un coup l'homme dont les jambes frôlaient les miennes, faute de place.

Maladroitement, je tentai de dissimuler mon choc derrière une toux ridicule.

La peur fit trembler mes mains et flancher ma raison. Je plongeai aussitôt entre les pages blanches de mon carnet neuf, tentant de griffonner n'importe quoi.

Mon visage s'était empourpré et je le sentais brûler sous les mèches de cheveux que je laissai glisser devant lui comme un volet. Mes bras se hérissaient à mesure que coulait dans mes veines un sang chargé d'adrénaline. Mon instinct me disait de fuir, j'avais envie d'appeler à l'aide, de descendre à la station suivante. En même temps j'étais pétrifiée et je me retenais de respirer afin de lui être invisible.

Pourtant, lorsque je me redressai, en fermant le carnet d'un claquement feutré, je vis qu'il me regardait. Ses poings, posées sur ses cuisses massives étaient serrés si fort, que les jointures en devenaient blanches. Ses dents crissaient, les unes contre les autres et ses joues semblaient battre comme un coeur. Une moue belliqueuse exposait une lèvre violacée, tordue de mépris. Son gros nez se retroussait et je distinguai, dans l'âtre de son haleine vineuse, des dents carnassières aux contours ébréchés. Ses yeux, minuscules, enfoncés violemment dans le visage boursoufflé paraissaient ne briller que pour haïr.

Je ne le connaissais pas mais je n'avais jamais eu autant peur que devant cet homme là. Je l'imaginai me sauter dessus et me bourrer de coups. J'imaginais qu'il pouvait me tuer, comme ça, gratuitement, juste parce qu'il bouillait de haine.

Lorsqu'il se leva, que ses genoux, heurtèrent les miens je gardai la tête baissée. Mon front était fièvreux et mon crâne lourd comme une pierre. Soudain, une lueur sur sa main attira mon attention.

Cet homme portait une alliance.

Il rentrait à la maison.

11 commentaires:

Nicolas Jégou a dit…

Fallait pas t'inquiéter, il voulait juste te sauter.

nj a dit…

tant qu'il ne voulait que te bourrer.. de coups^^

Anonyme a dit…

Je compatis... "la peur est un vilain défaut" ?? :-) Un défaut naturel, en tout cas... ;-)
Très beau texte !

Zoridae a dit…

nea, Nicolas,

Cet homme c'était la personnification de la haine.
La concupiscence implique encore trop de douceur pour lui...

Poumok,

Merci ;)

Anonyme a dit…

Pessimiste , cette vision du retour à la maison...

Christie a dit…

J'ai déjà ressenti cette sensation, surtout dans le métro . c'est un endroit où la proximité peut-être révélatrice de toutes nos pulsions , sentiments .. Une onde de choc. C'est un endroit de passage , anonyme , alors on peut vite dépasser les limites ou se sentir dépassé. J'ai souvent marché plutôt que de prendre le métro , chaque fois que j'ai pu , bien sûr.

Anonyme a dit…

J'aime bien cette image du carnet sur les genoux pour les notes avec autour la foule et le bruit. Je découvre ton blog avaec plaisir. A bientôt.

claude a dit…

Ben, dis! c'est pas sur ma ligne(la 1) qu'on rentrerait des spécimens pareils
c'était peut être le petit frère à Frankenstein, non?

Zoridae a dit…

indelocalisable,

Effectivement.

mc,
Hélas, j'allais trop loin, en trop peu de temps pour pouvoir le faire à pieds...

marc,
J'en suis ravie :)
A bientôt alors !

claude,
malheureusement il existe vraiment...

indigo a dit…

c'est drôle les films qu'on se fait... si ça se trouve c'était un homme qui savait qu'une fois rentré il allait se faire dérouillé, comme tous les soirs par sa femme...
qui sait...?

Zoridae a dit…

Indigo,
Puet-être... Il bouillait de rage et d'impuissance alors ? Oui comme ça il me fait moins peur. Merci.