jeudi 26 mars 2009

Petit danseur

Un jour, pendant le dîner, il est descendu de sa chaise qu'il a repoussée soigneusement contre la table. Les mains accrochées aux barreaux du dossier, il a alors tendu une jambe derrière lui. Son pied resté au sol vacillait, sa jambe étirée dans son dos formait presque un angle droit : "Cécile, elle nous a appris ça aujourd'hui, a-t-il dit, fier. C'est de la danse."

Les premières fois il se contentait de plier les genoux en rythme. Petit ressort de joie, il plissait le front, sérieux, concentré, rejetant de temps en temps ses cheveux en arrière sans interrompre son mouvement. Alors je lui donnais des indications : "maintenant on danse avec les bras, on danse avec la tête, on danse avec les fesses, on bouge les pieds."
Quand j'ajoutais Et maintenant on danse avec tout à la fois, il avait un soupçon d'hésitation, il semblait frémir. Puis, parce que nous lui donnions l'exemple, il se mettait à remuer de tout son corps, perdant la pulsation d'enthousiasme.
Nous allions rarement au bout de la chanson. Aux derniers couplets, il se jetait par terre, roulait et exigeait que nous fassions la même chose.
"Non, protestions-nous.
- Pourquoi ? disait-il.
- Et bien, nous sommes vieux, nous ne pouvons pas nous jeter au sol comme ça, répondions-nous.
Ou bien :
- Nous sommes trop grands. Tomber de notre hauteur serait trop impressionnant. Et puis nous risquerions de nous faire mal."
Après un instant de stupéfaction il décidait que nous devions bouger encore. Tous les trois, en rond dans le salon, les yeux dans les yeux, nous dansions.

Mercredi dernier, je suis allée dans une école de danse du quartier me renseigner sur les cours pour les enfants de quatre ans. L'hôtesse m'a répondu avec indolence en mâchouillant son chewing-gum. Elle n'avait plus de prospectus et de toutes façons les inscriptions ce serait en juin ou même en septembre. En sortant, j'ai expliqué à Zacharie :
"Je me suis renseignée pour les cours de danse pour toi. Pour l'année prochaine... Ça te plairait ?
D'un coup, il a tourné les talons. Il est entré dans le bâtiment.
- Mais où vas-tu ? ai-je demandé.
- Je vais en cours de danse.
- Mais ce n'est pas maintenant !
- Je veux y aller maintenant !"
J'ai dû lui faire rebrousser chemin en larmes.

Désormais c'est lui qui dicte la chorégraphie :
"On danse avec les bras, on danse avec les jambes, on danse avec les mains. On danse avec la tête, dit-il en faisant ce si joli mouvement du cou. On danse avec les yeux. On danse avec la langue. On danse avec le nez. On danse avec le front.
Nous rions, je m'écrie :
- Je pense que mon fils va révolutionner la danse contemporaine plus tard."
Nous tournons, virons, glissons, sautons.
"Et maintenant on danse avec tout à la fois !"

http://www.deezer.com/track/252004

Illustration : Julie Blackmon

14 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est dur d'attendre pour ces petits bonhommes. Ça parait si loin septembre. Un stage de danse pendant des vacances?

Anonyme a dit…

Preuve supplémentaire, si besoin était, qu'un adulte n'est qu'un enfant qui a mal tourné.

Nicolas Jégou a dit…

C'est important d'apprendre à danser jeune, comme ça quand il aura l'âge de prendre des cuites, il pourra faire le con pour épater les gonzesses.

mtislav a dit…

Très belle photo ; on m' a fait faire de la danse petit, ça ne s'est pas exactement passé comme ça ! Mais j'aime bien ça, que cela se passe ainsi (dans votre texte).

Christie a dit…

Magique, la créativité de nos bambins!
:-D)

Zoridae a dit…

Aude,

Pourquoi pas mais je n'en trouve pas...

Chr.Borhen,

Ah bon ?

Nicolas,

Hihi, bonne raison !

Mtislav,

Oui ! Si tu vas voir le site en lien, elles sont toutes magnifiques... Et un peu effrayantes...
J'aimerais bien que tu racontes comment ça s'est passé pour toi...

Christie,

Oui, parfois c'est presque effrayant le rôle qu'on a à jouer là dedans : comment encourager sans pousser, comment guider sans contraindre... Tout ça quoi...

