J'ai lu, avec avidité, le premier mail d'Isabelle. Il y a tant à dire depuis les presque 20 années que nous ne nous sommes vues que je suis restée sur ma faim. En même temps, le fait de recevoir ce courrier était tellement miraculeux qu'il me suffisait de lire et relire les quelques phrases de mon amie pour avoir l'impression de rêver.
Isabelle vit toujours à V. avec Rodolphe, cela doit faire 20 ans qu'ils sont ensemble. Ils ont eu une fille qui a l'âge, à deux mois près de Zozo. Ils habitent V. où Rodolphe travaille dans la métallurgie et où Isabelle est conseillère emploi formation auprès de jeunes détenus. Elle m'annonce ensuite que sa sœur est morte l'année précédente et termine son message par un post-scriptum qui me surprend : "Je n'ai jamais retrouvé d'amie comme tu l'as été."
Elle me demande l'adresse de mon blog et des nouvelles de ma sœur Anna.
Au sujet de mon blog voici ce que je lui ai répondu :
"Je me suis rendue compte en écrivant que nombre de mes souvenirs étaient flous, aléatoires et j'ai inventé beaucoup de choses pour combler les trous. Si tu vas lire mon blog, surtout fais le comme si c'était un roman et pas pour chercher des souvenirs.
Je ne me souvenais plus trop de tes parents et j'ai sans doute caricaturé pour montrer à quel point tu étais une fleur dans un monde dur.
J'ai peur que cela te choque.
J'ai dit par exemple que ta mère (je préfère te prévenir) était obèse et dépressive et ton père chômeur et alcoolique (je sais qu'il était chômeur, j'ai inventé l'alcoolisme)...
Dis-moi ce que tu en penses et je te donnerai le lien si tu crois que tu pourras prendre ça avec de la distance.
Je me suis fâchée avec ma sœur à cause de mon blog depuis deux mois. Elle a pris un portrait un peu dur que je faisais d'une copine pour elle, du coup elle m'a agressée et nous nous sommes balancées des choses que nous taisions depuis des années. Je pense que ça ne durera pas (ça dure en fait depuis 3 mois), il faut juste que le temps passe mais tu vois, je n'aurais pas envie que tu te fâches également parce que j'écris, librement, et parfois avec un style acide, qui peut paraître cruel et outrancier aux personnes concernées..."
Isabelle m'a envoyé sa réponse immédiatement :
"Au sujet de mes parents ne t'inquiète pas... Je crois que c'est moi qui suis la plus dure quand je parle d'eux et ce depuis quelques années déjà... Ma vie ressemble presque à un roman ou plutôt à une série B... Tous les clichés y sont :
- le père chômeur longue durée (mais en fait paresseux, associable et se faisant licencier à répétition pour divers menus larcins). Et en effet alcoolique.
- Ma mère a changé depuis qu'elle a découvert le travail (elle a perdu une dizaine de kilos entre autres). Elle semble dépressive mais je pense qu'elle souffre d'une pathologie plus grave.
- Ma pauvre sœur a eu la malchance d'avoir des pieds bots à la naissance. Du coup, mon très fin et très égoïste père l'a rejetée. Elle en est devenue malade, bien psy comme on dit dans le milieu de l'insertion. Enorme et très laide à la fin de sa vie, elle avait trois enfants, trois filles de trois pères différents dont les deux premiers n'ont jamais reconnu leur gosse... Elle vivait à Bourg, dans une cité glauque, depuis sa première grossesse, lorsque mes adorables parents, incapables d'assumer, l'avaient jetée dehors. Elle haïssait nos parents et était devenue en quelques années une véritable caricature de ce que la société peut engendrer, le cas social parfait.
L'année dernière, alors qu'elle n'était plus en très bonne santé, elle se fait retirer la garde de ses pauvres mômes... Dans la foulée, elle a refait un autre gosse. Tout semblait se passer normalement jusqu'à l'accouchement, elle est entrée à l'hôpital à la date programmée pour une césarienne et n'en est pas ressortie. Elle avait fait une embolie massive. (...)"
