"Alors elle m'a nouée un drap autour du ventre en serrant très fort. Et puis, elle s'est couchée sur moi et elle m'a planté son coude dans les côtes. J'ai hurlé. ensuite, je ne sais pas ce qui s'est passé, je ne voyais rien à cause du drap et mon mari n'était pas là - il n'a pas le droit de regarder ça - mais elle a dû toucher la vessie en coupant parce qu'après ça coulait sans arrêt. J'étais obligée de mettre les couches de mon fils à la maternité. Et pour tout vous dire, les rapports, après je ne pouvais plus, parce que ça coulait au moindre contact. Ça coulait, ça coulait...
Quand j'ai revu mon gynéco, un mois après l'accouchement, il m'a dit que je devais me faire opérer, que ça ne prendrait qu'une semaine. Mais je ne pouvais pas. Qui aurait gardé mon fils pendant ce temps ? Et puis je l'allaitais, il n'avait qu'un mois... Maintenant, il a quatre ans - déjà - il faudrait que j'aille à l'hôpital. Mais moi qui aurais voulu un troisième enfant, c'est fichu..."
Siegfried
Elle a voulu garder l'enfant alors qu'elle était seule, psychotique et âgée de quarante trois ans passés. De sa voix rauque de fumeuse, elle s'est vantée de tout ce qu'elle pourrait gérer quand il serait là, de tout ce qu'elle allait maîtriser, surmonter, oublier. Elle s'imaginait accoucher d'un fils adulte qui prendrait soin d'elle comme aucun homme n'avait su le faire, qui l'écouterait et la trouverait formidable. Elle était sûre qu'en sa compagnie les voix qui résonnaient parfois dans sa tête, prétendant lui dicter son comportement, demeureraient silencieuses ou seraient couvertes par les babillages heureux de son fils.
Bien avant la naissance, balayant sous le berceau, elle regardait, au milieu des moutons de poussière, le souvenir de sa mère dépressive et de son père mourant se déliter ; elle éternuait. Puis, elle prenait soin de recueillir grâce à sa balayette et sa pelle, les fragments de son passé jusqu'au dernier. Après les avoir bercés sur ses genoux et leur avoir crié ce qu'elle avait sur le cœur, elle les balançait sauvagement dans les W.C. et tirait la chasse. Bientôt, elle n'en doutait pas, tout cela serait derrière elle parce qu'elle allait mettre au monde sa propre vie.
Une chose l'avait toujours fascinée chez les bébés de ses amies c'est le regard aveuglé qu'ils portaient sur leur mère. Pour le reste, elle se contentait de les croire lorsqu'elles disaient que personne au monde ne leur avait donné autant d'amour.
Quand a-t-elle réalisé qu'elle se leurrait ? Au moment où elle a annoncé sa grossesse et n'a vu que des visages consternés, entendu que des mises en garde, des doutes et des peurs ? Personne ne voulait admettre sa transformation, personne ne croyait aux promesses d'avenir qu'elle scandait comme des prières. Alors qu'elle rêvait d'apercevoir dans les pupilles de son public familial l'être nouveau qu'elle abritait, c'est son image, de guingois, qu'on lui renvoyait toujours.
Ils avaient raison et c'est cela qu'elle supporte le moins. Samedi elle a craqué. Le gosse la dévisageait, il attendait qu'elle s'occupe de lui. Il lui tendait les bras en geignant. Ses excréments commençaient à maculer les jambes de son pyjama car elle ne l'avait pas changé depuis le vendredi soir. Pourtant, il savait que le porter lui faisait mal au dos : elle le lui avais encore dit cinq minutes auparavant ! Il savait, aussi, qu'elle était fatiguée ; il devrait quand même avoir compris le message puisque depuis qu'il est né, elle le répète.
Les voix lui ont annoncé que Siegfried comprendrait mieux si elle ponctuait ses paroles. Elle a cédé, elle n'en pouvait plus de leur résister.
Alors elle a lancé les couches propres au dessus du parc et quand il n'y en a plus eu, elle a vidé la poubelle pour lancer aussi les vieilles couches sales et les ordures. L'enfant était devenu silencieux, il paraissait tapi au milieu de ses jouets mais les voix prétendaient que le message n'était pas passé, les couches faisaient plop sur le mur c'était presque amusant et les voix murmuraient "bientôt lui aussi va se moquer de toi !". Elle a donc essayé avec les assiettes. Ça lui évoquait des boomerangs sauf que les siens, de boomerangs, s'écrasaient contre les murs. Elle a essayé tous les murs et seuls quelques verres ont rebondi après avoir heurté la porte d'entrée. L'un d'eux est tombé dans le parc mais l'enfant n'a rien dit. Il avait fermé les yeux et il ne bougeait pas, comme s'il dormait. Sarah songea aux heures qu'elle avait passées à le bercer, à le calmer et elle s'est sentie profondément en colère qu'il puisse s'endormir comme ça.
Quand les flics ont frappé à sa porte, ils ont vérifié que l'enfant allait bien et ils sont repartis. Ce n'est que le lendemain, après l'avoir arrêtée au milieu de la nuit, seule et désorientée en pleine rue qu'ils ont trouvé les couteaux et les bidons de javel lacérés. L'enfant sale, laissé livré à lui même dans son parc a été accompagné à l'hôpital puis placé en pouponnière.
Jimmy
Découvrez Moriarty!
22 commentaires:
Que c'est touchant.
