vendredi 7 mars 2008

Ceci n'est pas une fiction...

B. me regarde en biais, il bafouille et remue ses pieds, ça m'agace. Enfin, il me désigne sa cachette, d'un geste de la main. Je crie, qu'il me les donne, je ne vais pas aller les chercher, et puis quoi encore ? Dans notre bibliothèque, entre les pages d'un livre à la couverture ancienne, il dissimule une dizaine de lettres d'une fille de l'est, Russie ou Pologne, je ne sais plus. D'ailleurs je m'en tape !
Tiens, murmure B. en me tendant les feuillets barbouillés de phrases sirupeuses aux intentions saumâtres. Il baisse les yeux et recommence ce truc avec ses pieds. Je suis à deux doigts de le gifler. Tu te verrais, je balance, tu es ridicule, une vraie caricature !

L'écriture est ronde, les points sur les i ressemblent à des outres, à côté de son prénom terminé par a, elle a dessiné un cœur percé d'une flèche. Je le connais, quand même, en voyant ça, il a dû se poser des questions, non ? Je saisis les missives du bout des doigts. B. recommence à piétiner, arrête, crié-je un peu fort tout de même. Je le regrette mais je ne parviens pas à rester calme, mes gestes sont péremptoires, ma voix claque comme un fouet. Je le hais. Je te le jure, il ne s'est rien passé, on s'est écrit c'est tout. Gnagnagnagna, je réponds, en imitant son chevrotement contrit.

Un peu plus tard, je suis chez elle. Petra habite dans un studio beau et propre. Boulotte, le cheveux mou, la lèvre mièvre et le regard d'un mérou, elle m'observe, impassible. Je suis tentée une seconde d'être soulagée par son apparence physique, de ne plus m'inquiéter mais elle me parle et elle me dit qu'elle va le séduire, que le travail est presque fini. Qu'elle va me le prendre. Son accent chantant rend ses paroles presque charmantes. Je hurle, je menace et elle, elle reste très calme, avec un petit sourire ironique qui ne fait remonter sa bouche que d'un côté. Je sens qu'elle va gagner, justement parce que je ne sais pas garder mon sang froid. On dirait que j'ai déjà perdu. Que je suis déjà seule.

Et puis c'est dimanche. J'ai essayé le chantage. Je lui ai parlé de son fils :
Tu te rends compte que tu ne vivras plus avec lui ? L'erreur a été d'ajouter connard. B., après un soupir, est allé rejoindre sa maitresse machiavélique.

Il l'adore Zozo mais il ne l'a pas embrassé avant de partir. Il ne s'est pas retourné pour nous regarder sur le pas de la porte. Il est parti, juste comme ça. Ciao bye bye, à la revoyure !

Zozo joue sur l'herbe et je ponctue son jeu de phrases impliquées :
"Oh ! Elle roule vite la voiture."
Et tout à coup ça y est. Je ressens autre chose qu'une rage glaciale. Ça commence dans ma gorge qui se serre et ça dégouline, je hoquète, je transpire... Je pleure.

*****


Quand le réveil a sonné ce matin, je n'étais pas de bonne humeur. B. m'a regardé, disant bonjour avec un doux sourire.
"Oh toi, ai-je asséné, ne la ramène pas, tu en as assez fait dans mes rêves cette nuit !"

Il est allé préparer le café.


Illustration : artandghosts

41 commentaires:

Nefisa a dit…

Finalement, l'insomnie, ça a du bon parfois.

Si tu veux je te prête l'épingle à cheveu effilée et fantasmagorique qui me sert à éventrer proprement mes adversaires dans de tels rêves (et accessoirement B; qui le mérite. )

J'écoutais Jolene de dolly Parton en lisant ça, tout à fait à propos.

Nicolas Jégou a dit…

Elle est bonne, Pétra ?

Anonyme a dit…

ahah ! bien joué !!

