L'été avant la cinquième, j'écrivis à Isabelle à l'encre rouge que la veille j'avais eu mes règles et, un peu plus tard dans la même journée, échangé mes premiers baisers.
"J'ai roulé des pelles, traçai-je, fière de moi sur le papier Clairefontaine. Enfin il m'a roulé des pelles, on a roulé des pelles... A vrai dire je ne sais pas comment conjuguer cette expression, avouais-je en voyant entre les lignes, les images absurdes convoqués par ces mots. Mais je sais comment on fait et je crois que je ne l'oublierai jamais."
Je décrivis à mon amie les maux de ventre sordides et l'haleine dégoûtante, mélange de whisky et de tabac, du garçon de 15 ans qui avait parié avec son frère qu'il coucherait avec moi.
Il ne pouvait pas savoir que les barricades, sanglantes, dressées le matin même, lui interdiraient l'accès à ma culotte plus sûrement que ma morale bornée par l'angoisse, la susceptibilité et le besoin ravageur d'être aimée. Couchés dans le sable, sous les pins, à quelques pas de la Méditerranée, nous nous livrâmes à une lutte silencieuse tandis que le sable gravait sur la peau de mon dos un message illisible.Je décrivis à mon amie les maux de ventre sordides et l'haleine dégoûtante, mélange de whisky et de tabac, du garçon de 15 ans qui avait parié avec son frère qu'il coucherait avec moi.
" Non, pas là, soufflai-je toutes les cinq minutes. Ici non plus. "
Christophe avait le même genre de coiffure que moi ; dans mon collège on appelait ça une gouffa. Je ne le trouvais pas beau et avant qu'il ne m'entraîne dans les fourrés, j'en pinçais plutôt pour son frère, ténébreux aux yeux verts qui me rappelait le Ken de ma cousine. Il arpentait la piscine, une cigarette plantée entre ses lèvres comme l'étendard de son désabusement précoce et ne s'illuminait que lorsque ses comparses arrivaient avec les emplettes du jour : whisky, vodka et Lucky Strike.
Christophe suivait son aîné comme son ombre, sirotant à sa suite les flasques dérobées dans le bar paternel, regardant avec dédain les naïades de 18 ans qui s'enduisaient mutuellement de crème solaire, en chuchotant mais sans pouffer, dardant leurs yeux ravageurs sur le dandy versatile.
Chacune rêvait d'être la Françoise Sagan qui pourrait chasser sa tristesse, vaincre son ennui.
Mais Ken se contentait de les ajouter les unes après les autres à sa liste de ses conquêtes d'un jour, regardant d'un oeil morne le ballet des chaises longues, que dans de brusques raclements l'on éloignait du couple jalousé.
Christophe et Ken venaient de Neuilly Plaisance et ils adoraient jouer. Jouer et parier trompaient leur ennui. Ainsi, fus-je choisie.
Pour quel enjeu, je ne l'ai jamais su.
Lorsque Christophe insinua sa langue gonflée par l'alcool entre mes dents vainement serrées, je me vis entrain de vivre ce moment et je compris qu'en même temps que mon enfance, s'envolait l'illusion que le premier baiser devait être extraordinaire.
"Beurk, pensai-je, c'est vraiment infect."
J'étais exaltée. Dans mon ventre, l'anxiété, gorgée de sang, la peur de ne pas savoir faire me donnaient des vertiges. J'imaginais le garçon de quinze ans se lever, écoeuré : "Mais tu n'as jamais embrassé avant ? Tu crains !"
Comme aspirée par des sables devenus mouvants, je sentais ma volonté défaillir. Peu après, je laissai Christophe pétrir ma jeune poitrine.
"Il m'aime, me disais-je en guise de réconfort. S'il a voulu sortir avec moi c'est qu'il m'aime." mais j'avais des doutes. Son intérêt pour moi avait été si soudain. Nous n'avions pas échangé trois mots et j'étais une gamine, je le voyais bien, au bord de la piscine. Les jeune fille en fleurs bronzaient, huileuses, pendant qu'avec ma soeur de dix ans, couvertes d'une couche opaque d'écran total, nous faisions des bombes dans la piscine.
Au rythme du ressac, les mains de Christophe ne cessait de vouloir gagner du terrain sur ma peau.
"Non pas là, arrête, suppliai-je."
Je me demandais si nous aurions dû conduire une vraie conversation. Nous ne nous connaissions pas :
"Allez, argumentait-t-il !"
Quel avenir aurions-nous, m'interrogeais-je, lui à Neuilly Plaisance et moi dans la région lyonnaise ?
"Bon, je te raccompagne, proposa Christophe gentiment quand l'heure autorisée par ma mère se fut écoulée depuis un moment."
Il me prit la main et je tremblai jusqu'à une motte de sable qui délimitait la plage derrière laquelle je logeai.
"Bon, ben salut. A la prochaine !"
