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dimanche 7 février 2010

Il faudra décrocher le père-noël

C'est une question assez gênante aussi attends-je qu'il soit occupé à préparer le café pour la lui poser. Ainsi, peut-être n'aurais-je pas à croiser son regard. Je me tiens près de la porte, prête à changer de pièce sa réponse prononcée. S'il lui prenait la fantaisie de s'étonner, de se moquer ou d'être, même, effrayé, je pourrais m'enfuir ; j'aurais changé de pièce, rejoint le salon où résonnent des airs de Haendel, ou bien la petite chambre où mon fils nage entre cachalot et poisson-scie, longtemps avant qu'il se retourne et tente de croiser mon regard.

"Il me semble qu'on a changé notre boîte aux lettres de place... Non ?"
J'articule péniblement.
Je n'avais pas prévu qu'il ne me réponde pas tout de suite. Il se retourne et me dévisage avant de prononcer le moindre mot. Suspendue à sa réponse, je me justifie, consciente de m'enliser :
"Oui, j'en suis sûre. Elle était au milieu. Tu n'as pas remarqué ? Maintenant elle est tout en haut. Mais tu n'as pas dû faire attention, la plupart du temps c'est moi qui relève le courrier... Ce n'est pas grave mais bon ça fait plusieurs fois, que machinalement, je tente de faire rentrer ma clef dans la mauvaise serrure. Enfin celle d'avant."
Je suis naïve d'avoir imaginé un seul instant qu'il pourrait s'exclamer :
"Mais oui, justement je n'osais pas t'en parler. Je croyais me faire des idées mais bien sûr que notre boîte aux lettres a été déplacée !"
Au lieu de cela il s'est rapproché de moi et me bloque la sortie. Il pose une main sur ma joue ; ce n'est pas vraiment une caresse. Tente-t-il de vérifier ma température ?
"Effectivement, me dit-il, tu es fatiguée. Excuse-moi, tu me l'avais dit mais je ne savais pas que c'était à ce point..."

J'ai encore le choix.
Mais argumenter me mettrait en colère, ou pire me donnerait l'air d'être folle, complètement siphonnée. Admettre que j'ai dû confondre, reviendrait à la même chose.
Alors, dignement, je lui tire la langue et je le pousse pour quitter la cuisine.

Cette nuit, l'histoire de la boîte aux lettres m'a empêchée de dormir. Qui a procédé au changement et pourquoi ? Si ce n'est pour me nuire, pour quelle raison a-t-on pu faire cela ? La voisine qui est à ma place et que je remplace à la sienne avait-elle du mal à atteindre sa serrure ? Et d'abord est-ce bien légal ? Après tout une boîte aux lettres c'est personnel !
J'ai déambulé dans le salon. Allongée sur le canapé j'ai parcouru le plafond du regard, à la recherche d'un nouvel hôte à huit pattes. Je n'en ai pas vu mais suspendu à la tringle à rideaux depuis mi-décembre, le père noël m'a rendu un regard écarquillé.

Illustration : Gérard Dubois

dimanche 17 mai 2009

La Petite Demoiselle Muffet

La petite demoiselle Muffet
Assise sur un tabouret
Mangeait son caillé et son petit-lait.
Vint une araignée
Qui s'assit à côté
Mademoiselle Muffet partit tout effrayée.


Little Miss Muffet,
Sat on a tuffet,
Eating her curds and whey.
Along came a spider,
Who sat down beside her,
And frightened, Miss Muffet, away.

vendredi 15 mai 2009

La chasse

Il y a quelques semaines des ouvriers sont venus et, munis de marteaux-piqueurs, ils ont, avec détermination, éventré les trottoirs de ma rue. Leur installation s'était faite sous la fenêtre de notre chambre, à l'aube - du moins, c'est le souvenir que j'en garde -mais les jours suivants, l'ouvrage des marteaux-piqueurs s'est étendu jusqu'à l'avenue Marx Dormoy.
Lorsqu'ils eurent passé la rue Poissonnière, il ne nous parvint plus qu'un vague écho mais le souvenir du supplice enduré nous le rendait insupportable. Dehors, nos pieds charriaient des monceaux de boue, la terre bavait sur la route et, craignant de crotter mes bottines vernies, je me croyais transportée quelques siècles auparavant, lorsque le goudron ne recouvrait pas le sol de Paris.

