jeudi 13 décembre 2007

Ecrire, dit-elle

Embrassant mon fils pour lui souhaiter bonne nuit, serrant contre moi son petit corps chaud, passant la main dans ses bouclettes blondes, j'ai réalisé à quel point certaines journées se constituent d'une foule d'actes plus intenses les uns que les autres : aujourd'hui j'ai fait deux trois choses comme s'il s'était agi de mes derniers actes sur terre, d'autres sans aucune utilité. Je me sens, quelques heures avant d’aller me coucher, assez lasse. 


Ce matin, ce fut la joie du petit déjeuner avec B. avant qu'il ne parte au travail : 
" Allez, prends encore un petit café ! 
- Mais je vais arriver trop tard au travail encore ! 
- Bon ben tant pis alors... je vais m’en resservir un que je boirai toute seule, jusqu’à la lie. 
- Pfff... Ressers-moi donc un café ! 
- Je te fais aussi une petite tartine ?" 

Pendant quelques heures, un peu plus tard, j’ai participé aux jeux de Zozo, fait rouler les voitures et camions tout autour du canapé, me suis ébahie du fait que la voiture se coince systématiquement sur la barrière. Toutes les cinq minutes je fredonnais le refrain de cette chanson qui tourne en boucle dans ma tête : La chanson du dimanche - Bonne humeur. 
Et Zozo assenait, d'un ton péremptoire : 
"Non Maman, pas chanter !"
Nous riions comme des fous. Un peu plus tard je commençai, mine de rien, un chant de Noël :
"Les anges dan-ans les campagnes, ont entonné l'hy-hymne des cieux". Zozo me regarda, bouche bée, yeux brillants puis il murmura, l’air émerveillé : "Maman elle chante bien !". 
Au moment où je me jetai sur lui pour le couvrir de bisous, les larmes aux yeux, il se reprit et, coquin, ajouta : "Mais Maman, non, pas chanter !" 
Nous re-rîmes comme des fous. 

Au retour de chez Urszula, où je venais de déposer mon fils, les mains glissées dans les manches de mon manteau, marchant un peu courbée pour ne pas affronter la bise glaciale de plein fouet, je pensai soudain à la femme-qui-dort-dans-la-rue-en-bas-de-chez-moi. Hier soir, je l'avais surprise entrain de lire une revue à la lumière d'un lampadaire. Elle semblait contente de lire et cela m'avait émue violemment.Penchée en avant, elle orientait le papier de différentes façons, cherchant l’angle pour qu’il ne brille ni ne soit dans l’ombre. Comme moi, le soir, à la lumière de ma lampe de chevet.J'avais aussitôt passé mentalement en revue les livres de ma bibliothèque, cherchant un titre susceptible de lui plaire, un sujet qui pourrait faire bouger quelque chose en elle, ouvrir cette porte qu'elle a fermé, laisser entrer un peu de lumière.Passant devant un restau vietnamien ouvert depuis peu, ayant dans mon portefeuille une heure de cours bien payée de la veille, je décidai de lui offrir un repas chaud et équilibré. 
Pendant le trajet jusqu’à elle, je me préparai, un peu angoissée, à l’affronter, à entendre son refus et me tançai vertement à l'idée de repartir avec mon petit paquet, comme la dernière fois. Au pire, pensai-je, je le poserai par terre, à côté d'elle. J'arrivai à côté de son installation, la gorge serrée par l'appréhension. Elle n'était pas là. J'en sursautai presque de soulagement. Je posai le sac sur les couvertures grises, ajoutai les lingettes que je gardais pour elle depuis quelques temps et repartis en hâte.

A peine débarrassée de mon manteau, je me mis à la fenêtre pour la guetter. Je la vis revenir au bout d’une dizaine de minutes, clopinant, de la démarche vacillante du malade, à l’hôpital, qui fait ses premiers pas après être resté alité longtemps, et je réalisai que je ne l’avais jamais vue marcher auparavant. Elle sourit en voyant le paquet puis le repoussa à l'autre bout de son matelas. Elle s'installa, prenant son temps pour fermer son sac de couchage, ramener son châle sur ses épaules. Je maugréais, un peu inquiète, "regarde dans le sac, s'il te plaît, c'est entrain de refroidir !"

Enfin, elle saisit le papier blanc, le ramena sur ses genoux et l’entrouvrit, regarda à l’intérieur. Son visage s'illumina et le mien comme en son miroir. Je me servis une assiette et je mangeai, installée sur un accoudoir de mon canapé, la regardant. Elle conversait, les yeux écarquillés et je lui répondais, les yeux embués. Sa joie me transportait. Elle mâcha lentement, la moitié du riz, un peu de poulet et remballa le reste. A la fin, elle s'essuya les mains et le visage, soigneusement, avec une lingette. Puis elle sortit d'un sac en plastique noir deux grosses canettes de 1664. Elle s'allongea à demi pour siroter sa boisson. 

