lundi 20 octobre 2008

Journal de la création, page 28

Le Journal de la création de Nancy Huston est un livre dans lequel je me plonge régulièrement.

C'est étonnant d'ailleurs la façon dont ma lecture a changé entre la première fois où j'ai ouvert ce livre - je n'avais pas encore d'enfant, seulement, peut-être, le désir fluctuant d'en avoir - et aujourd'hui.

Il y a cinq ou six ans, les démêlés de Virginia Woolf, Sylvia Plath, Zelda Fitzgerald, femmes, mères, tiraillées entre le désir d'écrire, celui de s'affirmer face à un compagnon artiste et les limitations dues à leur condition de femmes dans une époque tyrannique pour elles, m'apparaissaient comme éminemment romanesques.

Puis, devenue mère d'un bébé qui ne dormait jamais, épuisée, exsangue, incapable de terminer une phrase correctement, de raisonner, d'envisager une vie qui ne soit pas animale, l'identification a fonctionné à plein régime. Bien loin d'avoir envie de le faire, je concevais ce qui avait conduit Sylvia Plath à glisser sa tête dans un four, Virginia Woolf a se laisser submerger par l’eau glacée de la Ouse.

Tout à l’heure j’ai pris ce livre de nouveau et je me suis demandée ce qui allait me frapper, me toucher plus cette fois. Dans le métro, déjà, j’ai relevé quelques lignes :

« Parfois, en bibliothèque, je pense aux millions de livres médiocres, aux gros tas de savoir périmé ou erroné qui ne feront plus jamais qu’accumuler de la poussière… Je pense aux millions d’épouses qui ont fait taire des millions d’enfants afin que les hommes puissent écrire ces livres-là (« Chut ! Papa travaille ! ») et je me dis qu’en fin de compte la véritable perte de temps était souvent l’écriture. N’aurait-il pas mieux valu pour tout le monde que ces hommes jouent avec leurs enfants ? »

[A lire : Leïloona évoque ici le dernier essai de Nancy Huston.]


Photo : Virginia Woolf par George Charles Beresford, en 1902

19 commentaires:

Trublyonne a dit…

Il aurait effectivement mieux valu que ces hommes jouent avec leurs enfants pendant que leurs épouses écrivaient (n'est ce pas Balmeyer ?)

detoutderien a dit…

parce qu'en plus de blogueuses il y a aussi des écrivaines ?!

Nicolas Jégou a dit…

Il aurait effectivement mieux valu que ces hommes jouent avec leurs épousess pendant que leurs enfants écrivaient.

Anonyme a dit…

J'imagine que tu as lu "Prodige".

Christie a dit…

;-0), Il y a des écrivaines en plus des blogueuses.

Dorham a dit…

Sans aucun doute, l'écriture est un luxe, souvent effroyable d'égoïsme...

Didier Goux a dit…

Avant, les femmes étaient aliénées par la marmaille, et les hommes relativement libres. Heureusement, est venue notre belle époque moderne. Désormais nous sommes tous pareillement aliénés.

(Sauf les vraiment riches, qui peuvent se payer les services d'une gouvernante à plein temps.)

Zoridae a dit…

Trublyonne,

Chez nous, ça arrive parfois, sauf que j'ai du mal à me concentrer quand ce n'est pas le silence :))

Gaël,

Beaucoup moins je te rassure !

Nicolas,

Fieffé coquin !

Sophie,

Oui, bien sûr, j'ai quasiment dévoré tout Nancy Huston, essais compris (sauf le dernier, avis à mon époux :) ). Mais Prodige m'a un peu déçue, comme plusieurs de ses romans. Il est trop froid, l'héroïne trop peu attachante....

Christie,

Même réponse qu'à Gaël :))

Dorham,

Est-ce un luxe, lorsque c'est, en même temps, une nécessité !

Zoridae a dit…

Didier,

Ce n'était pas le cas de Zelda Fitzgerald qui avait les moyens d'avoir des domestiques et qui ne s'est guère occupée de sa fille. Dans son cas, c'est l'époux qui ne voulait pas qu'elle écrive...

(Vous avez l'air de regretter que les hommes soient autant aliénés que les femmes ?)

Nefisa a dit…

Pauvre Balmeyer qui chaque soir, rentre, trébuche dans la litière du chat. Entre dans le salon.