Une semaine après l'autre, le bitume s'est lézardé laissant apparaître ses entrailles parcourues de tuyaux nauséabonds. En passant près des excavations, je me rappelais ce fait divers, l'année dernière je crois : à la suite de travaux devant chez eux, les habitants d'un immeuble s'étaient plaints de sentir une odeur de gaz. Les ouvriers étaient partis sans les prendre au sérieux. Jusqu'à ce que l'immeuble explose... Il y avait eu de nombreuses victimes.

Par ici aussi, ils ont fini par reboucher les trous et remballer leur matériel. Bientôt les matins sont devenus quasi calmes : seuls les camions du Champion, le va-et-vient incessant des palettes et parfois, de gentils coups de klaxons nous réveillaient. La cacophonie habituelle. Après l'acharnement sonore des marteaux-piqueurs, ces menus bruits nous avaient semblé désirables et je me suis surprise, un matin, à ôter une boule Quiès pour savourer amoureusement le grincement des roulettes devant l'entrepôt.

Je pensais que nous subirions juste après l'odeur du goudron, moindre désagrément pour des trottoirs touts neufs. Que nenni. Les trottoirs restent zébrés de brun et dégueulent de la boue lorsqu'il pleut. Par la fenêtre, cela fait comme des pointillés brun sur la grisaille. J'ai pris l'habitude de sauter par dessus les lambeaux de terre mise à nue, de slalomer, d'éviter. Je me demande quel effet sur le mental peut avoir le fait d'habiter dans une rue qui ressemble à des points de suspension à l'infini. Dans l'écriture aussi je les ai évités longtemps. Ainsi que les points d'exclamation multipliés et les petits ronds au-dessus de la lettre i.

Bref, à cause de la désorganisation de l'espace sous mes fenêtres, je ne les ai pas remarquées tout de suite. D'abord il y a du monde, même le soir, les rires fusent, des cris couvrent le vrombissement des voitures qui redémarre lorsque le feu passe au vert, on se hèle, on se harangue, on s'enthousiasme, on râle, on se bat. Devant le petit café, les habitués fument leur clope en me saluant d'un air goguenard. C'est toujours un objet de réflexion pour moi : pourquoi tous les clients de ce bar ont-ils l'air goguenard ? Mais je me trompe, les femmes n'ont pas le même air. De leurs voix rauques de fumeuses, elles gueulent des blagues puis toussent en riant. Elles sont imposantes, leur ventre les précède et sous leurs yeux vitreux, le khôl dégouline. Mais elles possèdent une grâce étrange - peut-être conférée par l'assurance de plaire - qui m'amène à les fixer longuement lorsque je passe devant elles. Le patron, lui, me salue avec chaleur. Puis, parmi les goguenards il y a ceux qui ont vraiment l'air de rire en dedans et ceux qui font mine de flirter. Je sourie aux rieurs, parfois, je salue les autres d'un hochement de tête sévère. Un peu plus loin, je vois des hommes et des femmes qui, absorbés dans leur conversation, ne cessent de guetter la sortie des poubelles du supermarché. Il arrive que je les entende évoquer un incident : "Il nous a dit que si on revenait, il appellerait les flics". Ils se font discrets, ils se mêlent aux clients du bar, à ceux du salon de coiffure, ils se fondent dans le décor.

