mercredi 20 août 2008

Les vacances

Tableau 1

La voiture fonçait entre les champs vallonnés de la Nièvre, Kéké ne vomissait pas, nous échangions des propos sans importance sur le temps qu'il avait fait, le temps qu'il allait faire et l'état de santé de tous les invités au gite lorsque ma mère a lancé :

"J'ai entendu Anna dire à sa belle-mère qu'elle ne tenait pas à parler avec toi de votre dispute. Elle reste pour que les enfants se connaissent... Rien de plus. Alors j'aimerais bien que, de ton côté, tu mettes ton mouchoir dans ta poche. Tu comprends ? Et puis tu pourrais lui dire un truc gentil quand tu la verras. Que tu es contente de la voir. Ou la serrer dans tes bras...Un truc comme ça...


Le silence s'est installé dans la voiture. L'angoisse qui s'était tenue tranquille jusque là, a bondi dans mon ventre.


- Comment tu peux demander ça alors que tu ne sais rien ? Figure-toi qu'avant de venir je lui ai écrit. Je voulais que nous nous expliquions avant de nous revoir. Mais elle m'a jetée. Violemment. La discussion a encore dégénéré. J'ai tenté le coup deux fois. Sans compter les appels du pied dans mon blog. Je ne vais pas risquer de me faire jeter encore une fois, en vrai !


Ma mère, c'est compréhensible, se met à crier, à menacer, à pleurer. Elle parle des guerres que nous pourrons fomenter sur son cadavre mais d'ici là... Je la coupe. Je l'accuse. Ma voix est cassante, je m'emporte calmement. Des flashes de souffrance passée me harcèlent :


- Et pourquoi tu ne lui dis pas ça à elle ? Pourquoi tu approuves le fait qu'elle ne veuille pas discuter de ce qui nous a séparées pendant neuf mois ? Pourquoi cette histoire de mouchoir ?
"
Et moi ?
ai-je envie de crier, comme toujours. Et moi ?
Zacharie vomit. Ma mère freine.


Tableau 2

Je range en soupirant le linge qui dégouline de nos sacs à dos. Dans la pièce à côté, ma mère vitupère, empêtrée dans ses draps et son impuissance. Anna entre dans la chambre. Ses cheveux sont plus courts, très noirs, brillants, retenus par une barrette. Son visage, qui s'est arrondi semble paisible. Elle me sourit et s'avance vers moi pour me donner deux bises rapides.

"Salut ! Ça va ? Vous avez passé un bon voyage ?

Je suis soufflée. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle me parle, ni à ce qu'elle m'embrasse. Je laisse passer des secondes infinies avant de répondre, j'essaye de sourire et je sens mon visage grimacer. Je dis :

- Oui. Très bon. Enfin, Zacharie a vomi en voiture... mais seulement une fois ! Il y a du progrès !"

Muettes, nous sourions. Nos regards se frôlent sans se rencontrer. Je retourne à mon rangement. Anna sort. Elle discute avec ma mère qui se calme aussitôt.


Tableau 3

Il fait nuit et tout le monde est couché mais je ne dors pas. Je pense aux visages de mes nièces que ma sœur a voulu montrer à Kéké. A tâtons, nous étions rentrés dans leur chambre. Anna avait pris une lampe de poche et elle avait éclairé les bouilles enchifrenées. L'aînée, de l'âge de Kéké, était devenue aussi blonde que lui. La plus jeune, que je n'avais jamais vue, de profil ressemblait à sa sœur et à la mienne, aussi, de façon troublante. Comme elle dormait à plat ventre, Anna avait tiré sur sa turbulette afin de la retourner. Le bébé s'était agité, avait entrouvert un œil. Puis, alors que nous n'osions plus respirer, d'un coup ses traits s'étaient relâchés : elle dormait.