Là, Zoridae assise princière à son bureau pointe kéké assis dans le panier du chat (il paraît que c'est tendance de coller ses gosses dans des paniers à bestioles) et lui ordonne "joue".

Et Balmeyer après sa dure journée à travailler et poster des quicoulol s'agenouille sur le sol en dépit de ses rhumatismes et fait le bonhomme doigt, encore, et encore, le bonhomme doigt muet bien sûr. Parce que "chut, maman écrit"

Et tout ça pourquoi ? parce qu'il y a quelques années, c'est Zoridae qui devait se lever la nuit pour faire taire le gniard, Balmeyer n'ayant pas trouvé utile de se faire pousser les seins.

Pas étonnant qu'a même pas 35 ans il en ait déjà 55.

Dorham a dit…

Une nécessité ?

Pas si convaincu que ça ! Une nécessité pour qui ? Pour quoi ? Tu sais parfaitement que j'aime la littérature autant que tout le monde ici (bon, peut-être moins, c'est entendu) mais je ne crois pas qu'elle soit nécessaire, pas plus que les pulsions qui nous incitent à la nourrir et à s'en nourrir.

Je trouve cela très idéaliste et il est vrai que ça ne me convient pas trop ; j'ai sans doute tendance à tout dédramatiser, à tout démythifier...

Mais pour être moins provoc, prenons la musique, parce que selon moi, aucun art n'y est supérieur (par la transcendance totale qui y est véhiculée). Est-ce que la musique est nécessaire ? Certainement, dans ma vie, elle m'est indispensable, je pourrais ne pas écrire et sans doute cesser de lire de maintenant jusqu'à ma mort, sans aucun problème, mais cesser d'entendre la musique, je ne pourrais pas. Bref...ça m'est donc nécessaire...à moi. Mais est-ce que ce que je juge nécessaire contamine pour ainsi dire la nature de la chose ? En fait, j'ai parlé trop vite, je n'en sais trop rien.

Toujours est-il qu'il me semble depuis bien longtemps que tout art est mensonger, dans le sens où il nous fait croire en son importance particulière et supérieure. En réalité, si je raisonne en terme d'absolu, n'est-il pas un peu de ce qui fait notre perte : la dispersion, l'incapacité à faire les choses qui seules importent, l'incapacité à satisfaire nos désirs (ce qui nous conduit à sans cesse remplacer les uns par les autres ?

N'est-ce pas une bulle qu'à terme il faudra crever ?

("Bon...j'ai encore été long et chiant ; désolé", dit-il après avoir eu pleinement conscience d'aller vers quelque chose de long et chiant)

(même cette parenthèse est longue et chiante :))))

Nicolas Jégou a dit…

Dorham,

Ne t'inquiète pas ! On est sur le blog de Zoridae, on n'est pas obligés de lire les commentaires. Elle si ! Héhé...

Didier Goux a dit…

Zoridae : bien sûr que je le regrette !

Dorham : ben, vous voyez, moi c'est juste le contraire : je pourrais sans problème devenir sourd, mais arrêter de lire, quelle horreur !

D'autre part, je vois au moins une grande supériorité de la littérature sur la musique : vous ne pouvez pas imposer votre livre à votre voisin qui n'en a nulle envie : votre musique, si.

Dorham a dit…

"vous ne pouvez pas imposer votre livre à votre voisin qui n'en a nulle envie : votre musique, si."

:)))

Balmeyer a dit…

"vous ne pouvez pas imposer votre livre à votre voisin qui n'en a nulle envie : votre musique, si."

Vous ne connaissez pas Zoridae. Elle, elle le peut.

(smiley !!)

Zoridae a dit…

Merci à tous pour vos commentaires...
Réponse demain... Fatiguée !

Nicolas Jégou a dit…

Fatiguée ? Bourrée, oui ! Avec l'anniversaire de Bal, on comprend !

Anonyme a dit…

Je plongerai peut-être dans ce journal. Après avoir lu son dernier essai, je compte en découvrir plus sur cette femme.

Nancy Huston doit sûrement comparer dans ce journal la mise au monde d'un enfant avec celui d'un livre, non ?

Zoridae a dit…

Nicolas,

Mais non, même pas !

Leïloona,

Oui. En gros car il y a plusieurs plans dans ce livre. Je ne t'en dis pas plus mais si tu le lis j'ai hâte de découvrir ton analyse sur ton blog !