Isabelle conclut en avouant que ma mère et moi lui avons ouvert une lucarne sur le monde. Que sans nous, elle aurait pu s'imaginer autre chose...
J'ai achevé ma lecture en larmes.
Illustration d'Isabelle, au collège.
19 commentaires:
"j'ai inventé beaucoup de choses pour combler les trous"
Je réponds quoi, moi ?
Faudrait surtout que j'arrête de dire des conneries avant d'avoir atteint la fin du texte, comme toujours très beau et ne nous laissant pas insensibles !
Ecriture et vie, réalité et romance, tout se mèle, et ...pff.. comment dire, c'est assez grandiose.
Nicolas 1,
Il y a toutes sortes de trous et ceux-ci ne sont sans doute pas ceux auxquels tu penses ;)
Nicolas 2,
C'est marrant ta façon de lire les billets et d'aller commenter avant la fin ;)
Ne t'inquiète donc pas, tes blagues me font toujours rire ou sourire. Si un jour ce n'est pas le cas je te le dirai...
Quant à ce texte il est pour moitié d'Isabelle et je la remercie ici de m'avoir donné l'autorisation de publier des extraits de ses mails parce que sa vie et celle de ses proches sont fortes racontées avec sa voix...
Balmeyer,
Rhhhhho ! Tu exagères :))
Joliment tourné...
Isabelle
Tu sais, tout ceci me fait penser à un bouquin que j'ai lu il y a quelques temps déjà.. Le titre c'est : "Une petite fête sur la planète". Une histoire d'amitié entre deux mômes qui vivent des moments pas faciles...
Du bonheur à l'état pur.
Comme pour toi, lorsque je te lis..
Moi je dis le réel qui rejoint la fiction et vice et versa, c'est juste trop fort.
Avec mes mots justes quoiqu'il arrive, en plus.
Merci à toutes les deux de nous faire partager ça ! :)
Chut !!
Isabelle,
Merci :)
Yelka,
Je penserai à ce livre à l'occasion, je note la référence dans mon petit carnet.
Merci :)
Emi,
Je n'y suis pour rien, c'est du pur hasard. Merci à toi:)
Christie,
...
Où l'on découvre qu'on a été pour quelqu'un un peu important et que ça fait du bien de le savoir...
Toujours aussi bien écrit !
A un moment, j'ai cru qu'Isabelle était ma soeur à cause de la description de sa mère mais non parce que la mienne vit toujours ! :-]
Avec plaisir ;)
Filaplomb,
Merci :)
Mais je te rassure Isabelle et sa maman sont bien vivantes...
Oui oui je suis bien vivante:)
Isabelle
C'est drole comme les mots d'Isabelle entre dans ton récit comme s'ils n'étaient - ne pouvaient pas être - extérieurs. ça veut dire que ton style, c'est le style de la vie.
Tu m'espantes Zoridae.
Mon amie à moi que j'avais dans mes souvenirs à moi que tu m'as volés, elle s'appelait fabienne.
Et je ne l'ai pas retrouvée, mais j'imagine que je pourrais lui dire que jamais non plus je n'ai retrouvé d'amie comme toi.
Les amitiés adolescentes ont ceci de merveilleux qu'elles se tiennent loin de tout calcul, de toute jalousie, c'est comme de l'amour mais sans le sexe.
Vas y Nicolas, tu peux te moquer.
Isabelle,
Heureusement :)
Dorham,
Ouahou ! Merci :)
(Alors ça y est, bien installé ?)
Dom,
C'est marrant ce que tu m'écris parce que l'autre jour Isabelle m'a écrit : "tu te rappelles ce qu'on était jalouses, c'était l'enfer" et je l'avais complètement oublié...
pas faux.
mais quand même c'est pas pareil.
Zoridae :
Ah c'est etrange, je relis et c'est la soeur que j'avais prise pour la mere. Desole de l'avoir decedee !
:-)
Bonjour,
Oui Zoridae ecrit comme une déesse et je suis tellement fière d'être son amie:)
Isabelle
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