mardi 5 février 2008

Tenir la chandelle - Cinquième interlude -

Un an plus tard, dans la voiture avec ma mère et ma soeur, j'essayai de me représenter un nouveau paysage et de nouvelles personnes dans la ferme où nous allions mais je ne pouvais voir d'autre visage que celui du grand-père avec qui j'avais cueilli des champignons le jour du carnage des chats. Il m'avait parlé longuement de la forêt, de sa vie, près de sa fille et son gendre, de sa jeunesse aussi et de la mienne. Lorsque j'avais parlé à mon tour, il m'avait écouté sans m'interrompre et sans bouger, attentif parmi les craquements des arbres centenaires et les battements d'ailes des passereaux égrillards. De retour, il me permit d'entrer dans sa maisonnette et sa femme nous prépara une omelette aux cèpes. Il était 16 heures et j'aurais dû aller dans la cuisine d'à côté pour chercher ma tartine mais le vieil homme m'affirma qu'il n'y avait rien de meilleur que des champignons qui viennent d'être cueillis et que sa fille comprendrait ; elle aussi, autrefois, allait ramasser les champignons avec lui !
Par-dessus la table et notre festin de roi, nous nous regardions, silencieux à présent. Les mastications de notre bouche semblaient chuchoter ce que nous n'avions pas encore dit. Des sourires béats s'étalaient sur nos visage comme le beurre en baratte sur le pain de campagne.

Le lendemain notre mère était venue nous chercher. Une autre voiture stationnait devant la ferme qui grinçait sur ses essieux ; à l'intérieur deux dogues noirs, gigantesques, montraient les crocs. Une mousse blanche baignait leurs babines retroussés. Le garçon qui venait du Gabon nous expliqua, crânement : "Ils peuvent tuer un homme en 20 secondes". Je me demandai s'il allait vraiment monter dans cette voiture avec sa mère et si parfois, il faisait de gros câlins à ses animaux de compagnie d'une amabilité douteuse.
"Suis-je amoureuse de lui ? m'interrogeai-je".
J'avais, depuis, mon plus jeune âge, la manie de tomber amoureuse du moindre avorton qui me parlait gentiment. Je réfléchis un instant aux conséquences d'une idylle avec quelqu'un qui habitait si loin. Ce serait exotique mais... "A plus, lui balançai-je en haussant les épaules. Et fais attention ! ne pus-je m'empêcher d'ajouter avec un geste vers les molosses. "

Je m'étais mise à pleurer lorsque la dernière bâtisse disparut de mon champ de vision.
"C'était bien alors ? argua ma mère.
- Non c'était horrible ! reniflai-je, on n'avait même pas le droit de lire pendant la journée. Et puis le grand-père, le grand-père..." Je ne terminai pas ma phrase.

Six mois plus tard, nous avions appelé pour passer, c'était sur notre chemin, nous revenions d'un mariage.
J'avais réclamé mon ami du dernier jour.
"Il est mort il y a quelques semaines, m'apprit ma mère en raccrochant. On peut y aller quand même si vous voulez. La fermière a dit qu'elle serait ravie de vous revoir."
Mais nous rentrâmes à la maison sans nous arrêter.
Dans ma bouche, la salive avait un goût de terre. Des corbeaux agglutinés dans un champ, s'envolèrent au passage de la voiture.

Illustration : The black apple

27 commentaires:

Anonyme a dit…

Te lire au petit matin juste avant de partir travailler..est un trésor.
I

Anonyme a dit…

J'aime beaucoup tes interludes... du_ bonheur en barres céréalières !

Zoridae a dit…

I.,

Merci infiniment : un premier commentaire aussi doux c'est quelque chose ! Et de toi en plus !

Yelka,

Bon appétit alors et merci ;)

Nicolas Jégou a dit…

Ce texte est trop beau : il manque de grossièretés sur lesquelles je pourrais rebondir pour faire un commentaire idiot.

Zoridae a dit…

Nicolas,

Oh merci !

Tu es sûre ?

Même pas une toute petite ? Pourtant en écrivant "une mousse blanche baignait leurs babines" je me suis dit "ah ! Nicolas ne laissera pas passer ça !"

Nicolas Jégou a dit…

" la manie de tomber amoureuse du moindre avorton qui me parlait gentiment"

J'en connais un qui va être content.

