Je me réveille. 3h48 indique mon réveil. Les yeux pleins de songes je suis alerte, prête à me lever comme si la nuit était finie. Mon cœur bat vite. Pourquoi ? Quel cauchemar m'a communiqué cette urgence à vivre ? Je me lève. 3h50 clignotent les chiffres rouges. Le parquet craque, je tente de marcher à pas de velours mais le parquet grince et flanche tandis que mes pieds effleurent son ossature de chêne. Je vacille, saoulée de sommeil. En refermant derrière moi la porte de la chambre, je souris. Les insomnies j'ai appris à les savourer comme du temps volé au temps. Je suis seule mais je sais que je ne le suis pas. Dans ma vie, je suis heureuse et, au creux de la nuit, parfois, ce bonheur ne me fait plus peur.
Je ne fais pas plus de bruit qu'une souris, regarde mon appartement à la dérobée comme si je m'y étais invitée en secret. Sur le canapé deux chats m'observent, les huit fers en l'air. Le bureau est couvert de papier, de fils USB, il y a la Passion selon Saint-Mathieu, un bout de pain et une bouteille d'eau vide, une caméra, une brosse à cheveux de bébé. Soudain, quelque chose se pose sur mes épaules, une tristesse inénarrable, l'impression de n'être ni tout à fait dans le passé ni tout à fait dans le présent. Je regarde par la fenêtre et je vois le lit de la femme-qui-dort-dans-ma-rue. Les couvertures forment un monticule coloré mais son crâne n'en dépasse pas. Il me semble qu'elle n'est pas là, a-t-elle accepté d'aller dormir dans un foyer cette nuit ? Hier je lui ai apporté un repas chaud. Elle ne m'a pas regardé dans les yeux. Elle n'a pas refusé, a tendu la main pour saisir l'anse du sac en plastique. De chez-moi je l'ai vu aussitôt ouvrir les petites boîtes et manger. Je l'ai semoncée en esprit comme d'habitude. Cette fois, elle ne m'a pas répondu, elle mastiquait en silence.
Il faut que j'écrive pensé-je, pour me raccrocher à ce moment. L'ordinateur vrombit. Mon fils se met à pleurer.
"Je suis là, murmuré-je dans l'obscurité, je suis là."
Il faut que j'écrive pensé-je, pour me raccrocher à ce moment. L'ordinateur vrombit. Mon fils se met à pleurer.
"Je suis là, murmuré-je dans l'obscurité, je suis là."
Illustration : The black apple
15 commentaires:
...je vais tenter de piquer la blague ...
"Sur le canapé deux chats m'observent, les huit fers en l'air"
Etrange tes bestioles ! Et on dit que le nuage de Tchernobyl s'est arrêté à la frontière...
[très bel instantané, plein de tous ces détails qui font une vie, mis bout à bout]
Les gens qui vivent (et dorment) dans la rue ne laissent jamais leurs affaires derrière eux, certains alors de se les faire voler. Donc, elle devait être là...
C'est curieux car juste avant de lire votre billet, j'ai mis sur ma machine à sons cette pièce pour cordes d'Henri Dutilleux qui s'intitule Ainsi la nuit...
Si elle dort en dessous de ta fenêtre et si tu invites Balmeyer à diner, fais attention à ce que la fenêtre soir bien fermée.
Balmeyer,
Pique, pique donc ;)
Didier Goux,
Je ne sais pas, elle, elle part parfois. Vous croyez vraiment qu'on lui piquerait ses vieilles blaudes ?
Puis, elle a l'air de ne tenir à rien.
Vous écoutez de la bonne musique (je connais très mal Dutilleux mais je suis touchée par la coincidence...)
Nicolas,
Non, ça va, elle est sur le trottoir d'en face ;)
"Geneviève" représente ce que nous avons du mal à réaliser: comment un être humain peut-il "finir" dans la rue. Quel manque de solidarité, quel liens défectueux, quel amour a pu manqué son rendez-vous avec l'enfant en nous, quel acte superficiel a-t'il conduit geneviève à cette misère. Quels êtres humains sans scrupules ont accepté cela ?? Tant de questions fortes qui remettent l'homme au cœur de l'avenir de l'homme, de nos enfants. jusqu'où faut-il accepter de transiger avec le superficiel, avec l'image fausse d'une société bien-pensante qui se croit...
Désolée Zoridae, en ce moment, je suis en pleine interrogations sur l'être humain, la notion de l'HOMME en tant qu'homme, c'est à-dire imparfait, donc perfectible..Mais qui parfois se croit libre de toute humanité.
Merci
Christie,
Tu n'as pas à t'excuser, je partage aussi tes interrogations et chaque fois que je l'aperçois (et c'est souvent) les mêmes questions tournent dans ma tête... C'est pour cela que je parle d'elle ici !
Bon, Saint-Mathieu, la Pasion... Bach, évidemment ? Quelle chose que celle-là, quelle compagnone elle fut dans la solitude de mes premiers jours à Budapest. Je me lie à vos interrogations sur l'humanité, et son incroyable capacité à banaliser la misère. Et aussi d'autres dérives pernicieuses qui conduisent parfois au fascisme. Les insomnies, ça peut vraiment se savourer ?
à voté.
L'image est magnifique, c'est un très bon choix. De qui est-ce ?
Oh!91,
Régulièrement j'ai des crises de Passion... Mais Bach me remue trop alors je veille à ne pas abuser.
Pour les insomnies, elles s'imposent à moi de temps en temps et je ne sais pas toujours pourquoi. Alors au lieu de lutter, oui, je les savoure. Je me lève et je profite du silence de la nuit...
Catherine,
Merci, infiniment !
Loïs de Murphy,
Oui, je la gardais dans ma tablette depuis un moment et j'ai trouvé qu'elle s'imposait ici. L'illustratrice se pseudonomme Balck Apple, le lien est en bas de ce billet...
Je savourais encore mes insomnies jusqu'à il y a peu. Elles me font peur aujourd'hui. Et je n'y trouve plus de mots... c'est pour ça que tu ne me lis plus aussi. (ils reviendront).
Merci pour les tiens...
oh!91, oui, les insomnies se savourent, on apprend à les meubler de vie avec le temps, il faut bien, en son temps, je lisais beaucoup la nuit, la nuit, je m'entêtais à devenir riche de choses et d'autres, parfois, j'appelais une copine aussi, mais dès qu'elle piquait du nez (et oui, les filles aussi s'endorment après la virevolte), je la mettais dehors, pour écouter de la musique en sourdine, écrire des trucs à dormir debout, des chansons, des poèmes à la con, Zoridae, je comprends ça, le bonheur de la démarche à tatons; quand quelqu'un se lève et vous surprend, on a l'impression d'une intrusion, on se sent presque honteux, "t'es encore debout", dit l'autre, "ba oui", tu réponds, et ça t'énerve un peu, je dois dire...
Pardon, je suis hors sujet, là...
La nuit je trouve que c'est un peu le meilleur moment de la journée... Tu profites de ce temps dont tu as l'impression qu'il n'appartient qu'à toi comme un pti bout d'bonheur qu'on sert contre soi..
Nelly,
Tu as raison, pour les savourer il faut être serein.
C'est moi qui te remercies de venir me lire malgré tout...
Dorham,
J'aime bien tes hors-sujet, merci de nous les faire partager ;)
Yelka,
Et quand on est mère ces instants volés sont encore meilleurs qu'avant !
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