vendredi 6 mars 2009

Oh, quand je dors... (1)

Je me souviens parfaitement de la période où j'ai commencé à dormir, le week-end, jusqu'à l'heure du déjeuner. Avant cela, il arrivait que ma mère débarque dans le salon, les cheveux en bataille et, sans égard pour les scénarii que nous étions entrain de réaliser, nous demande de faire moins de bruit. Puis elle retournait se coucher, l'auguste chat roux sur les talons.

Il était huit heures et nous étions pieds nus dans l'épaisse moquette blanche. Nos chemises de nuit figuraient d'aériennes robes de princesse et le canapé un pont-levis qu'il fallait relever à temps. C'était un clic-clac dont nous avions abaissé le dossier. Lorsque les Indiens surgissaient, nous nous jetions de toutes nos forces sur l'assise qui s'abattait avec fracas sur son socle. Le choc nous projetait parfois sur le sol et nous roulions, blessées à mort par les flèches de nos ennemis. Pourtant, courageuses jusqu'à notre dernier souffle, nous ne tardions pas à nous relever et à les affronter. Nos têtes dépassaient du dossier et nous jetions sur nos reflets dans le miroir coussins, lunettes et livres.

Ensuite, désœuvrées, nous allumions la télévision. C'était bien plus délicat que de défendre un château-fort ; l'une de nous devait faire le guet à la porte du couloir tandis que l'autre baissait le son dès l'allumage. Une seconde de retard et ma mère risquait d'entendre que nous enfreignions son interdiction de regarder, seules, le petit écran. Les voix maintenues à un niveau à peine audible, nous nous collions à l'image glaciale d'un couple aux trop grands yeux, qui remuait la bouche sans qu'aucune autre partie du visage ne frémisse.

Vaguement, nous saisissions des bribes de l'intrigue alambiquée. Mais ce qui nous impressionnait plus que tout c'était la tension sexuelle, palpable, qui régnait entre les acteurs. La jeune femme secouait ses longs cheveux blonds, elle haussait la voix qui restait sourde, comme tamisée. Son visage se détachait sur les flammes rougeoyant dans la cheminée, elle était en colère mais pas vraiment. L'homme lui ne bougeait pas. Il ne tendait pas la main, ne décoiffait pas son brushing et ses yeux parlaient à sa place ; par moment, ils semblaient prêts à sauter de leur orbite à force d'exprimer des choses que l'on ne peut dire. Quand la femme se calmait, après une dizaine de minutes, il s'approchait et l'enlaçait. Elle criait encore un peu, le giflait avant qu'il ne plaque ses épaisses lèvres sur les siennes. L'épisode était terminé.

Les dessins animés ne nous disaient rien. Des espèces de petits bonshommes en tenue de judokas s'excitaient pour rien, poussaient des cris et pirouettaient. J'aimais bien le beau garçon seul dans sa navette spatiale - avait-il un bandeau sur un œil ou une jambe de bois ? - mais nous ne comprenions pas grand chose ayant manqué la plupart des épisodes. Alors, bien avant que notre mère ne se lève pour de bon, nous éteignions sagement le poste de télévision.

Une fois nous décidâmes de lui préparer son petit déjeuner. Nous beurrâmes ses cracottes jusque dans les coins et mélangeâmes son café soluble avec du lait chaud. Puis je m'emparais du plateau. Anna, devant moi ouvrait les portes. De son lit, ma mère nous vit, surprise. Elle eut juste le temps de dire Oh, il ne fallait pas, ça va faire des miettes dans mon lit ; je butai sur ses pantoufles et le plateau chuta.

(A suivre...)

17 commentaires:

Nicolas Jégou a dit…

Prem's.

C'est marrant (je n'ai lu que le début pour l'instant), j'ai le souvenir de ne jamais avoir été levé avant mes parents. J'ai l'impression d'avoir toujours fait la "grasse mat".

Anonyme a dit…

Le sommeil de fond, voilà l'objectif.

Sophie a dit…

Qui n'a pas fantasmé sur Albator...