Je m’assis devant l’ordinateur. Le bureau, délicatement rosé, était maculé de traces de feutre indélébile - œuvre non effaçable d’un artiste de deux ans. Sous mes yeux, une pompe à essence en bois, partie escamotable du garage que nous lui avons offert pour son anniversaire, des fils USB, une paire de chaussettes, ôtées hier soir avant le bain, des tubes d’homéopathie, un flacon de parfum au miel, du sérum physiologique, des papiers urgents à renvoyer, ou nécessitant réponse, quelques nouvelles de Filaplomb et mon petit carnet noir, fermé par un élastique. 

Il me restait une paire d'heure pour écrire la suite de mon Conte de Noël.Pour me mettre en train, je consultai mes mails. J’avais deux nouveaux commentaires, l’un de Dom, l’autre de MC. Ils me bouleversèrent et j’éprouvai le besoin de me changer les idées. Ctrrl t, j'ouvris une nouvelle fenêtre : www.google.com/analytics/, ".." lecteurs à 14 heures. 
J’entonnai, ironique : "T'as pas perdu ta bonne humeur-meur-meur-meur-meur" 
Je me dis c'est peut-être parce que je ne réponds pas assez promptement aux commentaires...
Je décidai d'y répondre. Dom : Merci… J’écris toujours merci, pensai-je en me mordant les lèvres ! Oui mais que dire d’autre ? C'est ce que je ressens après tout : de la gratitude ! Je suis tellement touchée lorsque je reçois des éloges, lorsque mes lecteurs me font partager, en retour, un moment de leur vie, un état de leur âme, une émotion ressentie à me lire, un souvenir à eux, retrouvé entre mes lignes, une voix qui leur évoque une autre voix, aimée. Je sentis le besoin de faire autre chose avant d’achever ma réponse aux commentaires.
Ctrrl t, j'ouvris mon Netvibe.Je parcourus quelques billets, hésitai à poster des commentaires. Non. Il faut que je continue mon conte, me morigénai-je. Plutôt." Allez, je décidai de m'y remettre. Cette fois je me connectai à Blogger. J'ouvris les derniers messages, cliquai sur "Le sapin 2", modifier.

Je relus ce que j'avais écrit la veille. Cela me parut un peu court ; j'ôtai un adjectif, le remplaçai par un autre. Substituai un passé simple à un imparfait, plus poignant. Cinq minutes plus tard, je relus et rétablis l'adjectif qui était là initialement. J'ajoutai une phrase. L'écriture est pour moi, parfois, un sac de nœuds, songeai-je. 

Thunderbird, rafraîchir, il n'y a pas de nouveaux messages sur ce serveur. Je cliquai pour ouvrir, de nouveau, mes 4 commentaires. Celui de Frisaplat, ce matin m'avait fait bondir d'enthousiasme. Galvanisée, j'avais eu hâte d'en démordre avec la suite du Sapin dont les grandes lignes étaient déjà tracées dans ma tête. Puis je relus ma réponse à Frisaplat. Il y avait une répétition. Je déteste les répétitions, surtout lorsqu'elles sont de mon fait.

"T'as pas perdu ta bonne humeur-meur-meur-meur-meur"Besoin de faire une pause. Je cliquai sur l'onglet de Thunderbird Rafraîchir. Il n'y a pas de nouveaux messages sur ce serveur. 

Finalement, après un café, je me lançai, j'écrivis sans relire. J'enchaînais j'avançais, ma tête chauffait. Ma fenêtre Gtalk clignotait de 1000 feux et je l’ignorai. Puis je tapai juste : 
"Peux-tu me laisser un peu, j'écris là, en fait ?
B. me répondit : - OK je vais déjeuner alors. 
Moi, paniquée : - Quoi ? Tu es fâché ? 
Lui : - Ben non, je comprends, écris bien". 
Je me sentis rassurée et clamai allègrement : "T'as pas perdu ta bonne humeur-meur-meur-meur-meur". 

Il me restait moins d’une heure et je n’avais pas entamé l’épisode principal.
Gtalk, moi : t’es là ? 
B. : Oui, je mange. Tu as fini ? 
Moi : Hum bof. 
B. : Tu vas publier ? 
Moi : Pas maintenant, je dois me préparer et partir. 
B. : Dommage ! 
Moi : J’y vais… Dis ? 
B. : Quoi ? 
Moi : Tu pourras me laisser l’ordinateur ce soir, il faut absolument que j’arrive à publier cette suite ?

Après quelques heures de cours, deux voyages en métro passés à griffonner dans mon carnet, je suis, cette fois, assise devant le portable, celui qui n'a ni connexion internet, ni gadget, juste Word et cie. 
"Que fais-tu me demande B. ? 
- Chut, j'écris !"

