vendredi 28 mars 2008

Un DRING !

Des inconvénients d'être une femme seule, je n'ignorais rien à huit ans et même si je n'avais sans doute pas vraiment envie de voir un inconnu s'immiscer dans notre quotidien, je réitérais mes prières continuellement.
Lorsque je voyais ma mère manier une perceuse, installer une étagère, affronter un garagiste et craquer parce qu'elle s'apercevait que ses amies mariées ne l'invitaient plus aux fêtes qu'ils donnaient, je ne savais plus quoi inventer pour être entendue :

"S'il vous plaît, écrivais-je, faites que ma mère trouve un mari et je promets de ne plus jamais tricher au 1000 bornes !"

Si j'en ressentais la nécessité, je recopiais la formule cent fois, deux cent fois, comme une punition magique.

Célibataire, au milieu des jolies familles de Province, ma mère était confrontée, tantôt au silence des gens qui pensaient qu'elle n'aurait rien d'intéressant à raconter puisque, séparée, elle était censée ne vivre qu'à moitié, tantôt à la féroce jalousie des autres, malheureux en couple, qui lui enviaient une liberté palpitante dans leur imagination.

La vérité, comme bien souvent, se situait juste au milieu.

Un soir, alors que nous étions couchées depuis une heure, un coup de sonnette, bref mais strident, me tira d'un songe hésitant. J'entendis ma mère ouvrir la porte d'entrée et chuchoter à toute vitesse. Elle fit entrer le visiteur que j'identifiais comme étant un homme en entendant une voix profonde qui avait peine à se contenir.
Un homme que je ne connaissais pas.
Un homme que je n'avais jamais entendu.

J'imaginai, un instant, qu'il s'agissait d'Amadis, le croque-mort. Mais pourquoi ma mère avait-elle l'air si affolé ?
Doucement je fis glisser mes jambes sur le matelas et posai mes pieds sur le sol couvert d'une fine moquette bleue un peu râpeuse. Je passai devant le lit où ma sœur ronflait, enrhumée, bras et jambes étirés en travers du lit. Elle marmonna quelque chose que j'entendis à peine au moment où je la dépassai. Je fis un bond sur place mais ne me retournai pas :

"Quoi ? fis-je, pétrifiée."
Anna ne me répondit pas.
Un instant, je restai devant la porte. Les ronflements languissants reprirent, j'actionnai la poignée au ralenti. Le couloir qui menait au salon était éteint, cependant, il était resté entrebâillé. La voix de ma mère me parvint, indistincte et néanmoins criarde. L'homme parlait peu et toujours sur le ton de l'interrogation. Je m'approchai en catimini et, enfin, pus comprendre un mot qui siffla entre les dents de ma mère et tonna dans la bouche de l'homme en retour : "enlèvement".

Soudain ma mère éclata en sanglots. L'homme tonna :
"Ne vous inquiétez pas, personne ne fera de mal à vos petites filles, je vous en donne ma parole ! Faites ce que je vous ai dit et tout ira bien..."

Ma mère le remercia en reniflant. Elle s'exprimait à présent d'une toute petite voix dont les ondes semblaient brouillées Les pieds nus sur le carrelage, je grelottai, le cœur serré d'une angoisse féroce. J'étais sur le point de me précipiter en sanglotant dans la pièce. Que se passait-il ? Qui voulait nous faire du mal ? Et pourquoi à nous ? Je pensai à mon père et à ses accès de rage mais je sentis qu'il ne s'agissait pas de lui.

Enfin, l'homme se leva, salua ma mère et partit, d'un pas lourd. Elle ferma la porte avec précaution, s'appuya contre, se moucha. La peur semblait s'étendre entre nous comme un nuage toxique. Car ma mère avait peur : elle respirait trop vite et frottait ses mains l'une contre l'autre. Tout d'un coup, elle soupira et quitta l'appui de la porte. Je croyais qu'elle allait retourner dans le salon et j'hésitais à aller la voir, lui parler, la toucher.