Elles surgissent la nuit tombée. Je les ai remarquées un soir. Il était minuit passé. B. et moi venions de nous coucher lorsqu'un frottement dans la pièce m'a poussé à allumer. J'ai scruté le plafond. Dans le coin droit de la pièce j'ai aperçu une tâche noire :
"Ah ah, ai-je dit, cette nuit tu vas gober une araignée !"
J'étais entrain de calculer les possibilités que l'insecte tombe dans ma bouche plutôt que dans celle de mon époux, lorsqu'un mouvement a attiré mon regard, dans le coin gauche de la pièce. De mon côté. Une araignée dodue agitait ses pattes dans une toile qui partait de la bibliothèque. B. a éclaté de rire.
"Ce n'ai pas drôle, ai-je râlé. Tu crois que c'est un couple ?"
J'ai aussitôt imaginé les ébats qui avaient peut-être eu lieu juste au-dessus de nous, depuis des semaines. Je me suis demandée si la femelle araignée, en ce moment même portait ses petits sur son dos. Mais il me semble que le mâle est vivant... Or il paraît qu'après l'accouplement, la femelle, le tue. Parfois elle le mange. Cela dépend des espèces.
"Ils n'en sont peut-être qu'à la phase de séduction, ai-je murmuré.
- Et si c'était toi qui le faisais pour une fois, a grogné B.
- Ah non, j'ai dit, je ne peux pas ! Je suis une des leurs !"
Et j'ai quitté la chambre pour ne pas assister au carnage.

Le front contre la fenêtre du salon j'ai regardé dans la rue. Comme chaque fois, que je scrute l'obscurité depuis que nous habitons là, j'ai repensé à la femme-qui-autrefois-dormait-en-bas de-chez-moi. Je me suis demandée où elle pouvait être et j'ai espéré qu'elle reçoive enfin des soins appropriés.
"Peut-être a-t-elle enfin retrouvé la raison ? Et ses enfants, ai-je pensé.
- Zut, râla B.. Elle a sauté !
- Oh non, ai-je dit en retournant dans la pièce. Et bien sûr c'est de mon côté ! Je suis sûre que pour la tienne tu t'es appliqué !
- Elle était morte, a-t-il dit. Enfin il y avait un truc mort.
- A mon avis c'était le mâle, ai-je dit en lui jetant un regard menaçant."

Et je suis retournée observer la rue pendant que B. empilait les livres qui jonchent le sol au pied du lit, de mon côté. De temps en temps, une ombre le faisait sursauter, il donnait un coup de balais avant de s'apercevoir que ce n'était rien. Dehors quelque chose avait attiré mon attention. Plusieurs jeunes filles attendaient. Elles étaient deux par deux, appuyées contre les vitrines des boutiques fermées. Il y en avait une demi-douzaine. Leurs vêtements étaient ceux de lycéennes : jeans noirs moulants, tee-shirts, petits blousons ajustés. Toutes étaient en noir et blanc. Qu'est ce qu'elles peuvent bien attendre à cette heure de la nuit ? je me demandais. Soudain un homme est passé et l'une d'elle lui a adressé la parole. Tiens elle doit vouloir connaître l'heure ! C'est tout ce que je parvenais à imaginer. Mais l'homme n'a pas regardé sa montre, ni consulté son portable. La fille a traversé la rue en direction de mon immeuble et il l'a suivi. Cinq minutes plus tard une autre fille est partie avec un autre homme.

"Ça y est je l'ai eue ! a crié B. dans la chambre.
- Il y a des putes dans la rue, j'ai répondu. Tu ne me mens pas ? j'ai insisté... Fais voir !"

Sous sa chaussure, B. me montra la femelle araignée, toute aplatie. Et nous sommes allés nous coucher en fermant la bouche au cas où les petits aient survécu.

Illustration : Julie Fillo

dimanche 4 mai 2008

Au printemps

Nous avons gravi l'avenue Caulaincourt et j'ai peiné.

Essoufflée, je rouspétais contre le Montmartrobus qui n'était pas venu et B. qui n'avait pas voulu l'attendre plus longtemps. Parvenus au feu, au croisement de la rue Lamarck, nous nous sommes arrêtés pour traverser et nous l'avons vu arriver, nous dépasser, cahotant sur ses suspensions usées, triomphant de mon dépit avec ses vitres qui nous renvoyaient les rayons du soleil. Le flot de voitures nous empêchait de courir pour rejoindre le prochain arrêt, alors nous avons continué de grimper, à pieds. De ma bouche s'égrenaient les reproches, je toussais, soufflais, mouchais. Pourtant c'est moi qui avais décidé de la destination de notre sortie. Au bas du jardin, j'ai convaincu Zacharie de descendre de sa poussette, je lui ai tenu la main. J'ai compté les marches sous nos pieds puis il a poussé la porte du square, s'est retourné pour la fermer. Sans y penser, j'avais appuyé une seconde ma main sur l'acier vert foncé : "Non, maman, s'était-il rengorgé, c'est moi, tout seul !".