On dirait des témoignages recueillis pour un docu-fiction.
Merci Mélina !
Ce qui serait chouette c'est que dans les commentaires chacun parle du fils qu'il a, est ou même connaît...
Si vous voulez !
Coup de poing du matin. Que c'est bien.
J'ai un fils, il est (un peu) grand, en ce moment on est un peu en tiède, je le saoule avec mes inquiétudes et mes angoisses sur son avenir. Il a des choses à vivre, dit son papa, et il a raison. Alors je le laisse. Difficile un fils, je comprends mieux mes filles. Mais quel amour en même temps, quelle force. Et la tiédeur passera, je suis en même temps fière de lui autant que de ses soeurs.
C'est un beau texte, je l'aime beaucoup.
Si je devais évoquer mon fils, ce serait juste pour vous raconter son sourire quand il me voit, de l'amour, de la confiance.
"Et pour tout vous dire, les rapports, après je ne pouvais plus, parce que ça coulait au moindre contact. Ça coulait, ça coulait"...
Tu veux dire que Balmeyer est trop rapide ?
Oups... Faut que j'arrête de faire des commentaires avant de lire la fin du texte.
J'en ai 3, mais heureusement pour une fois, aucun ne sera jaloux des deux autres si je dis qu'il suffit juste de sentir qu'ils sont là pour que tout aille. Ni mieux ni moins bien.
espérons que Siegfried aura une suite de vie meilleure, je le lui souhaite en tout cas
autrement moi je suis un gentil fils !
Je pourrais parler du fils que je n'ai pas. Je pourrais parler du regard de mes amies sur leur fils : un mélange d'adoration, d'admiration, d'amour et de possession. Elles sont amoureuses un peu... Je pourrais parler de ma fille que j'aime plus que tout mais qui est bien distincte de moi. Je pourrais parler d'enfants en mal d'amour, de parents dépassés. Je pourrais mais je laisse faire Zoridae... (belle pirouette je sais...)
Je suis un fils qui devrait dire "je t'aime"
Trois filles... un garçon... étrange que l'on me demande de parler de mon fils aujourd'hui... jour des ses 18 ans !
Que de beaux commentaires sous ce billet un peu sombre. Ça a juste un goût de trop peu... Merci à vous tous :))!
Ton écriture donne du relief à des histoires douloureuses et pathétiques. On aime parfois mal ou trop peu, on aime abusivement ou violemment...mais il y a de l'amour pourtant...et l'enfant le sait et le reconnait, même s'il en souffre aussi. Qui peut-dire que notre façon d'aimer notre enfant est la bonne? ( et pourvu qu'il n'y ait pas une "méthode universelle", ce serait trop réducteur!)
Je réfléchis à ma façon d'être mère, à ma façon d'être professionnelle aussi...pas facile tout ça!!
Merci!!
Suite.
j'ai eu le mien au téléphone hier soir, tu vas bien ? Oui, et toi ? Pas grand chose, seulement du miel dans mes oreilles.
Comme Bérénice, j'ai trois filles et un fils, le mien, petit dernier, va avoir 19 ans.
ah! bon, je reviens.
J'en ai un. Mais c'est drôle, je ne dis pas "mon fils" je dis "garçon". Il est la tranche de jambon du sandwich fille. Alors il est amoureux de son copain, et il dessine des coeurs. Il est câlin, tout tendre, et aussi le plus "dur" des trois . J'en aurais beaucoup à dire. Mais ça...
J'ai une copine qui a accouchée aujourd'hui d'un petit Sacha!
très beau texte...
je suis une lectrice assidue et souvent très émue...
Anna
Je trouve ce texte terrible...très sombre, très dur...il m'a fait frémir
Il semble que je sois la seule...peut-être que je le comprends mal...
Mon fils, seul garçon entre deux fois deux filles est père depuis hier...fier et heureux, amoureux de sa femme et de sa fille...
Mon fils est...mon fils, le meilleur et le pire à la fois...
Mais je retiens à présent surtout le meilleur ;-))
Mots d'elle,
Oui de l'amour il y en a il parait chez Sarah...
Mais est-ce que l'amour suffit ? Je n'en suis pas sûre...
La mère Castor,
Merci pour cette suite, j'aime beaucoup ces échos...
Tifenn,
Merci aussi, c'est beau ce que tu dis de ton fils !
Anna,
Merci de votre commentaire si touchant... Et je souhaite une longue vie heureuse au petit Sacha. Merci de me lire :))
Coumarine,
Ce texte pour moi aussi est très dur et ce qui est pire c'est que c'est un texte qui touche de très près la réalité, qui est à peine romancé... Je l'avais achevé par une tranche de vie un peu plus douce que j'ai retirée parce qu'on me l'a demandé.
Tu m'intrigues en parlant de ton fils comme le "meilleur et le pire"... En tous cas je lui souhaite beaucoup de bonheur avec sa femme et son bébé !
Dur ce texte...
Le fils auquel je pense est le père de ma fille.
Le fils auquel je pense, la dernière fois que sa mère m'a parlé de lui c'était pour me dire que si ça n'était pas son fils, il n'aurait plus le droit de mettre les pieds chez elle. Ce fils là, sa mère lui a offert 30 euros pour ses 30 ans. Comme si c'était à la fois dur et évident pour elle d'aimer son fils...
Et je m'étonne que ce fils là, le jour où il devient père, fuit la famille... mais il ne fuit pas sa fille !
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