Théodore laissait des petits tas de copeaux dans tous les endroits où il était resté un instant ; ses pieds avait cerné le monticule, puis ils s’étaient soulevés, survolant les débris, accrochant des morceaux qui voyageaient avec lui, dans une autre pièce.
Jeanne, munie d’un balai, s’accroupissait plusieurs fois par jour et chassait dans sa main la sciure épaisse et volatile qui semblait s’évanouir dès qu’elle faisait un mouvement un peu vif. Quand elle lavait les pantalons de son frère, ses doigts se piquaient d’échardes. Une poussière blanche flottait à la surface de l’eau et fondait sur les vêtements trempés qu’elle tirait vers elle pour les essorer. Des copeaux se glissaient sous ses ongles. Sa robe, aspergée d’eau se couvrait aussi de sciure ; elle éternuerait, lorsqu’en séchant, elle viendrait lui chatouiller le nez.
La figurine de Jeanne était massive et son toucher rugueux. Son frère avait choisi pour elle un bois sec, presque noir avec d’étranges nœuds roux ; l’un décorait sa jupe d’un absurde motif informe ; un autre lui éclairait une pommette, tâche de vin lugubre ou empreinte de gifle qui lui allait presque ; le dernier, incongru, se déployait au milieu de son ventre. Ses pommettes étaient plates, sa bouche querelleuse, ses yeux en triangle, pointe vers le bas – des yeux de clown triste. Des lignes creusés à la pointe du couteau lui dessinaient des cheveux épais et sombres qui ne ressemblaient pas aux siens. Sa jupe pendait sinistrement et recouvrait ses pieds.
Une armée de silhouettes l’encadraient sur la commode où on l’avait exposée et elle semblait ne pas les craindre malgré leur hideuse allure. Toutes se ressemblaient, en quelque sorte, les bras derrière le dos parce que Théodore n’arrivait pas à sculpter les mains. D’ailleurs, il fallait les regarder seulement de face : Théodore n’allait pas sculpter des fesses, des nuques ou des omoplates !
Jeanne prenait quelquefois les statuettes entre ses mains pour les épousseter. Elle leur crachait dessus, en plein visage et les frottait vigoureusement. Au travers de son torchon, elle grattait l’intérieur des yeux et les dessous de bras, l’entrejambe des hommes avec le vœu païen de les chatouiller vraiment, plus cruelle avec sa figurine qu’avec les autres ; elle ne voulait pas ressembler à la Jeanne que ses frères, que ses parents reconnaissaient, avec une marque sur sa joue et l’air malheureux.
« Que tu es laide ma fille, disait-elle, je n’aimerais pas être aussi laide que ça… »
Elle la reposait ensuite, dos aux regards futurs, à l’écart des autres personnage. En la plaçant de toutes ses forces sur la commode, elle y faisait chaque fois une petite marque, semblable à un croissant de lune.
Illustration : Lisa Hurwitz
Jeanne, munie d’un balai, s’accroupissait plusieurs fois par jour et chassait dans sa main la sciure épaisse et volatile qui semblait s’évanouir dès qu’elle faisait un mouvement un peu vif. Quand elle lavait les pantalons de son frère, ses doigts se piquaient d’échardes. Une poussière blanche flottait à la surface de l’eau et fondait sur les vêtements trempés qu’elle tirait vers elle pour les essorer. Des copeaux se glissaient sous ses ongles. Sa robe, aspergée d’eau se couvrait aussi de sciure ; elle éternuerait, lorsqu’en séchant, elle viendrait lui chatouiller le nez.
La figurine de Jeanne était massive et son toucher rugueux. Son frère avait choisi pour elle un bois sec, presque noir avec d’étranges nœuds roux ; l’un décorait sa jupe d’un absurde motif informe ; un autre lui éclairait une pommette, tâche de vin lugubre ou empreinte de gifle qui lui allait presque ; le dernier, incongru, se déployait au milieu de son ventre. Ses pommettes étaient plates, sa bouche querelleuse, ses yeux en triangle, pointe vers le bas – des yeux de clown triste. Des lignes creusés à la pointe du couteau lui dessinaient des cheveux épais et sombres qui ne ressemblaient pas aux siens. Sa jupe pendait sinistrement et recouvrait ses pieds.
