Depuis deux mois, je vais à la pharmacie, régulièrement, avec une nouvelle ordonnance.
Celle qui est au coin de ma rue est ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, elle est toujours bondée et les employés n'y sont reconnaissables qu'à leur teint hagard, leur air exténué et leur économie de parole. Je les soupçonne de travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Lors de ma visite précédente, la pharmacienne qui m'avait délivré les mille tubes d'homéopathie prescrits, laissait de temps en temps, malgré elle, goutter un peu de morve translucide du bout de son nez pointu sur le clavier de son ordinateur.
Par respect pour la pudeur outragée de l'apothicaire - elle esquissait une pantomime furibonde chaque fois que son nez s'épanchait -je feignis de m'intéresser aux prospectus exposés sur un coin du comptoir : se battre contre un cancer, sauver son émail, vivre avec son asthme.
Un slogan de Sensodyne Pro me laissa perplexe quelques secondes : "Dents sensibles, non à la douleur... Oui au plaisir !" Je sortis mon petit carnet noir et notai la phrase.
Non à la douleur, ok, mais de quel plaisir s'agit-il au juste ? De celui de ne plus avoir le dents sensibles ? (Ouf, j'imagine la réunion de présentation du slogan : - N'est-ce pas un peu tiré par les cheveux Kevin, hum, ce slogan ? - Je vous rappelle Robert que mon père détient 50% des parts de l'entreprise. Alors qu'en pensez-vous Robert ? - C'est parfait mon petit Kevin, parfait !) ? Du plaisir de se laver les dents (il ne faudrait pas exagérer !)...
Mais le nez provocant, sous le mien, s'agitait, telle la muleta du toreador, aimantant mon attention passionnée. Alors je ne pus plus m'empêcher de le dévorer des yeux.
La goutte, délicate, d'abord, brillait timidement. Assurée de son éclat, elle perlait peu à peu et se mettait à gonfler, gonfler telle la grenouille dans la fable.
Alors, d'un mouvement un peu maladroit, roulant lourdement d'un bord à l'autre, ivre de son importance elle basculait vers l'avant, se détachait et... ploc ! s'écrasait sur la touche espace.
A moins, que, sans prévenir, elle n'ait été aspirée, reniflée, ramenée à l'état de brillance sous une narine tumescente. Son humiliation consécutive la fera, un peu plus tard, enfler comme un ballon. Orgueilleuse elle se hâtera de chuter avec un bruit bien net, laissant, pour les doigts étourdis de la pharmacienne, un petit bénitier de morve sur la touche "o".
A la pharmacie, cette fois-là, je ressortis apaisée et guillerette. La contemplation de ce cycle naturel, éternellement recommençant m'avait égayée.
Hier, pourtant, les choses sont devenus sérieuses : je venais avec une ordonnance contenant antibiotiques et cortisone. Une pharmacienne souriante m'a prise en charge et j'ai constaté beaucoup de déférence dans son attitude à mon égard. Je ne venais plus m'alimenter en placebo, comme dirait mon époux.
"La grippe ? m'a-t-elle demandé, presque intimidée;
- On ne sait pas. J'attends le résultat des analyses. Il s'agit peut-être de la coqueluche...
-La coqueluche ! Je l'ai eue l'année dernière, ça a duré des mois me dit-elle avec une tendresse toute sororale."
Derrière moi, les futurs clients ont reculé d'un ou deux pas. Je regarde l'employée méticuleuse, noter sur les boîtes les prescriptions de l'omnipraticienne qui m'a auscultée le matin.
"Le combien sommes-nous ? me demande la pharmacienne.
- Le 19.
- Déjà ! s'exclame-t-elle, époustouflée...
Elle me tend ma carte vitale et mes remèdes dans un sac en papier :
- Dire qu'on va bientôt mourir, conclut-elle."
Celle qui est au coin de ma rue est ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, elle est toujours bondée et les employés n'y sont reconnaissables qu'à leur teint hagard, leur air exténué et leur économie de parole. Je les soupçonne de travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Lors de ma visite précédente, la pharmacienne qui m'avait délivré les mille tubes d'homéopathie prescrits, laissait de temps en temps, malgré elle, goutter un peu de morve translucide du bout de son nez pointu sur le clavier de son ordinateur.
