jeudi 13 décembre 2007

Le sapin (2) - Conte de Noël

Le sapin s’était étonné, sans vraiment le remarquer, qu’un silence particulier se soit installé dans la forêt quelques minutes auparavant. Mais lui-même somnolait, se balançant dans le souffle léger du printemps, indolent, grisé par l’éclosion de ses nombreux bourgeons.

Il balayait l'air, de ses bras lourds, un peu plus robustes ; de temps en temps, une abeille le frôlait en bourdonnant ; une grive ondulait entre les branches d'un hêtre, fourrant dans le bec ouvert de ses petits pépiant, des mouches, des vers, quelques baies ; le sapin regardait sans voir, bercé par le ballet incessant de la nature autour de lui.

Soudain une voix grave se fit entendre à quelques mètres de lui et le sapin se figea.
Quelque chose vibra en lui. C'était la première voix qu'il entendait depuis qu'il était sapin, mais il lui sembla la reconnaître au plus profond de son être. Oui, frissonna-t-il, si je pouvais parler, il me semble que ce serait avec cette voix-là.

" Regarde celui-ci, dit l’homme en le désignant, on dirait qu’il tend les bras vers quelque chose… "

Un peu en arrière se tenait une enfant aux cheveux longs, petite et gracieuse comme une Impatience. Elle semblait faire exprès de se tenir derrière son père, ralentissant lorsqu'il s'arrêtait pour l'attendre, traînant des pieds ostensiblement, arrachant au passage, d'une main rageuse, les feuilles et les herbes qui lui chatouillaient les mollets.
Elle ne tourna pas la tête pour regarder le sapin, préférant fixer un point sur l'un de ses bras nu.

" Je m’en fiche, rends-moi ma Nintendo maintenant… Quand est-ce qu’on rentre ? J’en ai marre de marcher. Si au moins tu m’avais emmenée au zoo, mais là pffff il n'y a rien à voir ! Et puis j'ai faim ! "

L'homme s'assit au pied du sapin, il soupira. Un instant, il se prit la tête entre les mains et sa fille qui se retourna et le vit dans cette position, eut soudain l'air gêné. Elle fit claquer sa langue dans sa bouche, se rongea un ongle, regarda le ciel.
Lippue, les sourcils froncés, Léa distribua quelques coups de pieds qui firent voltiger des mottes de terre autour d'elle.

"Si tu sais pas quoi faire avec moi, t'as qu'à me laisser chez Maman, je suis sûre que ça la dérangerait pas, dit elle en guise de consolation."

Paul ne répondit pas. Il toussa pour chasser un sanglot. Sa gorge le serrait, son coeur battait la chamade. Il fouilla dans sa poche, en tira deux objets rectangulaire. Il posa le premier dans l'herbe à côté de lui et tira une cigarette du second. L'odeur de la fumée donna le tournis au sapin qui savourait l'expérience béatement. Léa se précipita sur le jeu qu'elle ouvrit et qui émit aussitôt une série de bip bip lancinants. Les oiseaux se remirent à chanter et la forêt s'agita. La fillette s'installa de l'autre côté du sapin.

En même temps que Paul mais dos à lui, elle s'adossa contre le tronc.

Alors le sapin comprit Paul. Et il comprit Léa.

C'était comme si, tout à coup, le père et sa fille s'adressaient à lui et lui ouvraient leur âme. Au début ce fut un flot de mots et de sentiments qui déboulait en vagues furibondes, puis, peu à peu, le rythme de leurs confessions sembla ralentir et leurs émotions s'apaiser. La fillette se tourna vers son père et lui, la sentant se rapprocher, la regarda à son tour.
Elle lui tendit les bras avec une moue enfantine qu'il n'avait pas aperçu sur son visage depuis des années, et se mit à pleurer.

Elle s'affaissa contre le torse de son père et hurla son chagrin pendant quelques minutes, griffant avec ses poings le sol parsemés d'aiguilles. Le sapin, paniqué, se demandait ce qu'il pouvait faire.

Paul attendit que Léa se calme. Il passait la main, tendrement dans sa chevelure à l'odeur de fleur d'oranger. Malheureux de la voir dans cet état, il savourait le fait de la tenir dans ses bras et il soufflait du bout des lèvres de petits "chut, chut" qui lui rappelaient le temps où elle n'était qu'un nourrisson.

