Premier mouvement, allegro
Alors que Zozo vient de s'endormir, serrant dans ses bras son petit chien en peluche, une chaise se renverse dans l'appartement du dessus et quelqu'un crie.
Dans la rue, une voiture recule et patine, faisant râler son moteur.
Une chasse d'eau ronfle en avalant les déjections des voisins, les tuyaux tremblent, ondulent et donnent, en vrombissant, de petits coups sur les murs.
Le caniveau recueille les vomissements d'ivrognes festifs qui éructent en choeur, pris de fous rires aigus, des "saloperies de noël" tonitruants.
Crispés, nous débarrassons sur la pointe des pieds les restes de nos agapes de réveillon, mais un verre m'échappe, bondit sur une chaise avec un son mat, roule un peu tandis que je tente de l'arrêter et s'écrase sur le sol.
B. s'exclame :
"Mais fais attention ! Tu vas le réveiller !
-Chut ! réponds-je"
Je ramasse les débris en maugréant, le balai soupire sur le parquet qui lui répond en craquant délicatement.
Les morceaux de verre cliquettent en escaladant le rebord de la pelle, ils sont curieux de connaître leur future destinée, enfin dégagés des responsabilité que leur imposait leur gangue transparente. Leur chute dans la poubelle s'accompagne d'une clameur crescendo. Les débris, enfin, s'écrasent au fond du sac, quelques uns tintent avec rancoeur sur le métal tandis que la plupart se mêlent silencieusement aux déchets.
Alors, une dizaine de personnes gravissent l'escalier et leurs discussions fiévreuses font irruption dans notre appartement aux murs trop fins. Les escaliers de bois résonnent comme des timbales sous la cavalcade pesante des noceurs.
Soudain, surgit la voix claire de Zozo et nous nous pétrifions un moment avant que je me précipite.
Deuxième mouvement, adagio
Dans la chambre de mon fils, je chuchote, et, pour l'apaiser, je reprends cette comptine qu'il adore :
"Tapent, tapent petites mains,
Tourne, tourne joli moulin..."
Dans le noir, je le vois faire de grands gestes (il applaudit en rythme, il mouline, il vole, il nage). D'une voix enrouée il achève les fins de mes phrases.
Grâce à l'obscurité, les bruits extérieurs paraissent légèrement assourdis. Un couple passe en discutant, un rire zèbre la nuit, les voisins ouvrent et referment leur porte d'entrée, tandis que B. commence à faire la vaisselle.
Zozo renifle et tousse. Je lui caresse le dos, ma main glisse sur son front chaud, il se tourne et se retourne dans son lit, tape des pieds pour repousser la couette, gémit pour que je le recouvre.
Enfin, il s'endort. Son nez, truffé de morve, ronfle et coule. Je referme la porte.
Troisième mouvement, vivace
Dans la cuisine B. nettoie, il frotte, il astique, ses gestes sont vifs, son humeur joyeuse, il effectue des entrechats, fait claquer dans ma direction, des baisers sonores :
"Sers moi encore un verre de vin, c'est Noël après tout !"
Il jubile, bavarde, ergote, radote, s'esclaffe tandis, qu'à demi-endormie par mon passage en chambre noire, je baille, soupire, et lui fais répéter une phrase sur deux. Dans l'immeuble, des rires fusent, des portes claquent, un plancher craque, une mélodie serpente, insidieuse et lancinante, entre les murs froids. Nous allons, les bras chargés de présents, préparer la joie matinale de Zozo : le Père Noël passe.
Soudain, dehors, un automobiliste s'impatiente des manoeuvres maladroites d'une femme au volant, il baisse sa vitre pour vitupérer accompagné de basses denses qui font trembler nos vitres : "Vas-y dégage Mère Noël ou j'te fais bouffer ton sapin !". Furieux d'être ignoré, il klaxonne furieusement. L'autre automobiliste qui tente de terminer un malheureux créneau répond de la même façon et des habitants ouvrent leurs fenêtrent pour protester. Au loin, une sirène d'ambulance se fait entendre.
Zozo entame un long solo qui s'achèvera à deux heures du matin après maintes lectures du Sacré Père Noël...
photo : Brassaï
Alors que Zozo vient de s'endormir, serrant dans ses bras son petit chien en peluche, une chaise se renverse dans l'appartement du dessus et quelqu'un crie.
Dans la rue, une voiture recule et patine, faisant râler son moteur.
Une chasse d'eau ronfle en avalant les déjections des voisins, les tuyaux tremblent, ondulent et donnent, en vrombissant, de petits coups sur les murs.
Le caniveau recueille les vomissements d'ivrognes festifs qui éructent en choeur, pris de fous rires aigus, des "saloperies de noël" tonitruants.