Le coucou a dit…

Toujours aussi charmants, ces tableaux de l'enfance. Sortis d'une boite aux trésors décidément très riche!

Zoridae a dit…

Nicolas,

La "grasse mat" toi qui te lèves à l'aube tous les jours ?

Christophe Borhen,

Ah, que ce serait bien !

Sophie,

Ah ? C'était lui ?

Le coucou,

Merci :)

Marie-Georges a dit…

J'adore, ça me rappelle les premiers billets que j'ai lus de toi ; tu m'as fait découvrir que j'aimais lire les récits d'enfance (avant tes textes, ça ne me disait rien, après tes textes, qui sait en fait ? Ce sont peut-être simplement TES récits d'enfance que j'apprécie !).

Tifenn a dit…

Ah, c'est chouette les interdits...

Anonyme a dit…

ho c'est bon ça :)
Tes récits d'enfance, c'est comme des bonbons, au gout un peu sucré, un peu acide aussi parfois.

In Guts We Trust a dit…

Bonjour madame Zoridae. J'attends la suite avec impatience, et Barbara Bonney, oui, plutôt oui ! Si vous avez (encore) trois minutes, je viens de poster un autre texte "Fils" sur mon glob, différent du premier quoique enfin bref. C'est "Soir de finale", à la date d'aujourd'hui. (je vais changer mon intitulé de rubrique pour les nouvelles, vous avez eu l'idée bien avant moi...). A la relecture !

Anonyme a dit…

Ce qu'il y a de bien avec les histoires d'enfance, c'est qu'elles nous prennent par la main et nous ramènent vers hier.

Zoridae a dit…

Marie-Georges,

Merci... (et mille choses !)

Tifenn,

Certains, transgressables, oui !

Nelly,

C'est comme ça que je les vois aussi ! Merci !

In Guts We Trust,

Bonsoir à vous ! Ah, quelqu'un qui me parle aussi de la chanteuse... Je l'aime beaucoup et me réjouis qu'elle vous plaise aussi. J'irai lire votre texte et le mettrai en lien... Mais peut-être pas ce soir ! Rappelez-moi si j'oubliais !

Myel,

Parfois c'est bien, pas toujours :) !

In Guts We Trust a dit…

Oui, vraiment, Barbara Bonney, plutôt oui ! Ce son de poitrine qui sonne comme de gorge, ce soupçon de vulgarité dans les ports de voix, ces voyelles très ouvertes, ce timbre parfois enfantin... Connaissez-vous ses versions de cantates de Bach avec je ne sais plus qui ? C'est à mourir de joie. Merci ! (et si vous pensez au lien vers "soir de finale", c'est bien, sinon c'est bien aussi)

Anonyme a dit…

Flash-back sur nos propres souvenirs d'enfance: moi aussi je me souviens de ces levers matinaux et du silence parental à respecter...c'était si long sans frère ni soeur...si long!!

Anonyme a dit…

Moi, j'ai fait une bonne sieste hier..et cela fait du bien...avant de reprendre les commandes du ménage...c'est pas la journée de la femme aujourd'hui ???????

Zoridae a dit…

In Guts We Trust,

Je vais écouter les cantates de Bach sur Youtube, vous me donnez envie...
Et le lien, je le mets juste après avoir répondu à mes commentaires !

Mots d'Elle,

Oh oui, j'imagine ! Seule ça ne doit pas être rigolo !

Eleonora,

Pourquoi "journée de la femme" ? Pour que je fasse la sieste ? Hélas, nous avons déjeuné chez des amis, je n'ai pas pu le faire. Mais tous les dimanches mon adorable époux me permet de rester au lit ! J'ai de la chance...

Anonyme a dit…

Un bien bel extrait.
Avant de reprendre la route je vais mettre ce blog à sa place dans mon sac à mots.
D'autant que depuis mon escale je suis enclin à l'insomnie.

Anonyme a dit…

le plaqui chute à terre par mégarde... tout à fait moi cela...!