12 commentaires:

Anonyme a dit…

je ne te connais pas mais je te reconnais bien dans cette action
les larmes aux yeux j'ai du mal à finir l'article
merci pour le lien
je suis ...émue , touchée , et comme toi , je ressens de la gratitude
continue d'écrire pour notre plaisir , pour nous émouvoir
c'est bon de se laisser toucher par la bonté des autres , la tienne en l'occurrence

Dom a dit…

Ce mois ci, la blogosphère m'a (nous) a offert deux présents, deux plumes différentes mais qui toutes deux me font sentir vivante, et remplie.
Celui de balmeyer, et le tien.
Nous vous avons mis tous deux dans notre liste de blogs, en espérant que cela permettra à d'autres de venir chez lui, ou chez toi, verser quelques larmes, revenir dans le passé, mais surtout
retrouver sa bonne humeur meur meur meur meur
;-)

Zoridae a dit…

@ Frisaplat : Alors pour le coup c'est moi qui ai les larmes aux yeux... Merci Frisaplat ! Sais-tu que tu es depuis longtemps dans ma liste de "Lisez-les" ?
En ce moment, je te laisse moins de commentaires mais je suis toujours touchée par ce que tu écris, ce que tu racontes et la façon dont tu le fais...

@Dom : je suis ébahie d'être aux côtés de Balmeyer dans tes beaux compliments. Je suis ravie de te combler, d'une façon ou d'une autre et époustouflée que tu (vous) m'aies ajouté dans ta liste de liens.
Vu votre célébrité, je vais regorger de lecteurs ;)

@Dom et Frisaplat : Merci, grâce à vous "voilà qu'je suis de bonne humeur-meur-meur-meur-meur !" mais surtout très touchée...

Christie a dit…

Parfois , dans les moments de grande émotions ,nous reviennent des petits airs un peu loufoques . C'est une façon comme une autre de se dire que l'on est quelqu'un de normal.
Embraser son enfant, le câliner, réserver une part de sa tendresse pour une personne en difficulté... Un geste magnifique et pourtant normal, ailleurs , en d'autres temps ?) Cette solidarité que nous devrions mettre en oeuvre à chaque instant de notre vie, sourire à quelqu'un , regarder les hommes et femmes dehors dans la rue (c'est ce qu'ils nous demandent: qu'on les regarde car notre regard leur donne de la consistance, ils ne sont plus des fantômes qui errent dans nos villes comme des ombres dérangeantes, ils reprennent espoir, ce qui leur manque tant.
Je me reconnais dans dans tes textes. Beaucoup .toujours riches en émotions , en vie .. De ma part salue cette Dame et dis-lui que nous la connaissons même de loin et que nous l'aimons.. Ecris-lui cela de notre part à tous..Qu'elle sache que nous ne l'oublierons pas.

Romy a dit…

très chouette papier....
tu es comme moi....
samedi j'ai donné des choses a manger dans un sac kraft à un sdf qui est super gentil, pas loin de chez moi.... mon amie l'a invité a venir chez elle partager le repas familial.... il était content.... il était au chaud et il parlait a des enfants, c'est un sdf roumain..... un gars adorable.... c'est tristouen tout ça.
Je comprends ton émotion vis à vis de cette femme.....

Anonyme a dit…

C'est à moi de te remercier.
Mille fois, pour la chaleur que tu m'as offerte, sans le savoir.
Mille fois pour l'espoir...aussi.

Zoridae a dit…

@MC : Je ne sais pas si je pourrais lui dire un jour quoi que ce soit, parce que cette femme m'intimide. La seule fois où je lui ai parlé, elle m'a rejetée, et mon sandwich avec. Lui écrire ? Pourquoi pas ? Tu as planté une idée...

@Romy : :)
Merci !

@Ash : oh !
:o

Anonyme a dit…

moi aussi, j'ai envie d'écrire merci, après t'avoir lue... c'est beau de toutes les façons, et ton univers est chaleureux... je reviendrai^^

mon blog

Dom a dit…

Tout comme à Balmeyer, je dirais que pour le festival de Romans, je t'aurais plutôt vue dans la catégorie littérature.
Si si, ose, franchement, car ce que tu écris est loin du journal, ou du blog de vie.
C'est bien plus que cela.

Zoridae a dit…

@Nea : Merci à toi pour ta visite et pour la chaleur reçue... Je te lis aussi et j'aime beaucoup !

@Dom : j'ai vu tout à l'heure ce que tu as écrit chez Balmeyer. Je n'ai pas eu le temps de répondre car il fallait que je déblaie la maison en vue de l'arrivée d'un élève. J'ai hésité, mais comme Bal l'a fait, je me suis inscrite aussi en littérature.

Je te remercie pour tout ce que tu dis de mon blog, ça me fait vraiment plaisir... C'est vrai que j'essaie qu'il y ait, à chaque fois, une petite histoire et en même temps un lien, une continuité dans tout ça... ça me touche que tu l'aies perçu.

Anonyme a dit…

Je n'arrête pas de penser à la femme en bas de chez toi. Tu as vraiment fait quelque chose de bien.

Zoridae a dit…

@Qui, au fait ? C'est marrant ça ne me paraît pas très bien, juste normal. Ce qui serait parfait c'est de pouvoir l'aider tous les jours mais je ne peux pas. Et puis la sortir de là mais ça c'est une autre histoire... En tous cas, ça me touche que tu penses à elle, toutes ces pensées bienvieillantes, ça va sans doute l'aider aussi...