Il restait encore deux volées de marches.

Autour du toboggan, des véhicules à bascule et du bac à sable, plus aucun banc n'était vacant. Je me suis laissé tomber dans un coin, quelques regards se sont attardés sur ma silhouette fatiguée : "Et alors ? avais-je envie de balancer, je suis fatiguée, ça ne vous arrive jamais ?"

Tout me paraissait usant, contrariant, à commencer par les pensées qui se bousculaient au portillon de ma conscience nuageuse, toujours semblables à cet endroit. B. en a exprimé une qui venait de traverser mon esprit :
"C'est drôle, s'est-il exclamé, la différence de population entre ce square et celui de Clignancourt !". Il détaillait les enfants de bobos, dans leur vêtements à la mode, avec de jolis minois capricieux, des bouilles à croquer. Leurs parents, amassés sur les bancs les surveillaient en fumant des cigarettes. Ils parlaient, fort, des livres qu'ils écrivaient, des films qu'ils avaient fait, des rêves dont ils se souvenaient. De temps en temps, l'un d'eux se levait, la démarche élastique, un port de tête altier. Il allait écouter une revendication enfantine avec application, le front plissé, d'une voix ardente, il lui répondait. Le discours était réfléchi, la sentence équitable, le jouet revenait à qui de droit, la bosse surmontée d'un baiser, l'exploit admiré théâtralement. Conscients de l'attention portée à ses exploits, le parent méritant reprenait sa place, le fil de sa pensée et demandait à l'autre "tu as du feu ?"
"Je ne vois pas de différences, moi, ai-je prétendu."
Je n'ai pas entendu la réponse de B. car je me tenais la tête à deux mains. La migraine, d'un coup, me pressait les tempes, étalait sur mon front une douleur cuisante.

Zacharie n'est pas resté longtemps. Doucement, il s'est dirigé vers l'autre partie du jardin, celle où des touristes pérégrinent sous les entrelacs de glycines, le visage tourné vers la masse ronde et blanche du Sacré-Cœur, ce monument aux allures de somptueuse meringue. Nous le suivions à quelques pas, admirant son esprit aventureux, sa curiosité déterminée. "Il ne se retourne même pas pour voir si nous le suivons !". Sur les bancs et sur l'herbe, quelques groupes riaient, lisaient, profitant du beau temps. Mon fils, s'adonnait à son sport favori : monter et descendre le rebord d'un trottoir en poussant sa poussette. Concentré, presque soucieux il recommençait sans cesse, analysant, décomposant le mouvement, essayant d'autres tactiques dont l'inefficacité vérifiée, lui arrachait des cris de rage. B. se proposait alors de l'aider mais Zozo répondait "non papa, c'est moi, tout seul !" et il hurlait de plus belle, perclus de frustration.

Je me suis allongée sur la pierre, à l'abri d'une tonnelle. J'ai fermé les yeux. La caresse du soleil sur mon visage et le bien-être que cela m'a procuré m'ont donné envie de pleurer :
"Pourtant, d'habitude, le printemps te rend joyeuse, dynamique, ai-je songé." Alors, un inventaire s'est dressé, sans que je le souhaite. J'ai tenté, par exemple, de sonder l'importance de l'absence de chant, dans ma vie, depuis plusieurs mois :
"Est-ce que réellement je n'en ai plus besoin ? Est-ce qu'après dix-huit ans de pratiques, de sacrifices, de passion, je peux me taire, comme cela, sans être torturé jour et nuit par la culpabilité de la reddition ? Est-il normal de ne rien ressentir à ce sujet ?" Je me suis promis de m'entrainer un peu chaque jour, de nouveau, pour essayer. "De toutes façons, tu le dois à tes élèves, au minimum !"