Au lieu de cela, elle tira la porte du couloir derrière laquelle je me cachais et je lui sautai dans les bras. Elle tenta de darder sur moi un regard sévère ; tout ce que je remarquai ce furent ses longs cils mouillés, ses paupières rougies. Ses cheveux chatouillaient ma joue. Je respirai l'odeur de son cou avec des gémissements de chiot.

"Bon, qu'as-tu entendu exactement ? me demanda-t-elle".

(A suivre...)
Illustration : Kellie Schneider

42 commentaires:

Didier Goux a dit…

C'est pas beau, de tricher au Mille bornes. Non, vraiment, c'est moche.

Je suis déçu, mais déçu...

(Bon, à part ça, elle a entendu quoi d'autre, la petite ? Vous ne pouvez pas nous laisser comme ça !)

detoutderien a dit…

c'est vrai ça (et merde je suis d'accord avec Didier Goux...) faudrait voir à arrêter de jouer avec notre palpitant comme ça !

Didier Goux a dit…

Je viens de voter pour vous depuis mon ordinateur de Levallois. Lorsque les autres seront partis déjeuner, je vous en rajouterai trois ou quatre autres sur leurs postes respectifs...

Nicolas Jégou a dit…

Didier Goux,

C'est pas beau de tricher.

Zori,

Bon la suite ?

Didier Goux a dit…

Bon, j'en suis à cinq votes pour vous, plus ceux de l'Irremplaçable : peux pas faire mieux...

Catherine a dit…

Si j'ai bien compris, quand on n'est pas seule, on ne fait pas de perceuse, on ne bricole pas, on ne négocie pas avec les ouvriers qui viennent faire les travaux ? Va être content d'apprendre ça mon trollounet !
Encore un petit bout d'histoire touchant, je savoure et j'attends patiemment la suite.
Vous en êtes où pour le concours ?

Didier Goux a dit…

S ! on pouvait faire mieux : j'en suis à neuf votes en votre faveur.

Didier Goux a dit…

ONZE !

Nicolas Jégou a dit…

A 12,5° vous arrêtez ?

Balmeyer a dit…

Plus jamais de mille bornes. Moi j'm'en fous, je connais la suite, naquenaquenère.

Didier Goux a dit…

Je crois que j'en suis à treize ou quatorze : tout le monde s'y est mis...

Didier Goux a dit…

DIX-SEPT !

Didier Goux a dit…

Folie furieuse : j'en suis à 22 ou 23...

Dorham a dit…

Bien, j'interromps ce délire momentanément pour remarquer (je ne dis rien sur la qualité de ton texte pour ne pas encore faire concert, ça changera...après tu vas vraiment t'habituer) qu'il y a beaucoup de nuits dans tes textes. Des nuits d'écouter, de veille, des moments où l'on se fait petite souris, pour écouter, avoir des fantasmes d'indiscrète...

C'est une jolie récurrence. Et accessoirement, je remarque que les femmes sont souvent très douées pour faire renaître l'enfance.
Les hommes, ils s'étouffent sous leur testostérone...

Dorham a dit…

Didier,

y a la police de Romans qui vous cherche...

Catherine a dit…

Didier tu fais le tour du journal ?

Balmeyer a dit…

Didier : vous êtes complètement fou ! Je me prépare psychologiquement à vivre avec un portrait de vous au dessus de mon lit.

Didier Goux a dit…

Bon, là, je deviens fou : vos votes devraient augmenter de 25 à 30...

Nicolas Jégou a dit…

Balmeyer,

Fais gaffe. Didier Goux est gros. Le portrait au dessus du lit risque de tomber.

Didier Goux a dit…

Je fais le tour du journal, en effet. Je suis même passé voir Vincent (le boos de l'informatique, pour les autres), qui me promettait entre deux mille et trois mille votes. Mais quand je lui ai dit que ça impliquait de taper deux ou trois mille adresse mail, il a un peu fait machine arrière...