Christie a dit…

Je ne sais pas Zoridae, j'ai toujours suivi mon gamin. Par contre chaque fois que j'ai "poussé" un ant soit peu (école et médical compris) je me suis retrouvée parfois devant des fins de non recevoir inconscientes de sa part.
Soit il a été malade soit les notes sont chutées avec de grosses fatigues à la clefs, soit tout simplement le traitement n'a pas fait effet.
je pense aux attelles, par exemple.
On peut me dire, c'est l'évolution de la maladie, certes son patrimoine génétique est différent de celui de son père puis qu'il vient du mien pour moitié mais, il y a des moments où son refus de participer à ses traitements fait qu'inconsciemment, il les défaisait et puis faisait de l'allergie aux matériaux.
Il refuse de mettre son corset et du coup je n'insiste pas parce que je sais qu'il est capable de faire une intolérance du style rougeurs et autres choses non moins significatives.
Sachant que peut de jeunes ayant porté un corset ont échappé à l'intervention, je me suis renseignée, je ne me vois pas lui mettre cet objet barbare de force.
De temps en temps, je lui rappelle
mais mon rôle s'arrête là.
C'est effectivement très compliqué.

La seule chose qui tienne la route, c'est le cned et la kiné. Et c'est toujours ça !
Surtout à 16ans !

ysa a dit…

Si c'est sa passion, il faut lui donner les moyens de l'assouvir..., comme le dit Aude, tu sois surement pouvoir trouver un stage pendant les vacances.... en attendant son inscription....

Tifenn a dit…

On fait des rêves pour eux, les notres peut-être, alors s'ils en ont, oui, aidons les...

Le petit monde d'Archie a dit…

Difficile de penser ou de se passionner à la place des autres, même si on les aime.
En fait, aujourd'hui, je ne sais pas vraiment si j'aurais été heureux qu'on me fasse faire de la danse quand j'étais gamin.

C'est bien possible, après tout.
Je ne me l'étais jamais demandé, c'est juste ça.

En tout cas, vu la façon dont tu en parles, il ne se posera sûrement pas cette question là quand il sera adulte :)

Zoridae a dit…

Christie,

Oui, c'est sûr que quand ils ne sont pas d'accord, nos gamins ont plein d'idées pour nous le faire savoir... Néanmoins je trouve mes préoccupations un peu futiles quand je lis les tiennes...

Ysa,

Je cherche ! Je cherche... Je ne sais pas si c'est sa passion mais ça lui plait... Peut-être juste parce que pour l'instant c'est une activité familiale...

Tifenn,

J'aimerais qu'il ait plein de rêves... C'est tellement dur pour les enfants qui ne savent pas quoi faire de leur peau !

Le petit monde d'Archie,

Oui c'est difficile et je ne suis pas plus avancée que toi dans ma réflexion...

Dans mon cas, petite, ma mère m'a demandé régulièrement si je ne voulais pas faire de musique et je répondais non parce que j'étais très timide et que ça m'impressionnait d'aller à l'école de musique...

Quand je suis tombée dedans à 11 ans et toutes les années qui ont suivi, je n'ai cessé de regretter de n'avoir pas commencé plus tôt...

Mais il n'y a pas que ça...

Anonyme a dit…

si la danse est une "vraie passion" alors cela durera
sinon cela s'arrêtera
autant commencer jeune; parce qu'il n'y a qu'en pratiquant qu'on peut savoir
et puis si ça ne donne rien, ce n'est pas grave
mais entre aimer se trémousser comme beaucoup d'enfants, et être capable d'endurer des cours de danse,qui exigent forcément un peu de rigueur et de discipline, il y a un monde
et cela se révèlera rapidement

Charles Magnet a dit…

cela me rappelle une chanson de Carlos, "big bisous" où l'on sollicitait aussi toutes les parties de son corps...
j'ai beaucoup aimé ce joli récit, même si je le lis avec plusieurs jours de retard... et longue carrière au petit "Z"... :)

Zoridae a dit…

Anonyme,

Je suis d'accord avec tout ce que vous dites...

Charlemagnet,

Ah oui, ça m'évoque de vagues souvenirs... Quand au petit Z. ce qui compte c'est qu'il soit heureux, hein ?