Embrassant mon fils pour lui souhaiter bonne nuit, serrant contre moi son petit
corps chaud, passant la main dans ses bouclettes blondes, j'ai réalisé à quel
point certaines journées se constituent d'une foule d'actes plus intenses les
uns que les autres : aujourd'hui j'ai fait deux trois choses comme s'il s'était
agi de mes derniers actes sur terre, d'autres sans aucune utilité. Je me sens,
quelques heures avant d’aller me coucher, assez lasse.
Ce matin, ce fut la joie
du petit déjeuner avec B. avant qu'il ne parte au travail :
" Allez, prends
encore un petit café !
- Mais je vais arriver trop tard au travail encore !
-
Bon ben tant pis alors... je vais m’en resservir un que je boirai toute seule,
jusqu’à la lie.
- Pfff... Ressers-moi donc un café !
- Je te fais aussi une
petite tartine ?"
Pendant quelques heures, un peu plus tard, j’ai participé aux
jeux de Zozo, fait rouler les voitures et camions tout autour du canapé, me suis
ébahie du fait que la voiture se coince systématiquement sur la barrière. Toutes
les cinq minutes je fredonnais le refrain de cette chanson qui tourne en boucle
dans ma tête : La chanson du dimanche - Bonne humeur.
Et Zozo assenait, d'un ton
péremptoire :
"Non Maman, pas chanter !"
Nous riions comme des fous. Un peu plus
tard je commençai, mine de rien, un chant de Noël :
"Les anges dan-ans les
campagnes, ont entonné l'hy-hymne des cieux". Zozo me regarda, bouche bée, yeux
brillants puis il murmura, l’air émerveillé : "Maman elle chante bien !".
Au
moment où je me jetai sur lui pour le couvrir de bisous, les larmes aux yeux, il
se reprit et, coquin, ajouta : "Mais Maman, non, pas chanter !"
Nous re-rîmes
comme des fous.
Au retour de chez Urszula, où je venais de déposer mon fils, les
mains glissées dans les manches de mon manteau, marchant un peu courbée pour ne
pas affronter la bise glaciale de plein fouet, je pensai soudain à la
femme-qui-dort-dans-la-rue-en-bas-de-chez-moi. Hier soir, je l'avais surprise
entrain de lire une revue à la lumière d'un lampadaire. Elle semblait contente
de lire et cela m'avait émue violemment.Penchée en avant, elle orientait le
papier de différentes façons, cherchant l’angle pour qu’il ne brille ni ne soit
dans l’ombre. Comme moi, le soir, à la lumière de ma lampe de chevet.J'avais
aussitôt passé mentalement en revue les livres de ma bibliothèque, cherchant un
titre susceptible de lui plaire, un sujet qui pourrait faire bouger quelque
chose en elle, ouvrir cette porte qu'elle a fermé, laisser entrer un peu de
lumière.Passant devant un restau vietnamien ouvert depuis peu, ayant dans mon
portefeuille une heure de cours bien payée de la veille, je décidai de lui
offrir un repas chaud et équilibré.
Pendant le trajet jusqu’à elle, je me
préparai, un peu angoissée, à l’affronter, à entendre son refus et me tançai
vertement à l'idée de repartir avec mon petit paquet, comme la dernière fois. Au
pire, pensai-je, je le poserai par terre, à côté d'elle. J'arrivai à côté de son
installation, la gorge serrée par l'appréhension. Elle n'était pas là. J'en
sursautai presque de soulagement. Je posai le sac sur les couvertures grises,
ajoutai les lingettes que je gardais pour elle depuis quelques temps et repartis
en hâte.
A peine débarrassée de mon manteau, je me mis à la fenêtre pour la
guetter. Je la vis revenir au bout d’une dizaine de minutes, clopinant, de la
démarche vacillante du malade, à l’hôpital, qui fait ses premiers pas après être
resté alité longtemps, et je réalisai que je ne l’avais jamais vue marcher
auparavant. Elle sourit en voyant le paquet puis le repoussa à l'autre bout de
son matelas. Elle s'installa, prenant son temps pour fermer son sac de couchage,
ramener son châle sur ses épaules. Je maugréais, un peu inquiète, "regarde dans
le sac, s'il te plaît, c'est entrain de refroidir !"
Enfin, elle saisit le papier
blanc, le ramena sur ses genoux et l’entrouvrit, regarda à l’intérieur. Son
visage s'illumina et le mien comme en son miroir. Je me servis une assiette et
je mangeai, installée sur un accoudoir de mon canapé, la regardant. Elle
conversait, les yeux écarquillés et je lui répondais, les yeux embués. Sa joie
me transportait. Elle mâcha lentement, la moitié du riz, un peu de poulet et
remballa le reste. A la fin, elle s'essuya les mains et le visage,
soigneusement, avec une lingette. Puis elle sortit d'un sac en plastique noir
deux grosses canettes de 1664. Elle s'allongea à demi pour siroter sa boisson.