Une armée de silhouettes l’encadraient sur la commode où on l’avait exposée et elle semblait ne pas les craindre malgré leur hideuse allure. Toutes se ressemblaient, en quelque sorte, les bras derrière le dos parce que Théodore n’arrivait pas à sculpter les mains. D’ailleurs, il fallait les regarder seulement de face : Théodore n’allait pas sculpter des fesses, des nuques ou des omoplates !
Jeanne prenait quelquefois les statuettes entre ses mains pour les épousseter. Elle leur crachait dessus, en plein visage et les frottait vigoureusement. Au travers de son torchon, elle grattait l’intérieur des yeux et les dessous de bras, l’entrejambe des hommes avec le vœu païen de les chatouiller vraiment, plus cruelle avec sa figurine qu’avec les autres ; elle ne voulait pas ressembler à la Jeanne que ses frères, que ses parents reconnaissaient, avec une marque sur sa joue et l’air malheureux.
« Que tu es laide ma fille, disait-elle, je n’aimerais pas être aussi laide que ça… »
Elle la reposait ensuite, dos aux regards futurs, à l’écart des autres personnage. En la plaçant de toutes ses forces sur la commode, elle y faisait chaque fois une petite marque, semblable à un croissant de lune.
Illustration : Lisa Hurwitz
18 commentaires:
Quel dureté..
je me demande si la fin sera digne de Boris Cyrulncik..
Chut, c'est juste une question qui me traverse l'esprit!
Ce jeu de figurines est très juste, sur ce qu'il dit de nos petits transferts, de nos petits arrangements avec la réalité...
Je redécouvre ton écriture délicate, grave et légère ; cette maitrise et cette émotion que, derrière la cruauté du sujet, tu arrives à insuffler.
merci. tout simplement.
Ok, cinq billets pour me dire d'arrêter de tailler des petites figurines de bois, j'ai compris. Je vais me mettre à la photo, tiens.
bonjour, je t'ai décerné un prix, ici:
http://chaosltd.blogs.psychologies.com/chaos_limited
excuse, j'ai pas mis l'url complet, le voici:
http://chaosltd.blogs.psychologies.com/chaos_limited/2008/07/chaos-le-blog-p.html
bon, l'url passe pas, alors je le mets en lien sur mon pseudo. excuse-moi d'avoir squatté tes comms!
Ouh lala j'ai oublié de répondre !
Christie,
Chut ;)
Dorham,
Merci !
Patrick,
Merci beaucoup et de rien :))
Balmeyer,
Tu oublies que j'ai regardé tes albums de jeunesse ? Pitié ! Ne te remets pas à la photo !!!
Chaos,
Je suis allée voir, le lien passait sur le mail de suivi des commentaires... Merci beaucoup, bienvenue et à bientôt (dans le désordre) !
T'as oublié de répondre, et en plus...t'as fait fissa !
Dorham,
Et ça te déplait ?
Je préfère mes photos à ton taboulé.
Je vais tout révéler.
Zo,
si je te dis ouais...tu vas me faire du mal ??? :)
Bon, d'accord, mais évite les parties trop sensibles alors...stp ! ;o
Dis-donc, en plus d'écrire bien, tu connais tout des difficultés de la sculpture, le passage sur les mains, les nuques est criant de vérité ! Tu sculpterais pas d'autres choses que des textes par hasard ?
Clap clap, comme d'hab serais-je tentée d'ajouter (mais ça fait blasée et je ne suis pas blasée de te lire !!)
Dorham,
PAM !
Marie-Georges,
Tu es trop bonne !
Et bien non je ne sculpte pas, j'aimerais bien mais on ne peut pas tout faire... Et toi ?
(Merci !)
J'ai sculpté par docilité. J'étais en fac d'arts plastiques, alors en tant que bleubites on faisait un peu de tout. Après, en grandissant on a pu choisir et j'ai préféré m'ébattre dans la peinture. Donc les difficultés que tu évoques dans ton texte, je les connais un peu. Et NON je ne suis pas trop bonne !!
Petite histoire de vie....cruelle de vérité. Si bien écrite qu'agréable à lire... puis relire. j'aime l'idée du rituel et de cette rage contenue comme un exutoire au poids du fardeau quotidien
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