(par contre, je suis déçu, je n'ai rien d'un avorton).

Nicolas Jégou a dit…

En cherchant on trouve : "Les mastications de notre bouche semblaient chuchoter". Ne parle pas la bouche pleine.

Zoridae a dit…

Nicolas,

Je te rassure, maintenant il en faut beaucoup plus que ça pour me séduire...

Nicolas,

Ouf je suis soulagée ;)

Balmeyer a dit…

Méfie toi des avortons, ils parlent toujours gentiment ! :)

Zoridae a dit…

Balmeyer,

Qu'en sais-tu ?

Dorham a dit…

C'est bien aussi quand tu digresses...;-)))
Faire des allers et retours, venir puis s'éloigner de son sujet principal lui donne une plus grande valeur, même s'il ne faut pas en abuser...

Zoridae a dit…

Merci Dorham ! Plus qu'un interlude et je reviens au vif du sujet ;)

Dorham a dit…

3 interludes, c'est un bon chiffre. J'ai rédigé un épisode 3 à la Réublique des Fauves, entièrement digressif, comme quoi

Anonyme a dit…

oui, dorham, tu as raison, 3 c'est bien. 5 interludes, ça commence à faire.

:)

Zoridae a dit…

Dorham,

Tu veux dire que 6 c'est trop ?
:)
C'est la faute du blog... Je suis sûre qu'écrit à la suite la disgression ne semblerait pas si longue...

Mais je ne l'ai pas lu ce troisième épisode de la république des fauves, où est-t-il ?

Zoridae a dit…

Balmeyer,

Je t'ai reconnu !

Je ne répondrai rien.

Anonyme a dit…

Heureux de votre visite. Je repasserai, j'aime ce que vous écrivez.

Accent Grave

Dorham a dit…

Je le fignole mon épisode 3 !

Quand je parle de 3, je voulais dire de suite...

Enfin, je sais plus ce que je voulais dire. Ton récit suit le chemin que tu veux lui donner et c'est bien comme ça...

@ Balmonyme - le troll de Nea est peut-être aussi numérologue, on devrait le consulter -;)))

Zoridae a dit…

Dorham,

Ok ! Fignole, fignole...

Merci de la précision ;)

Au secours ! Ne parle pas d'indésirables chez moi, il ne faudrait pas les attirer...

Balmeyer a dit…

Dorham : oui qui sait ! :) Je suis toujours étonné par les trolls, toujours. Ca m'éffraie, sérieusement.

Zoridae, un troll chez Nicolas, c'est normal, c'est un blog politique. Et puis le bonhomme est fort pour les mater. Mais sur un blog plutôt littéraire, c'est une plaie. Enfin, ça me paraitrait insupportable, alors que tu essaies de faire des choses sensibles, sur le fil, d'avoir quelqu'un en train de te railler.

Balmeyer a dit…

... la fin de mon commentaire n'est pas française, c'est à förce de lïre des trücs en süédöïs chez Gäël.

Zoridae a dit…

Accent grave,

Oups ! je n'avais pas vu votre commentaire !
Bienvenue à vous et à bientôt alors...

Zoridae a dit…

Balmeyer,

Det är inte allvarligt!

Dorham a dit…

Balmeyer,

je comprends ce que tu veux dire des trolls. Ce coté destructeur m'effare également.
C'est an grande partie pour cela que je ne vais que rarement chez Nicolas (dont je trouve le blog intéressant pourtant). Trop de mecs tarés, l'écume aux lèvres. ça parasite le tout...

Je deviens trop zen en vieillissant, les conflits m'ennuient plus le temps passe...et ce, aussi, parce que je suis justement colérique. Je me ménage...

Balmeyer a dit…

Zoridae : So wird der Topf mit Wasser als Ende sie bricht !

Dorham : le côté parasite est étrange, aussi. Même clairement indésirable, ils continuent à rester. C'est tordue comme expérience, perdurer là où l'on est pas du tout souhaité...

Zoridae a dit…

Balmeyer,

Tu triches je t'ai répondu en suédois et tu me parles allemand. Pourquoi me parles-tu de cruche ?

Balmeyer a dit…

J'ai tapé le premier truc qui me venait à l'esprit ! Un proverbe ! :o)