Je m’assis devant l’ordinateur. Le bureau, délicatement rosé, était maculé de
traces de feutre indélébile - œuvre non effaçable d’un artiste de deux ans. Sous
mes yeux, une pompe à essence en bois, partie escamotable du garage que nous lui
avons offert pour son anniversaire, des fils USB, une paire de chaussettes,
ôtées hier soir avant le bain, des tubes d’homéopathie, un flacon de parfum au
miel, du sérum physiologique, des papiers urgents à renvoyer, ou nécessitant
réponse, quelques nouvelles de Filaplomb et mon petit carnet noir, fermé par un
élastique.
Il me restait une paire d'heure pour écrire la suite de mon Conte de
Noël.Pour me mettre en train, je consultai mes mails. J’avais deux nouveaux
commentaires, l’un de Dom, l’autre de MC. Ils me bouleversèrent et j’éprouvai le
besoin de me changer les idées. Ctrrl t, j'ouvris une nouvelle fenêtre :
www.google.com/analytics/, ".." lecteurs à 14 heures.
J’entonnai, ironique :
"T'as pas perdu ta bonne humeur-meur-meur-meur-meur"
Je me dis c'est peut-être
parce que je ne réponds pas assez promptement aux commentaires...
Je décidai d'y
répondre. Dom : Merci… J’écris toujours merci, pensai-je en me mordant les
lèvres ! Oui mais que dire d’autre ? C'est ce que je ressens après tout : de la
gratitude ! Je suis tellement touchée lorsque je reçois des éloges, lorsque mes
lecteurs me font partager, en retour, un moment de leur vie, un état de leur
âme, une émotion ressentie à me lire, un souvenir à eux, retrouvé entre mes
lignes, une voix qui leur évoque une autre voix, aimée. Je sentis le besoin de
faire autre chose avant d’achever ma réponse aux commentaires.
Ctrrl t, j'ouvris
mon Netvibe.Je parcourus quelques billets, hésitai à poster des commentaires.
Non. Il faut que je continue mon conte, me morigénai-je. Plutôt." Allez, je
décidai de m'y remettre. Cette fois je me connectai à Blogger. J'ouvris les
derniers messages, cliquai sur "Le sapin 2", modifier.
Je relus ce que j'avais
écrit la veille. Cela me parut un peu court ; j'ôtai un adjectif, le remplaçai
par un autre. Substituai un passé simple à un imparfait, plus poignant. Cinq
minutes plus tard, je relus et rétablis l'adjectif qui était là initialement.
J'ajoutai une phrase. L'écriture est pour moi, parfois, un sac de nœuds,
songeai-je.
Thunderbird, rafraîchir, il n'y a pas de nouveaux messages sur ce
serveur. Je cliquai pour ouvrir, de nouveau, mes 4 commentaires. Celui de
Frisaplat, ce matin m'avait fait bondir d'enthousiasme. Galvanisée, j'avais eu
hâte d'en démordre avec la suite du Sapin dont les grandes lignes étaient déjà
tracées dans ma tête. Puis je relus ma réponse à Frisaplat. Il y avait une
répétition. Je déteste les répétitions, surtout lorsqu'elles sont de mon
fait.
"T'as pas perdu ta bonne humeur-meur-meur-meur-meur"Besoin de faire une
pause. Je cliquai sur l'onglet de Thunderbird Rafraîchir. Il n'y a pas de
nouveaux messages sur ce serveur.
Finalement, après un café, je me lançai,
j'écrivis sans relire. J'enchaînais j'avançais, ma tête chauffait. Ma fenêtre
Gtalk clignotait de 1000 feux et je l’ignorai. Puis je tapai juste :
"Peux-tu me
laisser un peu, j'écris là, en fait ?
B. me répondit : - OK je vais déjeuner
alors.
Moi, paniquée : - Quoi ? Tu es fâché ?
Lui : - Ben non, je comprends,
écris bien".
Je me sentis rassurée et clamai allègrement : "T'as pas perdu ta
bonne humeur-meur-meur-meur-meur".
Il me restait moins d’une heure et je n’avais
pas entamé l’épisode principal.
Gtalk, moi : t’es là ?
B. : Oui, je mange. Tu as
fini ?
Moi : Hum bof.
B. : Tu vas publier ?
Moi : Pas maintenant, je dois me
préparer et partir.
B. : Dommage !
Moi : J’y vais… Dis ?
B. : Quoi ?
Moi : Tu
pourras me laisser l’ordinateur ce soir, il faut absolument que j’arrive à
publier cette suite ?
Après quelques heures de cours, deux voyages en métro
passés à griffonner dans mon carnet, je suis, cette fois, assise devant le
portable, celui qui n'a ni connexion internet, ni gadget, juste Word et cie.
"Que fais-tu me demande B. ?
- Chut, j'écris !"