Mes tentatives de réflexions se heurtent au souvenir du sourire de ma sœur, des silhouettes, magiques dans la nuit, de ses filles. Je me demande ce que sera l'avenir. Et s'il fallait accepter de les contempler fugitivement, comme ça, à la lueur d'une lampe de poche ? Et si ma sœur devenait une étrangère qui me sourit doucement et m'embrasse tout en refusant de me parler... Que pourrais-je faire ?

Tableau 4

Je nage. Le temps est idéal mais je suis rongée de l'intérieur. Je peine à étirer mes bras, à remuer mes jambes. Je fais la planche. Je bois la tasse.

Je pense à ce que nous avons partagé, Anna et moi, enfants, et ce temps latent - où nous nous approchons sur la pointe des pieds - m'est insupportable. Je tourne les événements dans ma tête et je cherche le moment où les choses ont commencé à se dérégler. Enceinte, éperdue d'angoisse, j'avais vu une psychologue Je lui avais raconté qu'après la naissance d'Anna, mon père m'avait emmenée à la maternité. Et, serrant dans mes bras, le minuscule bébé, j'avais pleuré, inconsolable. Ma mère m'a toujours raconté que c'était des pleurs de joie. Pourtant je me souvenais d'avoir éprouvé un réel chagrin. Après quelques minutes de discussions, la psychologue avait murmuré : "Ne croyez-vous pas que vous pleuriez parce que vous aviez peur pour elle ? Parce que vous craigniez de ne pas pouvoir la protéger ?"


Tableau 5

Le soir, après avoir couché Kéké, je descends. Ma sœur n'est plus là. Ma mère est plongée dans un livre. Elle lève un sourcil lorsque je lui parle et oublie de me répondre. Je remonte lire un des polars. qu'elle a emprunté à la bibliothèque. Je lui en parlerai demain. Si elle l'a lu, nous comparerons nos impressions.

Tableau 6

En pleine nuit, en sueur, je me réveille. Un long cri résonne dans ma tête. J'ai peur.

19 commentaires:

Nicolas Jégou a dit…

Zoridae,

Si je suis puis me permettre : il m'est totalement impossible de finir la lecture de ce billet. En effet, comme dès la première phrase du parle du vomi de Kéké dans la voiture, je ne peux m'empêcher de penser à la voiture de la belle-mère de Dorham.

A ce stade de la lecture, je suis pris d'une crise de rire qui m'interdit la lecture de la suite.

Je vais essayer en commençant au deuxième paragraphe.

Nicolas Jégou a dit…

Oups ! Fallait dire dès le départ que c'était un billet sérieux. Ca m'aurait peut être éviter de dire des bêtises en pensant que c'était juste un billet de souvenirs de vacances...

Audine a dit…

he beh ! j'espère que le reste des vacances a été un tantinet plus joyeux, plus ... relâché on va dire.

Comme je ne peux pas commenter ni surfer trop sur ton blog du boulot, j'ai relu ce matin l'ensemble des billets "les deux soeurs". Je n'ai pas retrouvé la dispute mais qu'importe.

Du coup, je vais encore être à la bourre au boulot.

(la Nièvre ? où ça exactement ? j'ai pas mal connu Ouroux)
(qui n'est pas tant la Nièvre que le Morvan ceci-dit)

Zoridae a dit…

Nicolas,

T'inquiète pas ! C'est un billet de souvenirs de vacances à la sauce Zoridae : noir avec des touches de vomi pour éclairer l'ensemble !

Audine,

Tu me permets de préciser que ce récit ne raconte les choses que d'un certain point de vue, le plus somvre. Je n'ai pas embrassé toute la réalité de la première semaine. Il y a eu des moments très détendus, très simples, des moments où le doute se taisait.

La dispute je n'en ai pas parlé, sauf peut-être en commentaire. C'est compliqué. Ça l'est devenu du moins...

(Nous étions à côté de Cercy la Tour, un coin très beau, un gite parfait !)

Didier Goux a dit…

Ç'a l'air cool, des vacances avec vous. Mes condoléances à Monsieur...