Balmeyer a dit…

Nicolas : je pense que Zoridae est prête à prendre ce risque.

Le classement est visible ici !

Balmeyer a dit…

Didier : non, 2000 votes, et Zoridae est éjectée illico.

D'ailleurs, il existe toujours la possibilité de perdre des voix si les techniciens estiment que vos 40 votes sont le fruit d'un même établissement, d'une même adresse IP. C'est dommage, dans mon entreprise, tout le monde sort avec la même IP...

Didier Goux a dit…

Non, ici, chacun (à ma connaissance) a sa propre adresse IP. Bon, j'en suis à trente, au moins j'aurai essayé...

Balmeyer a dit…

Avec 200 votes elle est remontée en 14ème position ! C'est jouable ! Le 10ème est à 258.

Ceci dit, chaque poste dans un réseau interne a une adresse différente, mais pour sortir vers le web, l'adresse est souvent unique, enfin, bref, pas grave, il n'y a rien à perdre !

Didier Goux a dit…

J'ai aussi de mandé à un certain nombre de jouer sur leur adresse personnelle...

Yibus a dit…

J'ai voté, le texte du jour faisant foi
(Didier, quand il aime, ne compte plus)

Zoridae a dit…

A tous, merci merci merci... J'arrive juste après une grosse journée et je suis vraiment émue de vos commentaires, de vos votes. Didier, quand je vous verrai le 8 je vous ferai deux bises sonores et trébuchantes pour vous remercier... Vous êtes le troll le plus gentil du monde et du coup le plus original.

Mais zut alors (je n'ose pas jurer sur mon blog, c'est fou ça !) vous me donnez furieusement envie de gagner !)

Bon, mon fils a faim. Mon époux aussi. Nous allons donc diner et je reviendrai ce soir...

Dorham a dit…

Quel flemmard, ce B.

Nefisa a dit…

Du suspens sur ton blog, du suspens à romans grâce à Didier Goux (je suis volontaire pour aller lui tirer le portrait si vous en voulez un au dessus du lit), raaah, vivement lundi, je vais finir par faire un infarctus...

Anonyme a dit…

ce suspense... j'en ai une boule juste là...

Anonyme a dit…

la suite !!!!!!!!!!!!!!!!!!
(puis j'ai voté !)

Didier Goux a dit…

M. Balmeyer, n'acceptez JAMAIS mon portrait au-dessus de votre lit : on ne fait pas plus dégodant, dans le genre.

(Et pour assécher le delta de Madame, pas mieux non plus...)

Zoridae a dit…

Mille excuses car je viens de publier un nouveau billet qui n'a rien à voir avec l'histoire en cours... J'ai conscience de mal faire mais que voulez-vous, j'aime jouer et là, il fallait le faire avant demain midi !

Didier,

Je vous redis que je vous adore ! Merci pour ce que vous avez fait aujourd'hui...

Gaël,

Toi aussi je t'adore même si tu commentes pour râler ;)

Nicolas,

Toi aussi ! Demain... Peut-être !

Catherine,

Pour ma mère c'était dur par moment. Et je crois que les enfants n'aiment pas voir leurs parents jouer des rôles qui ne leur vont pas...
Pour le concours, ce soir j'ai 210 voix. Je suis treizième donc pas encore qualifiée... Mais presque ;)

Balmeyer,

Si tu connais la suite t'as qu'à la raconter...

(Je plaisante !)

Dorham,

ça me plait ce que tu as remarqué de mes textes, cette histoire de nuit.

Comme l'écrit Balmeyer dans les commentaires de son dernier billet, "tes commentaires me font toujours sentir plus rutilant(e) que je ne suis !"
Tu devrais être critique littéraire ...
(Mon dernier texte est un clin d'œil à tes talents cachés)

Didier,

Je vais vous photographier lorsque nous nous verrons et votre portrait sera quelque part dans ma maison... Soyez-en sûr ! Au fait, et Catherine ? Elle sera là ?

