J’ai rougi et je lui ai indiqué le bureau de la directrice. Avant de croiser son regard de nouveau, je me suis enfuie en courant. Sous les arbres centenaires j'ai repris mon souffle et j'ai posé mes mains sur mes genoux pour qu'elles arrêtent de trembler.
Quand je suis revenue de ma promenade, la maison de retraite était en ébullition. Mireille courait dans les couloirs en répétant " il m’a volé mes bijoux, c’est ce jeune homme aux cheveux longs ! ". Marguerite se balançait d’avant en arrière l’air illuminé. Deux vieilles copines riaient dans un coin. Elles me firent signe :
" Tu as vu Jésus ? "
Elles avaient les joues roses et les lèvres maquillées. Elles se cachaient pour rire derrière leurs mains.
" Il a dit que nous devions être belles pour la fin de l’année.
-Il devra accomplir un miracle ! "
Elles pleuraient de rire.
" Est-ce qu’il t’a massé le cuir chevelu à toi aussi Josette ? "
Elles avaient oubliées ma présence.
Dans la salle du personnel, Judith une jeune infirmière m’a expliqué que Stéphane allait pendant deux jours s’occuper des vieilles dames, les masser, les maquiller, les parfumer. C’était la première fois qu’il venait. D’habitude, pour les fêtes on faisait plutôt appel à des conteurs, des musiciens. Mais Stéphane avait l’air de produire un effet surprenant :
"Elles l’ont surnommé Jésus à cause de ses cheveux longs. Et puis elles ont l’impression de rajeunir, tu sais, il les dorlote, il leur fait des compliments… Il y en a qui n’ont jamais connu ça de leur vie. A la fin, le 30, on votera pour la plus belle et on dansera dans la salle à manger. Avant, ça ne semblait pas les intéresser mais maintenant j’en connais qui ne vont rêver que de ça…"
Le lendemain, Stéphane a commencé à s'occuper de toutes les dames de la maison. Je le croisais parfois lorsque j’allais faire un lit ou vider une sonde. Il avait une petite mallette remplie de produits, de poudre, de pommades, de parfums. Ses mains longues et fines lissaient les rides des vieilles pendant qu’il les écoutait raconter :
" J’ai été trois fois veuve moi, disait Josette. Mais cette fois je crois bien que c’est la dernière. Pas envie de torcher le cul d’un vieux… "
Certaines lui faisaient du charme ouvertement. Stéphane leur demandait ce qu’elles allaient mettre pour le grand soir et elles organisaient des essayages en sa présence. Il donnait son avis avec humour et respect. Souvent, il ponctuait ses phrases de clin d'œil qui faisaient glousser les mamies de façon hystérique.
J'ai surpris un jour Yvette, la plus coquette de la maison, nue devant lui. Elle expliquait :
" Voyez, je suis encore bien de ma personne. Je n’ai pas eu d’enfant. Oui ma peau est moins lisse mais regardez, mes seins sont encore fermes. "
Lorsqu'elle m'a vue, elle s'est avancée calmement dans ma direction et elle a fermé doucement la porte de sa chambre devant mon nez. Ses seins rebondissaient gracieusement tandis qu'elle rentrait son ventre comme une danseuse étoile.
Derrière Stéphane, les bavardages ne tarissaient pas :
" Ce jeune homme sa coiffure, c’est pas possible ! Ses cheveux, il devrait les couper. Mais quel ange !"
"On dirait un babacolle m'a déclaré Giselle, fière de connaître un mot anglais".
- Peut-être, mais en tous cas c’est un saint, a ajouté Marguerite. "
Jamais le nom de Jésus n’avait suscité une telle ferveur.
Le 30 décembre, ( on fêtait la fin d’année le 30 pour laisser les employés libres le 31 ) Stéphane a dû danser avec chacune des vieilles dames pomponnées, attifées et parfumées comme des jeunes filles à leur premier bal. Ses cheveux glissaient sur son dos, effleuraient sa joue. Ses pupilles reflétaient les boules disco qui pendaient au plafond. Il faisait virevolter les dames à canne, les fatiguées, les essoufflées, les déprimées, les variqueuses et les pisseuses, les oublieuses et les râleuses. Moi j'observais, impassible, en servant les rafraichissements, et chaque fois, croiser son regard, créait un frémissement dans mon ventre qui me faisait penser qu'un oiseau y était emprisonné.
De temps en temps je quittais la salle pour accompagner celles qui voulaient aller se coucher et je ressentais un trouble indéfinissable, comme si mon dos sur lequel les lampes disco laissaient des traces brûlantes refusait de quitter tout à fait la salle à manger. Les flonflons de la fête s'atténuait dans l'ascenseur et dans les couloirs où nos chaussures se décollait du lino avec un bruit de bouche, tout ne semblait être qu'un rêve.
Yvette qui m'aperçut, adossée à un mur dans sa chambre me secoua :
" Qu'est c'est que ce visage hagard ? Avec un beau jeune homme comme ça auprès de vous ! Je serais vous je danserais toute la nuit... Ah, soupira-t-elle, il n'y a plus de jeunesse !"
(A suivre...)
22 commentaires:
A voté! :-)
Génial ! J'adore ce concept de pomponner les personnes âgées des maisons de retraite ! (c'est une maison de retraite féminine ?) ;-)
Et le lien transgénérationnel de la fin est juste sublime !