Balmeyer a dit…

Didier : j'ai renoncé à voir dans ce blog le reflet exact de la réalité. Elle a des côtés très comiques qui accompagnent des aspects indéniablement lugubres. Parfois, je fais de l'ingérence mal placée, et je la supplie d'y mettre un peu de cet humour que je côtoie au quotidien. Mais après tout, c'est son côté "Dorham-Traviata", et j'ai toujours l'impression d'avoir tort, à la fin.

Après un moment de gêne en lisant le début de ce billet, après un moment de surprise (je ne sais pas si on a passé les mêmes vacances), je dois dire que je suis bien entré dans ce billet. J'y retrouve des points communs avec oh!91, cette façon de se livrer qui me met mal à l'aise, que je serai incapable d'effectuer, qui me fascine et m'effraie un peu.

Nicolas Jégou a dit…

Balmeyer,

Si Zoridae fait des billets pour raconter ce qu'elle fait avec ses camarades à la piscine, je doute de la pérennité de votre union.

C'est long et fastidieux à nettoyer.

Le_M_Poireau a dit…

Ah cette manière de constater que le réel n'est pas conforme avec nos souhaits et combien cela dérange et blesse... jusqu'à ce qu'on renonce et qu'on accepte le monde comme il est...

Kéké a droit à 2 prénoms, ta soeur un seul mais ta mère aucun...
:-))

Anonyme a dit…

Que c'est doux de te relire à nouveau....

Anonyme a dit…

Jolie analyse.

Anonyme a dit…

Il aurait peut-être fallut que vous vomissiez vous aussi dans la voiture...

Les rejets auraient été déjà accomplis avant les retrouvailles et l'acceptation de la diplomatie (qui est la forme évoluée de l'hypocrisie)
Les histoires de famille ne se terminent qu'avec la fin de l'idée qu'on nous a imposé de la famille.

Ce sont juste des personnes qu'on se croit obliger d'aimer, pas que l'on a choisi d'aimer.

Pourquoi se sentir redevable envers des obligations ?

Travail, Famille Patrie, trois crochets qui nous maintiennent pour mieux nous occuper à autre chose qu'à reflechir aux vrais problèmes humains.

Anonyme a dit…

Une pensée...

Zoridae a dit…

Tiens je n'ai pas répondu ici !

Didier,

Mais si ça l'est parfois !

Balmeyer,

:))

Nicolas,

Pliée de rire !

Monsieur Poireau,

Ce n'est pas cela... Ce qui est le plus difficile c'est la quantité de deuils qu'il faut supporter tout au long d'une vie !

Yelka,

Merci :))

M.,

Merci aussi :))

Philtre,

Ce que tu suggères est trop violent à envisager. Ce serait bien simple s'il suffisait de trancher dans ce qui dérange... Pour l'instant ce n'est pas ce que je souhaite !

Nelly,

Merci :))

Le_M_Poireau a dit…

Monsieur Poireau : et on retombe sur la capacité différente des femmes et des hommes à oublier ! :-))

Zoridae a dit…

Monsieur Poireau,

Tu schématises !

Dorham a dit…

Bal,

des fois je blague, bon je blague avec des haches et du sang et des cadavres et surtout de la TNT, mais c'est de la blague :)

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Pour ton texte Zo,

je ne sais plus du coup, le lire, puis les commentaires...parfois, la lecture est mieux sans celle des commentaires...tout ça me laisse sans voix.

Anonyme a dit…

Ah, les histoires de famille ... et les réunions de famille !
Ta mère me fait un tout petit peu penser à la mienne, à vouloir toujours faire comme si de rien n'était, préserver les apparences ...
Ton billet est touchant et douloureux.
On ne peut pas oublier, comme le préconise notre sympathique ami commun M. Poireau. Essayer d'accepter, mais c'est difficile.

Anonyme a dit…

J'oubliais ... je reviens ici après un moment d'absence et j'apprécie beaucoup le nouveau ton très personnel de tes billets :)

Zoridae a dit…

Merci de ta visite et de tes commentaires Fiso ! C'est drôle, je n'ai pas l'impression qu'il y ait un changement de ton :))