Mon fils a les cheveux en forme de nuages, des accroche-rêves sur la nuque. Il sommeille à côté de moi, bras et jambes étirés, il est gracieux dans un sommeil aussi profond que la nuit.
J'ai noté, dans un très beau texte de Marie-Claire Pasquier aux Editions Autrement : "La mère qui a un fils accède dans l'arrogance de l'illégitimité au statut majeur de mère-de-héros. Son phallus, dit-on. "
Au square, parfois, je me retourne pour voir si les mères, les pères, les nounous présents remarquent les exploits vertigineux de mon fils. Lorsque je croise un regard, le mien est victorieux, mon front est haut et fier, je souris. Si les visages demeurent impénétrables et mystérieux, cela ne m'empêche d'être grisée de joie lorsqu'à la descente de son tobbogan, il s'applaudit lui même avec un sourire de bonheur pur.
Hier, alors que la femme-qui-dort-sur-le-trottoir reposait, cachée sous une toile de tente sans tente, la nuit à peine tombée, des cris m'ont attirée à la fenêtre. Un homme lui criait " Allez, rentre à la maison maintenant, ça suffit ! Viens dormir au chaud, arrête de faire ta pauvresse ! " Le temps que j'accède à mon balcon, il tournait déjà les talons en l'insultant, parce que, sans doute, elle avait refusé, parce qu'elle l'avait repoussé ou simplement ignoré. Il l'insultait sans se retourner et il insultait sa mère. Elle lui répondait, farouche, d'une voix puissante et grave mais tellement plantée sur ses jambes que pour la première fois j'ai vu qu'elle paniquait. Avant de tourner au coin de la rue il a balancé " Tes enfants tu n'es pas prête de les revoir, ils vont aller à la DDASS ! Tu ne les reverras pas !"
Alors l'effroi m'a saisie. Peut-être suis-je trop naïve et sacrément ignorante du monde dans lequel nous vivons mais cette femme je voulais la voir seule, loin des siens. Je m'étais racontée une histoire d'esclavage moderne mâtinée de mariage imposé avec, en guise de préambule l'exportation forcée d'un pays pauvre mais aimé ; elle avait fuit, c'était normal.
Je savais bien que cela n'expliquait pas tout, par exemple les longs conciliabules qu'elle tenait seule, des heures durant, ses fous rires inexpliquables, son regard opaque où se reflétait ma honte. Mais n'est-ce pas normal, arguais-je, en contemplant une araignée courant sur mon plafond, si l'on est seul tout le temps, de finir par parler à voix haute ?
Pourtant, voilà : cette femme a un foyer quelque part avec des enfants et un compagnon -une espèce de brute écervelée pour ce que j'ai pu en juger - or, un jour, elle a rangé dans une petite valise marron, une petite couette à fleurs comme celles qui recouvrent les canapés-lits dans les appartements d'étudiants, une toile de tente sans tente, des cigarettes, peut-être un peu d'argent et elle est sortie se coucher dans la rue.
Elle avait de belles tresses, elle a fini par les ôter, un matin. Son sourire surgit comme un fugitif qui sent sur ses mollets le souffle des chiens lancés à sa poursuite. Et souvent, il me semble la voir sangloter, le visage grimaçant, les pommettes asymétriques, les cheveux courts, dressés sur sa tête.
Sitôt qu'elle croise mon regard, elle se remet à rire, discrètement. Et je me cache, je me tais, les yeux aux plafonds, j'écoute la respiration de mon fils qui dort à côté de moi.
J'ai noté, dans un très beau texte de Marie-Claire Pasquier aux Editions Autrement : "La mère qui a un fils accède dans l'arrogance de l'illégitimité au statut majeur de mère-de-héros. Son phallus, dit-on. "
Au square, parfois, je me retourne pour voir si les mères, les pères, les nounous présents remarquent les exploits vertigineux de mon fils. Lorsque je croise un regard, le mien est victorieux, mon front est haut et fier, je souris. Si les visages demeurent impénétrables et mystérieux, cela ne m'empêche d'être grisée de joie lorsqu'à la descente de son tobbogan, il s'applaudit lui même avec un sourire de bonheur pur.
Hier, alors que la femme-qui-dort-sur-le-trottoir reposait, cachée sous une toile de tente sans tente, la nuit à peine tombée, des cris m'ont attirée à la fenêtre. Un homme lui criait " Allez, rentre à la maison maintenant, ça suffit ! Viens dormir au chaud, arrête de faire ta pauvresse ! " Le temps que j'accède à mon balcon, il tournait déjà les talons en l'insultant, parce que, sans doute, elle avait refusé, parce qu'elle l'avait repoussé ou simplement ignoré. Il l'insultait sans se retourner et il insultait sa mère. Elle lui répondait, farouche, d'une voix puissante et grave mais tellement plantée sur ses jambes que pour la première fois j'ai vu qu'elle paniquait. Avant de tourner au coin de la rue il a balancé " Tes enfants tu n'es pas prête de les revoir, ils vont aller à la DDASS ! Tu ne les reverras pas !"
Alors l'effroi m'a saisie. Peut-être suis-je trop naïve et sacrément ignorante du monde dans lequel nous vivons mais cette femme je voulais la voir seule, loin des siens. Je m'étais racontée une histoire d'esclavage moderne mâtinée de mariage imposé avec, en guise de préambule l'exportation forcée d'un pays pauvre mais aimé ; elle avait fuit, c'était normal.
Je savais bien que cela n'expliquait pas tout, par exemple les longs conciliabules qu'elle tenait seule, des heures durant, ses fous rires inexpliquables, son regard opaque où se reflétait ma honte. Mais n'est-ce pas normal, arguais-je, en contemplant une araignée courant sur mon plafond, si l'on est seul tout le temps, de finir par parler à voix haute ?
Pourtant, voilà : cette femme a un foyer quelque part avec des enfants et un compagnon -une espèce de brute écervelée pour ce que j'ai pu en juger - or, un jour, elle a rangé dans une petite valise marron, une petite couette à fleurs comme celles qui recouvrent les canapés-lits dans les appartements d'étudiants, une toile de tente sans tente, des cigarettes, peut-être un peu d'argent et elle est sortie se coucher dans la rue.
Elle avait de belles tresses, elle a fini par les ôter, un matin. Son sourire surgit comme un fugitif qui sent sur ses mollets le souffle des chiens lancés à sa poursuite. Et souvent, il me semble la voir sangloter, le visage grimaçant, les pommettes asymétriques, les cheveux courts, dressés sur sa tête.
Sitôt qu'elle croise mon regard, elle se remet à rire, discrètement. Et je me cache, je me tais, les yeux aux plafonds, j'écoute la respiration de mon fils qui dort à côté de moi.
5 commentaires:
C'est superbe !
Merci Balmeyer et félicitations, tu dois être mon premier lecteur !
Alors je serai le second avec plaisir...
la folie n'est jamais éloignée de la vie ordinaire, et passer le mère à SDF et n'est pas si rare...
Sorry : Kaleidos coop et le blog collaboratif auquel je participe.
Ash
Bienvenue Ash, j'aime beaucoup ce que tu écris...
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