Au retour, nous avons assis Zacharie de force dans sa poussette en constatant qu'il était plus de dix-neuf heures. Je me cramponnais aux poignées dans la descente, nauséeuse, Zacharie se plaignait, il voulait courir. J'avais revêtu le manteau qui me tenait trop chaud une heure auparavant, relevé le col. Je frissonnais : "Il fait froid tout d'un coup, non ? ai-je demandé à B.
- Non, a-t-il répondu, pas tellement."

Dans l'allée, Zacharie a réclamé l'autorisation d'ouvrir les portes, d'aller ranger tout seul son siège à roulette dans le local. J'ai soufflé à B. : "je monte, je n'en peux plus !" Les deux étages m'ont paru insurmontables. J'ai glissé la clef dans la porte en tremblant. Dans l'appartement, j'ai imaginé une seconde m'asseoir devant l'ordinateur pour poursuivre la série en cours sur mon blog mais, sans même en débattre, je me suis dirigée vers la chambre et me suis effondrée sur le lit. J'ai niché un oreiller contre mon ventre et me suis enroulée autour, j'ai tiré la couette jusqu'à mes yeux et j'ai senti la fièvre me gagner. Des vagues de froid couraient sur mon corps. J'ai dormi, de sombres rêves qui ressemblaient à la réalité ont noyé les voix de Zacharie et B. revenus dans l'appartement. Soudain, une main glacée s'est posée sur mon front :
"Ça ne va pas, tu es malade ? a murmuré B.
- Je ne sais pas. Je ne me sens pas bien, je suis fatiguée."
Il est allé chercher le thermomètre, qui a indiqué 38,5 en quelques secondes.
"Chut, Maman est malade, a-t-il dit à Zacharie qui arrivait en pépiant, va jouer à côté !
- Maman est malade, a demandé mon fils ? Je veux lui faire un bisou !
- D'accord, ai-je concédé. Mais après, je veux dormir."

Lorsque je me suis réveillée, la nuit était tombé et B. dormait à mes côtés. Je me sentais assez alerte. Je me suis levé, ai bu, uriné. Enfin le silence régnait dans ma tête, la douleur s'était estompée. Je suis retournée me coucher, la veilleuse allumée au minimum et j'ai poursuivi la lecture de mon roman du moment : Thèra de Zeruya Shalev... "Le soir, je vais me coucher tôt mais une créature exigeante et muette vient s'allonger à côté de moi et bombe sur les murs de mon coeur des slogans insultants, la fine corde du sommeil se rompt encore et encore, ses extrémités se repoussent, je reste allongée éveillée, le lit devient le champ de bataille de mes souvenirs, les bons affrontent les mauvais tels deux gladiateurs musclés, je me retrouve à souhaiter la défaite des bons, mais j'ai beau encourager les mauvais, ils s'en vont et s'évanouissent malgré moi, à tel point que je me mets à croire que nos jours ensemble n'étaient que calme et bénédiction."

A deux heures j'ai éteint mais la musique sinueuse des phrases de Shalev, le lancinante mélopée de l'amour qui meurt avait redonné du feu à ma fièvre. J'imaginais vomir des cohortes de mots, ceux du roman que j'avais lu, ceux que je gardais en moi, pour les écrire bientôt... Je me voyais, penchée au-dessus de la cuvette des W.C. et le bruit des vomissements ressemblait à des voix furieuses et dévorantes qui tournoyaient au-dessus de moi, menaçantes.

Enfin, j'ai sombré. Dans mon rêve, une grosse araignée grise s'échappait de mon carnet de notes, qui était, je ne sais pourquoi, suspendu à un clou, au-dessus de ma table de chevet. Le temps que je cherche un objet susceptible de l'aplatir, elle avait disparu. Je scrutais le meuble, la tête de mon lit puis je m'attardais sur les bords de mon carnet. Soudain, je distinguais une minuscule araignée sur la couverture noire, suivie bientôt d'une autre, un peu plus grande, et de deux autres, cheminant côte à côte. Tout autour, le long des spirales, au bord de l'élastique qui le maintient fermé, sur la frange d'une page blanche qui dépassait un peu, des dizaines de pattes apparaissaient. Effarée, je fis ce que me dictait l'horreur de la situation : de mes deux poing, j'écrasai la couverture. Je sentis des craquements sous le papier cartonné, les corps des insectes produisaient une substance jaune, glaireuse qui glissait sur les côtés de mon carnet. La couverture était devenue marron et suintait...