Crispés, nous débarrassons sur la pointe des pieds les restes de nos agapes de réveillon, mais un verre m'échappe, bondit sur une chaise avec un son mat, roule un peu tandis que je tente de l'arrêter et s'écrase sur le sol.
B. s'exclame :
"Mais fais attention ! Tu vas le réveiller !
-Chut ! réponds-je"
Je ramasse les débris en maugréant, le balai soupire sur le parquet qui lui répond en craquant délicatement.
Les morceaux de verre cliquettent en escaladant le rebord de la pelle, ils sont curieux de connaître leur future destinée, enfin dégagés des responsabilité que leur imposait leur gangue transparente. Leur chute dans la poubelle s'accompagne d'une clameur crescendo. Les débris, enfin, s'écrasent au fond du sac, quelques uns tintent avec rancoeur sur le métal tandis que la plupart se mêlent silencieusement aux déchets.
Alors, une dizaine de personnes gravissent l'escalier et leurs discussions fiévreuses font irruption dans notre appartement aux murs trop fins. Les escaliers de bois résonnent comme des timbales sous la cavalcade pesante des noceurs.
Soudain, surgit la voix claire de Zozo et nous nous pétrifions un moment avant que je me précipite.
Deuxième mouvement, adagio
Dans la chambre de mon fils, je chuchote, et, pour l'apaiser, je reprends cette comptine qu'il adore :
"Tapent, tapent petites mains,
Tourne, tourne joli moulin..."
Dans le noir, je le vois faire de grands gestes (il applaudit en rythme, il mouline, il vole, il nage). D'une voix enrouée il achève les fins de mes phrases.
Grâce à l'obscurité, les bruits extérieurs paraissent légèrement assourdis. Un couple passe en discutant, un rire zèbre la nuit, les voisins ouvrent et referment leur porte d'entrée, tandis que B. commence à faire la vaisselle.
Zozo renifle et tousse. Je lui caresse le dos, ma main glisse sur son front chaud, il se tourne et se retourne dans son lit, tape des pieds pour repousser la couette, gémit pour que je le recouvre.
Enfin, il s'endort. Son nez, truffé de morve, ronfle et coule. Je referme la porte.
Troisième mouvement, vivace
Dans la cuisine B. nettoie, il frotte, il astique, ses gestes sont vifs, son humeur joyeuse, il effectue des entrechats, fait claquer dans ma direction, des baisers sonores :
"Sers moi encore un verre de vin, c'est Noël après tout !"
Il jubile, bavarde, ergote, radote, s'esclaffe tandis, qu'à demi-endormie par mon passage en chambre noire, je baille, soupire, et lui fais répéter une phrase sur deux. Dans l'immeuble, des rires fusent, des portes claquent, un plancher craque, une mélodie serpente, insidieuse et lancinante, entre les murs froids. Nous allons, les bras chargés de présents, préparer la joie matinale de Zozo : le Père Noël passe.
Soudain, dehors, un automobiliste s'impatiente des manoeuvres maladroites d'une femme au volant, il baisse sa vitre pour vitupérer accompagné de basses denses qui font trembler nos vitres : "Vas-y dégage Mère Noël ou j'te fais bouffer ton sapin !". Furieux d'être ignoré, il klaxonne furieusement. L'autre automobiliste qui tente de terminer un malheureux créneau répond de la même façon et des habitants ouvrent leurs fenêtrent pour protester. Au loin, une sirène d'ambulance se fait entendre.
Zozo entame un long solo qui s'achèvera à deux heures du matin après maintes lectures du Sacré Père Noël...
photo : Brassaï
6 commentaires:
Le vacarme du monde ! J'aime beaucoup ton orchestration en tout cas ! Jolis arrangement ! ;-))
il est beau ce concerto
même si par moment , j'imagine qu'on aimerait qu'il s'arrête un peu
histoire de ne pas réveiller Zozo
Elle est jolie cette partition de la vie d'un soir...
je te souhaite de très bonnes fêtes, ainsi qu'à B, à Zozo qui s'est perdu dans la partition, et la Dame d'en bas de chez toi...
@Balmeyer : merci, c'est surtout le soliste zozo qu'il faut féliciter, c'estlui qui a donné toute son ampleur à l'oeuvre.
@Frisaplat : toujours le pouvoir de l'écriture de faire du beau avec du laid, du musical avec du bruit... et vice versa d'ailleurs.
@Nelly : Merci ! De belles et heureuses fêtes à toi et aux tiens...
on dirait presque du Dickens dans certains passage
Belles descriprions...
@Claude : Rhhhhhhhho Claude tu exagères !
Merci ;)
(Du reste je n'ai jamais lu Dickens ou alors ya longtemps ou bien j'ai oublié...)
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