Je ne me souviens pas trop souvent de mes rêves, mais c'est vrai qu'ils influent beaucoup la journée. Et puis, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'ils ont une signification. Par exemple, si dans le rêve je pleure, je crois que je suis très malheureuse mais que je me le cache, si j'aime, c'est que j'aime sans me l'avouer etc.
Je pense que c'est un mélange de superstition (style pas de fumée sans feu) et de connaissances superficielles de la psychanalyse (l'inconscient).
Et des fois, juste des emmerdements biologiques : une tentative d'assassinat au couteau annonce une gastro, un désespoir, une conjonctivite, une impossibilité de bouger, des fourmis dans les pieds ...

Anonyme a dit…

Au fait je voulais te demander, Zoridae, comment tu fais pour trouver tes superbes illustrations ? Je veux dire, comment tu les connais ?

Anonyme a dit…

Ouch !
Finalement mieux vaut peut être être insomniaque parfois...

Anonyme a dit…

J'aime votre blog. Il m'électrise et il m'enchante. Du coup, j'ai décidé de le " lier " au mien...

Anonyme a dit…

Eh bien, quel rêve !

Moi aussi je me souviens parfois avec précision de mes rêves.

Il y est toujours question de mes enfants, et les rares fois que mon mari apparaît, c'est pour me consoler de leur disparition, ou ce genre de chose très riante.

Chloé Clafoutis

Toutes ces nouvelles, récits et autres sont extraordinaires ! Quelle force !

Christie a dit…

certains rêves sont troublants..Et notre inconscient tenace..dans sa façon de s'exprimer, il nous prend parfois par surprise..

Dorham a dit…

Hihi, c'est drole, j'ai justement un rêve à raconter ; complètement bizarroïde et je voulais le soumettre à l'analyse de tous...

Et la journée, tu dors debout ?

Didier Goux a dit…

Tiens, c'est drôle, moi aussi, ça m'arrive de me faire engueuler dès le matin pour ce que j'ai fait durant la nuit.

Ma totale solidarité envers Monsieur...

Anonyme a dit…

Tu as rêvé le cauchemar de ma vie d'aujourd'hui... c'est troublant et j'en pleure à chaudes larmes...
Nelly

Balmeyer a dit…

C'est assez difficile ! Encore, il aurait fréquenté des Pétra de manière somnambulique, on aurait pu comprendre qu'il y ait débat, mais là, en rêve !

Sachez que lorsque l'inverse arrive, à savoir que lui rêve que madame fréquente des Pétro ou des Piotr, et bien c'est lui qui se fait engueuler car il "ne fait pas confiance", et qu'il a des "idées tordues" et que ça veut dire qu'il ne se sent pas tellement la "conscience tranquille".

Zoridae a dit…

Nef,

Oui l'insomnie c'est mieux que les cauchemars...

Je veux bien ton épingle à cheveux pour le prochain ;)

Dolly quoi ? Je ne connais rien en musique d'aujourd'hui, je n'écoute que du classique mais j'ai faim d'en découvrir (merci encore Gaël !)

Nicolas,

Journée de la femme stop ! Je croyais que tu allais parler du désordre de mon bureau mais je vois que tu n'as pas bien lu : j'ai pourtant bien décrit Petra !

Audine,

Moi non plus, je ne me souviens, le plus souvent, que de cauchemars et heureusement, en ce moment, ils sont rares. Je suis comme toi, je me pose beaucoup de questions sur le pourquoi de ces songes. Qu'est-ce qu'ils disent de moi, du réel, de mes peurs ou bien du passé ? J'ai eu aussi, à une époque, des rêves prémonitoires et j'ai toujours peur qu'un cauchemar le soit.

