Peu avant l’accouchement, elle avait appréhendé le déchirement, encore une fois, de ses chairs, les contractions, les langueurs moites des premières tétées. Elle se disait « je ne pourrais plus ; j’ai eu sept fils, je ne pourrai pas enfanter une huitième fois ! »
On lui avait entaillé le sexe pour le premier. On en avait tiré un avec des pinces, marbrant de bleus ses cuisses et son pubis. Le troisième avait déformé complètement son corps, il pesait plus de quatre kilos à la naissance et elle, quelques vingt de plus qu’avant sa grossesse.
Elle avait vomi. Elle avait souffert de coliques et de constipation. Elle avait eu une hémorragie, sans parler des trois fausses couches et de ceux qu’elle « avait fait passer ». Une fois, elle avait dû garder le lit pendant six mois. Ses cheveux étaient tombés après le cinquième.Ses jambes étaient couvertes de varices. Ses seins pendaient sur son torse, plus flapis que les pis d’une vieille vache à lait.
Elle avait pleuré, elle avait hurlé, elle avait eu peur et prié. Elle avait vieilli, elle avait aimé. Ses colères étaient mémorables. Ses accès de tendresse aussi.
Mais pour Jeanne rien.
Elle s’était aperçue qu’elle était enceinte quelques semaines avant de la mettre au monde. Puis la petite avait été là, posée sur elle, silencieuse avec sa bouche en coin et ses yeux fermés.
La mère avait demandé « Elle va vivre ? » et la cousine, venue pour aider, avait frappé du dos de la main les fesses de l’enfant pour lui tirer un vagissement étonné.
« Elle va vivre ? » se demandait la mère.
Ce n’était pas « Est-ce qu’elle va aller bien ? Est-ce que tout va bien ? »
Elle ne ressentait que du dégoût et de l’incrédulité : « Cette crevette, ce petit vers de terre est une chose qui est sortie de moi ? Ça va vivre ? »
Les années passèrent et la mère de Jeanne devint vraiment brutale. Elle cherchait à retrouver les sentiments de plus en plus énigmatiques qu’elle se souvenait d'avoir éprouvé en élevant ses sept fils. Elle criait, frappait, exigeait du répondant, réclamait de l’attention, geignait jusqu’à ce qu’une plainte, un geste, émerge de la sage silhouette insondable de Jeanne.
Mais les souvenirs de ses joies et de ses peurs passés s’effaçaient de jour en jour et Jeanne devenait dure et forte.
Illustration : Lisa Hurwitz
11 commentaires:
Grrrr...
tu le fais exprès ? Pour nous faire poireauter, hein ?
Bon, je suis tenace...
J'ai mille questions. Mais je vais attendre alors...
Mais c'est si bon d'être suspendue à tes récits. Merci donc de nous faire "poireauter" de cette façon !
Non, sérieux : si vous voulez que j'arrête de venir lire, dites-le-moi simplement. Pas la peine de raconter toutes vos histoires de boucherie humaine qui écoeurent le pauv'monde...
Dorham
En réalité tout cela n'est pas si long ! Tout ça doit pour l'instant faire deux pages sous word. Mais les parties se prêtent au découpage, je n'y peux rien :)
Marie-Georges,
Merci de me dire merci :))
Didier,
Je savais que vous alliez hurler. Allez, respirez, plus aucune femme n'enfantera dans ce récit, je vous le promets. Respirez en décontractant le ventre, tout va bien se passer !
Le pire, Nicolas, c'est que lorsqu'on reçoit ses commentaires en mail, parfois on les relit. Et on constate que pour le premier, dans la première phrase, on a écrit "tout cela". Puis "tout ça" dans la deuxième. Alors, on se maudit !
Merci blogger.
Tiens rien que pour faire enrager Didier Goux, je vais essayer d'attraper des triplés et je décrirais l'accouchement sur mon blog.
gniark (après je vendrais les gnomes sur Ebay... )
Vous tenez vraiment à ce que le verbe "se souvenir" soit transitif ?
Nef : vous trouverez preneurs : il y a des malades partout. Et principalement sur Internet.
Nef,
lol
Didier,
Je devrais écrire : se souvenait d'avoir éprouvé ? C'est ça ?
Didier,
Des noms ?
....Cette petite crevette à la peau dure mais qui deviendra t'elle? Allez, j'ai envie de lui faire confiance !
Oui, c'est ça.
(Vous verrez, on finira par y arriver. Du temps... de la patience... douceur et compréhension...)
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