Illustration : Art and Ghosts

mercredi 24 octobre 2007

La sexualité des araignées



Il est fascinant d'observer qu'une araignée peut s'installer quasiment n'importe où. Gravissant l'escalier de mon immeuble, le nez en l'air, je remarque de curieux cocons de cadavres évidés pendouillant, sinistres, le long de la rampe d'escalier. Cette semaine j'ai aspiré deux nouvelles toiles, une dans les W.C., une dans la salle de bains.

Avant d'aménager nous nous étions pourtant adonnés à un véritable carnage parmi la gente arachnide. Il y en avait environ cinq par pièce. Une question me taraudait : comment les araignées se reproduisent-elles ?
Je m'imaginais dormir alors qu'au plafond, dans les coins, sous le lit, s'accompliraient de véritables orgies, pleines de pattes, de fils, "attache-moi" et compagnie. J'ai mis du temps à pouvoir me renseigner mais la réponse, je ne l'ai pas retenue car j'aime me dire, de temps en temps, que je pense à la sexualité des araignées.

Tout à l'heure je suis restée à côté de mon fils qui s'était endormi près de moi, à force de lire et relire ses histoires préférées. Un chat s'étirait sur le lit près de nous, ronronnant, se léchant quand soudain il a bondi sur le parquet faisant le même bruit qu'un de nos cartons de livres versant sur le sol. Il a donné quelques coups de pattes, ses griffes ont rayé le sol à plusieurs reprises puis je l'ai entendu déguster sa prise.
Ce devait être une araignée de belle taille car il l'a suçoté longuement.

Je ne sais pas si j'aime cet appartement que nous n'habitons pas encore pour de vrai, parce que tous nos cartons ne sont pas déballés, parce que les peintures ne sont pas finies, ni le bricolage...

Chaque soir, à l'heure où Zozo sombre dans le sommeil, les voisins du dessus, deux ados et leurs parents, se livrent à des cavalcades, ponctuées de jurons, de pleurs, de cris, de silences brusque au milieu du vacarme, moment où le coup tombe ; "tu es un connard et toi une connasse / TACATATAC /silence / Ouiiiiiiiiiiin ! Sale connard, sale connasse / Ouiiiiiiiiiin / TACATACATA / BOUM BOUM /Silence / Ouiiiiiiin ".

Une autre voisine, se réveille, vers six heures le matin, éternuant en de sombres cri rauques. Je pense régulièrement à lui laisser des prospectus sur les allergies mais je ne suis pas comme ça.

Dans la rue, une femme dort encore, la même. Elle est allongée presque toute la journée. Parfois, d'autres femmes lui déposent à manger, elle lève le nez pour mieux les ignorer et arbore une expression dégoûtée. Elle croule sous les couvertures. A une époque, elle a eu plusieurs matelas, et deux fauteuils mais les éboueurs finissent par lui enlever ce qui est encombrant. J'ai découvert comment elle satisfaisait ses besoins, par hasard, de mon balcon. Elle s'assied sur l'avancée de trottoir qui délimite un espace pour garer les vélos. Ses dessous sont cachés par son long manteau gris mais elle baisse son pantalon sans rechercher la discrétion, une petite rigole descend en direction du caniveau. Elle en était là de son affaire, vers 18 heures, en pleine affluence, quand une automobiliste ignorante est venue lui demander de se pousser parce qu'elle allait reculer...