Audine,

Je les trouve, principalement sur www.etsy.com

Manou,

Bienvenue, très heureuse de te voir ici :))
C'est bien vrai, les insomnies on peut en profiter, au pire on est fatigué le lendemain. Les cauchemars teintent nos journées d'amertume ou d'angoisse.
(Devant toutes ces réponses à faire, je pensais comme c'était bien chez vous, les ménagères, parce que vous pouviez répondre en intercalant vos réponses. Bon, par contre, vous n'avez pas le suivi de commentaires...)

Laurent Morancé,

BIenvenu ici, je suis ravie de ce que vous me dites. Merci pour le lien. J'irai lire votre blog également...

Chloe Clafoutis,

J'ai fait quelques rêves comme les tiens, argh, je préfère les oublier très vite ceux-là...

Merci beaucoup :)))

Christie,

Tu as raison en parlant d'inconscient, ce genre de songe est rémanent chez moi et je sais à peu près pourquoi...

Dorham,

J'ai hâte de lire ça :))
Oui, parfois. Si ce n'est pas trop souvent j'aime bien cet état qui donne une impression que le monde tourne au ralenti...

Didier Goux,

Si Catherine vous engueule, c'est que vous le méritez, ne protestez pas !

Oh Nelly, je suis désolée ! Je compatis vraiment. Si tu as besoin d'en parler par mail, n'hésite pas (le mien est quelque part sur la page de mon blog)... Des bises pour toi !

Balmeyer,

Idem que Didier Goux, sachant que les femmes sont la clairvoyance même, tu ne m'attendriras pas en racontant les déboires de Monsieur !
(Smiley, smiley !)

Tonnégrande a dit…

J'ai rêvé d'une fille, dont je tairais le nom à cause de son mari, je me suis fait engueuler au réveil par ma femme.
Je lui ai parlé de Freud, elle n'a rien voulu comprendre,
c'est peut-être parce qu'elle a été obligée de changer les draps ?

Anonyme a dit…

Merci pour ce notule.

Anonyme a dit…

Et quand le rêve crée l'insomnie ?
Cette nuit j'ai rêvé ,que tenant le bureau de vote pendant les heures de nuit ,quelqu'un insistait pour me réveiller;je n'y arrivais pas tellement je dormais bien mais ai fait un effort.Résultat ,à 3H30 j'émergeais,angoissée car seule dans ma chambre(et en doutant) et ne me suis pas rendormie car je devais à l'aube chercher mon fils à Roissy!!!
Je choisis quoi ?

Anonyme a dit…

rien de tel pour se mettre de bonne humeur qu'un bon café par son chérie !!!

Tifenn a dit…

Quel Salaud! quelle chance de ne pas se souvenir de ses rêves. Mais ça ne fait pas du bon café!

Anonyme a dit…

Ce texte est très beau, vraiment beau !

Catherine a dit…

MDR, je fais la même chose mais mon Luminaire Céleste vous l'a déjà dit ! De toute façon, "ils" le méritent !

Zoridae a dit…

Tonnégrande,

Je me demande ce que penserait Freud de ce commentaire ?

Loïs de Murphy,

Tout le plaisir est pour moi :))

Jelaipa,

ça m'est arrivé aussi, un cauchemar tellement fort qu'il te laisse angoissée jusqu'à la sonnerie du réveil, je compatis !

Syboule,

Bienvenue ici !

C'est vrai que ça va mieux après le café ;)

Tifenn,

En vrai c'est un trésor !

Fanette,

Bienvenue ici aussi, et merci pour tes gentils mots...

Catherine,

Top là ! Non mais !

Nicolas Jégou a dit…

Belle brochette de réponses ! Bravo ! On croit rêver.

Anonyme a dit…

Pauvre homme !
;)

Anonyme a dit…

Je viens juste de découvrir votre blog qui est fort agréable à lire. Je vous offre une petite voix, en attendant de prochainement revenir ici.

Tonnégrande a dit…

Zoridae,
Freud, il est mal placé pour me donner des leçons, ce vieux cochon !

