C'est une question assez gênante aussi attends-je qu'il soit occupé à préparer le café pour la lui poser. Ainsi, peut-être n'aurais-je pas à croiser son regard. Je me tiens près de la porte, prête à changer de pièce sa réponse prononcée. S'il lui prenait la fantaisie de s'étonner, de se moquer ou d'être, même, effrayé, je pourrais m'enfuir ; j'aurais changé de pièce, rejoint le salon où résonnent des airs de Haendel, ou bien la petite chambre où mon fils nage entre cachalot et poisson-scie, longtemps avant qu'il se retourne et tente de croiser mon regard.
"Il me semble qu'on a changé notre boîte aux lettres de place... Non ?"
J'articule péniblement.
Je n'avais pas prévu qu'il ne me réponde pas tout de suite. Il se retourne et me dévisage avant de prononcer le moindre mot. Suspendue à sa réponse, je me justifie, consciente de m'enliser :
"Oui, j'en suis sûre. Elle était au milieu. Tu n'as pas remarqué ? Maintenant elle est tout en haut. Mais tu n'as pas dû faire attention, la plupart du temps c'est moi qui relève le courrier... Ce n'est pas grave mais bon ça fait plusieurs fois, que machinalement, je tente de faire rentrer ma clef dans la mauvaise serrure. Enfin celle d'avant."
Je suis naïve d'avoir imaginé un seul instant qu'il pourrait s'exclamer :
"Mais oui, justement je n'osais pas t'en parler. Je croyais me faire des idées mais bien sûr que notre boîte aux lettres a été déplacée !"
Au lieu de cela il s'est rapproché de moi et me bloque la sortie. Il pose une main sur ma joue ; ce n'est pas vraiment une caresse. Tente-t-il de vérifier ma température ?
"Effectivement, me dit-il, tu es fatiguée. Excuse-moi, tu me l'avais dit mais je ne savais pas que c'était à ce point..."
J'ai encore le choix.
Mais argumenter me mettrait en colère, ou pire me donnerait l'air d'être folle, complètement siphonnée. Admettre que j'ai dû confondre, reviendrait à la même chose.
Alors, dignement, je lui tire la langue et je le pousse pour quitter la cuisine.
Cette nuit, l'histoire de la boîte aux lettres m'a empêchée de dormir. Qui a procédé au changement et pourquoi ? Si ce n'est pour me nuire, pour quelle raison a-t-on pu faire cela ? La voisine qui est à ma place et que je remplace à la sienne avait-elle du mal à atteindre sa serrure ? Et d'abord est-ce bien légal ? Après tout une boîte aux lettres c'est personnel !
J'ai déambulé dans le salon. Allongée sur le canapé j'ai parcouru le plafond du regard, à la recherche d'un nouvel hôte à huit pattes. Je n'en ai pas vu mais suspendu à la tringle à rideaux depuis mi-décembre, le père noël m'a rendu un regard écarquillé.
Illustration : Gérard Dubois
27 commentaires:
Pourquoi tu piques le courrier de la voisine ?
Quand même, l'emplacement d'une boite aux lettres, c'est comme gravé dans le cerveau. Au burin, genre ! Ce n'est pas le genre de choses dont on peut se méprendre. Par contre, c'est à mon avis juste un farce...
Nicolas,
Grrr...
Dorham,
Ouf, tu me crois toi !
Mais une farce de qui ? Nos boîtes sont toutes attachées les unes aux autres. Il a fallu dévisser la porte et la changer de place... Je ne vois pas qui aurait fait ça ?
Haha, l'inquiétante étrangeté du quotidien et ses petits dérèglements !!
De quoi devenir parano puissance 10 !
Le plus inquiétant dans tout ça, c'est ce Père Noël espion ...
(surtout à 8 pattes ???)
Audine,
Oui, tu le verrais, il fait vraiment peur... Ma mère l'a reçu en cadeau de la Vitrine Magique et elle a pensé que ça plairait à kéké... Effectivement, il a adoré !
"Nos boîtes sont toutes attachées les unes aux autres..."
A mon avis, il suffit de déplacer ton nom, pas besoin de déplacer la boite...
Peut-être qu'il y a un nain dans ton immmeuble qui a demandé à changer de boite parce qu'il n'arrivait pas à l'atteindre... Du coup, on aura interverti vos noms...
Et les serrures, Dorham !
Merci de veiller Nicolas !
:)
Je ne veille pas, j'ai pitié : tu es trollée par Dorham.
Il a peut-être pas fait exprès...
Justement...
Hi hi
Ah oui...
Comment ça je trolle ? J'essaie de sauver Zoridae de la parano galopante...
La Poste aussi a changé de place. On l'a déplacé après le magasin de chaussure. Par réflexe, je suis entré dans la poste, mais quand j'ai déposé ma lettre dans une chaussure, j'ai compris qu'ils avaient déplacé la Poste. Terrifiant.
Incroyable, moi, l'autre soir, je rentre chez moi, à la place de ma femme et de mes enfants, une famille thaïlandaise. Une sombre histoire de délocalisation m'a-t-on dit à la Mairie.
Du coup, j'en ai profité pour échanger les thaïlandais contre une épouse russe auprès d'un mec qui avait des problèmes avec sa connexion internet...
Tu as raison, il y a un truc incroyable avec les épouses russes. Quand elles attendent un enfant, l'enfant lui même attend un enfant, qui attend un enfant, qui attend un enfant, qui attend un enfant. Lors de l'accouchement, tout le monde accouche en même temps. Et tu te retrouves avec une arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-petite fille russe de un centimètre de haut. Les épouses russes.
Ensuite, tu peux ouvrir un chenil.
Ou un harem.
Ou une distillerie de vodka...
Avec tous ces enfants c'est une vodka d'école, qu'il faut.
Jamais je me marierai avec une thaïlandaise délocalisée !
Vous êtes trop aventureux pour moi.
Je vois qu'il y en a qui sont plus gravement atteints que moi...
Je compatis... c'est flippant ton truc ! (quoi que moi ça m'arrangerait qu'on m'échange ma boîte parce qu'elle est tout en haut et que je suis obligée de monter l'escalier pour me pencher et voir dans le fond !) :-)
PS : Ravie de te retrouver !
Les commentaires sont aussi angoissants que le billet, je file!
Je retrouve cette écriture avec bonheur..
Sont tous fous sur ce blog !!!
...mais ça me plaît ...
A mon humble avis, faudrait s'affranchir de cette histoire de boîte aux lettres, pour ne pas finir timbrés, ça fait pas un pli ...
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