Je n'osai pas demander quand nous nous reverrions mais le lendemain matin, une copine de vacances vint me prévenir :
"Christophe a raconté à tout le monde qu'il avait couché avec toi. Et que c'était un pari."
Je ravalai mon dépit et griffonnai furieusement : "Tu sais quoi, Isabelle, j'ai beau ne pas avoir d'expérience je suis persuadée qu'il n'avait jamais embrassé personne avant. Sa langue tournoyait si sauvagement, on aurait dit un mixer. Beurk, concluai-je, je ne suis pas près de recommencer !"
Illustration : dreamasylum
20 commentaires:
ouais encore un quia failli te dégouter des mecs^^
"j'écrivis à Isabelle à l'encre rouge que la veille j'avais eu mes règles " !
Préambule : Désolé, c'est plus fort que moi...
Commentaire : tu ne gâche vraiment rien.
souvenirs d'enfance , celle qui s'en va , qui nous laisse interdite sur le bord de l'amour sans savoir où aller. ni comment aller là où tout le monde enjolive. c'est parfois une illusion collective. Ce que l'on devrait dire , aussi , c'est le respect la tendresse , le reste vient avec , sans doute!
Cela vaut pour les jeunes hommes comme pour les jeunes femmes.
Très beau récit.
Il fallait lancer une contre-rumeur, de type "ça a duré 23 secondes".
Et paf !
nea,
Il y en a plusieurs malheureusement...
Nicolas,
Je suis tordue de rire, de bon matin c'est bien, ça réveille !
mc,
Oui, il faut du temps pour apprendre à se respecter soi-même...
Merci !
Nicolas,
L'idée n'est pas mauvaise mais j'avais tellement honte que je crois que je me suis tenue à l'écart quelques temps après ça...
Je voudrais bien savoir qui peut parler d'une première fois mirobolante... J'ai comme l'impression que "première fois", ça veut dire déception, comme un rite initiatique, un passage obligé pour "y" accéder enfin. Mais quel goujat, quand-même, ce Christophe (et son frère). D'ailleurs, peut-on parler, là, vraiment de "première fois" ?
Ne jamais dire "Fontaine, je ne boirai jamais de ton eau"
ouala!!!
"j'écrivis à Isabelle à l'encre rouge que la veille j'avais eu mes règles " !
Préambule : Désolé, c'est plus fort que moi...
Commentaire : tu ne gâche vraiment rien.
[moi aussi je pompe les commentaires de Nicolas]
Quel goujat, sinon le mec. Même moi je n'aurais pas fait ça. Même moi.
Oh!91,
Malheureusement les petites filles sont élevées avec l'idée que la première fois doit être exceptionnelle. Enfin c'est ce que moi j'espérais. Mais tu as raison, les premiers baisers ça ne compte pas vraiment. Mais ça marque quand même un peu (surtout avec des Christophe)
Claude,
Tu as raison ! Mais j'ai attendu quelques années après ça...
Balmeyer,
Pff ! Tous les deux je vais vous séparer !
Balmeyer,
Je suis sûre que les filles tombent à tes pieds, tu n'as pas besoin de raconter des bobards ;)
Balmeyer,
Du moment que tu ne pompes que mes commentaires.
"On aurait dit un mixer" et en plus ce "naze" y savait même pas embrasser...
Je reviendrai demain, savourer ce texte, là, je m'arrête seulement sur le visuel qui l'accompagne.
C'est tellement beau.
Un lien ?
Yelka,
Pour ce que je pouvais en juger ;)
Dom,
Reviens quand tu veux, tu es toujours la bienvenue ici, tu le sais. Le lien est en bas du texte...
J'aime beaucoup ces histoires si bien racontées.
Il y a eu des garçons plus délicats depuis j'espère!
à bientôt
Mr Superolive,
Il y en a eu un et je vis avec !
Merci pour ton commentaire, à bientôt...
Ah, ce que les mecs sont cons...
Depuis, je suis sur qu'il y repense et que la honte lui grimpe aux joues (sur qu'ils ont fini par découvrir le pot aux roses)...L'affiche !
Super le site Etsy ! merci.
Dorham,
Moi je pense surtout qu'il m'a oubliée... et que s'il a continué de mener sa vie avec autant de cynisme, elle doit être bien affligeante aujourd'hui !
Dom,
Oui, j'y vais souvent. Je n'ai rien acheté mais j'y regarde des illustrations et je rêve...
Ne le crois pas Zoridae, les mecs sont comme ça mais ils ont trop d'orgueil pour ne pas se souvenir des faux triomphes. Ils sont mordants de honte...si il avait eu ce qu'il voulait, il en aurait retiré sans doute beaucoup de fierté, mais là, ce n'est que du vent....
Le mec qui ment à ses potes pour se faire mousser, c'est juste un petit poisson parmi les requins...
O fait, 'en parlant de requin) je t'ai décrit Hervé...c'est toi qui l'a voulu...ne viens pas te plaindre...
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