Enfin, il se mit à parler. Assis contre le sapin, son enfant dans les bras, il trouva les mots qu'il ne s'était pas dit à lui-même, il donna un sens à ce qu'il ne comprenait pas auparavant.

Il expliqua à sa fille, les liens, qui dans un couple, se défont un à un tandis que certains se resserrent à en devenir étouffants.

"A un moment, ta mère et moi avons emprunté des chemins différents. Ces chemins nous éloignaient l'un de l'autre mais pas trop. On se voyait encore si l'on se retournait. On s'entendait, il suffisait pour se parler, d'élever un peu plus la voix. Nous pouvions rebrousser chemin facilement mais nous n'en éprouvions pas le besoin. Au fil des années, les kilomètres se sont allongés, les intersections multipliées. Pour nous retrouver, c'était de plus en plus compliqué et cela créait plus de difficultés qu'autre chose. Aujourd'hui nous avons changé. Nous ne sommes plus les mêmes personnes que lorsque nous sommes tombés amoureux.
- Mais pourquoi vous n'avez pas fait plus attention, s'insurgea la fillette ?
- Parce qu'on ne se méfiait pas Léa. Et puis, on ne peut pas faire attention à tout, il y a la fatigue, les habitudes qui créent un ronron trompeur... Mais il y a une chose qui ne changera jamais, en revanche, c'est l'amour que nous avons pour toi. Et dans cet amour qui nous porte tous les deux vers toi, se perpétue, d'une certaine façon, celui que nous avions l'un pour l'autre, autrefois."

Paul lui parla alors des mondes parallèles. Le sapin, se penchait tellement pour ne pas en perdre une bribe, qu'il faillit caresser le front de Paul avec l'une de ses branches.

"Oui, je me souviens, dans La Plage, Leo di Caprio en parlait, ça faisait un peu discours de dragueur, renfila Léa, qui s'était redressée mais se tenait toujours contre son père.
- Et bien parfois, moi, j'y crois. Je crois que, dans une autre dimension, sous un autre ciel, aussi clair que celui-ci, ta mère et moi nous nous aimons encore et nous vivons tous les trois."

Tout à coup, dans le ciel encore bleu un éclair claqua.
Le sapin, sentit que sa cime était malmenée depuis quelques minutes par une bise sifflante, annonciatrice d'une averse imminente.
Ils vont partir pensa-t-il et il souhaita que le ciel devenu noir dissimule ses pleurs au regard de ses congénères.

Mais Paul et Léa n'avaient pas encore envie de bouger. Sans se concerter et sans échanger un mot de plus, ils se tinrent contre le sapin, à l'abri de ses branches, qu'il tenait bien serrées au-dessus d'eux, et regardèrent l'averse s'abattre sur la forêt.

Dans les gouttes d'eau qui frappaient le sol sec avec tant de violence qu'elles rebondissaient, explosant en pilliers de fragments, dans la clameur des éclairs de chaleur, dans le raclement belliqueux du tonnerre, ils voyaient la destruction qui avait affecté leurs vies récemment.

Cependant, dans la chaleur qu'ils se communiquaient l'un à l'autre, dans l'amour que dégageaient leurs caresses et dans l'abri que leur offrait le sapin, ils devinaient que tout espoir n'était pas perdu.

A suivre...

4 commentaires:

Anonyme a dit…

petit sapin , cœur vaillant !
tu m'arraches les larmes dès la matin
comme tu racontes bien les histoires;
on aimerait redevenir petit et t'écouter raconter ...
bonne journée

Balmeyer a dit…

Beaucoup d'humanité dans cette suite...

Christie a dit…

Le monde vivant forme un tout et parfois , il suffit d'être entouré de nature quand tout nous lâche et puis , cela suffit.. Une odeur de frais , une couleur , un paysage et l'on oublie que c'est difficile. Dame Nature est bon médecin, parfois guérisseuse de nos âmes en perdition

Zoridae a dit…

@Tous ! Merci et désolée de ne pas vous avoir répondu plus tôt ! La fin de semaine a été chargée mais j'ai tout de même lu vos réflexions au fur et à mesure et elles m'ont tenu chaud en ce début d'hiver...