dimanche 22 novembre 2009

Juste avant de devenir fou...

Avant de devenir définitivement fou, Robert Schumann composa ces Gesänge der Frühe, Chants de l'aube que j'ai découverts ce soir.
Puis, il se jeta, en vain, dans le Rhin et il demanda à être interné à l'asile d'aliénés où il oublia tout ce qui, auparavant, l'animait et cessa peu à peu de s'alimenter.

Sa femme était enceinte de leur huitième enfant ; à sa naissance, le garçon sera baptisé Félix*, en souvenir de Mendelssohn.

Je ne le fais pas exprès, mais j'ai l'impression que chaque fois que je m'intéresse à un artiste, il se trouve qu'il a souffert de la même maladie que mon père. Et cela ne date pas d'aujourd'hui.

J'ai longtemps eu une passion pour Schumann, Clara et Robert dont j'ai chanté de nombreux lieder et dont j'ai lu, il y a longtemps le Journal d'un mariage. J'ai adoré les œuvres de Van Gogh et de Munch bien avant de me documenter sur leurs existences chaotiques. Tout à l'heure, en cherchant dans ma bibliothèque musicale, le Journal du couple Schumann j'ai découvert que je possédais un livre chez Robert Laffont intitulé LA FOLIE, histoire et dictionnaire que j'avais oublié.

Dans le chapitre "L'art et la folie" il est écrit :

"Pour Van Gogh et nombre d'autres passionnés, le terme de "folie" n'a pas la signification qu'on veut bien lui donner ; face à l'œuvre de ce peintre qualifié communément d'"halluciné", d'"hanté", elle n'en a aucune puisqu'il cessait de travailler dès qu'il pressentait la venue de ces crises et ne prenait jamais ses pinceaux en état de démence.

Munch
, sujet à de graves dépressions, se sait lui aussi menacé par la
folie et tente de réagir par l'antidote de l'art ; sa peinture est, contrairement à celle de Van Gogh, le reflet de ses désordres cérébraux, d'où cette vision compulsive aux arabesques torturées, affolées, qui dans Le cri de 1893 exprime la fatalité et la panique de l'individu face à l'"enfer moderne". La femme en est l'une des tentations les plus obsédantes et dangereuses. En 1908, Munch comme naguère Vincent, est interné dans un hôpital psychiatrique ; il en sort guéri, mais contrairement à ce dernier, dont l'internement n'eut pas de répercussions sensibles sur son œuvre, son génie, décanté de son intensité dramatique et de sa violence convulsive, disparut. Jusqu'à sa mort en 1944 sa peinture de sera plus que le pâle reflet de ce qu'elle fut."

Est-ce parce que, sans que l'on ne m'ait rien dit, j'avais senti mon père ? Est-ce que je le comprenais bien avant de le savoir ?

Vendredi, cela faisait vingt ans que mon père était mort. Il me semble que c'était hier tout à coup.
On m'a demandé :

"Aviez-vous pleuré votre père à sa mort ?
J'ai sursauté.
- Oh oui ! Je n'ai fait quasiment que ça pendant une dizaine d'années."

Bizarrement il m'a semblé que je mentais.

Il va falloir admettre que je ne le pleurais pas pour de bonnes raisons. En vingt ans sans lui, j'en ai plus appris à son sujet que pendant les quinze où il a partagé ma vie... Faudrait-il que je pleure pour de nouvelles raisons ?


*Félix fut aussi le prénom de mon père.

Tableaux de Munch, dans l'ordre : Nuit à Saint Cloud 1890, Vampire 1893, Weeping Nude 1913

14 commentaires:

Nicolas Jégou a dit…

Tu me bats : ça ne fait que 17 ans...

:-(

Sylvaine a dit…

L'Éloge de la Folie...du Sieur Érasme...ne me réconciliera pas avec l'absence de ce satyre. Va pour Clara et Clara
http://www.classissima.com/fra/video/Mr-Schumann-Scenes-d-enfants-played-by-Clara-Haskil/
Dormez bien hier soir.

Zoridae a dit…

Nicolas,

En novembre aussi ?