J'ai réalisé récemment que je la considérais comme une déesse, ma déesse personnelle, pathétique et grandiose à la fois. J'ai d'abord été émue par son sort au point de m'identifier à elle et de passer mon temps à l'épier. Puis je me suis fâchée contre elle, révoltée par son attitude dépressive, sa complaisance. Me rappelait-elle la petite fille que j'étais, qui après une dispute avec sa mère se couchait sur le sol à poils ras, toute la nuit ? J'attendais d'être secourue, pardonnée mais ma mère ne venait pas me voir. Je me roulais dans mes larmes, les faisant redoubler grâce au défilé, savamment orchestré, des différentes injustices auxquelles j'étais soumise. Il fallait qu'elle me trouve, couchée par terre, le visage meurtri. Mais je finissais par regagner mon lit, épuisée sans que personne ne sache rien de mes flagellations nocturnes. Au petit déjeuner il fallait demander pardon à maman que j'avais, la veille, traitée de connasse.

Crédits photo : Rothamsted Research

jeudi 6 septembre 2007

Une araignée au plafond

Mon fils a les cheveux en forme de nuages, des accroche-rêves sur la nuque. Il sommeille à côté de moi, bras et jambes étirés, il est gracieux dans un sommeil aussi profond que la nuit.
J'ai noté, dans un très beau texte de Marie-Claire Pasquier aux Editions Autrement : "La mère qui a un fils accède dans l'arrogance de l'illégitimité au statut majeur de mère-de-héros. Son phallus, dit-on. "
Au square, parfois, je me retourne pour voir si les mères, les pères, les nounous présents remarquent les exploits vertigineux de mon fils. Lorsque je croise un regard, le mien est victorieux, mon front est haut et fier, je souris. Si les visages demeurent impénétrables et mystérieux, cela ne m'empêche d'être grisée de joie lorsqu'à la descente de son tobbogan, il s'applaudit lui même avec un sourire de bonheur pur.

Hier, alors que la femme-qui-dort-sur-le-trottoir reposait, cachée sous une toile de tente sans tente, la nuit à peine tombée, des cris m'ont attirée à la fenêtre. Un homme lui criait " Allez, rentre à la maison maintenant, ça suffit ! Viens dormir au chaud, arrête de faire ta pauvresse ! " Le temps que j'accède à mon balcon, il tournait déjà les talons en l'insultant, parce que, sans doute, elle avait refusé, parce qu'elle l'avait repoussé ou simplement ignoré. Il l'insultait sans se retourner et il insultait sa mère. Elle lui répondait, farouche, d'une voix puissante et grave mais tellement plantée sur ses jambes que pour la première fois j'ai vu qu'elle paniquait. Avant de tourner au coin de la rue il a balancé " Tes enfants tu n'es pas prête de les revoir, ils vont aller à la DDASS ! Tu ne les reverras pas !"

Alors l'effroi m'a saisie. Peut-être suis-je trop naïve et sacrément ignorante du monde dans lequel nous vivons mais cette femme je voulais la voir seule, loin des siens. Je m'étais racontée une histoire d'esclavage moderne mâtinée de mariage imposé avec, en guise de préambule l'exportation forcée d'un pays pauvre mais aimé ; elle avait fuit, c'était normal.
Je savais bien que cela n'expliquait pas tout, par exemple les longs conciliabules qu'elle tenait seule, des heures durant, ses fous rires inexpliquables, son regard opaque où se reflétait ma honte. Mais n'est-ce pas normal, arguais-je, en contemplant une araignée courant sur mon plafond, si l'on est seul tout le temps, de finir par parler à voix haute ?
Pourtant, voilà : cette femme a un foyer quelque part avec des enfants et un compagnon -une espèce de brute écervelée pour ce que j'ai pu en juger - or, un jour, elle a rangé dans une petite valise marron, une petite couette à fleurs comme celles qui recouvrent les canapés-lits dans les appartements d'étudiants, une toile de tente sans tente, des cigarettes, peut-être un peu d'argent et elle est sortie se coucher dans la rue.

Elle avait de belles tresses, elle a fini par les ôter, un matin. Son sourire surgit comme un fugitif qui sent sur ses mollets le souffle des chiens lancés à sa poursuite. Et souvent, il me semble la voir sangloter, le visage grimaçant, les pommettes asymétriques, les cheveux courts, dressés sur sa tête.
Sitôt qu'elle croise mon regard, elle se remet à rire, discrètement. Et je me cache, je me tais, les yeux aux plafonds, j'écoute la respiration de mon fils qui dort à côté de moi.