"Ses cheveux glissaient sur son dos, effleuraient sa joue. Ses pupilles reflétaient les boules disco qui pendaient au plafond. Il faisait virevolter les dames à canne, les fatiguées, les essoufflées, les déprimées, les variqueuses et les pisseuses, les oublieuses et les râleuses. Moi j'observais, impassible, en servant les rafraichissements, et chaque fois, croiser son regard, créait un frémissement dans mon ventre qui me faisait penser qu'un oiseau y était emprisonné.
De temps en temps je quittais la salle pour accompagner celles qui voulaient aller se coucher et je ressentais un trouble indéfinissable, comme si mon dos sur lequel les lampes disco laissaient des traces brûlantes refusait de quitter tout à fait la salle à manger. Les flonflons de la fête s'atténuait dans l'ascenseur et dans les couloirs où nos chaussures se décollait du lino avec un bruit de bouche, tout ne semblait être qu'un rêve."
Extraordinaire !
Tu le sais bien, Zoridae, nous ne vieillissons qu'à l'extérieur. Nous sommes tous étonnés des rides qui sillonnent notre visage d'enfant.
Ceci dit, je déteste que les gens traitent les vieux comme des gamins impubères. Ce sont des adultes comme nous. Et comme disait Brassens, un jeune con devient un vieux con, on ne devient pas con en vieillissant. En revanche, on peut s'améliorer.
Vraiment, quel talent !
Chloé Clafoutis
Quel plaisir de te lire !
Magwann,
Merci beaucoup, c'est super !
Poumok,
Oui, si j'avais cette formation je proposerais de le faire bénévolement. Mais je crois qu'il existe quelques associations qui font ce travail... Je vais me renseigner tiens :))
(Merci)
Dorham,
Arrête de me pourrir toi ;)
Ellie,
Oui, moi aussi je déteste ça "alors ? comment elle va mme Bronchu aujourd'hui ? elle a bien mangé sa purée ? Oh, elle a fait la difficile, la vilaine !" Il devrait y avoir des lois contre ça...
Chloe Clafoutis,Loïs de Murphy,
Merci :))
Arrête de me pourrir ?
ça veut dire quoi ?
Compren,ds pas...
Je n'étais pas ironique du tout...
Vraiment excellent... compliment, nom de code Deep Purple.
Dorham,
Excuse-moi, je croyais que c'était clair. Dans ma famille on dit "arrête de la pourrir" et ça veut dire "arrête de la gater"... MAnière de dire que tes compliments me touchent :))
Balmeyer,
Message reçu ;)
Avec ce texte la peur de vieillir s'atténue.
Je suis toujours émerveillée lorsque je vois les personnes très âgées au "repas des anciens" (obligation d'élue où je vais en trainant les pieds et dont je ressort revigorée en partie..) danser sans discontinuer.
Dans les maisons de retraite il n'y a pas assez d'association et pas assez d'animateurs pro (par manque d'argent)
Je crois à l'intergénérationnel : une maison de retraite dans le même batiment qu'une crèche et à côté d'un groupe scolaire...
Sinon ,comme d'hab ,bravo!!!
Tu as vraiment un très beau style, une très belle écriture fluide et transparente dans les émotions que tu veux transcrire... Tout simplement j'adore.
Tout comme j'adore tes histoires car elles sont chouettes ^^
Comme le langage, le sujet me touche autant. Ca me caresse que je lis un texte tendre concernant les gens agés à notre époque...
Allons bon!
Tonnegrande,
Pas bon mais excellent !
Ellie,
"on ne devient pas con en vieillissant" : Ah bon ? Didier Goux est né comme ça.
Zoridae,
Désolé, je suis en retard de lecture, de compliments et de grossièretés diverses... Mais ton blog est tel que je ne peux pas le lire en répondant au téléphone à un client ou en attendant les collègues pour aller manger ! Ca empêcherait d'apprécier à se juste valeur !
Cela dit, j'attends avec impatience la suite pour savoir si Jésus a réussi à tirer une vieille.
Jelaipa,
Je crois aux mêmes choses que toi. Ce n'est pas la vieillesse qui est effrayante mais le peu de vie que l'on autorise aux personnes âgées...
Merci :))
Yelka,
Merci merci merci :)))
Igor,
"ça me caresse" : que c'est beau !
Tonnégrande,
Et oui ! Tu vois j'aime bien les vieux ;)
Nicolas,
Merci de faire les réponses à ma place. En ce moment j'ai souvent du retard. Viens quand tu veux mon cher, tes blagues qu'importe quand elles tombent, me surprennent toujours et me font exploser de rire :)))
Une bien belle histoire, très émouvante. Vite la suite ...
Catherine,
Merci :)) Allez, je m'y mets tout de suite !
vraiment bon ! Il y a une petite coquille au debut: "ça ne semblait pas les intéresser pas".
Vagant,
Merci ! Je suis vraiment furieuse contre moi-même quand je laisse passer ce genre de fautes...
Magnifique et touchant !
Ca doit être un tel vide pour les personnes âgées de ne plus être caressées, touchées.
Comme Ellie le fait remarquer, une vieille femme est toujours une femme, ni asexuée, ni insensible.
Merci pour ce texte :)
Fiso,
Chez toutes les femmes âgées que je connais, au contraire il me semble que la sensibilité est exacerbée. Je me souviens d'avoir massé le dos de ma grand-mère, c'était des moments très forts...
Merci à toi pour ta visite...
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