Sylvaine,

Je crois que j'avais lu Erasme il y a longtemps... Je ne sais plus. J'aime beaucoup aussi les Scènes d'enfants mais je les trouve tristes....

Nicolas Jégou a dit…

Non, en juillet, mais est-ce important ? Même si j'étais bien plus vieux que toi (je me rappelle le ou les billets que tu avais fait), ça laisse un trou.

Zoridae a dit…

Nicolas,

Oh non ce n'est pas important... Oui tu as raison...

lucia mel a dit…

comme les chemins se croisent, en une toile où les araignées aiment à se reproduire (parfois). Ma mère la frôle à chaque instant, ne la combat plus depuis longtemps, la folie... Comme la chante Valérie Lagrange : "elle est si près de la vérité qu'elle s'y est brûlée, la folie...". Je la connais si bien... elle m'entoure, j'en ai vu tant y sombrer...

http://www.youtube.com/watch?v=M7uh84kdcSg

mtislav a dit…

Je ne connaissais cette Nuit à St Cloud, c'est magnifique. Ton billet est très touchant.

Zoridae a dit…

Merci Lucia Mel pour ce lien et ton témignage... Les paroles sont percutantes en effet... Oui la toile est troublante parfois qui nous emmène dans des endroits que nous connaissons bien.

Mtislav,

Oui, ce tableau est très beau. Je suis ravie de te l'avoir fait découvrir. Munch est un peintre qui vaut vraiment le détour...

Anonyme a dit…

BON DEPART

Patrick a dit…

Bonsoir !
je viens de lire ton article et j'ai beaucoup apprécié la manière dont tu traites ce sujet douloureux, complexe, fascinant et dérangeant. L'Art peut permettre d'aller mieux ou du moins de dompter ses démons. Il y a un livre que j'avais lu et qui m'avait impressionné, "le combat avec le démon" de Stefan Zweig. Il y évoquait trois artistes importants pour moi : Hôlderlin, Heinrich von Kleist et Nietzsche.
A la lecture de ton beau texte, émouvant et sensible, j'ai eu envie de le relire...
Derrière la pudeur de tes mots, ce souvenir que tu évoques, je ne peux que me taire. Cela t'appartient et je n'ai rien à écrire.
A très bientôt.
Amicalement,
un revenant...qui reprend ses marques peu à peu...silencieux mais en aucun cas oublieux, comme si besoin était de l'écrire...

Clarinesse a dit…

C'est terrible, ce rapport omniprésent entre création et folie. A se demander si ce n'est pas le prix à payer réclamé par le diable à tout prétendant au titre de Faust génial. Tellement logique, pourtant : on ne voit pas comment un boeuf insensible, bien solide sur ses sabots, pourrait produire du beau.

PS : Le mien a attendu pour partir tout juste 4 mois avant la naissance de son petit-fils. Et les dix ans dont tu parles ne sont pas encore écoulés...

Zoridae a dit…

Merci pour ton commentaire Patrick et pour l'évocation du livre de Zwaig qui me fait très envie...
Je ne suis moi-même plus beaucoup sur les écrans et je suis ravie de ton passage !

Clarinesse,

Et pourtant il y en a eu des boeufs bien plantés qui ont pondu des chefs d'œuvre.
Je ne crois pas, moi, qu'il faille être torturé pour créer et être un génie. Par contre, l'être, torturé, c'est sûr, donne envie de se libérer. Pourquoi pas par l'art ?

Ton ps m'émeut... Mort et naissance quasi en même temps, ça a dû être une période intense et terrible pour toi...

Clarinesse a dit…

a) Oui, tu as raison, il y a aussi des forces de la nature capables, sans vaciller, de créer des oeuvres géniales avec la puissance des engins de chantier, comme Poclain, n'est-ce pas... :)) Ma généralisation était simplette.

b) A peu près comme ça, oui. Mais il fait croire qu'il était bien accroché.
Comme j'dis parfois, il a connu le goût des larmes avant celui du lait.
Moche...

c) Tes derniers textes : ai lu, émue, et me suis tue.

Zoridae a dit…

Merci Clarinesse...