Yibus,

Bienvenue ici et merci de votre vote... N'hésitez pas à revenir, d'habitude ils sont plus calmes...

Dorham 2,

Pourquoi dis-tu que B. est un flemmard ?

Nef,

Tu fais de la photo ?
Tu as raison, vivement lundi mais vivement demain aussi pour trinquer à la santé de Didier ;)

Nelly,

Désolée Nelly, il faudra attendre encore un peu...

Camaienne,

Pardon pardon !!
Merci merci :)))

Didier,

Mais non, j'aime les grandes oreilles !

Anonyme a dit…

"Bon, mon fils a faim. Mon époux aussi"

On croit rêver !

Sainte Zoridae ! patronne des maris affamés !

"Je vous laisse, hélas, car j'ai mon mari à nourrir et sinon il va me violenter, car il est de retour de la mine et il a beaucoup bu à l'Assommoir..."

Nicolas Jégou a dit…

Il a vomi où ?

Dorham a dit…

B. a répondu sur la flemmardise. C'est toi qui fait à manger...j'espère que de temps en temps, il joue aussi à la ménagère...

En tous cas, j'espère ne jamais devenir critique littéraire. Vraiment, ce n'est pas enviable comme position. Mais j'aurais aimé être un bon agent littéraire. C'était autrefois, quand j'avais 20 ans... je ne vous fais pas plus rutilant que vous n'êtes. Je ne suis pas un vrai surfeur de web mais j'ai du mal à accrocher aux autres blogs littéraires que j'ai lus, à part les votres. Vous et Didier Goux. Parce qu'ailleurs c'est souvent trop nombriliste, répétitif,pas assez déconneur, pas assez humble. Le monde est rempli d'écrivains bohèmes, de petits gribouilleurs...

Tous les 2, il faut que vous arrêtiez de vous sous-estimer et surtout que vous fassiez des trucs. Tu n'as pas besoin de Romans pour être lue par des pros. Il te suffit d'imprimer et d'envoyer ça un peu partout. Je crois que ça vaut le détour.

Lachez-vous les enfants...

Grand Oncle Dorham :-))

Anonyme a dit…

Et alors va-t-on sortir de la nuit ? (la suite !!)

Zoridae a dit…

B.

"Sainte Zoridae"... hum, ça sonne bien ça ! Je vais peut-être changer mon pseudo...

Nicolas,

Il ne vomi pas quand il a travaillé à la mine avant !

Dorham,

B. fait la vaisselle, je préfère faire à manger ;)
Et toi ?

Pour les critiques littéraires ça dépend, critiquer ne veut pas forcément dire descendre...

Enfin bref, venons-en au fait.

Tes éloges me touchent encore une fois. Je sens bien que tu as raison. Je le sais pour Balmeyer, je n'arrête pas de le lui dire. A mon sujet je sais que je dois travailler, écrire et me bouger pour que les choses avancent. En fait, elles n'ont jamais tant avancé dans ma tête que depuis que j'ai créé un blog. Que c'est bon d'être lue ! Que c'est bon d'être entendue et comprise ! Je suis 1000, 10000 fois plus confiante qu'avant. Alors merci. Bientôt, j'en suis sûre, je me lâcherai et je n'aurai plus peur.

Et ce sera un peu grâce à toi.
Si si.

Anonyme a dit…

Suspens ! Suspens !

Anonyme a dit…

Pétard de moine mais c'est pas vrai ! Ton lien rss avait disparu de mon agrégateur Netvibes et je suis venue voir pourquoi tu ne postais plus avant de comprendre que c'était Netvibes qui déconnait !

Zoridae a dit…

Loïs,

Arg ! Traitre de Netvibes !
Je me disais aussi que je ne voyais plus !
Merci d'être revenue...

Anonyme a dit…

Bien obligée de revenir vérifier, les bonnes plumes ne sont pas pléthore sur la toile :o)