mercredi 4 juin 2008

Grandir

A Dorham

J'ai grandi, ce qui n'est pas chose facile.

C'est comme l'émergence d'une dent de lait à travers une gencive innocente ; en plus, ça prend des plombes ! Mais comme on n'a jamais vu une fille de quinze ans parvenue à l'âge de quarante ans, il a bien fallu accepter que la déchirure advienne... Lorsque la peau de mon enfance a moussé à mes pieds, je lai piétinée et je suis allée plus loin tanner mon cuir tout neuf.

Finalement, cela ce n'est rien.

Ce qui est le plus douloureux ce n'est pas d'avancer sur le chemin de soi-même, c'est de devoir le faire, amputé d'un bras, d'une jambe, la tête bourdonnant des voix autrefois aimées de ceux que l'on a laissés en chemin...

Parfois je pense à ceux-là, morts, à celle qui m'a abandonnée, à d'autres qui m'ont trahie, oubliée ou que j'ai quittés et à la cohorte d'amis, de connaissances, d'élèves, de voisins que j'ai côtoyés et qui se baladent dans le monde avec des parties de moi que je ne connais plus....

Illustration : Mehgan Trice

22 commentaires:

Nicolas Jégou a dit…

"il a bien fallu accepter que la déchirure advienne..."

Balmeyer, fais annuler le mariage !

Marie-Georges a dit…

rroh lala c'que c'est beau ! Beau et vrai, comment ne pas s'identifier immédiatement ?! C'est ce que j'aime dans tes textes : la beauté n'est jamais purement formelle, elle vient chercher le fond, titiller le sens avec une impressionnante acuité. Merci Zoridae, avec toi le matin commence en beauté !

Dorham a dit…

Oui.
et...
merci.

:)

Ant. a dit…

@Nicolas

J'ai pensé exactement la même chose... :-)

Didier Goux a dit…

Ah ! celui-là est bref, sobre, l'émotion tenue exactement à la bonne distance : une réussite. Vous voyez, quand vous voulez...

(Néanmoins : ceux que l'on a laisséS en chemin...)

Le_M_Poireau a dit…

Les autres toi sont mortes aussi, après tout et ceux-là que tu croisais auparavant, emportent avec eux des souvenirs endeuillés bien que vivants…
C'est un peu comme le terreau qui résulte de la mort du vivant pour donner du vivant !
:-)

detoutderien a dit…

"et qui se baladent dans le monde avec des parties de moi que je ne connais plus...."

c'est un peu narcissique mais quand je pense à des gens perdus de vue j'essaie d'imaginer ce qu'ils sont devenus et après ce qu'ils peuvent bien imaginer de mon présent, c'est rigolo (des fois) et ça occupe

Zoridae a dit…

Nicolas,

Ne va pas lui donner des idées !
:))

Marie-Georges,

Merci, tu me fais très plaisir !
Bonne journée alors...

Dorham,

De rien. C'est moi qui te remercie...

Ant.

C'est parce que toi aussi tu as l'esprit mal tournée ;)

Didier Goux,

Merci...
(Je ne vois pas de quoi vous voulez parler...)

Monsieur Poireau,

Mortes... Tu crois ? Ça voudrait dire qu'en grandissant on deviendrait autre ? Je ne sais pas !

Gaël,

C'est drôle, je crois que je n'avais jamais pensé les choses de cette façon... Maintenant je le ferai :)

Anonyme a dit…

"et qui se baladent dans le monde avec des parties de moi que je ne connais plus...."

J'aime bien ce passage... ça me parle..