Le_M_Poireau a dit…

Zoridae, rappelle moi d'expliquer à B. comment cacher une maîtresse potentielle un peu plus soigneusement et de manière à ne pas être repéré !
Qu'est ce que c'est que cette planque de débutant pour les courriers !
On ne nait pas Dom Juan, on le devient et ca se travaille tous les jours ! :-)))

Anonyme a dit…

Monsieur Poireau, je la cache dans les rêves de l'épouse, n'est-ce pas l'endroit le plus idéal ? :-)

Zoridae a dit…

Nicolas,

Tu aimes les brochettes ?

Paddy,

Bienvenue ici et merci beaucoup d'avoir voté pour moi :))) A bientôt alors !

Tonnégrande,

Comme disait feu mon grand-père "mieux vaut donner à manger aux cochons !"

B. et Monsieur Poireau,

Veuillez tous les deux changer de place, je ne veux plus vous voir discuter ensemble !

Anonyme a dit…

Est-ce que le café fut bon quand même ?? ^^

Zoridae a dit…

Yelka,

Un peu amer ;)

Anonyme a dit…

tu m'as fais peur... j'ai vraiment été soulagée par la chute...

Zoridae a dit…

Qui est ma belle anonyme de ce soir ?

(Sais tu - qui que tu sois - qu'en dessous de la case où tu écris ton commentaire, tu peux "cocher" le bouton Nom/URL et rentrer au moins ton prénom ?) Ainsi je saurai s'il s'agit d'Isabelle, de Nathalie ou de Maman ?)

Tonnégrande a dit…

Zoridae,
Je te demande de me faire tes excuses, dans les meilleurs délais, pour m'avoir insulté !
A moins que tu préfères que je raconte à tout le monde ce que tu faisais dans le rêve, dont Freud a été témoin ?

Zoridae a dit…

Tonnégrande,

Je ne t'ai pas insulté, je parlais de Freud !

Nicolas Jégou a dit…

Zoridae,

Ne réponds jamais à Tonnegrande à cette heure-ci !

Zoridae a dit…

Nicolas,

Pourquoi, il est saoul ?

Nicolas Jégou a dit…

Non, fatigué !

Le_M_Poireau a dit…

Zoridae : J'ai fait cette nuit un rêve étrange dans lequel je me retrouvais dans un pays étranger parmi des gens que je ne connaissaient pas et dont je ne parlais pas la langue (ça faisait un peu penser au roman "épépé"). Mes amis sensés être avec moi m'avaient laissé sur place pour aller manger en Ukraine dans un super restaurant…
Le père de la famille qui m'hébergeait avait un bras en plastique…

Tout cela est étrange mais en réfléchissant juste un peu, je peux retrouver chacun des éléments du rêve dans ma vie réelle, notamment parmi les conversations que j'ai pu avoir avec tel ou telle. Ainsi les rêves se tissent du réel mais se masquent d'imaginaire…

:-)

Tonnégrande a dit…

Monsieur Poireau devrait s'abstenir d'écrire à 6h 37 car, visiblement, il n'a pas encore dégorgé.

Zoridae,
Ah bon!
Tu est pardonnée.
Mais n'oublie pas que je garde ton dossier médical sous le coude, en cas de nouvelle dérive.

Nicolas,
Toi aussi tu est pardonné car tu as explicitement reconnu que à l'heure dite, je suis comme tout bon travailleur fatigué de mon labeur.
J'ai un vrai métier, moi!

Anonyme a dit…

C’était donc le fameux rêve ! Ce texte est superbe. J’aime particulièrement la description de la fille. Il aurait été particulièrement intéressant d’écrire sur l’intrusion du rêve dans le réel, et inversement. Imaginer ce qui pourrait le motiver et ce qu’il pourrait suggérer. Un peu étoffé, cela donnerait une belle nouvelle.

Zoridae a dit…

Vagant, merci pour les conseils, je vais y penser :) Vraiment !