mardi 29 septembre 2009

Rupture

S'agripper à une barre métallique, au montant d'un siège serait pour lui comme renoncer à une partie de sa hargne, comme montrer à sa compagne - elle serrant des deux mains les poignées de la poussette en position frein de leur enfant - qu'il a encore quelque chose à voir avec elle, qu'il a ses moments de faiblesse, parfois. Lui ressembler, même d'un geste, lui paraît inconcevable et nourrit son ressentiment. De toutes façons il ne risque ni de tomber, ni de vaciller. La haine le tient debout, bien raide, ses genoux craquent doucement et assise, un peu plus loin, j'ai l'impression qu'ils produisent des étincelles à travers ses jeans. Il ne se pousse pas pour laisser le passage aux autres voyageurs et malgré le peu de place devant les portes métalliques, on l'évite soigneusement, on glisse autour de lui en prenant garde de ne pas le heurter. Il ressemble à ses arbres surplombant les zones inondées, indéracinables, orgueilleux, ostensiblement immobiles alors qu'autour d'eux tourbillonnent des trombes d'eau, des voitures, des maisons et quelques uns de leur congénères sans caractère, racines à l'air, encore tout plein de terre et de feuilles.

Lorsque le métro freine, il attend que les portes s'ouvrent et il sort ; cela surprend sa femme qui pensait que la situation durerait assez pour qu'il oublie dans quelle humeur il se trouvait l'instant d'avant. Elle émerge de sa torpeur soucieuse et elle pousse un cri. Un seul mais assez surprenant pour qu'il se retourne. Tendant la main et prenant garde que celle-ci ne la voit pas, elle désigne leur fille, tétine dans la bouche allongée dans sa poussette. Ce geste d'une mère qui pense à son enfant alors que son son amant lui tourne le dos me semble d'une beauté douloureuse et je me mords les lèvres pour ne pas pleurer.

Puis l'homme hausse les épaules et s'en va. L'enfant qui l'aperçoit alors sur le quai se met à pleurer mais il en a assez entendu pour aujourd'hui et il s'élance sans regret, vers la sortie.

Illustration : Casey Weldon

14 commentaires:

Aude a dit…

Quelle tristesse.

Dorham a dit…

Enfin, y a des couples comme ça, qui se raccommode, se décommode...etc. Sans cesse. C'est parfois très spectaculaire, ces ruptures ostensibles.

Je dois avouer que ça m'est arrivé de planter toute ma famille dans le métro pour...rentrer à la maison.

charivarii a dit…

on ne connait jamais la vraie raison des choses
on ne sa connait jamais le fond des hitoires
alors dans l'absolu, pour le genre humain, c'est sans doute triste
mais au delà des apparences on ne peut rien dire, absolument rien

Audine a dit…

Mouhahahaha Dorham !!! ça ne m'étonne pas !!

On imagine des scénarios de couple selon ses peurs ou ses fantasmes ?
Peut être voulait elle lui dire de penser à acheter les couches et le lait maternisé et qu'il descendait là parce que c'est la station des commerces.
Peut être c'est elle qui lui a dit : "retourne chez ta mère" - et la station de métro est celle du domicile de la mère - et que c'était convenu qu'il emmène aussi le bébé.
Ce qu'il n'a pas respecté, le salaud.

C'est vrai ce que dit Dorham, ça peut être un mode de fonctionnement, la dramatisation.

Balmeyer a dit…

Dorham le salopard ! Je suis sûr qu'il est rentré chez lui pour se mater son intégrale des films de Polanski qui trône magistralement sur sa cheminée !!

Zoridae a dit…

Aude,

Je trouve aussi...

Dorham,

Oh oui je sais... D'ailleurs leur séparation était peut-être prévue comme le dit Audine. N'empêche qu'il n'a pas dit au revoir à son enfant !

(Tu te fais une de ces réputations !)

Charivarii,

C'est pour cela que j'ai mis "je" dans l'histoire. C'est mon point de vue à moi. C'est à dire, surtout, ce que j'ai imaginé. Mais on pourrait réécrire l'histoire dix fois...

D'ailleurs, si certains le souhaitent...

Audine,

Bien sûr que mon interprétation est totalement subjective. Par contre elle est sans jugement... Enfin, je crois...

(Seulement tu vois bien qu'il y a peu de chance que l'homme ne soit pas un salaud... un petit peu...)

Balmeyer,

Hi hi ! Bien dit !

Dorham a dit…

Zo,

ben quoi ?

J'abandonne personne, je vais juste prendre l'air. Et puis tout le monde est habitué, les gosses risquent pas de se mettre à pleurer avec moi. C'est plutôt du genre : "tiens, Papa fais encore la tronche...et voilà, il rentre à la maison en faisant du boudin". Alors, je me venge en cassant leurs jouets...

Christophe Sanchez a dit…

euh moi aussi... ça m'arrive de partir sans crier gare mais pas dans une gare de métro. Non, c'est trop voyant puis des gens écrivent ton histoire sur le net après. Alors, non, j'fais gaffe.

Zette a dit…

C'est triste, mais qui sait, il les protège peut-être en les abandonnant.

J'aime aussi imaginer la vie des gens comme ça, juste avec les seules images, regards croisés, clichés vestimentaires ou situations qu'on a d'eux. Comme quand tu croises quelqu'un en voiture qui hurle de rire tout seul ou devant toi, un couple qui se dispute.

Dunes douces a dit…

Il y a autant d'interprêtations que de regards...
Reste que c'est douloureux, parfois violent de surprendre dans un lieu public, l'indifference ou l'hostilité...

Impuissance, douleur, tes mots- reflets...
Pire, l'indifference de ceux qui ne voient rien ou s'indifferent...

Nicolas Jégou a dit…

Et s'il était tordu par l'émotion de devoir aller travailler pour nourrir sa chère famille, hein ?

C'est toujours le bonhomme qui en prend plein la tronche.

Charles Magnet a dit…

pfff.... quel mécréant...!

Frédérique M a dit…

Je vous écris ici, Zoridaé, puisque vous avez désactivé les commentaires sur vos billets suivants, pour vous dire que je pense à vous et à votre petite soeur. Juste ça, votre pudeur et la mienne, m'interdisant d'aller plus loin. Je vous embrasse.

Zoridae a dit…

Merci Frédérique...