Christie a dit…

Le mystère du sphinx... Mourir à soi-même pour renaître ailleurs chaque jour même si l'on n'en prends pas conscience..
Mais finalement c'est la vie. Naître vive et mourir..
Nous sommes fait de cela, c'est cette fragilité qui nous fait humain, à condition bien-sur de l'accepter...

le chat huant a dit…

j'aime bcp l'écriture de ce texte là, et effectivement je suis en accord avec DG (ça peut arriver) , la distance donne au texte toute sa dimension.

et puis :
"qui se baladent dans le monde avec des parties de moi que je ne connais plus...."

oui, je crois bien (et c'est pour cela que je ne crois pas du tout dans le fait communément admis que notre vie serait déterminée par ce que nous avons vécu enfant, cette croyance qui nous empêche du coup d'être plus victime qu'acteur de notre propre vie. Mais c'est une autre histoire) , je crois bien donc, que chaque jour nous nous réveillons différents, profondément, nous ne sommes plus tout à fait celui ou celle d'hier, les gens qui nous ont croisés la veille connaissent celui ou celle de la veille, emportant un peu de nous, oui. C'est ni plus ni plus moins toute l'histoire de la vie.
C'est un peu comme si nous naissions chaque matin.

le chat huant a dit…

sauf que je dis le contraire de ce que je veux dire :
"nous empêche d'être plus acteurs que victimes" c'est cela qu'il fallait lire !

Anonyme a dit…

C'est parfois douloureux de grandir...

le chat huant a dit…

@ nelly : grandir est douloureux, vieillir l'est tout autant, vivre est douloureux, ce n'est pas une sinécure ;))

Anonyme a dit…

comment dire, c'est beau poétique philosophique, tout à la fois !
incroyable !
@Christie
tu confonds pas avec le phénix ?
@Gaël
parfois mieux vaut imaginer ce qu'ils sont devenus, car si tu savais, pour certains, tu serais déçu...

Dorham a dit…

J'y reviens ;
en fait, c'est plus que de l'évolution. Moi, je ne crois pas que l'on soit différent chaque jour. C'est une jolie idée, hein, mais c'est faux. Grandir, c'est compliqué. Gagner des centimètres, ça, c'est facile, mais grandir, mûrir, laisser derrière soi le tuteur contre lequel on s'est appuyé quelque temps, l'abandonner et se lancer seul, devenir adulte...

Des hommes vivent toute leur vie sans lâcher leur tuteur. Ils restent jusqu'à leur mort de petits arbres à la manque dans un pot de terreau.

Et ça se fait souvent dans la déchirure, dans l'intransigeance, dans la violence et la colère. Tiens, ça me fait penser à quelque chose. Je t'envoies ça par mail.

Ton texte est comme un rubicube :)

le chat huant a dit…

@ dorham : je ne crois pas que ce soit une "jolie idée" comme tu dis d'être différent chaque jour et ce que tu dis en croyant prendre le contre pied :
"Grandir, c'est compliqué. Gagner des centimètres, ça, c'est facile, mais grandir, mûrir, laisser derrière soi le tuteur contre lequel on s'est appuyé quelque temps, l'abandonner et se lancer seul"
n'est absolument pas antinomique au fait qu'on serait différent chaque matin au matin précédent.

simplement je me demande comment on pourrait être semblable au jour précédent, alors qu'on a fait face à des situations différentes, qu'on s'est enrichi d'expérience (positives ou négatives), qu'on a rencontré des gens, tout ce que tu appelles une lente maturation.
meme si tu ne changes rien à ta vie de façon spectaculaire, tu es différent du jour précédent.
Il y a de ce fait une impermanence de la pensée et de l'état, de ce que nous sommes. Je l'exprime certainement très mal....

Dorham a dit…

Non non, vu comme ça, en effet, je suis d'accord...


(c'est juste que ce texte concorde avec une discussion que nous avons eu Z. et moi et qui abordait le thème des transformations radicales, enfin, des abandons qu'il faut consentir pour dépasser un peu ses faiblesses).

Anonyme a dit…

Grandir, c'est bien ça.

Zoridae a dit…

Oups ! Je n'ai pas répondu là non plus !
Tant pis... Demain !

Anonyme a dit…

Hé... et ce n'est pas encore consomé totalement, tout une floppée de suites à vivre, sans les imaginer, se mouvoir dans le réel à en croire que c'est de la fiction, oh la la ! la vie est...............................................................................................................................................BELLE !!!

Anonyme a dit…

rien ni personne ne t'ampute de quoi que ce soit,sinon toi-même, ni ne se balade avec un peu de toi sinon toi;
tu tournes le dos et tout disparaît;
l'oubli vient toujours; juste une question de temps ...