Par respect pour la pudeur outragée de l'apothicaire - elle esquissait une pantomime furibonde chaque fois que son nez s'épanchait -je feignis de m'intéresser aux prospectus exposés sur un coin du comptoir : se battre contre un cancer, sauver son émail, vivre avec son asthme.
Un slogan de Sensodyne Pro me laissa perplexe quelques secondes : "Dents sensibles, non à la douleur... Oui au plaisir !" Je sortis mon petit carnet noir et notai la phrase.
Non à la douleur, ok, mais de quel plaisir s'agit-il au juste ? De celui de ne plus avoir le dents sensibles ? (Ouf, j'imagine la réunion de présentation du slogan : - N'est-ce pas un peu tiré par les cheveux Kevin, hum, ce slogan ? - Je vous rappelle Robert que mon père détient 50% des parts de l'entreprise. Alors qu'en pensez-vous Robert ? - C'est parfait mon petit Kevin, parfait !) ? Du plaisir de se laver les dents (il ne faudrait pas exagérer !)...
Mais le nez provocant, sous le mien, s'agitait, telle la muleta du toreador, aimantant mon attention passionnée. Alors je ne pus plus m'empêcher de le dévorer des yeux.
La goutte, délicate, d'abord, brillait timidement. Assurée de son éclat, elle perlait peu à peu et se mettait à gonfler, gonfler telle la grenouille dans la fable.
Alors, d'un mouvement un peu maladroit, roulant lourdement d'un bord à l'autre, ivre de son importance elle basculait vers l'avant, se détachait et... ploc ! s'écrasait sur la touche espace.
A moins, que, sans prévenir, elle n'ait été aspirée, reniflée, ramenée à l'état de brillance sous une narine tumescente. Son humiliation consécutive la fera, un peu plus tard, enfler comme un ballon. Orgueilleuse elle se hâtera de chuter avec un bruit bien net, laissant, pour les doigts étourdis de la pharmacienne, un petit bénitier de morve sur la touche "o".
A la pharmacie, cette fois-là, je ressortis apaisée et guillerette. La contemplation de ce cycle naturel, éternellement recommençant m'avait égayée.
Hier, pourtant, les choses sont devenus sérieuses : je venais avec une ordonnance contenant antibiotiques et cortisone. Une pharmacienne souriante m'a prise en charge et j'ai constaté beaucoup de déférence dans son attitude à mon égard. Je ne venais plus m'alimenter en placebo, comme dirait mon époux.
"La grippe ? m'a-t-elle demandé, presque intimidée;
- On ne sait pas. J'attends le résultat des analyses. Il s'agit peut-être de la coqueluche...
-La coqueluche ! Je l'ai eue l'année dernière, ça a duré des mois me dit-elle avec une tendresse toute sororale."
Derrière moi, les futurs clients ont reculé d'un ou deux pas. Je regarde l'employée méticuleuse, noter sur les boîtes les prescriptions de l'omnipraticienne qui m'a auscultée le matin.
"Le combien sommes-nous ? me demande la pharmacienne.
- Le 19.
- Déjà ! s'exclame-t-elle, époustouflée...
Elle me tend ma carte vitale et mes remèdes dans un sac en papier :
- Dire qu'on va bientôt mourir, conclut-elle."
8 commentaires:
Fabuleux ! Merci, j'ai énormément ri ! ;)
Drôle, très drôle.
Mais bearrrrk.
extra ! la description de la goutte!...au nez
curieuse...la phrase finale de la pharmacienne...
en tout cas bon rétablissement
Elle en avait la morve au nez, j'en ai les larmes aux yeux !
"Dire qu'on va bientôt mourir..."!
@ toutes : Contente de vous avoir égayés avec ce moment incroyable.
@Ly-Thi-Daï : Coucou ma belle et bienvenue!
Pardon Messieurs, je voulais écrire @toutes et tous...
du talent et du rire...
Merci indelocalisable, j'aime beaucoup ce que vous faites aussi !
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